Un premier miracle révélateur

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Marc 1.21-28

Nous sommes au tout début de l’Evangile de Marc. Juste après son baptême commence vraiment le ministère de Jésus caractérisé par le message qu’il annonce « changez car le royaume de Dieu est tout près de vous ; changez et croyez ! ». Jésus appelle ses premiers disciples et ils partent ensemble pour Capharnaüm, ville de la région de la Galilée, région où Jésus a passé la majorité de sa vie jusqu’ici.

Le jour du sabbat, jour consacré à Dieu, ils entrent dans une synagogue et Jésus se met à enseigner, suscitant l’étonnement chez ses auditeurs. Arrive un homme possédé par un esprit mauvais, c’est-à-dire un démon, qui le coupe et l’interpelle. L’évangéliste Marc choisit de raconter ce miracle en détail, ce premier miracle qui révèle déjà l’identité de ce Jésus encore inconnu. Il me semble que ce miracle, c’est une rencontre à trois niveaux, une rencontre d’abord avec un homme en souffrance, une rencontre ensuite avec un esprit ennemi, et plus largement, c’est une première rencontre avec la foule, témoin des paroles et des actes de Jésus.

1)   Un homme délivré

Ce miracle est premièrement la rencontre de Jésus avec un homme en souffrance, possédé par un esprit mauvais, une puissance démoniaque qui le phagocyte au point que cet homme n’est plus que l’ombre de lui-même, étouffé par cet esprit qui le domine, qui asservit toutes les parties de sa personne et l’abîme au plus profond de son être. Cet homme malgré lui passe la porte de la synagogue et vient perturber le culte, agité et conduit par cet esprit mauvais. Malgré lui, il ose interrompre le maître, celui qui enseigne en laissant ses auditeurs bouche bée, interloqués par son autorité.

Jésus ne voit pas en lui une menace, il ne cherche pas à l’exclure mais il le laisse venir. Nous reviendrons à son court dialogue avec le démon, mais il me semble que la réponse que Jésus fait à l’esprit mauvais (« Tais-toi ! et sors de cet homme ») montre que Jésus a comme premier souci la délivrance de cet homme. Il voit cet homme emprisonné, incapable de parler pour lui-même, incapable d’implorer l’aide du Seigneur, et la priorité de Jésus, c’est sa délivrance. Sors de cet homme ! Jésus ne perd pas de temps, il le délivre.

Jésus révèle là sa compassion pour ceux qui souffrent, ceux qui sont emprisonnés, ceux qui ne sont plus eux-mêmes. Cette compassion à l’égard de l’homme esclave d’un démon est aussi la compassion qu’il montrera envers les aveugles, les pauvres, les prostituées. C’est la compassion de celui qui vient délivrer l’humanité du mal qui la rend esclave, sous toutes ses formes – maladie, esclavage, violence, impureté, soumission à des forces mauvaises. C’est la compassion du Messie, sauveur du monde, venu relever des hommes et des femmes abattus.

Le salut que Jésus nous apporte est un salut intégral, englobant toute notre personne – notre corps, nos émotions, nos pensées, nos relations, nos projets, notre espérance.

Pour l’homme enfin libéré, enfin délivré ce samedi-là, le sabbat a pris tout son sens. C’est le repos qui vient après le trouble et la détresse causés par l’esprit mauvais. C’est la possibilité nouvelle d’avoir une relation avec Dieu, maintenant que les obstacles spirituels sont écartés. Jésus par ce miracle montre concrètement qu’une nouvelle ère est arrivée. C’est l’ère de la compassion de Dieu, une compassion large, généreuse, libératrice. Cette période de grâce que les juifs attendaient depuis plusieurs siècles s’ouvre avec l’intervention du Christ, qui révèle pleinement sa mission de libérateur.

2)   Un démon vaincu

Même si Jésus est d’abord soucieux de l’homme qui vient à sa rencontre, on ne peut pas manquer le bref mais intense dialogue entre l’esprit mauvais et celui qui porte le Saint Esprit de Dieu.

Ce dialogue est assez étrange. Le démon apostrophe Jésus en train d’enseigner. En entrant dans la synagogue, le démon, troublé par la prédication de Jésus, l’interrompt, et lui crie dessus comme pour répondre à une attaque. « Qu’est-ce que tu nous veux ? » Rien, Jésus n’a rien fait, n’a rien dit à ce démon ; mais la prédication de Jésus, son message, est en elle-même une menace pour ce démon, et c’est à ça qu’il réagit « Est-ce que tu es venu pour notre malheur ? »

Clairement, ce démon se sent attaqué, agressé par Jésus, et il prêt à en découdre ; on dirait qu’il essaie de maîtriser Jésus en déclinant son identité complète, comme font parfois les exorcistes demandant au démon son nom, son origine etc.  L’esprit mauvais clame : tu es Jésus de Nazareth, et, il ajoute un titre, le saint de Dieu.

