Petite question : entre ce parpaing et ce pack d’eau, qu’est-ce qui est lourd ?
Les deux ! le parpaing est plus lourd, presque trois fois plus que le pack d’eau, mais selon votre force physique, votre âge, votre santé, même 9kg d’eau à porter, ça peut être compliqué !
Pour la prédication, je continue ma série de juillet sur la prière comme espace de discussion avec Dieu, et parfois de négociation…
Un des aspects de la prière, c’est de prier pour soi-même. Mais ce n’est pas toujours facile de savoir ce qui est juste, en termes d’attitude, si on peut demander ou pas, jusqu’où… On peut avoir tendance à se dire qu’il ne faut pas trop se plaindre, qu’il faut relativiser : si nous mangeons à notre faim, que nous avons un toit sur la tête, que nous avons une relative sécurité et une liberté de mouvement – c’est déjà beaucoup plus que bien des populations, d’ici à l’autre bout de la terre. Alors si nous avons un problème avec un voisin mesquin, des soucis de santé ou d’argent, si notre collègue est un peu lourd ou que nos retrouvailles en famille s’annoncent compliquées, on peut se dire que ce n’est pas grand-chose. Nous n’avons qu’un pack d’eau à porter, alors que d’autres traînent des parpaings.
C’est important en effet d’être conscient de nos privilèges et de ne pas se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas ! En même temps, si vous partez en randonnée, le parpaing va vite vous accabler, et le pack d’eau aussi ! sauf qu’il mettra plus de temps à vous user… On peut relativiser, mais pas trop, parce que ce qu’on porte devient lourd et peut nous bloquer sur la route, même si c’est moins lourd que d’autres charges.
Alors que faire avec ce qui nous accable ? Je vous propose de lire l’histoire d’Anne, dont nous avons lu le chant tout à l’heure, il y a environ 3000 ans donc, Anne la maman du prophète Samuel qui fera la transition en Israël entre un régime politique souple, avec des dirigeants choisis spontanément, et l’instauration de la royauté en Israël, un système beaucoup plus cadré.
Lecture biblique : 1 Samuel 1
1 Il y avait un homme de Ramataïm-Tsophim, de la région montagneuse d’Ephraïm, nommé Elqana, fils de Yeroham, fils d’Elihou, fils de Tohou, fils de Tsouph, Ephratite, 2 qui avait deux femmes. Le nom de l’une était Anne et le nom de la seconde Peninna ; Peninna avait des enfants, mais Anne n’en avait pas.
3 Chaque année, cet homme montait de sa ville à Silo, pour se prosterner devant le SEIGNEUR (YHWH) des Armées et pour lui offrir des sacrifices.
Là se trouvaient les deux fils d’Eli, Hophni et Phinéas, prêtres du SEIGNEUR.
4 Le jour où Elqana offrait son sacrifice, il donnait des parts à sa femme Peninna, ainsi qu’à tous les fils et filles de celle-ci. 5 Mais il donnait à Anne une part d’honneur ; car il aimait Anne, bien que le SEIGNEUR l’eût rendue stérile. 6 Sa rivale ne cessait de la contrarier, parce que le SEIGNEUR l’avait rendue stérile. 7 D’année en année il faisait ainsi, et chaque fois qu’Anne montait à la maison du SEIGNEUR Peninna la contrariait de la même manière. Alors elle pleurait et elle ne mangeait pas. 8 Elqana, son mari, lui disait : « Anne, pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ne manges-tu pas ? Pourquoi ton cœur est-il triste ? Est-ce que je ne vaux pas mieux pour toi que dix fils ? »
Anne est dans la douleur, parce qu’elle n’a pas d’enfants. A l’époque, en plus de la tristesse face au manque d’enfants, la stérilité est considérée comme un échec personnel, social (on n’assure pas la suite) et même spirituel, car on se dit que la stérilité est entre les mains de Dieu, et que si Dieu a rendu une personne stérile, c’est qu’elle le mérite d’une façon ou d’une autre. C’est ainsi que Peninna, la rivale, appuie sur la stérilité comme sur un désaveu de Dieu, comme si Dieu avait mis Anne de côté. Etonnamment, l’amour d’Elqana pour Anne veut surmonter ça. Et on voit toutes les attentions qu’il lui porte, toute la tendresse qu’il a pour elle, son souci de la libérer de ce poids : pas besoin d’enfants, il l’aime comme elle est !
La douleur de la stérilité, la malveillance mesquine de Peninna (peut-être jalouse d’être moins aimée, mais c’est une autre question !), et puis l’usure du temps s’accumulent sur Anne comme un pack d’eau qui s’alourdit d’année en année.
9 Après qu’ils eurent mangé et bu à Silo, Anne se leva. Eli, le prêtre, était assis sur son siège, près du montant de la porte du temple du SEIGNEUR.
