Quelle est notre marge de manœuvre face à Dieu ? face à sa volonté ? Si Dieu est Dieu, puisque Dieu est Dieu, ce qu’il veut doit s’accomplir tel quel, non ? Ce qu’il décrète a bien plus de force que les lois humaines : qu’est-ce qui pourrait le remettre en cause ? Notre soumission légitime à Dieu parfois nous conduit à la résignation, au découragement, au « à quoi bon ? » Quelle est notre place, la place de notre prière dans les projets de Dieu ? Pour répondre un peu à cette question, j’aimerais remonter à environ -1500 avant Jésus-Christ, pour nous retrouver dans le désert à l’Est de l’Egypte, avec Moïse et le peuple d’Israël.
Quelques mots de contexte : Dieu s’est engagé à bénir la descendance d’Abraham, qu’on appelle peuple d’Israël, et projette de leur donner un pays pour leur donner un cadre favorable dans lequel ils pourront apprendre à vivre avec Dieu – ils recevront sa bénédiction, mais ils seront aussi un témoignage pour les peuples qui les entourent. Ce projet met du temps à s’accomplir : pendant plusieurs siècles, les Israélites ont été tenus esclaves en Egypte, jusqu’à ce que Dieu les libère à grand renfort de miracles (les 10 plaies d’Egypte). Il les conduit hors d’Egypte, par l’intermédiaire du prophète Moïse, vers le pays de Canaan, de l’autre côté du désert. Pendant des mois, Dieu montre sa présence quotidienne. Face aux obstacles, aux dangers, aux manques, il abreuve, nourrit, protège, etc. Ils arrivent enfin aux portes de Canaan : douze espions partent explorer le pays promis. A leur retour, 10 d’entre eux sont trop impressionnés et déconseillent au peuple d’aller plus loin. Les deux autres, Caleb et Josué, essaient de remotiver le peuple à faire confiance à Dieu, mais rien n’y fait : le peuple préfère retourner d’où il vient, en Egypte, même si la situation là-bas était terrible. Devant cette énième révolte contre Dieu, Moïse et Aaron sont prosternés en prière.
Lecture biblique : Nombres 14.10-25
10 Tout le peuple parlait de lancer des pierres [sur Caleb et Josué, Moïse…] pour les tuer, mais soudain la gloire du Seigneur se manifesta aux yeux des Israélites, sur la tente de la rencontre.
11 Le Seigneur dit à Moïse : « Ce peuple cessera-t-il un jour de me rejeter ? Refusera-t-il toujours de me faire confiance, malgré tous les signes que je lui ai donnés de ma puissance ? 12 Je vais le frapper de la peste et l’exterminer, puis je ferai naître de toi un peuple plus puissant et plus nombreux qu’Israël. »
Au milieu de ce qui ressemble à une émeute, l’apparition lumineuse de Dieu arrête tout.
Depuis trois mois que Dieu les a fait sortir d’Egypte, on ne compte plus les révoltes, les murmures, les récriminations et les plaintes contre Dieu. Mais là, la limite a été atteinte! Devant l’incapacité chronique du peuple à lui faire confiance, Dieu se tourne vers son fidèle serviteur avec un plan B : on arrête les frais avec ces gens-là, et on repart à zéro avec Moïse. Dans un sens, Dieu resterait fidèle à ses promesses à Abraham, puisque Moïse est un de ses lointains descendants.
La proposition est alléchante : Moïse se retrouverait grand patriarche, grand ancien d’un peuple nouveau. Une proposition d’autant plus alléchante que c’est souvent Moïse qui prend lorsque le peuple veut en découdre avec Dieu.
Derrière cette proposition, se révèle l’agacement de Dieu : il n’en peut plus de ce manque de confiance récurrent entre le peuple et lui. Imaginez-vous dans une relation où l’autre remet sans cesse en question vos choix, doute de vos intentions et de vos compétences : sans confiance, la relation devient vite toxique, et puis on ne peut rien construire s’il n’y a pas de base commune.
Face à Dieu, c’est d’autant plus injuste qu’il a accompli des miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres. Des miracles qui ont deux buts, un peu comme le double effet kiss cool :
- A court terme : répondre au problème, soulager, fortifier, etc.
