Et pour vous, qui est Jésus ?

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Comment ça se passe quand vous évoquez votre foi avec d’autres, des amis, des collègues, des voisins, des covoitureurs… ? Pour ma part, le sujet vient vite vu que je suis pasteure, mais le sujet peut venir sur la table après une question sur votre week-end (quoi, vous êtes allé à l’église !) ou sur des choix que vous faites, par exemple.  

Récemment, j’ai fait pas mal de nouvelles rencontres et le sujet de la foi est sorti, assez superficiellement, avec une diversité de réactions : pas d’agressivité, mais il y a ceux qui sont clairement athées et qui ferment le sujet d’emblée, ceux qui sont athées mais qui s’intéressent au fait religieux (ah, comment ça marche ? en quoi vous croyez ?…), et puis il y a tout l’éventail des sympathisants – la femme qui a les yeux qui pétillent mais qui n’ajoute rien, celui qui a été touché lors d’un deuil et qui trouve un horizon avec Dieu, celle qui a été élevée dans la religion, qui a envoyé balader les contraintes et les hypocrisies de l’institution mais qui n’arrive pas (dixit) à se sortir de la tête qu’il y a quelque chose après et quelqu’un au-dessus, ou encore, celui qui voue une grande admiration à Jésus pour sa façon d’être unique et rayonnante.

Cette diversité d’opinions, Jésus l’a rencontrée même de son vivant.  Et elle est intéressante notamment parce qu’elle nous pousse à nous positionner nous aussi : qui est Jésus pour nous ? quelle est sa place dans notre vie ? Quels sont les points communs avec ce que l’autre exprime, et qu’est-ce qu’il y a de spécifique dans notre foi ou notre façon de vivre la foi ?

          Les Evangiles prennent d’ailleurs souvent la peine de souligner comment les uns et autres ont réagi devant Jésus, comme pour dire : et toi, lecteur, comment tu te situes par rapport à lui ? Il y a même un moment où Jésus lui-même pose la question à ses disciples : et vous, comment vous vous situez par rapport à moi ?

Lisons dans l’Evangile de Matthieu. Jésus vient d’accumuler les miracles extraordinaires et en même temps il se frotte à l’opposition des chefs religieux juifs qui n’acceptent pas sa façon de présenter Dieu.

Lecture biblique: Matthieu 16.13-20

13 Jésus se rendit dans le territoire de Césarée de Philippe. Il demanda à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » 

14 Ils répondirent : « Certains disent que tu es Jean le baptiste, d’autres que tu es Élie, et d’autres encore que tu es Jérémie ou un autre des prophètes. » – 

Jésus fait un petit sondage d’opinion auprès de ses disciples : qu’est-ce que les gens pensent de moi ?

Le titre « Fils de l’homme » veut simplement dire « humain » (comme Mowgli, le « petit d’homme » dans Le Livre de la jungle), mais Jésus l’utilise souvent en référence aux prophéties du prophète Daniel qui annonçait un « Fils d’homme » bien humain pour accomplir le salut de Dieu (Dn 7). C’est un titre peu utilisé à l’époque, et Jésus peut ainsi parler de sa spécificité (il accomplit les prophéties) tout en restant incognito.

Les disciples se concentrent sur le positif (ils laissent de côté ceux qui traitent Jésus de menteur ou même d’envoyé démoniaque), et répondent que les enthousiastes de Jésus voient d’abord en lui un prophète : soit Jean-Baptiste ressuscité (pas trop possible, vu que JB a vécu dans la même période que Jésus) soit un ancien prophète Jérémie, soit Elie, un autre prophète, qui a fait beaucoup de miracles, et qui symbolisait pour les Juifs l’intervention de Dieu – ils attendaient un nouvel Elie.

Des réponses assez justes qui mettent en valeur l’impact des enseignements de Jésus : les gens reconnaissent qu’il est porte-parole de Dieu, que sa parole est différente. C’est juste, mais est-ce suffisant pour décrire Jésus ?

