Le psaume 23 est un encouragement profond, de même que les paroles et les promesses de Jésus, mais au quotidien, trouver notre force et cette calme assurance du psaume 23 dans la présence de Dieu quoi qu’il arrive, ce n’est pas toujours si simple ! On aimerait être ce croyant imperturbable, joyeux et confiant quelques soient les circonstances, mais nous sommes souvent rattrapés, bousculés, par la réalité du terrain.
Alors je vous propose de méditer ensemble un moment difficile que les disciples ont traversé avec Jésus. C’est un événement qui a eu lieu de nuit, et je me permets de vous résumer la journée qui précède, parce que dans les trois Evangiles où cet épisode est mentionné, c’est toujours en lien avec ce qui s’est passé le jour-même. Jésus commence à faire beaucoup de vagues, et il est régulièrement rejeté, à la fois par les religieux qui sont dérangés par son non-conformisme, et par ses proches qui sont bloqués dans leurs stéréotypes et qui n’arrivent pas à accepter ce que Jésus veut leur communiquer.
Ce matin, donc, Jésus a appris que le prophète Jean, le baptiste, celui qui l’a baptisé, un homme d’une grande intégrité et d’une grande sensibilité à Dieu, cet homme a été assassiné violemment sous l’autorité du roi en place dans cette région, Hérode Antipas. Jésus en est profondément troublé, comme on peut être ébranlé par la mort d’un proche, de quelqu’un qu’on estime, et il traverse le lac de Tibériade pour se mettre à l’écart, sûrement pour digérer l’événement. Mais des gens apprennent qu’il arrive, et le temps que Jésus traverse le lac, ils se précipitent en masse pour l’écouter, lui amènent des personnes à guérir etc. Le soir arrive, il n’y a rien à manger, et Jésus accomplit alors un miracle extraordinaire : à partir du peu que certains avaient dans leur sacoche, il nourrit la foule entière, des milliers de gens.
Ca nous arrive d’avoir des journées bien remplies, voire chaotiques, remplies de péripéties, mais là on est au niveau supérieur !
Donc c’est la nuit, maintenant, la foule est rassasiée…
Lecture biblique : Matthieu 14.22-33
22 Aussitôt après, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque pour qu’ils le précèdent sur l’autre rive, pendant que lui-même renverrait les foules.
23 Après les avoir renvoyées, il monta dans la montagne pour prier, à l’écart. Il était tard, il se tenait là, seul.
Jésus était parti pour prier, pour se mettre à part, pour digérer la mort de Jean le baptiste, quand il s’est laissé arrêter par le besoin des foules. Mais maintenant, il a besoin de ce temps, et donc il renvoie les disciples et les foules. Il oblige même les disciples à partir : peut-être tardaient-ils un peu ? ou voulaient-ils débriefer le miracle des pains ? en tout cas maintenant, Jésus a besoin d’être seul, de se retrouver avec Dieu.
24 La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
25 Vers la fin de la nuit, Jésus se dirigea vers ses disciples en marchant sur le lac.
26 Quand les disciples le virent marcher sur le lac, ils furent troublés et dirent : « C’est un fantôme ! » Et ils poussèrent des cris de frayeur.
27 Mais aussitôt Jésus leur parla : « Courage ! C’est moi, n’ayez pas peur ! »
Ce n’est pas la première tempête que les disciples traversent. Ne serait-ce que dans l’Evangile de Matthieu, c’est la deuxième fois. Mais la première (Matthieu 8), Jésus était avec eux dans la barque et il avait calmé le vent par sa parole. La situation est différente ici. Ce qui est étonnant, c’est que les disciples ne sont pas effrayés par les vagues (alors que les tempêtes sur le lac de Tibériade pouvaient être mortelles) mais par l’arrivée de Jésus. C’est lui, censé les rassurer, qui les effraie !
Matthieu précise que la barque est au milieu de ce grand lac : lorsque les disciples voient quelqu’un arriver sur l’eau, ce n’est pas sur le bord du lac, il marche là, en eau profonde ! Seul un esprit, ou un être non humain, peut faire ce genre de choses. Donc panique à bord, et Jésus les rassure : « c’est moi ! » Il confirme son identité (c’est moi, Jésus, je ne suis pas un fantôme !). Et plus que ça : il encourage, il rassure, en rappelant que lui est là. Il est là, bien là, au milieu de cette tempête, contre toute attente, libre face aux lois physiques et logiques : il est là.
