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Florence VANCOILLIE

A propos Florence VANCOILLIE

Pasteur de l'Eglise évangélique libre de Toulouse depuis 2013, membre de la Commission synodale de l'UEEL.

L’épreuve d’Abraham

https://soundcloud.com/eel-toulouse/l-preuve-dabraham

Lecture biblique: Genèse 22.1-19

Pour approfondir notre réflexion sur notre consécration à Dieu, sur ce que nous lui offrons, ou pas, et comment, je vous invite à méditer le texte du jour, dans le livre de la Genèse, qui relate un épisode phare de la vie du patriarche Abraham.

Cet épisode de la Bible, ce presque sacrifice d’un fils par son père, est d’une intensité rare, et cette scène a interpelé – et continue d’interpeller – bien des croyants, mais aussi des penseurs et des artistes, tant elle rassemble des aspects essentiels de notre humanité. Sans chercher à tout relever, ou à répondre à toutes les questions que ce texte a peut-être soulevées, j’aimerais simplement ce matin relire ce texte dans le cadre de notre chemin vers Pâques, dans le cadre de notre chemin de retour à Dieu, de retour à l’essentiel, de consécration, parce que l’histoire d’Abraham le croyant nous aide à avancer, aujourd’hui, sur notre chemin de foi.

1)    « Je te donne tout » : jusqu’où se consacrer à Dieu ?

La demande de Dieu à Abraham nous choque, et à juste titre ! En plus de la cruauté du sacrifice d’un enfant, cette demande est injuste, notamment au regard de la volonté divine – Dieu lui-même, dans sa loi, interdira vigoureusement les sacrifices d’enfants pratiqués dans certaines religions et punira le peuple avec sévérité quand il commettra ces abominations. Cette demande, contraire à la volonté de Dieu, est d’autant plus absurde qu’elle contredit aussi les nombreuses promesses que Dieu a faites à Abraham depuis qu’il l’a appelé à le suivre, quelques décennies plus tôt. En effet, Dieu avait promis à Abraham et Sara un fils, de qui descendrait un grand peuple, malgré la stérilité de ce couple âgé. Dieu a pris son temps pour réaliser cette promesse, mais Isaac a fini par naître, fils tant attendu et tant chéri, porteur de la promesse de Dieu. Abraham a même dû se séparer de son fils illégitime, Ismaël, pour qu’Isaac puisse recevoir l’intégralité de l’héritage prévu par Dieu. Et maintenant, voici que Dieu demande à Abraham de sacrifier Isaac !

Le texte nous donne quelques indices pour comprendre cette demande incompréhensible. D’abord, avant même de savoir ce que Dieu va demander à Abraham, nous lisons que Dieu voulut mettre Abraham à l’épreuve, et cette demande est un test – ce que Dieu veut, ce n’est la vie de cet enfant, mais c’est voir ce qu’il en est vraiment de la foi d’Abraham. Un autre indice nous aide à comprendre, lorsque Dieu dit : « prends ton fils, je te prie, ton fils unique, celui que tu aimes » (v.2). La demande concerne Isaac car c’est Isaac qui est précieux aux yeux d’Abraham, c’est lui qui a été attendu, désiré, qui porte les promesses ; et il me semble que l’enjeu de cette demande, c’est de savoir si Abraham est prêt à donner à Dieu ce qu’il a de plus précieux.

Quand nous parlons d’offrande, ou de consécration, quand nous chantons « je te donne tout », ou « entre tes mains j’abandonne tout ce que j’appelle mien », est-ce que c’est une manière de parler ? Est-ce que c’est une image ? Qu’est-ce que nous donnons à Dieu ?

Cette question de l’offrande, de ce que nous consacrons à Dieu, est révélatrice de la place que nous lui donnons dans notre vie. Est-ce que nous sommes prêts à lui donner ce qui a le plus de valeur pour nous, ou y a-t-il des choses que nous voulons garder de côté, que nous lui refusons parce qu’à  nos yeux, elles ont plus de valeur que lui ? Quels sont les domaines où, si Dieu nous posait le même ultimatum, nous préférerions nous détourner de Dieu ? L’histoire d’Abraham évoque l’histoire du jeune homme riche, qui voulait bien faire, qui était prêt à donner de son temps, de son amour à Dieu, mais qui, lorsque Jésus lui demanda de donner toutes ses richesses et de faire de Dieu sa seule richesse, se détourna et partit sur un autre chemin. Quelles sont, finalement, nos idoles, ces choses, ces relations qui prennent à nos yeux plus de valeur que Dieu lui-même ?

2)   Le signe d’une confiance radicale

Ce que Dieu nous demande, c’est un geste fou, radical, le don de soi, le don de ce qui nous fait vibrer. Pourtant, et c’est essentiel pour comprendre cette épreuve, Dieu ne permet pas qu’Abraham aille au bout de son geste ! Il empêche que le sacrifice se réalise vraiment – mais il l’empêche au dernier moment, comme pour voir jusqu’où Abraham est prêt à aller, jusqu’où il est prêt à obéir, à suivre son Dieu.

Abraham nous impressionne par son silence, par son obéissance, mais s’il ne se révolte pas, il n’apparaît pas non plus indifférent à la situation. Le texte met en valeur sa tristesse en rappelant sans cesse la valeur d’Isaac à ses yeux, son fils, son unique, son très cher fils. Dans ses réponses aux serviteurs, à son fils, Abraham se montre ambigu : « moi et le garçon, nous irons là-haut pour rendre un culte puis nous reviendrons vers vous » (v.5) et « que le seigneur voie lui-même quel animal il aura pour le sacrifice » (v.8) – c’est peut-être pour éviter d’alerter les autres de peur qu’ils ne l’arrêtent, mais dans ces réponses on sent aussi l’espoir, peut-être la foi, que Dieu n’abandonnera pas Abraham à la détresse et qu’Isaac vivra.

Il passe ces trois jours dans l’affliction, mais il ne se dérobe pas. Il suit ce chemin très étroit sur lequel Dieu l’appelle, prêt à se délester de tout pour répondre présent à l’appel de Dieu. Tout comme il avait quitté sa patrie et sa famille lorsque Dieu l’a appelé la première fois, aujourd’hui il se montre prêt à tout laisser pour suivre Dieu, déjà ce qu’il a de plus cher, mais aussi les bénédictions de Dieu, les promesses que Dieu lui a faites.