15 « Et vous, leur demanda Jésus, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » 

16 Simon Pierre répondit : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ! » 

Aux disciples maintenant de se positionner. Pierre, comme souvent, prend l’initiative et répond pour les autres.

Le Christ (en grec), ou Messie (en hébreu) : c’est le même sens, c’est celui qui a reçu l’onction (une marque avec de l’huile), une pratique juive qui servait à mettre à part un roi, un prêtre, un prophète… Peu à peu, ce titre dans la spiritualité juive désigne l’attente d’un roi, envoyé par Dieu, qui saura restaurer la grandeur du pays en commençant par le libérer de l’emprise romaine qui domine le territoire d’Israël. Donc un libérateur, national, politique, et aussi spirituel. Pierre reconnaît donc en Jésus celui qui accomplira les promesses de Dieu.

Fils du Dieu vivant : n’allons pas chercher là une grande réflexion sur l’essence de Jésus ! Pour les disciples, Jésus possède une connexion avec Dieu supérieure – il est plus qu’un homme, plus qu’un prophète. Les disciples avaient déjà utilisé cette expression après l’épisode où Jésus marche sur l’eau (Mt 14), mais maintenant, Pierre le redit à froid, il l’assume, il le croit.

Fils du Dieu vivant – un dieu mort, ce n’est pas un dieu ! Le Dieu qui vit, agit, s’implique dans l’histoire humaine – ce Dieu qui a créé le monde, qui se révèle aux uns et aux autres, qui interagit : c’est ce Dieu-là, bien vivant, bien vibrant, que Pierre voit à l’œuvre par Jésus.

Donc en quelques mots, Pierre interprète la mission de Jésus – libérateur – et, en deçà, son identité – fils du Dieu vivant. On n’est pas loin de l’annonce de l’ange à Joseph : Jésus, sauveur et Dieu avec nous.

17 Jésus lui dit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonah, car tu n’as pas découvert cela de toi-même, mais c’est mon Père qui est dans les cieux qui te l’a révélé. 

Jésus valide ! La réponse de Pierre n’est pas une flatterie ni une construction mentale compliquée, c’est le résultat d’une révélation, d’une évidence, comme si Pierre voyait la vérité – les évidences, une fois qu’on les a perçues, on ne peut plus revenir en arrière. Pierre a passé un cap dans sa relation avec Jésus.

Jésus va plus loin que les félicitations :

18 Eh bien, moi, je te le déclare à mon tour, tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai ma communauté (mon église). La mort elle-même ne pourra rien contre elle. 

19 Je te donnerai les clés du royaume des cieux. Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux ; ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » 

Celui qu’on a l’habitude d’appeler Pierre s’appelle en fait Simon, Pierre c’est son surnom – et Jésus joue sur le sens de ce surnom pour valoriser la place de Pierre dans son projet. Son projet, c’est une communauté, une assemblée (en grec, ekklesia , rendu en français par église), une communauté qui s’inscrit dans la continuité du peuple de Dieu, le peuple d’Israël. Jésus annonce ici l’émergence d’un peuple nouveau, une communauté élargie dont la caractéristique principale, nous l’apprendrons plus tard, c’est de vouloir suivre le Christ. A un niveau plus profane, on peut penser aux influenceurs sur internet qui ont leur communauté, ou à des sportifs avec leurs fans !

Jésus est en train de dire qu’il va construire sa propre communauté, comme s’il était Dieu ! il assume totalement ce titre : fils du dieu vivant ! et il rassure d’avance ses disciples : la mort n’aura aucun pouvoir contre sa communauté. Même si Jésus meurt, il reviendra à la vie. Même si ses disciples meurent, ils reviendront à la vie. Même si l’oppression fait rage, la vitalité du Dieu vivant continuera d’animer son peuple… et Jésus continuera de faire grandir sa communauté.

Je vais revenir à l’importance de cette confession de l’identité de Jésus, mais d’abord, je voudrais m’attarder un peu sur cette place fondatrice que Jésus donne à Pierre dans l’Eglise. Dans l’Histoire, l’interprétation catholique a attribué au pape, évêque de Rome, l’héritage spirituel de cette promesse – mais on entre là dans un débat lié au fonctionnement de l’autorité dans l’Eglise, qui dépasse largement cette parole adressée au disciple Pierre, comme individu et comme représentant des disciples.

