La parenthèse estivale se referme peu à peu – pour certains, ça fait déjà quelques semaines, mais peut-être en apesanteur, à un rythme différent (en France, le mois d’août c’est vraiment un temps de pause, que l’on travaille ou pas !). C’est bientôt la rentrée, avec la reprise des activités, des nouvelles propositions, peut-être aussi des nouvelles étapes pour certains : un jeune qui s’éloigne pour faire ses études, un nouveau stage ou une nouvelle mission, un nouvel équilibre à trouver en famille, etc. Pour d’autres, c’est peut-être aussi un problème de santé qui a surgi, apprendre à vivre avec un deuil, faire face à telle ou telle difficulté… En fait, plusieurs de ces situations ne sont pas liées à la période de rentrée, mais l’effet « rentrée » après la pause estivale vient parfois mettre en lumière l’ampleur ou la nouveauté de ce que nous avons à vivre.
Dans ce contexte, j’aimerais lire avec vous un passage de l’Evangile de Matthieu, au ch.15 : Jésus a fait bien des miracles dans les épisodes précédents : il a nourri une foule immense (au moins 5000 hommes, sans compter femmes et enfants…), marché sur l’eau, libéré des personnes possédées, il est intervenu dans différentes régions, en territoire juif où il n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur, et en territoire étranger où certains viennent à lui avec une foi remarquable.
Lecture biblique : Matthieu 15.29-39
29 Jésus partit de là et se rendit au bord du lac de Galilée. Il monta sur la montagne et s’assit là.
30 Une foule de gens vint à lui, amenant avec eux des boiteux, des aveugles, des infirmes, des muets et beaucoup d’autres personnes malades. On les déposa aux pieds de Jésus et il les guérit. 31 Les foules furent très étonnées quand elles virent les muets parler, les infirmes être guéris, les boiteux marcher et les aveugles voir, et elles louaient le Dieu d’Israël.
Matthieu aime bien faire dans son livre des résumés de l’action de Jésus. Ici, il évoque des guérisons nombreuses, et la façon dont il présente ces rencontres rappelle une prophétie d’Esaïe (Es 35) :
3 Rendez la force aux bras fatigués, affermissez les genoux qui chancellent. 4 Dites à ceux qui perdent courage : « Ressaisissez-vous, n’ayez pas peur, voici votre Dieu ! […] il vient lui-même vous sauver. »
5 Alors les yeux des aveugles s’ouvriront, et les oreilles des sourds entendront. 6 Alors le boiteux bondira comme un cerf et le muet exprimera sa joie.
Matthieu reprend les mêmes catégories qu’Esaïe pour montrer que Jésus est vraiment le Messie, l’Envoyé de Dieu qui vient sauver son peuple. D’ailleurs, les foules ne s’y trompent pas et reconnaissent que c’est bien le Dieu d’Israël qui agit à travers Jésus. En Jésus, les promesses de Dieu s’accomplissent.
C’est une période particulière où les miracles servent à authentifier que c’est bien Jésus l’envoyé promis par Dieu. Ces miracles n’ont pas forcément vocation à devenir la normalité, même si Dieu est toujours capable de faire un miracle.
32 Jésus appela ses disciples et dit : « Je suis bouleversé (ému aux entrailles) par ces gens, car voilà trois jours qu’ils sont avec moi et ils n’ont pas de quoi manger. Je ne veux pas les renvoyer le ventre vide ; ils risquent de se trouver mal en chemin. »
33 Les disciples lui demandèrent : « Où pourrions-nous trouver du pain pour faire manger à sa faim une telle foule, dans cet endroit désert ? »
34 Jésus leur dit : « Combien avez-vous de pains ? » Ils dirent : « Sept, et quelques petits poissons. »
35 Il ordonna à la foule de s’installer par terre. 36 Puis il prit les sept pains et les poissons et remercia Dieu. Il les partagea, les donna à ses disciples et les disciples les distribuèrent à tous. 37 Les gens mangèrent à leur faim.
On ramassa sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient. 38 Ceux qui avaient mangé étaient 4 000 hommes, sans compter les femmes et les enfants.