Là se trouve le sens de son épreuve, qui ressemble un peu à l’épreuve de Job : pour quelle raison Abraham suit-il Dieu ? Quelle est sa motivation ? Est-ce que c’est pour être béni de Dieu ? Est-ce qu’il espère gagner quelque chose ? Mériter quelque chose ? Regarde, j’abandonne mes parents, parce que tu vas me donner des enfants, c’est gagnant-gagnant. J’arrête de fumer, mais tu me guéris. Je te donne de l’argent mais tu m’aides dans mon travail. On fait un échange, on négocie. Le marchandage, c’est la base des religions, mais Dieu n’est pas dans le marchandage. Dieu lui demande de tout lui donner, même ce qu’il espère, même ce qu’il attend de la part de Dieu, de rendre en quelque sorte ses promesses à Dieu. Est-ce qu’Abraham est prêt à suivre Dieu s’il n’y gagne rien ? Est-ce qu’il est prêt à le suivre de manière désintéressée, gratuite ? Est-ce que Dieu est un outil qui améliore notre vie, qui nous aide à obtenir certaines choses, une béquille qui compense certaines faiblesses ? ou est-ce que c’est le Dieu tout-puissant, le créateur, le Seigneur, le Premier et le Dernier qui mérite notre adoration, notre crainte, notre foi, parce qu’il est le vrai Dieu ?

Mis à l’épreuve, Abraham montre qu’il suit Dieu de manière désintéressée, qu’il le suit parce qu’ils ont une relation, parce qu’il le connaît et qu’il sait que c’est le vrai Dieu, qui a plus de valeur que toute autre chose dans le monde.

3)   Un Dieu qui comble celui qui se donne

Ce texte nous montre la profondeur de la foi d’Abraham, sa pureté et son intégrité, mais il nous fait aussi voir quel est ce Dieu qu’Abraham est prêt à suivre à tout prix. Ce Dieu c’est le Dieu de la vie, le Dieu de la grâce, le Dieu qui se montre fidèle et généreux.

Dieu demande à Abraham un acte presque impossible, mais en voyant la foi de cet homme, il ne manque de répondre présent lui aussi. Non seulement il pourvoit en donnant une victime pour le sacrifice – prouvant qu’Abraham a eu raison de garder espoir en lui – mais en plus, il renouvelle son alliance avec Abraham, allant encore plus loin dans les promesses : il jure par lui-même, par le Tout-Puissant, il s’engage pleinement à respecter ses promesses de bénédiction. Abraham était prêt à tout donner, et Dieu répond à sa foi en le comblant de bénédictions.

Il y a un jeu de mots dans le texte, je ne sais pas si vous l’avez remarqué : v.14, Abraham appelle le lieu du nom « le Seigneur voit » et l’explication qui est donnée ensuite, c’est que sur cette montagne, le Seigneur est vu, il apparaît. Dieu veut nous voir, il veut voir de quel bois nous sommes faits, une fois que disparaissent les vœux pieux et les bonnes intentions. Il veut voir, tester, éprouver, la qualité de notre relation avec lui, de notre foi, de notre amour pour lui : de la même manière que les difficultés de la vie montrent les vrais amis, de même les épreuves montrent à Dieu quel amour nous anime. Si Dieu veut voir, il est aussi celui qui se montre, celui qui se laisse voir, celui qui apparaît, qui répond à l’appel. Dans ces épreuves, qui sont des moments de vérité, Dieu nous pousse à montrer quel amour nous lui portons, et en réponse, il montre à son tour quel amour il nous porte.

Remarquons que cette relation n’est pas symétrique. Dieu nous précède par sa grâce, et il nous répond avec une générosité débordante. Nous avons souvent peur de nous donner, d’offrir, de consacrer à Dieu ce qui nous est précieux : est-ce que nous ne risquons pas de tout perdre en donnant à Dieu la priorité ? N’allons-nous pas perdre ce que nous aimons, ce qui nous rassure, ce qui nous définit ? En nous donnant tout entiers à Dieu, n’allons-nous pas nous perdre ?

Ce texte répond en montrant à quel Dieu nous nous donnons : un Dieu qui s’engage, un Dieu qui donne à celui qui se donne, un Dieu qui comble, qui bénit, qui inonde de grâce et d’amour celui qui ose faire ce pas, ce saut, de la foi.

Conclusion

Ce texte nous présente Abraham comme le modèle de tous les croyants, celui qui a donné à Dieu la première place, celui qui a su reconnaître en Dieu le seul vrai Dieu, et qui n’a pu faire autrement que de le suivre quel qu’en soit le prix. Ce Dieu à qui Abraham se consacre tout entier, ce Dieu est un Dieu de grâce, qui bénit celui qui se donne, qui répond à notre foi avec une surabondance extraordinaire. Abraham n’est pas seulement le modèle des croyants, il reflète aussi le Dieu de grâce, le Dieu de l’évangile, ce Dieu qui donne ce qu’il a de plus précieux pour nous, qui a offert en sacrifice son fils, son fils unique, son fils qu’il aime tant, par amour pour nous, pour que plus rien ne nous sépare de Dieu, rien, ni la mort, ni le mal, ni notre culpabilité, pour que rien ne nous sépare de l’amour de Dieu. Dieu n’a pas exigé d’Abraham qu’il aille au bout de son geste, il nous demande de nous donner à lui mais il ne permet pas que nous nous perdions, au contraire, c’est lui qui se donne pour nous, en Jésus-Christ, pour nous bénir, pour nous offrir la vie éternelle.

Au cœur de la tourmente, quelle espérance?

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Psaume 102

Dans ce psaume, nous avons deux portraits : le portrait d’un homme en souffrance qui exprime l’intensité de sa détresse, et, en face, un portrait de Dieu. Le contraste est très fort entre cet homme écrasé et ce Dieu glorieux, céleste, souverain. Entre ces deux portraits, il y a une tension, une tension entre la réalité de la souffrance et la foi en un Dieu bon et puissant. Comment vivre cette tension ? Dans le psaume que nous avons lu, le croyant fait le choix d’espérer, et c’est cette espérance qui fonde sa prière.

1)   Espérer dans le Dieu tout-puissant

L’homme qui prie est dans une situation terrible, qui éveillerait la compassion de n’importe qui. Manifestement, il est au bout du rouleau, et sur tous les plans. A travers une description poétique et éloquente, on devine que cet homme est gravement malade, manifestement en fin de vie. A sa douleur physique s’ajoute l’angoisse de celui qui se retrouve confronté à la mort. Il ne dort plus, ne mange plus, ne peut que pleurer… Au milieu de la détresse, il est rejeté par tous. Il est devenu tellement affreux à voir que ses ennemis prêtent serment en disant : « si je trahis ma parole, Seigneur, rends-moi comme lui ! ». Il n’a plus de force, plus de ressources, plus d’amis. L’image de l’oiseau solitaire perdu au milieu des ruines résume bien sa situation.