Ce qu’on remarque à la lecture des Evangiles, du livre des Actes (les premières années après le départ de Jésus) puis des réflexions de l’apôtre Paul, c’est que Pierre a effectivement été un membre fondateur de l’Eglise :

  • parce qu’il fait partie du noyau de base,
  • parce que c’est lui qui fait la première prédication à la Pentecôte (et 3000 Juifs décident de croire en Jésus),
  • et puis il sera là à chaque fois que la communauté s’ouvre à d’autres. Par exemple, quand l’Eglise accueille des Samaritains convertis, Pierre est là avec Jean et il reconnaît leur foi et leur appartenance au peuple du Christ (Actes 8). Pareillement, lorsque le païen Corneille se convertit avec sa famille, Pierre vient à sa rencontre et c’est lui qui va aider les autres chrétiens à accepter comme frères dans la foi ces gens d’une autre culture (Actes 10). Ensuite, Pierre passe en arrière-plan dans l’histoire biblique : sa mission est accomplie, il a posé les fondements d’une communauté faite de plusieurs peuples, une communauté centrée sur la foi en Christ. Je crois que c’est comme ça qu’on peut comprendre que Pierre a les clefs du royaume, car il ouvrira les portes du peuple à Dieu à ceux qui se tournent vers Jésus.

La fin de la promesse est encore plus mystérieuse, et là j’avoue que je n’ai pas trouvé d’explication satisfaisante : l’expression lier/ délier était courante à l’époque de Jésus, mais avec des sens variables selon le contexte – parfois, c’est le fait d’interdire ou d’autoriser ; parfois ça renvoie au pardon ou au non-pardon. Vu le contexte, c’est peut-être une insistance sur le rôle de Pierre et des disciples pour accueillir les premiers chrétiens, mais je n’y mettrais pas ma main à couper ! En tout cas, Jésus annonce une grande autorité de Pierre, et des disciples avec lui dans une moindre mesure, pour accomplir ce que Dieu désire, une place cruciale pour réaliser la volonté et le projet de Dieu sur terre.

N’allons cependant pas imaginer que c’est Pierre qui décide, et que Dieu obéit… non, dans la Bible, c’est l’inverse ! D’une part Dieu est souverain, ce n’est pas notre esclave, d’autre part Pierre comme nous manquera souvent de sagesse – il s’agit plus ici d’une correspondance : ce que Pierre admet, ou fait, sur terre correspond à ce qui est fait dans les cieux, parce que par la foi, il est réceptif à ce que Dieu désire.

20 Puis Jésus ordonna sévèrement à ses disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.

Cette interdiction sévère contraste avec l’exubérance de la réponse de Jésus à Pierre. Pourquoi cette demande de silence ? On le voit juste après : maintenant que les disciples ont passé le cap de la foi, qu’ils comprennent mieux qui est Jésus, Jésus va commencer à annoncer que le salut qu’il apporte n’est pas une libération politique, en force, mais qu’il va aller beaucoup plus en profondeur, en passant lui-même par la mort. Pierre sera là aussi le premier à réagir, en rejetant cette annonce de Jésus. Alors si les disciples ont eu du mal à accepter la façon dont Jésus allait remplir sa mission, à combien plus forte raison les foules risquent de mal comprendre ! Il faudra attendre la mort puis la résurrection pour que Jésus invite les disciples à partager largement leur foi en Christ, puisqu’il n’y aura plus d’ambiguïté.