39 Après avoir renvoyé la foule, Jésus monta dans la barque et se rendit dans la région de Magadan.
L’action de Dieu : abondance face à nos manques
Jésus accomplit, pour la deuxième fois (au moins) ce miracle de la multiplication des pains. A partir de presque rien, il nourrit une foule immense. En toute simplicité, avec une prière de reconnaissance à Dieu, comme nos prières d’avant repas. Aucun détail farfelu ou spectaculaire : en toute simplicité, c’est la puissance du Créateur qui se manifeste ici – créer à partir de rien, ou à partir de presque rien, quelle est la différence ?
Des prophètes dans l’Histoire juive avaient déjà fait des miracles de nourriture, comme Elie avec la veuve de Sarepta, mais c’était pour 3 personnes – pas pour des milliers ! Comme dans la première multiplication des pains, on compte combien de personnes ont été nourries, combien il reste de pains. Même si à la différence des guérisons, aucun commentaire n’est fait sur la foi des disciples ou de la foule, le fait de compter souligne quand même l’étonnement de ceux qui ont vécu ce miracle. Ils ne comptent même que les hommes parce que ça fait trop à compter ! Trop d’abondance ! Nous on compterait en familles ou en foyers.
A partir de presque rien, Jésus fait surgir l’abondance, il répond aux besoins de façon suffisante, et va même au-delà.
Nous stressons souvent parce que nous ne faisons pas assez, nous n’avons pas assez, nous ne sommes pas assez – mais pour Dieu, notre « pas assez » est toujours suffisant, parce que de toute façon c’est lui qui intervient, c’est lui qui multiplie, c’est lui qui agit. Nos manques ne l’inquiètent pas : il a assez pour créer, pour inventer.
Face aux défis qui se profilent devant nous, que ce soit un événement ponctuel ou un quotidien à apprivoiser, cette vérité demeure : le Créateur utilise notre presque rien pour agir avec abondance.
En même temps, les disciples apportent bien tout ce qu’ils ont : tous leurs sept pains et petits poissons, tout leur presque rien. C’est un événement de la vie de Jésus, mais c’est tellement symbolique : même si nous n’avons pas grand-chose, même si nous ne sommes pas grand-chose, Dieu peut faire beaucoup – si nous lui donnons tout.
Amen !
On pourrait s’arrêter là, tant cette vérité doit faire son chemin en nous pour qu’on la vive toujours mieux : faire confiance à Dieu, se donner à fond en sachant que c’est lui qui agit, s’impliquer à fond dans une totale confiance qu’il accomplit ses promesses et prend soin de ses enfants. Il ne nous épargne pas les difficultés de la vie, mais il nous donne les forces pour continuer ou reprendre la route.
Apprendre à toujours compter sur Dieu
On pourrait s’arrêter là, mais le récit de Matthieu nous invite à creuser un peu plus. Je vous l’ai dit, c’est la deuxième histoire de multiplication des pains dans l’Evangile de Matthieu. Dans les 4 évangiles, à chaque fois la « première » multiplication des pains est citée : 5000 hommes (et familles) sont nourris, et il reste 12 paniers (Matthieu 14.13-21 et //). Matthieu et Marc racontent une deuxième multiplication des pains, ce qui attire notre attention sur ce qu’il y a de différent ici. Si c’était juste pour se répéter, les auteurs n’allaient pas gâcher de l’encre !
Le nombre de personnes est différent (4000 foyers), et le nombre de paniers restants aussi. La plus grande différence se trouve dans l’échange entre Jésus et ses disciples, juste avant le miracle. La première fois, Jésus enseignait et faisait des miracles quand le soir est arrivé, et les disciples se sont inquiétés de voir que la foule n’avait rien à manger. Ils ont donc été voir Jésus en lui demandant de renvoyer la foule pour qu’elle puisse trouver à manger avant qu’il ne soit trop tard. Maintenant, je relis comment ça se passe cette fois-ci :
32 Jésus appela ses disciples et dit : « Je suis bouleversé (ému aux entrailles) par ces gens, car voilà trois jours qu’ils sont avec moi et ils n’ont pas de quoi manger. Je ne veux pas les renvoyer le ventre vide ; ils risquent de se trouver mal en chemin. »
33 Les disciples lui demandèrent : « Où pourrions-nous trouver du pain pour faire manger à sa faim une telle foule, dans cet endroit désert ? »
34 Jésus leur dit : « Combien avez-vous de pains ? » Ils dirent : « Sept, et quelques petits poissons. »
D’abord, c’est Jésus qui prend l’initiative ici : il appelle ses disciples et il évoque le problème. Il ne pose pas de question, ne donne pas d’ordre, ne fait pas de suggestion sur ce qu’il va faire : c’est un simple constat, avec ses motivations.