Dans cette situation tragique, il se sent abandonné de Dieu, comme si Dieu avait détourné la tête et refusait de l’écouter. Le silence de Dieu le conduit même à penser que ce qu’il vit vient de la colère de Dieu contre lui. Il ressent son silence et son inaction comme un rejet, pas comme une punition (il ne demande pas pardon) mais comme un rejet.

Et puis, après avoir exposé en détails sa situation pitoyable, il a comme un sursaut : « mais toi, toi, tu es Seigneur et tu règnes ! Tu es le roi pour toutes les générations, pour l’éternité ! » Pourquoi l’éternité de Dieu lui redonne-t-elle une espérance ? C’est une réaction un peu étrange ! « Je vais mourir, mais toi non. »

Au cœur de l’épreuve, de la tourmente, ce croyant fait le choix de prendre du recul pour contempler Dieu, pour se rappeler en quelque sorte sa confession de foi – qui est Dieu ? que peut-on dire de lui ? Il est tout-puissant, et il règne. Alors que cet homme vit la fragilité et l’impuissance dans toute leur intensité, il se tourne vers le seul qui soit vraiment puissant et fort, vers le Créateur, celui à côté de qui même l’univers est éphémère – les cieux, la terre, ils passent, mais pas le Créateur. Alors qu’il est complètement vulnérable, il choisit de regarder au Dieu puissant, et de chercher son espérance, son secours, en lui.

Il me semble que cet homme fait un choix important. Il choisit de ne pas se laisser submerger par une situation écrasante, mais de faire confiance au Dieu de sa foi. Deux choses sont devant lui : la réalité visible, palpable, de sa souffrance présente, de sa solitude, et la foi en un Dieu tout-puissant, mais invisible. Dans sa faiblesse, il choisit de croire que ce qui est le plus vrai des deux, le plus sûr, c’est Dieu, contre tout ce qui est visible, contre tout ce qu’il ressent : c’est Dieu qui est le plus véritable, c’est sa puissance qui est la plus forte. Pour le dire autrement, au moment où tout bascule, il ne laisse pas son ressenti déformer sa compréhension de Dieu, mais il choisit de continuer à croire dans le Dieu révélé à travers les Ecritures, révélé dans l’Histoire, dans le Dieu qu’il a loué, prié, écouté, toute sa vie, que d’autres avant lui ont vu et entendu. Et même si maintenant la situation a changé, il choisit de croire que ce Dieu-là est toujours vrai, que lui n’a pas changé, même si, pour une raison qu’il ne connaît pas, il n’est pas encore intervenu.

Cela étant, comment la foi en un Dieu tout-puissant peut-elle réconforter l’homme qui va mourir ? En quoi l’éternité et la puissance de Dieu sont-elles une bonne nouvelle au milieu de la détresse ?

2)   Espérer dans le Dieu tourné vers les hommes

Avant de répondre à cette question, j’aimerais souligner un autre élément étonnant dans cette prière. Dans la première partie, le croyant se concentre sur sa souffrance, à lui. Dans la deuxième, il lève les yeux vers Dieu, en qui il croit, et il explicite son attente en disant, v.14 « tu vas faire quelque chose car tu aimes Jérusalem » et plus loin, v.17 « quand le Seigneur reconstruira Jérusalem, il se montrera dans sa gloire. » Jusque là, on avait une relation entre un homme souffrant et son Dieu, là il introduit une troisième donnée dans la relation : Jérusalem, qui symbolise en tant que capitale le peuple d’Israël. Il me semble qu’en levant les yeux vers Dieu, cet homme a aussi élargi son regard, et il a repris conscience de la souffrance des autres, de ses compatriotes. Il écrit sûrement après l’exil du peuple d’Israël, alors que Jérusalem a été détruite, que le temple a été pillé, et les juifs dispersés. Sa souffrance d’individu est unique, mais elle le rapproche de tous les autres qui souffrent ; même si les causes sont différentes (guerre, maladie, pauvreté, etc.), la fragilité est la même, l’angoisse et l’impuissance face à la mort sont les mêmes. Par sa souffrance, il prend conscience que la souffrance, dans ce qu’elle a de terrible et de scandaleux, est universelle.

Du coup, la prière du malade se transforme : ce n’est plus seulement pour lui qu’il prie, mais aussi pour ses frères accablés, pour la délivrance et la restauration de son peuple. Cette prière solidaire le conduit à voir plus loin, à demander une délivrance qui n’est pas seulement pour lui, même s’il défaille de souffrance, mais pour tous : en gros, sa prière devient « que ton règne vienne ! Que ton règne vienne sur la terre, toi qui es déjà roi dans le ciel ! Que tous, tous les peuples, toutes les nations, puissent te reconnaître comme leur vrai roi, que ta volonté soit faite ici-bas, que ta justice triomphe, que ta paix s’établisse ! Alors on te louera, alors le monde entier pourra se réjouir ! »

Quel est le fondement de sa prière ? C’est l’alliance que Dieu fait avec les hommes. Dieu est tout-puissant, il est au ciel, trônant avec gloire et majesté, pour l’éternité. Les hommes sont sur terre, mortels, fragiles, quoi qu’ils fassent toujours confrontés à leur propre mort, à leur propre fin, à leur impuissance. Comment les hommes peuvent-ils trouver leur réconfort en Dieu ? Parce que Dieu se tourne vers eux, il se penche, il écoute, il vient voir. L’alliance, c’est ça : l’initiative du Dieu souverain de ne pas laisser les hommes à leur propre sort, à leur souffrance, à leur mort, mais de leur tendre la main. D’abord il l’a fait avec le peuple juif, lorsqu’il l’a choisi et libéré pour établir une relation saine, pour les sauver de la corruption, du mal, et leur donner de sa vie abondante, de sa bonté, de sa grâce, de sa puissance en étant présent parmi eux. Cette alliance commence petit et s’élargit, s’approfondit, se renouvelle en Jésus-Christ, qui lui offre le salut, la vie éternelle, la sainteté, à tout homme, à toute femme, qui se confie en lui.