Dans les Evangiles de Marc et Jean, le récit s’arrête là, mais Matthieu rapporte une anecdote supplémentaire, avec le disciple Pierre.
28 Pierre prit la parole et lui dit : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. » –
29 « Viens ! » répondit Jésus.
Pierre sortit de la barque et marcha sur l’eau pour aller vers Jésus.
Matthieu parle souvent de Pierre en particulier, d’une part parce que c’est quelqu’un de téméraire et impulsif qui va souvent relancer l’interaction avec Jésus, et d’autre part sûrement à cause de son rôle à venir dans l’église des premiers temps : Pierre sera le premier grand prédicateur de l’Evangile.
En tout cas, on retrouve bien ici la spontanéité de Pierre : si c’est vraiment Jésus, il faut tester (ça pourrait être un mensonge !). Et si c’est bien Jésus, l’homme qui a multiplié les pains et qui marche sur l’eau est bien capable de réaliser l’impossible en donnant à Pierre la force de marcher lui-même sur l’eau.
J’aurais aimé avoir plus de détails sur la sortie de la barque, sur les sensations de Pierre, qui pose son pied sur un sol liquide et tumultueux ; est-ce qu’il a hésité ? combien de temps a-t-il mis pour lâcher le bord de la barque ? ou alors est-ce qu’il a été comme porté par une force extraordinaire ?… mais l’Evangile s’intéresse peu au spectaculaire et va droit au but : ça marche ! c’est bien Jésus ! C’est incroyable !
Mais…
30 Mais quand il vit la violence du vent, il eut peur. Il commença à s’enfoncer dans l’eau et s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! »
31 Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Comme ta foi est faible ! Pourquoi as-tu douté ? »
On ne sait pas combien de temps Pierre a marché sur l’eau : 10 secondes ? 3 minutes ? en tout cas, la réalité le frappe à un moment, et il prend conscience que c’est la tempête, quand même ! Il ne marche pas sur l’eau comme certains font du paddle sur une mer d’huile : il marche en pleine tempête ! Et là, il prend peur !
C’est étrange, parce que la tempête ne vient pas de se déclencher, le vent souffle depuis des heures ! Mais Pierre a été tellement impressionné par l’arrivée miraculeuse de Jésus qu’il avait oublié la tempête – et là on dirait que c’est l’inverse : en voyant le vent, donc les vagues, il panique ! et il coule !
C’est évident que l’émotion de la peur, la panique, arrive sans qu’on le décide : c’est notre cerveau reptilien, la partie primitive, très animale, du cerveau qui réagit et qui nous fait passer en mode survie. Donc où est le doute dont parle Jésus ? Est-ce que Pierre a tardé à se retourner vers Jésus ? Est-ce que Pierre s’est laissé submerger par la peur, au point d’être submergé par les eaux ? Peut-être que Jésus indique qu’il y a un écart, un espace, entre voir (voir la réalité, les difficultés, les problèmes) et être submergé, donc une marge de manœuvre avant de couler.
Pierre a appelé Jésus à l’aide, et aussitôt Jésus le secourt. Mais peut-être Pierre aurait-il pu compter sur Jésus avant d’être submergé… facile à dire !
En tout cas, l’exemple de Pierre nous montre que nos grands pas de foi ne signifient pas que notre confiance en Jésus est à toute épreuve : on peut monter très haut, et redescendre très vite. Il y a des expériences galvanisantes avec Dieu : pas forcément marcher sur l’eau, mais un exaucement, une expérience mystique, une colo incroyable, une réponse forte de Dieu – et parfois, on plonge après, parce que ce pic ne dure pas, et qu’il faut à nouveau faire confiance à Jésus. Il faut lui faire confiance au moment où on sort de la barque, mais aussi quand on voit les vagues, quand on est rattrapé par la réalité, par le quotidien : à chaque pas, lui faire confiance.