10 Elle, amère, se mit à prier le SEIGNEUR et à pleurer abondamment.
11 Elle fit un vœu, en disant : « SEIGNEUR (YHWH) des Armées, si tu daignes regarder mon affliction, si tu te souviens de moi et ne m’oublies pas, si tu me donnes une descendance, à moi qui suis ta servante, je le donnerai au SEIGNEUR pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera pas sur sa tête. »
L’histoire met en valeur la piété de la famille, et de Anne en particulier. Elle va prier, par elle-même, pour exprimer à Dieu ce qu’elle vit : sa douleur, son amertume, sa tristesse etc. Et elle se livre en toute authenticité devant Dieu.
Et vient cette prière assez exemplaire : Anne exprime sa demande en toute humilité. Elle n’exige pas, elle ne pose pas d’ultimatum, elle reste dans une posture de servante devant Dieu – et en même temps, elle dit ses doutes (si tu te souviens de moi…).
Alors, elle fait quand même un vœu, qui pourrait ressembler à une négociation : si tu fais ça pour moi, je fais ça pour toi. La pratique des vœux est assez courante dans l’Antiquité : ce qui est remarquable, c’est qu’elle va loin, puisqu’elle ne promet pas seulement de bien prendre soin de l’enfant ou de bien dire merci, mais elle promet de dédier cet enfant à Dieu et de le confier au service du Temple. Ce qu’elle reçoit, elle promet de le redonner aussitôt.
12 Comme sa prière se prolongeait devant le SEIGNEUR, Eli observait sa bouche. 13 Anne parlait dans son cœur ; seules ses lèvres remuaient, mais on n’entendait pas sa voix. Eli pensa qu’elle était ivre. 14 Il lui dit : « Jusqu’à quand resteras-tu ivre ? Va cuver ton vin ! »
15 Anne répondit : « Mon seigneur, je ne suis pas une femme entêtée, et je n’ai bu ni vin ni boisson alcoolisée ; je me répandais devant le SEIGNEUR. 16 Ne me prends pas, moi, ta servante, pour une femme sans morale, car c’est l’excès de ma douleur et de ma contrariété qui m’a fait parler jusqu’ici. »
17 Eli répondit : « Va en paix ; que le Dieu d’Israël te donne ce que tu lui as demandé ! »
18 Elle dit : « Je suis ta servante ; que je trouve toujours grâce à tes yeux ! » Puis elle repartit. Elle mangea, et son visage ne fut plus le même.
19 Ils se levèrent de bon matin et, après s’être prosternés devant le SEIGNEUR, ils rentrèrent chez eux, à Rama.
L’échange avec le prêtre commençait mal : il la surveille d’un mauvais œil, la juge de façon péremptoire, et la vire sans demander d’explications.
Et Anne se défend, toujours avec humilité, en dévoilant la sincérité de sa foi, l’intimité de ce qu’elle vit avec Dieu. Elle persévère.
La réponse bienveillante d’Eli va fonctionner pour Anne comme un signe que Dieu lui-même l’accueille. Elle qui était arrivée amère repart le visage changé : il ne s’est rien passé encore ! mais elle fait confiance à cette parole de bénédiction.
Elqana eut des relations avec sa femme Anne, et le SEIGNEUR se souvint d’elle.
20 A la fin de l’année, elle était enceinte ; elle mit au monde un fils, qu’elle appela du nom de Samuel — car, dit-elle, c’est au SEIGNEUR que je l’ai demandé.
21 Le mari, Elqana, monta ensuite, avec toute sa famille, pour offrir au SEIGNEUR le sacrifice annuel, ainsi que son vœu. 22 Mais Anne ne monta pas. Car elle avait dit à son mari : « Lorsque le garçon sera sevré, je l’amènerai, afin qu’il paraisse devant le SEIGNEUR et qu’il reste là pour toujours. » 23 Elqana, son mari, lui dit : « Fais comme il te plaira ; reste ici jusqu’à ce que tu l’aies sevré. Que le SEIGNEUR réalise seulement sa parole ! » Ainsi la femme resta ; elle allaita son fils, jusqu’à ce qu’elle l’eût sevré.
24 Quand elle l’eut sevré, elle le fit monter avec elle et prit un taureau de trois ans, un épha (40 litres) de farine et une outre de vin. Elle l’amena à la maison du SEIGNEUR, à Silo : le jeune était encore tout jeune.
25 Ils immolèrent le taureau et amenèrent le garçon à Eli.
26 Anne dit : « Pardon, mon seigneur ! Par ta vie, je suis cette femme qui se tenait ici, avec toi, pour prier le SEIGNEUR. 27 C’était pour ce garçon que je priais, et le SEIGNEUR m’a donné ce que je lui demandais. 28 A mon tour, je le cède à la demande du SEIGNEUR : il sera demandé pour le SEIGNEUR tous les jours de sa vie. » Sur quoi ils se prosternèrent, là, devant le SEIGNEUR.
Dieu a répondu : les naissances miraculeuses sont assez fréquentes dans le texte biblique, surtout quand elles ouvrent l’histoire de personnes prépondérantes (les ancêtres des 12 tribus d’Israël, p. ex., Samuel… jusqu’à Jésus). Dieu qui comble la femme stérile, c’est comme les fleurs dans le désert, c’est le signe que rien n’arrête Dieu et qu’il fait triompher la vie même quand ce n’est pas possible pour nous.