Dans le cadre de l’alliance, Dieu se révèle dans ses actions, dans son identité, mais il fait aussi des promesses. Et cette prière s’enracine dans ces promesses : promesses de faire vivre celui qui saisit la main de Dieu, de le délivrer, promesses aussi de résoudre pour toujours le problème du mal et de la souffrance, d’éradiquer le péché, d’effacer les larmes, la violence, la haine, la destruction, et d’instaurer un règne de paix, de vérité, de justice, un règne stable, caractérisé par la présence rayonnante du Dieu vivant. Le psalmiste s’accroche à ces promesses, sans trop savoir comment elles se réaliseront, mais il s’y accroche, parce que c’est le Dieu tout-puissant, le roi souverain et éternel, qui les a faites. Et si sa parole a créé le ciel, alors ces promesses de salut se réaliseront aussi.

3)   Espérer, avec audace & humilité

Ce psaume montre la confiance du croyant dans le Dieu tout-puissant, compatissant et fidèle à ses promesses, et cette confiance se traduit par une certaine audace. Cet homme rappelle à Dieu la gravité de la situation et il exprime franchement qu’il est au bord du gouffre : en appelant Dieu à répondre à sa prière, rapidement, à le délivrer, il échappe au fatalisme et à la résignation. La prière pour son peuple a la même connotation v.14 « c’est le moment d’avoir pitié [de Jérusalem], oui c’est vraiment le moment ! » Au cœur de la détresse, au milieu des ruines de sa ville, dans la tourmente de l’angoisse, le croyant ose interpeler Dieu et lui demander d’intervenir, parce qu’il est le seul à pouvoir secourir.

Il met même un peu la pression sur Dieu en lui rappelant que les juifs, eux, ont pitié de leur ville, qu’ils sont émus du sort de leur peuple – Dieu restera-t-il insensible à leur ruine ? De manière sous-entendue, il appelle aussi Dieu à prendre pitié d’un homme plongé dans une situation aussi pathétique que la sienne.

Toutefois, même s’il exhorte Dieu à agir, à se lever, à montrer qui il est, à manifester dès aujourd’hui sa gloire que tous reconnaîtront un jour, le croyant demeure dans l’humilité : il ne donne pas de directive à Dieu, il ne lui dit même pas quoi faire précisément, il ne fait pas de chantage – si tu me laisses comme ça, je ne croirai plus en toi. Avec humilité et foi, il se permet de rappeler à Dieu ses promesses, il s’y accroche, mais il garde l’attitude qu’aura Jésus à Gethsémané : « Père tout est possible pour toi : éloigne de moi cette coupe, cette mort où je vais subir toute ta fureur, toute ta colère, cette coupe de souffrance ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». Confiant que Dieu un jour accomplira parfaitement ce qu’il a promis, il s’appuie sur lui, osant confier ses besoins, sa prière, osant aussi se soumettre au Dieu souverain qui a les meilleurs projets.

Conclusion

Dans ce psaume extraordinaire, un homme choisit la foi au milieu de la détresse. Il choisit de s’approprier à nouveau la foi confessée, transmise de génération en génération, la révélation d’un Dieu puissant et compatissant, saint et miséricordieux. Il se souvient des promesses faites au peuple des croyants, des promesses faites à l’humanité, et il s’en saisit à nouveau. Bien que Dieu n’ait pas l’air de répondre, il refuse de se laisser influencer par les apparences et il choisit la foi, parce que ce Dieu en qui il croit est plus réel, plus fiable, que tout ce qu’il connaît. Sa foi l’aide à retrouver une espérance : la vie éternelle, abondante, que Dieu offre par amour à ceux qui lui font confiance, une vie éternelle encore floue pour le psalmiste mais que le Christ nous promet avec force : celui qui fait confiance à Dieu et au Sauveur qu’il a envoyé aura la vie éternelle. C’est la promesse du Créateur, du Roi souverain, une promesse plus stable que les cieux et la terre qui nous entourent.

Un premier miracle révélateur

Marc 1.21-28

Nous sommes au tout début de l’Evangile de Marc. Juste après son baptême commence vraiment le ministère de Jésus caractérisé par le message qu’il annonce « changez car le royaume de Dieu est tout près de vous ; changez et croyez ! ». Jésus appelle ses premiers disciples et ils partent ensemble pour Capharnaüm, ville de la région de la Galilée, région où Jésus a passé la majorité de sa vie jusqu’ici.

Le jour du sabbat, jour consacré à Dieu, ils entrent dans une synagogue et Jésus se met à enseigner, suscitant l’étonnement chez ses auditeurs. Arrive un homme possédé par un esprit mauvais, c’est-à-dire un démon, qui le coupe et l’interpelle. L’évangéliste Marc choisit de raconter ce miracle en détail, ce premier miracle qui révèle déjà l’identité de ce Jésus encore inconnu. Il me semble que ce miracle, c’est une rencontre à trois niveaux, une rencontre d’abord avec un homme en souffrance, une rencontre ensuite avec un esprit ennemi, et plus largement, c’est une première rencontre avec la foule, témoin des paroles et des actes de Jésus.

1)   Un homme délivré

Ce miracle est premièrement la rencontre de Jésus avec un homme en souffrance, possédé par un esprit mauvais, une puissance démoniaque qui le phagocyte au point que cet homme n’est plus que l’ombre de lui-même, étouffé par cet esprit qui le domine, qui asservit toutes les parties de sa personne et l’abîme au plus profond de son être. Cet homme malgré lui passe la porte de la synagogue et vient perturber le culte, agité et conduit par cet esprit mauvais. Malgré lui, il ose interrompre le maître, celui qui enseigne en laissant ses auditeurs bouche bée, interloqués par son autorité.

Jésus ne voit pas en lui une menace, il ne cherche pas à l’exclure mais il le laisse venir. Nous reviendrons à son court dialogue avec le démon, mais il me semble que la réponse que Jésus fait à l’esprit mauvais (« Tais-toi ! et sors de cet homme ») montre que Jésus a comme premier souci la délivrance de cet homme. Il voit cet homme emprisonné, incapable de parler pour lui-même, incapable d’implorer l’aide du Seigneur, et la priorité de Jésus, c’est sa délivrance. Sors de cet homme ! Jésus ne perd pas de temps, il le délivre.

Jésus révèle là sa compassion pour ceux qui souffrent, ceux qui sont emprisonnés, ceux qui ne sont plus eux-mêmes. Cette compassion à l’égard de l’homme esclave d’un démon est aussi la compassion qu’il montrera envers les aveugles, les pauvres, les prostituées. C’est la compassion de celui qui vient délivrer l’humanité du mal qui la rend esclave, sous toutes ses formes – maladie, esclavage, violence, impureté, soumission à des forces mauvaises. C’est la compassion du Messie, sauveur du monde, venu relever des hommes et des femmes abattus.

