Au cœur de la tourmente, quelle espérance?

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Psaume 102

Dans ce psaume, nous avons deux portraits : le portrait d’un homme en souffrance qui exprime l’intensité de sa détresse, et, en face, un portrait de Dieu. Le contraste est très fort entre cet homme écrasé et ce Dieu glorieux, céleste, souverain. Entre ces deux portraits, il y a une tension, une tension entre la réalité de la souffrance et la foi en un Dieu bon et puissant. Comment vivre cette tension ? Dans le psaume que nous avons lu, le croyant fait le choix d’espérer, et c’est cette espérance qui fonde sa prière.

1)   Espérer dans le Dieu tout-puissant

L’homme qui prie est dans une situation terrible, qui éveillerait la compassion de n’importe qui. Manifestement, il est au bout du rouleau, et sur tous les plans. A travers une description poétique et éloquente, on devine que cet homme est gravement malade, manifestement en fin de vie. A sa douleur physique s’ajoute l’angoisse de celui qui se retrouve confronté à la mort. Il ne dort plus, ne mange plus, ne peut que pleurer… Au milieu de la détresse, il est rejeté par tous. Il est devenu tellement affreux à voir que ses ennemis prêtent serment en disant : « si je trahis ma parole, Seigneur, rends-moi comme lui ! ». Il n’a plus de force, plus de ressources, plus d’amis. L’image de l’oiseau solitaire perdu au milieu des ruines résume bien sa situation.

Dans cette situation tragique, il se sent abandonné de Dieu, comme si Dieu avait détourné la tête et refusait de l’écouter. Le silence de Dieu le conduit même à penser que ce qu’il vit vient de la colère de Dieu contre lui. Il ressent son silence et son inaction comme un rejet, pas comme une punition (il ne demande pas pardon) mais comme un rejet.

Et puis, après avoir exposé en détails sa situation pitoyable, il a comme un sursaut : « mais toi, toi, tu es Seigneur et tu règnes ! Tu es le roi pour toutes les générations, pour l’éternité ! » Pourquoi l’éternité de Dieu lui redonne-t-elle une espérance ? C’est une réaction un peu étrange ! « Je vais mourir, mais toi non. »

Au cœur de l’épreuve, de la tourmente, ce croyant fait le choix de prendre du recul pour contempler Dieu, pour se rappeler en quelque sorte sa confession de foi – qui est Dieu ? que peut-on dire de lui ? Il est tout-puissant, et il règne. Alors que cet homme vit la fragilité et l’impuissance dans toute leur intensité, il se tourne vers le seul qui soit vraiment puissant et fort, vers le Créateur, celui à côté de qui même l’univers est éphémère – les cieux, la terre, ils passent, mais pas le Créateur. Alors qu’il est complètement vulnérable, il choisit de regarder au Dieu puissant, et de chercher son espérance, son secours, en lui.

Il me semble que cet homme fait un choix important. Il choisit de ne pas se laisser submerger par une situation écrasante, mais de faire confiance au Dieu de sa foi. Deux choses sont devant lui : la réalité visible, palpable, de sa souffrance présente, de sa solitude, et la foi en un Dieu tout-puissant, mais invisible. Dans sa faiblesse, il choisit de croire que ce qui est le plus vrai des deux, le plus sûr, c’est Dieu, contre tout ce qui est visible, contre tout ce qu’il ressent : c’est Dieu qui est le plus véritable, c’est sa puissance qui est la plus forte. Pour le dire autrement, au moment où tout bascule, il ne laisse pas son ressenti déformer sa compréhension de Dieu, mais il choisit de continuer à croire dans le Dieu révélé à travers les Ecritures, révélé dans l’Histoire, dans le Dieu qu’il a loué, prié, écouté, toute sa vie, que d’autres avant lui ont vu et entendu. Et même si maintenant la situation a changé, il choisit de croire que ce Dieu-là est toujours vrai, que lui n’a pas changé, même si, pour une raison qu’il ne connaît pas, il n’est pas encore intervenu.

Cela étant, comment la foi en un Dieu tout-puissant peut-elle réconforter l’homme qui va mourir ? En quoi l’éternité et la puissance de Dieu sont-elles une bonne nouvelle au milieu de la détresse ?

2)   Espérer dans le Dieu tourné vers les hommes

Avant de répondre à cette question, j’aimerais souligner un autre élément étonnant dans cette prière. Dans la première partie, le croyant se concentre sur sa souffrance, à lui. Dans la deuxième, il lève les yeux vers Dieu, en qui il croit, et il explicite son attente en disant, v.14 « tu vas faire quelque chose car tu aimes Jérusalem » et plus loin, v.17 « quand le Seigneur reconstruira Jérusalem, il se montrera dans sa gloire. » Jusque là, on avait une relation entre un homme souffrant et son Dieu, là il introduit une troisième donnée dans la relation : Jérusalem, qui symbolise en tant que capitale le peuple d’Israël. Il me semble qu’en levant les yeux vers Dieu, cet homme a aussi élargi son regard, et il a repris conscience de la souffrance des autres, de ses compatriotes. Il écrit sûrement après l’exil du peuple d’Israël, alors que Jérusalem a été détruite, que le temple a été pillé, et les juifs dispersés. Sa souffrance d’individu est unique, mais elle le rapproche de tous les autres qui souffrent ; même si les causes sont différentes (guerre, maladie, pauvreté, etc.), la fragilité est la même, l’angoisse et l’impuissance face à la mort sont les mêmes. Par sa souffrance, il prend conscience que la souffrance, dans ce qu’elle a de terrible et de scandaleux, est universelle.