Jésus paraît dur avec Pierre : homme de peu de foi ! Pierre a montré une grande foi en osant sortir de la barque, mais sa foi est encore en devenir, elle reste fragile…
32 Ils montèrent tous les deux dans la barque et le vent tomba.
33 Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant Jésus et dirent : « Tu es vraiment le Fils de Dieu ! »
Cette fois-ci, Jésus n’a même pas besoin de parler au vent pour le calmer.
Les disciples, spectateurs de la scène, bouleversés, se prosternent devant Jésus. C’est la première fois, dans l’Evangile que des humains qualifient Jésus de Fils de Dieu. Attention, il ne faut pas trop projeter de sens théologique dans cette parole : on est dans un moment très intense émotionnellement, les disciples expriment que Jésus est plus qu’un homme, clairement, qu’il a une connexion avec le divin qui est incomparable. La suite de leur parcours avec Jésus montrera qu’ils ont encore beaucoup à comprendre, mais là c’est une étape décisive : Jésus est plus qu’un prophète, plus qu’un guérisseur, plus qu’un homme doué, il porte en lui quelque chose d’unique, quelque chose du Créateur qui peut prendre des libertés avec les lois de la nature…
Garder les yeux fixés sur Jésus
Ce qui rend cet épisode si fort et symbolique, c’est notre proximité avec Pierre… Nous ne sommes pas peut-être pas de ceux qui sautent de la barque en pleine tempête, mais les hauts et les bas de la vie de foi, de la vie avec Dieu, nous en connaissons tous ! en bas à cause d’une épreuve, à cause de l’usure d’une situation qui stagne, parfois à cause de notre immaturité spirituelle, de nos doutes, ou encore de nos failles… Tomber, glisser, couler, être submergé, on connaît ça !
Et l’expérience de Pierre illustre à quel point nous sommes sensibles à ce que nous percevons. Il y a bien des raisons d’être submergé, de couler, et parmi ces raisons, l’expérience pointe vers la façon dont nous percevons les choses. Dans la réalité qui est devant nous, une réalité complexe, qu’est-ce que nous regardons, qu’est-ce que nous choisissons de regarder comme déterminant, prioritaire ? Les vagues ou la présence de Jésus ? Les deux sont vrais ! Et c’est juste de voir les deux, mais qu’est-ce qui l’emporte ? Les vagues, ou la présence de Jésus ? Et parfois, comme Pierre, nous sommes tellement impressionnés par les circonstances qui nous dépassent, par notre faiblesse, par les difficultés, etc. que nous oublions que Jésus marche sur l’eau ! que Dieu est libre, fort, en marche dans nos circonstances ! et qu’il est un Dieu qui ne nous laissera pas couler…
La solution ? Pierre nous la donne : se tourner vers Jésus, volontairement, intentionnellement. Il le fait un peu tard, mais Jésus répond, réagit, et montre sa grâce. Et puis avec le temps, il le fera de plus en plus tôt ! La confiance en Jésus, ce n’est pas un acquis, c’est quelque chose qui se construit, qui s’affine, qui rentre petit à petit dans nos évidences – petit à petit ! l’essentiel, c’est – à un moment ! – de se tourner vers Jésus pour ne pas couler… Les moments forts que nous vivons sont des pics dans un processus qui doit se nourrir dans la durée, pour que nous puissions marcher jusqu’au bout avec Jésus.
Et je trouve que l’attitude des disciples à la fin nous renvoie à une pratique saine : confesser notre foi en Jésus comme fils de Dieu, sauveur, seigneur. Il ne faut pas attendre d’être au milieu des vagues pour regarder à Jésus : plus nous avons comme pratique, comme discipline, comme réflexe quotidien, de regarder à lui comme source de notre salut, plus ce sera facile de se tourner vers lui dans les moments difficiles. C’est aussi un bénéfice de la louange, de la prière, de la méditation de la Bible, du culte : intégrer comme un réflexe de plus en plus naturel le fait de se tourner vers Jésus comme sauveur et seigneur.
Alors que Jésus, Fils de Dieu, nous aide lui-même par son Esprit à le mettre au centre de notre réalité, à le voir dans nos hauts et dans nos bas, et qu’il nous apprenne à compter sur lui en toutes circonstances. Ainsi nous pourrons continuer d’avancer, pas après pas, quoi qu’il arrive !