Le salut que Jésus nous apporte est un salut intégral, englobant toute notre personne – notre corps, nos émotions, nos pensées, nos relations, nos projets, notre espérance.

Pour l’homme enfin libéré, enfin délivré ce samedi-là, le sabbat a pris tout son sens. C’est le repos qui vient après le trouble et la détresse causés par l’esprit mauvais. C’est la possibilité nouvelle d’avoir une relation avec Dieu, maintenant que les obstacles spirituels sont écartés. Jésus par ce miracle montre concrètement qu’une nouvelle ère est arrivée. C’est l’ère de la compassion de Dieu, une compassion large, généreuse, libératrice. Cette période de grâce que les juifs attendaient depuis plusieurs siècles s’ouvre avec l’intervention du Christ, qui révèle pleinement sa mission de libérateur.

2)   Un démon vaincu

Même si Jésus est d’abord soucieux de l’homme qui vient à sa rencontre, on ne peut pas manquer le bref mais intense dialogue entre l’esprit mauvais et celui qui porte le Saint Esprit de Dieu.

Ce dialogue est assez étrange. Le démon apostrophe Jésus en train d’enseigner. En entrant dans la synagogue, le démon, troublé par la prédication de Jésus, l’interrompt, et lui crie dessus comme pour répondre à une attaque. « Qu’est-ce que tu nous veux ? » Rien, Jésus n’a rien fait, n’a rien dit à ce démon ; mais la prédication de Jésus, son message, est en elle-même une menace pour ce démon, et c’est à ça qu’il réagit « Est-ce que tu es venu pour notre malheur ? »

Clairement, ce démon se sent attaqué, agressé par Jésus, et il prêt à en découdre ; on dirait qu’il essaie de maîtriser Jésus en déclinant son identité complète, comme font parfois les exorcistes demandant au démon son nom, son origine etc.  L’esprit mauvais clame : tu es Jésus de Nazareth, et, il ajoute un titre, le saint de Dieu.

C’est comme si le démon couvrait ses arrières en évoquant l’identité humaine de Jésus, connue de tous, et son identité divine. Le saint de Dieu, c’est celui qui est né du Saint Esprit, qui en a été rempli lors de son baptême, et qui par cet Esprit accomplit parfaitement la volonté de Dieu, sans jamais commettre le mal, sans jamais s’écarter de la justice et de la vérité. C’est aussi celui qui a été consacré, mis à part, pour Dieu, afin d’accomplir ce que personne ne peut réaliser : le salut dont les hommes ont besoin.

L’esprit mauvais, en tant qu’être spirituel, sait très bien à qui il a affaire : le messie envoyé par Dieu, son propre fils venu pour les hommes pour les délivrer. Il ne montre aucune difficulté pour le reconnaître, aucune hésitation pour l’identifier.

La réponse de Jésus, si brève, est lourde de sens. Jésus ne rentre pas dans son jeu : il ne discute pas, ne confirme pas son identité, ne cherche pas à mieux connaître celui qui l’apostrophe. Il le fait taire, et déguerpir.

Pourquoi Jésus impose-t-il le silence à ce démon qui est pourtant le premier à reconnaître sa véritable identité ? Parce que Jésus ne veut pas faire place aux paroles des démons, des ennemis de Dieu, de ceux qui œuvrent à la destruction des hommes et des femmes que Dieu veut sauver à travers Jésus-Christ. Jésus n’a que faire de ces confessions de foi creuses, qui ne sont suivies d’aucune confiance, d’aucun amour, d’aucun respect. Le démon sait qui est Jésus, mais ça ne change rien pour lui. Jésus ne cherche pas une reconnaissance superficielle, mais il désire la transformation du cœur, la repentance face à ce qui déforme les projets de Dieu – le péché, le mal – et la foi, l’ouverture à Dieu, le choix de vivre avec Dieu, en le suivant dans la justice et la paix.

Ce dialogue, c’est une sorte de combat spirituel entre un démon et le Christ. Mais ce combat se déroule sans aucun suspense : Jésus écrase cet esprit mauvais, annonçant dès ce premier miracle que son œuvre de salut pour l’humanité signifie aussi la destruction des forces spirituelles qui asservissent l’homme dans le mal, le péché, la mort. Dans cette rencontre, Jésus se révèle déjà comme celui qui fera taire Satan à la croix. C’est le début de la fin pour ces esprits mauvais.

Marc mentionne souvent les exorcismes, parce qu’ils soulignent pleinement la portée du salut en Jésus-Christ : toutes les puissances du mal seront réduites au silence et devront déguerpir de la création de Dieu, délivrée, restaurée, renouvelée grâce à Jésus-Christ.

3)   Une foule perplexe

Troisième rencontre, entre Jésus et la foule. Elle ajoute une troisième dimension à ce premier miracle. L’ensemble de l’épisode met en valeur la parole de Jésus : une parole pertinente, une prédication qui touche en plein cœur les auditeurs, une parole pleine d’autorité, qui ne se contente pas d’évoquer Dieu mais qui replace chacun devant Dieu, avec urgence et insistance, une parole enfin qui réalise ce qu’elle dit, une parole actrice, créatrice, puissante. C’est une parole qui révèle la vérité de Dieu, qui met à nu les hommes, qui délivre et qui sauve. Cette parole, c’est Dieu lui-même qui la prononce.

La foule comprend que ce prédicateur n’est pas comme les autres, les enseignants habituels, les scribes, non, c’est vraiment un prophète de Dieu. D’ailleurs la puissance de sa parole, suscitant l’obéissance d’êtres spirituels puissants, montre bien qu’il est supérieur.

Pourtant, la foule s’arrête là. Elle s’interroge, troublée, préoccupée par son enseignement, par sa puissance, incapable d’aller plus loin, de relier ces événements aux prophéties anciennes qui annonçaient le Messie, incapable de bien comprendre que le temps est venu, que Dieu s’est approché. La perplexité de la foule annonce déjà la diversité des réactions que rencontrera Jésus et les difficultés à accepter vraiment qui il est.