Sa motivation, c’est la compassion, cet amour qui le prend aux tripes.
Il a guéri les malades, peut-être que c’est suffisant ! C’est peut-être pas si grave s’ils sont un peu en hypoglycémie sur le chemin du retour ! Jésus en a déjà fait beaucoup ! Non, Jésus se soucie de tout, des grands problèmes handicapants comme des aléas de la route, parce qu’il aime profondément cette foule. Dans notre vie, c’est la même chose : pour les immenses défis insurmontables comme pour les petites difficultés du quotidien, Jésus veut nous donner ses forces.
Très probablement, Jésus veut voir comment les disciples vont réagir, eux qui ont été aux premières loges de la première multiplication des pains. Quel va être leur réflexe ? Vont-ils faire confiance à Jésus ?
Leur réponse n’est pas si simple à interpréter, il nous manque le ton de voix.
Soit ils sont repartis comme la première fois, dans leur schéma habituel, leurs petits calculs : comment va-t-on faire ? on est dans le désert, il y a approximativement tant de personnes à nourrir, si on calcule la distance à parcourir, le temps de marche, et qu’on met en face la vitesse de la baisse du sucre dans le sang… ah c’est insoluble ! C’est la panique, parce qu’ils sont dépassés.
Soit, si on leur donne un peu plus de crédit, ils font simplement le constat qu’il n’y a pas de solution évidente au niveau humain.
Dans tous les cas, les disciples ne font pas le pas d’appeler Jésus à l’action. Ils n’osent pas ? Ils ont oublié ? peu importe leur raisonnement, tant les deux cas de figure sont proches de ce que nous vivons : parfois nous oublions que Dieu peut intervenir (ça m’arrive plein de fois, même en tant que pasteur ! des fois, je cours tête baissée dans une situation et à un moment, je me dis : mais au fait, il y a Dieu ! je me sens très proche des disciples dans ces moments-là !) ; parfois nous n’osons pas lui demander, parce qu’on se dit qu’on lui a déjà assez demandé, que c’est à nous de faire, que c’est à nous de savoir gérer maintenant, qu’il faut qu’on grandisse…
En réalité, Dieu ne nous a pas créés pour que nous soyons autonomes et indépendants de lui. De même que la plante a besoin de soleil et d’eau pour pousser, dans notre écosystème, la présence et l’action de Dieu sont nécessaires pour que la vie surgisse avec abondance. C’est ça, le mensonge du diable dans le jardin d’Eden : si vous progressez en connaissance, vous serez indépendants, vous n’aurez plus besoin de Dieu. Mais ce n’est pas une honte, de dépendre de Dieu ! Vous avez honte d’avoir besoin d’oxygène pour respirer ?
Dans notre vie de foi, il nous faut apprendre et ré-apprendre à compter sur Dieu à chaque pas. Et ce n’est jamais acquis : chaque changement nous confronte à nouveau à cette tentation de faire seuls, sans lui – alors que c’est lui qui fait vivre !
Pour le salut, la réconciliation avec Dieu, nous croyons que Dieu nous pardonne malgré notre faiblesse et nos péchés. Nous ne sommes pas à la hauteur, c’est lui qui s’abaisse, nous rejoint et nous relève, à travers Jésus, Dieu fait homme. Mais il n’y a pas de différence fondamentale entre ce moment de réconciliation à la croix et le reste de la vie avec Dieu, comme si nous étions pardonnés par sa grâce, mais qu’ensuite nous devions faire tout seuls ! Non ! Que ce soit au niveau spirituel, émotionnel, intellectuel, physique, relationnel, etc. etc. c’est Dieu notre oxygène ! c’est toujours avec lui, par lui, en lui que les choses bonnes se font.
Alors que le Seigneur nous aide à lui faire confiance, à compter sur lui, qu’il vienne lui-même multiplier nos petits pains de foi pour que nous apprenions à vivre de sa grâce, à lui donner ce que nous avons et à le laisser agir avec abondance. Pour sa gloire, et notre joie !