Négociations avec Dieu (3/5) Quand les doutes s’invitent dans la prière

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Pour la prédication, je continue ma série de juillet sur la prière comme espace de discussion avec Dieu, et parfois de négociation… Nous avons évoqué Abraham, le patriarche du peuple d’Israël, et Moïse, celui qui, des siècles plus tard, conduit le peuple hors de l’esclavage en Egypte pour l’emmener dans le pays que Dieu a promis, un lieu d’abondance où le peuple pourra expérimenter la joie de la vie avec Dieu.

Ces deux-là ont prié, négocié avec Dieu, en s’appuyant sur le caractère de Dieu : sa justice, sa bonté, sa fidélité… Ces prières se fondaient sur une base solide : le caractère de Dieu. Et Dieu a répondu favorablement. Mais qu’en est-il lorsque nos prières ont un fondement douteux, qu’elles ne sont pas très justes ? Comment Dieu les accueille-t-il ?

Je vous propose un exemple, avec l’histoire de Gédéon, un jeune homme que Dieu choisit pour délivrer son peuple de l’oppression. Nous sommes dans le livre des Juges, qui retrace une période sombre de quelques siècles entre Moïse et David (premier grand roi d’Israël), entre 1400 et 1100 avant JC (environ).

Le peuple d’Israël est arrivé au pays promis, mais très vite, il regarde ailleurs et se laisse influencer par les religions des peuples voisins. Peu à peu se forme un mélange spirituel qui déforme sa relation avec Dieu. Le livre des Juges décrit cette relation en crise, avec toutes les difficultés qui en découlent.

Une conséquence majeure, c’est que Dieu arrête de les protéger contre leurs ennemis. Le peuple est entré dans un cercle vicieux : il tourne le dos à Dieu, Dieu prend du recul, le peuple se retrouve écrasé par des ennemis, au bout de quelques décennies il n’en peut plus et crie vers Dieu, qui a pitié et qui choisit quelqu’un pour les délivrer, un sauveur, un « juge » (d’où le titre). Et ça se répète, et ça s’empire : à mesure que le temps avance, la base de la relation entre le peuple et Dieu est de plus en plus étroite, confuse, déformée, jusqu’à ce qu’on arrive à du grand n’importe quoi à la fin du livre. Dieu est toujours considéré comme LA solution de secours, mais il est de moins en moins connu en tant que personne, dans sa spécificité, et la confusion règne.

L’histoire de Gédéon arrive à peu près au milieu du livre. Comme d’habitude, le peuple s’est détourné de Dieu et se retrouve confronté aux Madianites, habitants de Madiân, qui se livrent à des razzia régulières : ils déciment les champs, les élevages, etc. Le peuple est libre, mais affamé car il n’est pas de taille à se défendre. Désespéré, il se tourne vers Dieu et demande son aide. Dieu envoie d’abord un prophète pour leur rappeler que s’il n’est pas à leurs côtés pour les protéger, c’est d’abord parce qu’eux-mêmes l’ont mis de côté et sont allés chercher d’autres dieux. Malgré tout, Dieu choisit de les libérer de cette épreuve, avec l’aide de Gédéon.

Lecture biblique : Juges 6

11 L’ange du Seigneur vint au village d’Ofra. Il s’assit sous le chêne de Yoach, un homme du clan d’Abiézer. Gédéon, fils de Yoach, était en train de battre le blé dans le pressoir à raisin, pour ne pas être vu des Madianites. 

12 L’ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Le Seigneur est avec toi, vaillant combattant ! » 

13 Gédéon répondit : « Pardon, mon seigneur ! Si le Seigneur est avec nous, pourquoi tous ces malheurs nous sont-ils arrivés ? Où sont donc toutes ces actions extraordinaires dont nous parlaient nos pères quand ils nous racontaient que le Seigneur les avait fait sortir d’Égypte ? En réalité, le Seigneur nous a abandonnés, il nous a livrés aux Madianites ! » 

Il y a un décalage entre la réalité de ce jeune homme, qui se cache pour battre le blé, terrifié par les ennemis, une réalité de survie, sombre, et puis l’appel de Dieu, son projet, beaucoup plus positif : « Bonjour, vaillant combattant ! » En fait c’est un décalage entre deux points de vue : ce qui est, visible, et ce qui sera/ ce que Dieu pré-voit.