Conclusion

Ce premier miracle de Jésus, bien mis en valeur par Marc qui dit aussi plus loin que Jésus a réalisé de nombreux exorcismes et guérisons, tout au long de sa prédication en Galilée, ce miracle révèle déjà des aspects importants de la personne et de la mission de Jésus. Jésus homme est aussi fils de Dieu, le saint, le consacré, envoyé parmi les hommes pour les délivrer du mal. Ce miracle nous montre que la compassion de Dieu est première, son amour et sa grâce pour sauver des hommes défigurés, déformés par le mal. Il nous révèle déjà la victoire de Dieu sur le mal, sans dire encore comment, mais en montrant le caractère inéluctable de cette victoire.  Devant Jésus, devant ce sauveur, nous sommes appelés à croire, à reconnaître qui il est, pas en paroles seulement, mais de tout notre cœur, pour le laisser nous délivrer de tout ce qui écrase, afin de vivre pleinement le repos de la relation avec Dieu.

Un esprit saint dans un corps saint

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Texte du jour: 1 Corinthiens 6.12-20

L’église de Corinthe est une église assez étonnante. D’un côté, elle est comblée des bienfaits de Dieu, comme le rappelle Paul au début de sa lettre ; d’un autre côté, cette communauté présente toutes sortes de problèmes auxquels Paul s’attaque dans cette assez longue lettre. Les conflits et les rivalités entre les membres, le débordement et le désordre dans le culte, l’indifférence aux pauvres, et, entre autres, des problèmes autour de la sexualité et du couple – ce sujet revient 3 fois dans la lettre ! Ce qui est intéressant, c’est la manière dont Paul répond à ces problèmes : il ne donne pas une liste d’interdits, mais il cherche les racines des problèmes, qui viennent souvent d’une compréhension inexacte de l’Evangile. Du coup, en plus d’alerter sur l’aspect destructeur de certains comportements, il rappelle le vrai sens de l’Evangile, pour réorienter les chrétiens dans une saine – et sainte – manière de vivre.

1)   L’immoralité sexuelle, un problème théologique

Avant de voir comment Paul répond aux Corinthiens, voyons quelle est la situation. Dans le large éventail des problèmes liés à la sexualité, Paul s’attaque en particulier au fait que certains chrétiens fréquentaient des prostituées. Corinthe était une ville prospère, cosmopolite, mais elle était réputée pour son réseau de prostitution très développé et implanté dans la ville. Après leur conversion, certains Corinthiens gardent leur habitude de fréquenter des prostituées. Le problème se corse, quand ces chrétiens, loin de se repentir, se justifient en disant que ces relations ne posent aucun problème en s’appuyant pour leur défense sur deux arguments.

Le premier, c’est que, par rapport à l’âme éternelle, le corps n’est qu’une enveloppe temporaire, destinée à être détruite à notre mort. Le corps est périssable, voire, pour cette raison, méprisable. C’est une idée bien ancrée dans la mentalité grecque de l’époque, qui tend à mépriser tout ce qui est matériel, bien inférieur au spirituel/ intellectuel. Cette conviction peut conduire soit à négliger complètement le corps, soit à faire ce qu’on veut, puisque, le corps étant mortel, ce qu’on fait avec n’a pas d’impact sur l’éternité. A partir de là, les Corinthiens font un parallèle – très actuel ! – entre la nourriture et la sexualité : de même qu’on apaise sa faim en mangeant, de même il faut répondre à ses envies sexuelles en les assouvissant.

L’autre argument touche à la liberté : Paul a largement insisté dans son enseignement sur la liberté par rapport à la loi et à son cortège de règles rituelles et alimentaires en particulier. Jésus-Christ a tout accompli et il nous rend libres ! Les Corinthiens prennent cet argument au pied de la lettre : ils sont libres, tout est permis ! il n’y a plus de règles, tout est possible.

2)   Le corps compte aux yeux de Dieu

Paul répond à cette justification des Corinthiens en incitant à une réflexion sur le corps et sur la liberté. Commençons par le corps : pour Paul, l’inconduite est impensable parce que le corps a lui aussi de la valeur aux yeux de Dieu.

  1. parce qu’il fait partie intégrante de notre personne

D’abord, le corps fait partie intégrante de la personne. L’être humain possède un corps, ce qui est palpable, visible, matériel, et une âme, l’être intérieur, spirituel, invisible. Dieu a voulu les deux : dans sa sagesse, sa générosité et sa créativité (un des chants de D. Pialat parle de Dieu comme un sublime artiste), il a choisi de créer une réalité concrète, en plus d’une réalité spirituelle. Comment trouver méprisable ce que Dieu a créé avec tant de soin ?

Bien plus, Dieu a choisi de les unir si étroitement qu’il est impossible de vivre sans l’un ou l’autre. D’ailleurs, dans la Bible, la séparation de l’âme et du corps, c’est la définition de la mort !  Le corps est comme le support de l’âme, il révèle ce qui est intérieur : il montre la joie ou la peine, la peur ou le désir, il exprime notre générosité ou notre haine – par des mains tendues ou des poings fermés. Il nous permet aussi d’entrer en relation avec l’autre : par un sourire, le partage d’un repas, une accolade, une discussion, un match de sport.

C’est pour cela que Paul souligne la gravité du péché sexuel : notre comportement physique a un impact sur notre être tout entier, sur notre identité. Et c’est particulièrement vrai de la sexualité qui a pour vocation de concrétiser l’intimité entre deux personnes, une relation d’amour de confiance et d’engagement. Distinguer nos sentiments ou nos relations de notre corps est non seulement mensonger mais aussi destructeur.

  1. parce que le corps va ressusciter avec l’âme

Une deuxième raison, c’est que, contrairement à ce que pensent les Corinthiens, le corps n’est pas destiné à périr. En effet, et c’était manifestement un point difficile pour eux parce que Paul y consacre tout le ch. 15 de sa lettre, Dieu va nous ressusciter âme et corps pour la vie éternelle. Il l’explique mieux dans le ch. 15, mais ce qu’il faut retenir c’est que notre créateur ne renonce pas aux réalités physiques ! Il les ressuscitera en les transfigurant, même si certaines fonctions disparaîtront peut-être.

Même si nous ne pouvons pas imaginer comment, Paul nous rappelle que le salut concerne aussi notre corps, pour lequel nous devons donc rechercher la même sainteté et la même consécration que pour notre âme.

  1. parce que le corps est habité par Dieu dès aujourd’hui

Une troisième raison, c’est que notre corps, créé par Dieu, appelé à la résurrection, est dès aujourd’hui habité par Dieu. Paul utilise plusieurs images : vos corps sont des parties du corps du Christ, vous êtes le temple du Saint Esprit. Notre corps appartient à Dieu, dès aujourd’hui, autant que notre âme ! Notre personne tout entière est dès aujourd’hui si intimement liée et unie à Dieu grâce au Christ dans le Saint Esprit que déshonorer notre corps, porte atteinte à notre intimité avec Dieu. Les péchés « physiques » ne sont pas moins (ou plus) graves que d’autres péchés plus « spirituels » : ils sont aussi graves, ils ont le même pouvoir destructeur sur notre relation avec Dieu.