Du côté d’Anne, il y a un petit suspense : est-ce qu’elle va faire ce qu’elle a promis ? Une fois l’enfant dans les bras, est-ce qu’elle pourra le laisser à Dieu ? C’est un déchirement ! En fait, Anne attend juste que l’enfant soit sevré (à l’époque on allaite jusqu’à 3-4 ans) puis elle honore sa promesse, avec reconnaissance.
A la fin du texte, il y a un jeu de mots : le bébé qu’elle a demandé, elle le cède à la demande du Seigneur. Alors que c’est elle, qui était à l’initiative de cette promesse ! Avec ce don à Dieu, c’est comme si la finalité de ce qu’elle a demandé, ce n’était pas elle, mais Dieu. Dans sa prière, Anne est à la fois tout à fait authentique dans l’expression de ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, ce dont elle manque, et centrée sur Dieu. Dans la plus viscérale de ses demandes, elle n’oublie pas Dieu, au contraire elle le place en plein milieu. Un grand merci aurait suffi ! Elle va beaucoup plus loin. Vous connaissez cette formule : « tout ce qui est à moi est à toi » – c’est comme si elle disait : « tout ce qui est à moi est à Dieu ». Ce que je te demande, que ce soit bon pour moi, et pour toi Seigneur. Cette bénédiction, qu’elle serve aussi à Dieu et à ses projets.
Rendre à Dieu ce qu’on a reçu : mathématiquement, l’opération semble inutile, comme si on revenait à zéro. Mais Anne, au-delà de son fils, a tellement reçu : quelques années déjà avec Samuel, une restauration par rapport à sa rivale mesquine/ la honte disparaît (on comprend mieux pourquoi elle parlait des adversaires dans son chant) et puis, et surtout, le signe tangible que le Seigneur écoute (c’est le sens du nom Samuel) et répond. A travers cette naissance, c’est sa foi qui est fortifiée, encouragée. Elle sait désormais, physiquement, que Dieu relève, redresse, remet debout celui qui lui fait confiance.
C’est tellement encourageant de voir Dieu répondre ainsi, porter ainsi attention à une femme harcelée qui pourtant n’était pas en danger de vie ou de mort. Dieu porte son attention sur ce qui nous accable, ce qui nous empêche d’avancer que ce soient des parpaings ou des packs d’eau – et nous pouvons nous répandre devant lui sans embarras.
Un indice de cette importance que Dieu nous donne, c’est la place de cette histoire : quelques versets auraient suffi pour parler du miracle, mais le récit se concentre, pendant un chapitre et demi, sur l’intériorité de cette femme, ses obstacles, sa persévérance, ses réflexions – c’est important !
Evidemment, devant un tel miracle se pose la question : que se passe-t-il quand Dieu n’exauce pas ? face à la stérilité ou en général. Est-ce que la foi de celui qui prie n’était pas sincère ? ou la personne pas assez importante ?
Très rapidement :
D’abord, cette histoire est un exemple vécu, pas une règle (quand on prie avec foi, on reçoit ce qu’on a demandé !). L’apôtre Paul, par exemple, un homme de foi, a demandé à Dieu d’être soulagé d’une épine dans la chair, et par trois fois, Dieu lui a répondu : ma grâce te suffit. L’exaucement de nos demandes n’est pas le seul indice à prendre en compte.
Ensuite, dans le cas d’Anne, on a une rencontre entre le besoin d’une femme et le projet de Dieu de lancer un renouveau. La naissance miraculeuse marque en quelque sorte le destin de Samuel qui sera un acteur incontournable dans la nouvelle étape que Dieu propose à son peuple. Toutes nos demandes ne sont pas alignées sur les projets que Dieu fait.
Et puis, il y a la réalité de la souffrance dans un monde abîmé. On voudrait que Dieu corrige tous nos malheurs aujourd’hui, et qu’il redresse tout ce qui est tordu. Or la réponse de Dieu est globale, et elle est en cours : il a posé le signe qu’il nous entend et veut nous bénir, nous restaurer, nous relever en venant lui-même, en Jésus, porter le poids de nos souffrances sur la croix. Il en a triomphé : sa vie surgit même dans la mort, il est ressuscité. Et… affaire à suivre ! La restauration complète est en cours de déploiement : les difficultés demeurent, mais le projet de Dieu avance.
Ce qui reste vrai, en tout cas, que nous recevions ce que nous avons demandé ou pas :
1/ Dieu entend ce que nous épanchons devant lui, ce n’est jamais trop petit ou trop insignifiant
2/ Dieu désire nous relever, nous remettre debout, même si ce n’est pas toujours comme on l’a demandé. Pour reprendre l’image du pack d’eau : parfois il l’enlève, parfois il nous donne un chariot à roulettes pour le transporter plus facilement. Mais dans tous les cas, il veut intervenir et nous remettre debout. Alors n’hésitons pas à nous confier à Dieu, à nous livrer devant lui, tels que nous sommes – il agira !