Gédéon réagit fortement à cette salutation, non pas avec gratitude (oh merci, on a tellement besoin que le Seigneur intervienne !) ou même une question (comme Marie la mère de Jésus qui répondra à l’ange : mais comment pourrais-je enfanter, moi qui ne vis pas avec un homme ?). Il répond avec cynisme : si le Seigneur veut intervenir, c’est un peu tard, non ? Et puis, c’est de sa faute, tout ce qui se passe !

En théorie, on ne répondrait pas ainsi à Dieu, mais dans la pratique, c’est courant, qu’on soit croyant ou pas d’ailleurs ! La souffrance et le scandale devant le mal conduisent souvent à mettre en doute la présence et/ou la puissance et/ou la bonté de Dieu.

On voit que Gédéon est absorbé par sa souffrance. Petit problème, il a « oublié » toute la responsabilité du peuple qui a mis Dieu de côté. C’est un petit peu facile de mettre quelqu’un à la porte, et de râler ensuite parce qu’il n’est pas là ou qu’il ne prend pas les rênes de la situation ! C’était l’argument de la jeune Américaine que citait Didier la semaine dernière : devant la souffrance, souvent causée par nos propres pulsions, on accuse Dieu, en « oubliant » qu’on l’a d’abord mis de côté.

14 Le Seigneur se tourna vers lui et lui dit : « Avec la force que tu as, va sauver Israël des Madianites. C’est moi qui t’envoie. » – 

Dieu ne réagit pas, ne se lance pas dans une argumentation de qui a raison/ qui a tort. Il continue simplement sur sa lancée.

15 « Je t’en prie, Seigneur, répondit Gédéon, comment pourrais-je sauver Israël ? Mon clan est le plus faible de la tribu de Manassé et moi, je suis le plus jeune de ma famille. » 

16 Le Seigneur déclara : « Je serai avec toi, c’est pourquoi tu battras les Madianites tous ensemble. » 

Deuxième objection, plus classique : Gédéon ne se sent pas à la hauteur. Pourquoi Dieu choisit-il un petit inconnu pour cette œuvre de salut ?

Pour la 3e fois, la réponse du Seigneur c’est : « Je serai avec toi » ! C’est son seul argument : je serai avec toi.

Cette réponse est intéressante : face à nos doutes, nos souffrances, nos déceptions, Dieu perçoit cette crainte (que Gédéon a exprimée) d’être abandonnés, laissés seuls face à l’adversité. Où est Dieu dans tout ça ? Et la réponse de Dieu : je serai avec toi, je suis avec toi. Car c’est lui qui donne le sens, la paix, son amour – dans l’épreuve ou la facilité. Le salut, c’est vivre avec Dieu, aujourd’hui et pour toujours. C’est son amour qui peut illuminer et remplir le quotidien, quoi qu’il arrive.

17 Gédéon reprit : « Si tu m’accordes ta faveur, donne-moi un signe que c’est bien toi, le Seigneur, qui me parles. 18 Ne t’en va pas avant que je sois revenu avec l’offrande que je désire te présenter. »

Le Seigneur répondit : « Je resterai ici jusqu’à ton retour. »

19 Gédéon alla préparer un chevreau ainsi que des pains sans levain confectionnés avec trente kilos de farine. Il mit la viande dans une corbeille et le jus dans un pot, il les apporta sous le chêne et les présenta à l’ange de Dieu. 

20 L’ange lui dit : « Pose la viande et les pains sur ce rocher, puis verse le jus par-dessus. » Gédéon obéit. 

21 L’ange du Seigneur étendit la main et, avec l’extrémité du bâton qu’il tenait, il toucha la viande et les pains. Le feu jaillit du rocher et brûla totalement la viande et les pains. Puis l’ange disparut. 

22 Gédéon comprit alors que c’était l’ange du Seigneur et il s’écria : « Ah, Seigneur Dieu ! J’ai vraiment vu ton ange face à face ! » 

23 Mais le Seigneur lui dit : « Sois en paix, n’aie pas peur, tu ne mourras pas. »

Le signe qui prouve à Gédéon que c’est bien vrai, cet appel, c’est l’offrande consumée immédiatement. Ce feu surnaturel montre à Gédéon que derrière le messager, c’est Dieu lui-même qui parlait avec lui. On pourrait penser qu’il devait s’en douter un peu, sinon il n’aurait pas offert de sacrifice, mais le choc de voir Dieu à l’œuvre le déstabilise.