3)   Libres, mais pas pour faire n’importe quoi

Paul répond à l’argumentation des Corinthiens en démontrant la valeur du corps aux yeux de Dieu, hier aujourd’hui et demain, et il répond aussi à l’argumentation autour de la liberté. Christ nous a libérés : qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ça veut dire « tout m’est permis », comme le slogan des Corinthiens ?

  1. liberté versus utilité

Paul ne répond pas à la question du droit, de ce qui est permis, autorisé, en énonçant des interdictions, mais il déplace la question sur un autre terrain. Il ne s’agit pas de réintroduire de nouvelles lois au chrétien vivant par la grâce dans la liberté de Dieu, mais Paul invite à réfléchir au sens de nos actes. Oui nous sommes libres, mais pour quoi ? dans quel but ? La liberté n’est pas un dieu, c’est un don de Dieu. La vraie liberté est toujours liberté de faire le bien, pour autrui et pour soi. Quelle liberté est-ce de mentir, de frapper, de déshonorer, de trahir ? Est-ce être libre que d’être superficiel, agressif, égoïste, obtus, insupportable ? La liberté, c’est la liberté de faire ce qui est bon.

  1. liberté versus esclavage

Non seulement la liberté est faite pour le bien, mais en plus Paul attire notre attention sur notre marge de liberté lorsque nous cherchons à assouvir toutes nos envies, toutes nos pulsions, que nous voulons tout avoir et à tout faire. Ces comportements, loin d’être les signes d’une personne libre, caractérisent plutôt une personne enchaînée à ses besoins et à ses désirs, incapable de se maîtriser et de choisir ce qu’elle veut vraiment, ce qui est bon. Au nom de la liberté, les Corinthiens se rendent esclaves de leur propre corps, de leur convoitise, de leur superficialité.

  1. liberté et appartenance à Dieu

Un dernier argument vient anéantir la réflexion des Corinthiens sur la liberté : le chrétien est libre, en Christ. En appartenant au Christ. Le chrétien est libre car fils du Dieu qui rend libre.

Racheté par Dieu en Jésus-Christ, qui a tout accompli pour nous libérer de l’emprise du mal, pour nous délivrer de ce qui nous corrompt et nous asservit, voilà comment le chrétien reçoit sa liberté, et avec elle il reçoit une nouvelle identité. Dieu le Fils, en Jésus-Christ, s’est donné pour que nous soyons non plus des esclaves mais les fils et les filles de Dieu, ses enfants bien-aimés, bénis aujourd’hui par une relation riche et intime avec Dieu, promis à la joie de la vie éternelle en présence du Dieu juste et bon que nous révèle Jésus-Christ.

Comment les enfants de Dieu, adoptés par grâce, adoptés à un grand prix, plongés dans cette intimité, pourraient-ils une seule seconde imaginer utiliser la liberté qu’est la vie avec Dieu pour agir d’une manière inacceptable aux yeux de Dieu ? Le chrétien ne s’appartient plus : il est à Dieu. Comment dire : je fais ce que je veux ? Qui est ce « je » ? un être sauvé, guéri, relevé par Dieu pour un destin glorieux et éternel en sa présence ! « je » ? mais ce « je », c’est l’identité nouvelle que Dieu me donne en Christ, et il n’y a pas de place, dans cette nouvelle identité, pour les vieux comportements qui nous menaient dans des impasses !

Conclusion

Paul répond à un problème trivial en évoquant les splendeurs du salut : la valeur que Dieu accorde à notre personne, depuis notre création jusque dans l’éternité, ainsi que le sens de l’Evangile : nous sommes libérés pour le bien, pour aimer, pour être justes, vrais, pour être artisans de paix, pour rire, pour rayonner.

Le problème des Corinthiens venait en partie du fait qu’ils avaient oublié ou mal compris le sens du salut, la portée notre espérance, pourtant c’est Paul lui-même qui leur avait tout expliqué ! De leur exemple, retenons la nécessité absolue de toujours revenir aux fondements de notre foi, de toujours approfondir le sens de ce que nous croyons : en comprenant bien d’où nous tirons notre identité – de la Croix, qui nous sommes aujourd’hui – enfants du Dieu de grâce et de vérité, et où nous allons – dans son Royaume de justice et de paix, notre vie entière sera transformée.

La fête du Roi (Mt 2.1-12)

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La visite des mages est devenue légendaire, enrichie par la Tradition chrétienne de nombre de détails : il y en aurait eu trois, des rois, de plusieurs races différents, etc. En lisant le récit original dans l’évangile, on est frappé par la sobriété de la présentation – en réalité, on ne sait pas grand-chose de ces mages… Cela dit, l’histoire des mages est bien une histoire de rois, seulement les rois ne sont pas ceux que l’on croit souvent !

1)   Jésus, le roi des Juifs

En effet, le vrai roi de cette histoire, c’est un nouveau-né, Jésus, Messie annoncé par les prophètes, libérateur et seigneur attendu par le peuple de Dieu. L’évangéliste Matthieu est au début de son récit : avant de transmettre les enseignements et les actes marquants de Jésus, Matthieu donne un cadre d’interprétation qui va permettre de bien comprendre la portée de ses actes et de ses paroles. Ainsi, dans les premiers chapitres, il présente Jésus comme celui qui réalise les promesses de Dieu d’envoyer un libérateur à son peuple, souvent désigné comme le fils de David, l’héritier du roi des Juifs qui devrait conduire le peuple de Dieu.

Notre récit souligne cet accomplissement : Bethlehem, petite ville proche de Jérusalem, était la ville de naissance du roi de David, issu de la tribu de Juda, et Michée prophétise que le Messie naîtra lui aussi à Bethlehem – texte que citent les autorités juives quand Hérode les interroge. Jésus, né au même endroit que David, est son véritable héritier. La visite des étrangers venus de loin souligne encore le lien entre Jésus et David, en rappelant la visite de la reine de Saba à Salomon, premier successeur du roi David. La reine de Saba, venue d’Arabie pour éprouver la prestigieuse sagesse de Salomon, lui offre or, épices et pierres précieuses, tout comme les mages offrent à l’enfant Jésus or, encens et myrrhe.