La foi en Christ, messie et fils de Dieu

Dans ce passage, on voit qu’il y a un point tournant à partir du moment où les disciples reconnaissent en Jésus le Messie, le libérateur, envoyé par Dieu, fils de Dieu. C’est à partir de là que Jésus approfondit son enseignement avec eux, car ils ont passé un cap, un cap fondamental. Dans notre cheminement de foi, c’est un peu la même chose : on est tous d’accord qu’on apprend toute notre vie, que la marche avec Dieu n’est jamais terminée, etc. Cela étant, il y a des étapes, des virages qui font qu’on peut approfondir notre connaissance de Dieu. Et une de ces étapes, c’est se positionner par rapport à l’identité du Christ : qui est Jésus pour moi ? C’est une étape même tellement importante que Jésus demandera plus tard qu’on y associe le baptême – ça ne veut pas dire qu’on a tout compris ou qu’on est « arrivé », mais qu’il est nécessaire à un moment de se positionner clairement, et même de revenir régulièrement à cette conviction centrale sur le Christ.

Parce que Jésus peut nous toucher pour bien des raisons ! parce qu’il est ce prophète qui dénonce l’injustice et l’hypocrisie, ou le sage qui distille des principes de vie, ou encore l’homme généreux qui accueille les gens quels qu’ils soient. Mais ce n’est pas ça, la foi ! J’en connais plusieurs, des prophètes, même modernes, et des sages, et des généreux… rien que dans cette église ! qu’est-ce qui fait que Jésus est différent ?

Dire que Jésus est le Messie, le Fils du Dieu vivant, c’est un vocabulaire de Juifs travaillés par les promesses de Dieu dans la Torah (c’était le cas des disciples). Mais pour nous, chrétiens occidentaux, orientaux, latinos, africains, du 21e siècle ? Qui est Jésus pour nous ?

Je vous livre ma perception, un exemple parmi d’autres : je retiens pour moi et pour notre humanité le besoin d’un sauveur. Même si nos sociétés ont fait beaucoup de progrès techniques réalisés (médecine, biologie, chimie, industrie, psychologie, socio, etc.), je remarque qu’il y a toujours autant de problèmes. La situation est différente par rapport à mille ans en arrière, mais les dysfonctionnements demeurent, car ils savent se réinventer. L’esclavage moderne existe toujours, sous une forme différente et délocalisée, la pression professionnelle aussi, tout comme les injustices sociales. Les conflits et les guerres ne semblent pas trouver de solution raisonnable. Dans le domaine de la santé, il y a des améliorations évidentes, et aussi des nouvelles maladies, dites de civilisation. Quant à nos prouesses industrielles, elles s’accompagnent d’un coût catastrophique pour l’environnement. Il y a du bon, mais aussi beaucoup de mauvais et de désespérant : j’ai du mal à croire que l’humain sera capable de trouver une solution sans causer de nouveaux problèmes. Et c’est dans ce contexte que nous avons besoin d’aide, de secours, un secours qui ne peut pas venir de nous, parce que nous, en tant qu’individu, nous dysfonctionnons tous (la Bible appelle cela le péché). Et ensemble, nous multiplions nos forces et nos dysfonctionnements.

Quand je confesse Jésus comme Messie fils du Dieu vivant, je confesse un sauveur qui vient d’ailleurs, qui apporte quelque chose de pur et d’intègre à notre monde abîmé, et qui pose les bases dans sa vie, sa mort et sa résurrection, qui pose les bases d’un salut pour notre monde – en commençant par un travail individuel et communautaire, en vue d’un monde entièrement restauré. Pour moi, confesser Jésus comme Messie et Fils de Dieu, c’est dire mon espoir malgré tout – pour moi, pour les individus que je côtoie, et aussi pour ce monde que nous habitons.

Et pour vous ? Qu’est-ce que ça représente d’appeler Jésus Messie et fils de Dieu ?

Comme Pierre et les disciples, il me faut, il nous faut, faire attention à nos stéréotypes sur Jésus, sur Dieu – et cela demande de rester humbles, curieux, disponibles devant Dieu pour ne pas imposer nos schémas préconçus mais être à l’écoute de sa sagesse. Mais dans ce cheminement, il est essentiel de s’appuyer sur un fondement solide – cette foi en Jésus, ce sauveur solide comme un roc que rien ne peut ébranler et qui nous garde dans sa main fidèle.

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