Dans les Ecritures juives, la figure de l’ange du Seigneur est d’ailleurs très ambiguë, très différente des créatures angéliques. C’est un messager à forme humaine, souvent interchangeable avec Dieu lui-même, qui préfigure un peu la venue du Christ, homme et Dieu.

Après cette confirmation, Gédéon va remplir sa première mission : il détruit les symboles païens présents dans sa famille et dans le village, comme un signe d’engagement à remettre Dieu (seul) au centre. Puis commence la deuxième mission, pour libérer le peuple de l’oppression.

33 Les Madianites, les Amalécites et les nomades de l’orient se rassemblèrent, traversèrent le Jourdain et installèrent leur camp dans la plaine de Jizréel. 

34 Mais l’Esprit du Seigneur revêtit Gédéon. Celui-ci sonna de la trompette pour appeler les guerriers du clan d’Abiézer à le suivre. 35 Il envoya des messagers dans tout le territoire de Manassé pour appeler les hommes de la tribu à le suivre également. Il envoya encore des messagers dans les tribus d’Asser, de Zabulon et de Neftali, dont les combattants vinrent se joindre à lui.

36 Gédéon dit à Dieu : « Si tu veux te servir de moi pour délivrer Israël comme tu l’as dit, 37 eh bien, j’étendrai une toison de laine à l’endroit où l’on bat le blé. Si, durant la nuit, la rosée se dépose seulement sur la toison et que le sol tout autour reste sec, je saurai que tu te serviras de moi pour délivrer Israël comme tu l’as affirmé. » 

38 Et c’est ce qui arriva. Le lendemain matin, Gédéon pressa la toison et il en fit sortir assez de rosée pour remplir d’eau un bol. 

39 Il dit à Dieu : « Ne te mets pas en colère contre moi, si je te demande encore quelque chose. Je voudrais faire un dernier test avec la toison : il faudrait, cette fois, que la toison seule soit sèche et qu’il y ait de la rosée sur le sol tout autour ! » 

40 C’est ce que Dieu fit cette nuit-là : seule la toison resta sèche et le sol tout autour se couvrit de rosée.

Tout se met en place pour la bataille, mais au milieu des préparatifs, Gédéon a besoin de garanties pour aller plus loin. En toute logique, ces garanties sont inutiles. Dieu a déjà confirmé son appel en consumant l’offrande, il l’a revêtu de son Esprit (pas au sens de la Pentecôte, mais il l’a revêtu de sa puissance et il l’accompagne), et puis les tribus répondent favorablement à l’appel d’un jeune inconnu. Directement et indirectement, Dieu montre son soutien à Gédéon.

Mais ça ne lui suffit pas. Ah il nous ressemble tellement ! Même quand Dieu est à l’œuvre, ne réclamons-nous pas souvent plus de garanties pour avancer ? Abraham a suivi Dieu du tac au tac, mais bien souvent nous sommes du côté de Gédéon, à demander plutôt 3 garanties qu’une seule. Manque de confiance en nous, crainte ou confusion devant l’avenir, manque de confiance en Dieu…

Dieu aurait pu s’agacer devant ces doutes, comme devant les objections précédentes, et pourtant il joue le jeu. A fond ! Regardez la toison mouillée : en l’essorant, c’est une bolée d’eau qui sort, pas juste quelques gouttes. Devant les fragilités de Gédéon, ses craintes, ses doutes et ses arguments fallacieux, Dieu ne se formalise pas, il ne se justifie pas, mais il le rejoint avec patience pour le faire avancer.

Gédéon est loin d’être un modèle de foi, et pourtant, il nous encourage. Ou plutôt la façon dont Dieu agit avec lui nous encourage. Avec nos fragilités, nos égocentrismes, nos angles morts et nos dénis, Dieu nous accueille. Même quand on prie « mal ».

Le cas de Gédéon nous invite à prier simplement, tels que nous sommes. A oser dire à Dieu ce que nous vivons, ce que nous pensons, ce que nous voulons, ce que nous craignons. Même si ce n’est pas très juste, même si c’est inutile, même si nous n’avons pas la bonne posture ! Dieu, dans sa patience et sa grâce, nous accueille tels que nous sommes, là où nous en sommes, pour nous faire avancer et entrer dans ses projets. C’est le sens de l’Evangile : Dieu qui devient un homme, Jésus, pour s’approcher de l’humanité dans sa fragilité et ses angles morts, jusque dans son péché, et qui supporte tout, même le pire, même la mort, parce qu’il veut être avec nous, et que nous soyons avec lui, chaque jour et pour toujours.

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