Dans cette scène, le nourrisson ne fait rien, mais son identité royale se manifeste déjà, et suscite de fortes réactions d’une part chez les mages, et d’autre part chez les autorités d’Israël.

2)   La venue des sages d’Orient, signe du rayonnement du Messie

D’abord les mages, ou sages, venus d’Orient, puisque ce sont eux qui déclenchent toute l’histoire. Ce ne sont pas des magiciens, mais ils sont dépositaires de la sagesse de leur peuple, en lien avec leur religion – qui implique l’observation des astres – et sûrement avec le pouvoir en place. Ces sages-là avaient peut-être été en contact avec la diaspora juive, puisqu’ils relient l’étoile à la naissance d’un roi juif, ce qui était assez habituel à l’époque, où on considérait que des étoiles annonçaient la naissance des grands hommes.

A propos de cette étoile : c’est l’élément du texte qui paraît le plus naïf, le plus enfantin. Des scientifiques ont cherché des manifestations d’astres (étoiles ou planètes) qui auraient pu correspondre au récit, sans grand succès. Au minimum, on peut retenir qu’une lumière a guidé les mages, qu’ils ont interprétée comme une étoile, dont Dieu s’est servi pour alerter les mages et les conduire jusqu’au Christ.

A la vue de cette lumière, les sages comprennent qu’un grand homme est né, un roi pour le peuple juif, et ils vont directement à Jérusalem pour rendre hommage à l’héritier. Sauf que le roi des juifs n’est pas à Jérusalem, d’où l’histoire avec Hérode.

Quel est le but de leur visite ? Ils viennent rendre hommage à l’héritier – plutôt que l’adorer comme c’est traduit ici – en lui offrant des cadeaux prestigieux et en montrant leur respect. C’est une visite vraisemblablement politique, faite à un futur dirigeant, comme ça se fait entre pays. Les cadeaux apportés sont typiques de la région : or, parfum d’encens et parfum de myrrhe, des biens précieux qu’on utilisait dans les grands événements.

Dans le récit de cette visite, trois choses m’ont frappée.

D’abord, les sages, païens, sont miraculeusement à l’écoute de Dieu, ils se laissent conduire par les signes que Dieu leur envoie, par les rêves, les prophéties, sans discuter.

Ensuite, cette visite est quand même bizarre. Autant on peut comprendre que des délégations aillent rendre visite à un roi en place, autant un nourrisson dans un tout petit pays comme Israël, soumis à l’empereur romain, paraît insignifiant ! En plus, les mages font une apparition presque évanescente : ils offrent et ils repartent, comme si de rien n’était.

Et enfin, l’allégresse des mages, leur joie, est difficile à comprendre, alors qu’ils ne savent pas l’impact de Jésus pour eux.

Ces détails montrent que les mages sont pris dans une démarche qui les dépasse et qu’ils ne comprennent pas tout à fait. Pourtant, à travers leur visite, se dessine le rayonnement universel de Jésus comme lumière des nations, sauveur de tous les hommes, Roi non seulement des juifs mais de tous les peuples. La présence des mages auprès de Jésus annonce de manière prophétique l’ouverture du peuple de Dieu à toutes les nations, comme le demandera Jésus à ses disciples après sa résurrection : « allez, et faites de toutes les nations mes disciples » (Mt 28.18), ce que l’on voit aujourd’hui dans l’Eglise où des gens de toutes origines reconnaissent Jésus-Christ comme leur sauveur et leur roi.

3)   Hérode et les autorités, signes du rejet d’Israël

Face à la réaction inespérée des mages, la réaction d’Hérode et des autorités religieuses juives refroidissent d’autant plus. Le texte dit qu’à la nouvelle de la naissance du Messie, tous sont troublés. Ce trouble dénote la surprise, l’incompréhension, sûrement de la méfiance et de l’inquiétude, en tout cas aucune attitude positive pour accueillir le Roi.

Du côté d’Hérode le Grand, la situation est surtout préoccupante. En effet, Hérode ne fait pas partie de la dynastie légitime, mais il est originaire du pays d’Edom, frère ennemi d’Israël. Installé par les autorités romaines qui lui donnent le titre de roi des juifs, il règne en collaboration avec l’empire, et n’a pour cette raison que peu de popularité. On sait par ailleurs qu’Hérode craignait terriblement de perdre le pouvoir, et qu’il n’hésitait pas à massacrer ses rivaux, même ses propres héritiers ! Cette paranoïa se devine dans les démarches d’Hérode qui convoque les responsables religieux pour se renseigner sur ce nouveau rival, qui interroge en secret les mages étrangers en pensant les utiliser, et qui finit par ordonner le massacre de tous les enfants de moins de deux ans lorsqu’il se rend compte que les mages ne reviendront pas (2.16 : Quand Hérode voit que les sages l’ont trompé, il est très en colère. C’est pourquoi il donne l’ordre de tuer tous les enfants qui ont deux ans ou moins de deux ans, à Bethléem et dans les environs). Pour Hérode, le roi fantoche, la naissance d’un roi légitime, héritier du roi David, est une menace à supprimer.

Du côté des autorités religieuses, le problème n’est pas le même. Ce qu’on remarque chez eux, c’est leur passivité. A l’annonce de la naissance du Messie, ils ont l’air blasé, rappelant les prophéties liées à Bethlehem sans vraiment les prendre au sérieux, laissant repartir les mages sans manifester plus de curiosité, et ne faisant aucune démarche lorsque Hérode donne l’ordre de tuer les enfants potentiels. Leur apathie dénote leur tiédeur spirituelle : ils connaissent les prophéties par cœur, mais elles ne nourrissent pas leur foi, leur espérance. Ils n’attendent pas vraiment le Messie envoyé de Dieu, ils ne scrutent pas les événements pour discerner sa venue, et quand il arrive en la personne de Jésus, ils se retranchent derrière leurs préjugés, partageant l’incrédulité de ceux qui le feront crucifier.

Conclusion

L’épisode de la venue des mages d’Orient auprès du petit enfant nous invite à reconnaître dans l’humble et discrète apparence de Jésus-Christ, qu’il gardera jusque dans sa mort sur la Croix, le Messie du peuple de Dieu, un héritier du roi David, proche de Dieu, promis à une royauté plus que politique, mais universelle et glorieuse, la royauté de Dieu lui-même. La venue de ce roi, que suscite-t-elle chez nous ? Le trouble ? La peur ? L’incrédulité ? L’indifférence ? ou bien la joie et l’allégresse de ceux qui, humblement, s’agenouillent devant le Christ et lui offrent ce qu’ils ont de plus précieux ?