Du coup, la prière du malade se transforme : ce n’est plus seulement pour lui qu’il prie, mais aussi pour ses frères accablés, pour la délivrance et la restauration de son peuple. Cette prière solidaire le conduit à voir plus loin, à demander une délivrance qui n’est pas seulement pour lui, même s’il défaille de souffrance, mais pour tous : en gros, sa prière devient « que ton règne vienne ! Que ton règne vienne sur la terre, toi qui es déjà roi dans le ciel ! Que tous, tous les peuples, toutes les nations, puissent te reconnaître comme leur vrai roi, que ta volonté soit faite ici-bas, que ta justice triomphe, que ta paix s’établisse ! Alors on te louera, alors le monde entier pourra se réjouir ! »

Quel est le fondement de sa prière ? C’est l’alliance que Dieu fait avec les hommes. Dieu est tout-puissant, il est au ciel, trônant avec gloire et majesté, pour l’éternité. Les hommes sont sur terre, mortels, fragiles, quoi qu’ils fassent toujours confrontés à leur propre mort, à leur propre fin, à leur impuissance. Comment les hommes peuvent-ils trouver leur réconfort en Dieu ? Parce que Dieu se tourne vers eux, il se penche, il écoute, il vient voir. L’alliance, c’est ça : l’initiative du Dieu souverain de ne pas laisser les hommes à leur propre sort, à leur souffrance, à leur mort, mais de leur tendre la main. D’abord il l’a fait avec le peuple juif, lorsqu’il l’a choisi et libéré pour établir une relation saine, pour les sauver de la corruption, du mal, et leur donner de sa vie abondante, de sa bonté, de sa grâce, de sa puissance en étant présent parmi eux. Cette alliance commence petit et s’élargit, s’approfondit, se renouvelle en Jésus-Christ, qui lui offre le salut, la vie éternelle, la sainteté, à tout homme, à toute femme, qui se confie en lui.

Dans le cadre de l’alliance, Dieu se révèle dans ses actions, dans son identité, mais il fait aussi des promesses. Et cette prière s’enracine dans ces promesses : promesses de faire vivre celui qui saisit la main de Dieu, de le délivrer, promesses aussi de résoudre pour toujours le problème du mal et de la souffrance, d’éradiquer le péché, d’effacer les larmes, la violence, la haine, la destruction, et d’instaurer un règne de paix, de vérité, de justice, un règne stable, caractérisé par la présence rayonnante du Dieu vivant. Le psalmiste s’accroche à ces promesses, sans trop savoir comment elles se réaliseront, mais il s’y accroche, parce que c’est le Dieu tout-puissant, le roi souverain et éternel, qui les a faites. Et si sa parole a créé le ciel, alors ces promesses de salut se réaliseront aussi.

3)   Espérer, avec audace & humilité

Ce psaume montre la confiance du croyant dans le Dieu tout-puissant, compatissant et fidèle à ses promesses, et cette confiance se traduit par une certaine audace. Cet homme rappelle à Dieu la gravité de la situation et il exprime franchement qu’il est au bord du gouffre : en appelant Dieu à répondre à sa prière, rapidement, à le délivrer, il échappe au fatalisme et à la résignation. La prière pour son peuple a la même connotation v.14 « c’est le moment d’avoir pitié [de Jérusalem], oui c’est vraiment le moment ! » Au cœur de la détresse, au milieu des ruines de sa ville, dans la tourmente de l’angoisse, le croyant ose interpeler Dieu et lui demander d’intervenir, parce qu’il est le seul à pouvoir secourir.

Il met même un peu la pression sur Dieu en lui rappelant que les juifs, eux, ont pitié de leur ville, qu’ils sont émus du sort de leur peuple – Dieu restera-t-il insensible à leur ruine ? De manière sous-entendue, il appelle aussi Dieu à prendre pitié d’un homme plongé dans une situation aussi pathétique que la sienne.

Toutefois, même s’il exhorte Dieu à agir, à se lever, à montrer qui il est, à manifester dès aujourd’hui sa gloire que tous reconnaîtront un jour, le croyant demeure dans l’humilité : il ne donne pas de directive à Dieu, il ne lui dit même pas quoi faire précisément, il ne fait pas de chantage – si tu me laisses comme ça, je ne croirai plus en toi. Avec humilité et foi, il se permet de rappeler à Dieu ses promesses, il s’y accroche, mais il garde l’attitude qu’aura Jésus à Gethsémané : « Père tout est possible pour toi : éloigne de moi cette coupe, cette mort où je vais subir toute ta fureur, toute ta colère, cette coupe de souffrance ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». Confiant que Dieu un jour accomplira parfaitement ce qu’il a promis, il s’appuie sur lui, osant confier ses besoins, sa prière, osant aussi se soumettre au Dieu souverain qui a les meilleurs projets.

Conclusion

Dans ce psaume extraordinaire, un homme choisit la foi au milieu de la détresse. Il choisit de s’approprier à nouveau la foi confessée, transmise de génération en génération, la révélation d’un Dieu puissant et compatissant, saint et miséricordieux. Il se souvient des promesses faites au peuple des croyants, des promesses faites à l’humanité, et il s’en saisit à nouveau. Bien que Dieu n’ait pas l’air de répondre, il refuse de se laisser influencer par les apparences et il choisit la foi, parce que ce Dieu en qui il croit est plus réel, plus fiable, que tout ce qu’il connaît. Sa foi l’aide à retrouver une espérance : la vie éternelle, abondante, que Dieu offre par amour à ceux qui lui font confiance, une vie éternelle encore floue pour le psalmiste mais que le Christ nous promet avec force : celui qui fait confiance à Dieu et au Sauveur qu’il a envoyé aura la vie éternelle. C’est la promesse du Créateur, du Roi souverain, une promesse plus stable que les cieux et la terre qui nous entourent.

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