C’est comme si le démon couvrait ses arrières en évoquant l’identité humaine de Jésus, connue de tous, et son identité divine. Le saint de Dieu, c’est celui qui est né du Saint Esprit, qui en a été rempli lors de son baptême, et qui par cet Esprit accomplit parfaitement la volonté de Dieu, sans jamais commettre le mal, sans jamais s’écarter de la justice et de la vérité. C’est aussi celui qui a été consacré, mis à part, pour Dieu, afin d’accomplir ce que personne ne peut réaliser : le salut dont les hommes ont besoin.

L’esprit mauvais, en tant qu’être spirituel, sait très bien à qui il a affaire : le messie envoyé par Dieu, son propre fils venu pour les hommes pour les délivrer. Il ne montre aucune difficulté pour le reconnaître, aucune hésitation pour l’identifier.

La réponse de Jésus, si brève, est lourde de sens. Jésus ne rentre pas dans son jeu : il ne discute pas, ne confirme pas son identité, ne cherche pas à mieux connaître celui qui l’apostrophe. Il le fait taire, et déguerpir.

Pourquoi Jésus impose-t-il le silence à ce démon qui est pourtant le premier à reconnaître sa véritable identité ? Parce que Jésus ne veut pas faire place aux paroles des démons, des ennemis de Dieu, de ceux qui œuvrent à la destruction des hommes et des femmes que Dieu veut sauver à travers Jésus-Christ. Jésus n’a que faire de ces confessions de foi creuses, qui ne sont suivies d’aucune confiance, d’aucun amour, d’aucun respect. Le démon sait qui est Jésus, mais ça ne change rien pour lui. Jésus ne cherche pas une reconnaissance superficielle, mais il désire la transformation du cœur, la repentance face à ce qui déforme les projets de Dieu – le péché, le mal – et la foi, l’ouverture à Dieu, le choix de vivre avec Dieu, en le suivant dans la justice et la paix.

Ce dialogue, c’est une sorte de combat spirituel entre un démon et le Christ. Mais ce combat se déroule sans aucun suspense : Jésus écrase cet esprit mauvais, annonçant dès ce premier miracle que son œuvre de salut pour l’humanité signifie aussi la destruction des forces spirituelles qui asservissent l’homme dans le mal, le péché, la mort. Dans cette rencontre, Jésus se révèle déjà comme celui qui fera taire Satan à la croix. C’est le début de la fin pour ces esprits mauvais.

Marc mentionne souvent les exorcismes, parce qu’ils soulignent pleinement la portée du salut en Jésus-Christ : toutes les puissances du mal seront réduites au silence et devront déguerpir de la création de Dieu, délivrée, restaurée, renouvelée grâce à Jésus-Christ.

3)   Une foule perplexe

Troisième rencontre, entre Jésus et la foule. Elle ajoute une troisième dimension à ce premier miracle. L’ensemble de l’épisode met en valeur la parole de Jésus : une parole pertinente, une prédication qui touche en plein cœur les auditeurs, une parole pleine d’autorité, qui ne se contente pas d’évoquer Dieu mais qui replace chacun devant Dieu, avec urgence et insistance, une parole enfin qui réalise ce qu’elle dit, une parole actrice, créatrice, puissante. C’est une parole qui révèle la vérité de Dieu, qui met à nu les hommes, qui délivre et qui sauve. Cette parole, c’est Dieu lui-même qui la prononce.

La foule comprend que ce prédicateur n’est pas comme les autres, les enseignants habituels, les scribes, non, c’est vraiment un prophète de Dieu. D’ailleurs la puissance de sa parole, suscitant l’obéissance d’êtres spirituels puissants, montre bien qu’il est supérieur.

Pourtant, la foule s’arrête là. Elle s’interroge, troublée, préoccupée par son enseignement, par sa puissance, incapable d’aller plus loin, de relier ces événements aux prophéties anciennes qui annonçaient le Messie, incapable de bien comprendre que le temps est venu, que Dieu s’est approché. La perplexité de la foule annonce déjà la diversité des réactions que rencontrera Jésus et les difficultés à accepter vraiment qui il est.

Conclusion

Ce premier miracle de Jésus, bien mis en valeur par Marc qui dit aussi plus loin que Jésus a réalisé de nombreux exorcismes et guérisons, tout au long de sa prédication en Galilée, ce miracle révèle déjà des aspects importants de la personne et de la mission de Jésus. Jésus homme est aussi fils de Dieu, le saint, le consacré, envoyé parmi les hommes pour les délivrer du mal. Ce miracle nous montre que la compassion de Dieu est première, son amour et sa grâce pour sauver des hommes défigurés, déformés par le mal. Il nous révèle déjà la victoire de Dieu sur le mal, sans dire encore comment, mais en montrant le caractère inéluctable de cette victoire.  Devant Jésus, devant ce sauveur, nous sommes appelés à croire, à reconnaître qui il est, pas en paroles seulement, mais de tout notre cœur, pour le laisser nous délivrer de tout ce qui écrase, afin de vivre pleinement le repos de la relation avec Dieu.

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