- A long terme : au travers des miracles, montrer quel type de Dieu il est – présent, attentif, patient – et extrêmement compétent !
A travers ce qu’il fait, Dieu révèle qui il est : un Dieu fort, aimant, fidèle. C’est comme les cadeaux : quand quelqu’un vous fait un cadeau, il y a l’objet en lui-même, et tout ce que l’objet révèle de ce que l’autre pense de vous, de son affection, sa reconnaissance, etc.
Pourtant le peuple d’Israël a comme relégué les actes de Dieu dans le passé, sans en tirer les leçons sur ce qu’il est et ce qu’il veut faire pour eux. Je le dis sans mépris, car ça nous arrive tellement souvent : Dieu intervient pour nous, mais à l’obstacle suivant, c’est comme s’il fallait reprendre à zéro ! Or à travers ce que Dieu fait, il veut nous apprendre qui il est : fiable et fidèle…
Moïse ne se laisse pourtant pas tenter par la proposition de Dieu :
13 Moïse répondit au Seigneur : « Les Égyptiens ont su que, par ta force, tu avais fait sortir ce peuple de chez eux. 14 Ils l’ont raconté aux habitants de ce pays. Ceux-ci ont donc appris que toi, le Seigneur, tu accompagnes ton peuple, que tu te manifestes à lui face à face ; ils ont appris que c’est toi qui le protèges, puisque tu marches devant lui, le jour dans une colonne de nuée, la nuit dans une colonne de feu.
15 Si maintenant tu extermines ton peuple d’un seul coup, les populations qui ont entendu parler de tout ce que tu as fait vont dire : 16 “Le Seigneur n’a pas été capable de conduire ce peuple dans le pays qu’il lui avait promis ; c’est pourquoi il l’a massacré dans le désert.”
17 Alors je t’en supplie, Seigneur, déploie ta puissance. Agis selon ce que tu nous as affirmé : 18 “Je suis le Seigneur, lent à la colère et d’une immense bonté ; je supporte les péchés, les désobéissances. Mais je ne tiens pas le coupable pour innocent. J’interviens contre celui qui a péché et contre ses descendants, jusqu’à la troisième ou la quatrième génération.”
19 Seigneur, pardonne encore le péché de ton peuple, selon ta grande fidélité, comme tu n’as cessé de lui pardonner depuis qu’il est sorti d’Égypte. »
La semaine dernière, nous étions avec Abraham qui intercédait pour quelques justes au milieu d’une société toxique. Cette fois-ci, Moïse ne prie pas pour des justes, mais pour des injustes ! pour un peuple qui est prêt à balayer Dieu d’un revers de main au moindre obstacle.
Moïse ici ne fait pas appel à la justice de Dieu, mais à sa compassion. Avec deux arguments fondamentaux : la réputation de Dieu et la parole qu’il a donnée. Deux façons d’aborder l’honneur de Dieu.
D’abord, Moïse évoque la réputation de Dieu auprès des peuples étrangers qui ont entendu ce qu’il avait fait, et qui risquent de ne pas prendre Dieu au sérieux si Dieu ne va pas au bout avec Israël. Autrement dit : « qu’est-ce qu’on va dire de toi, Seigneur ? »
Selon notre génération ou notre culture, cet argument de la réputation peut nous toucher différemment. Mais pour certains, il sonne avec étrangeté dans un contexte psycho-social où on nous invite à nous libérer du regard des autres (tout en nous exposant plus que jamais au regard des autres via les médias et les réseaux !), à nous assumer tels que nous sommes, à sortir des attentes et des stéréotypes. Dieu manquerait-il de confiance en lui, d’estime de soi, au point d’avoir besoin de l’approbation de créatures inférieures ? Ne peut-il pas vivre libre, détaché des opinions des uns et des autres ?
Pour mieux comprendre, faisons un détour par notre fonctionnement humain. Être en relation avec quelqu’un, c’est vivre sous son regard, un regard qui reflète son point de vue sur ce que nous sommes et qui crée la base de notre relation : l’envie d’aller plus loin ou pas. Une personne que je regarde comme ennuyeuse, ou menteuse, ou capricieuse, ou manipulatrice, ou profiteuse – il y a peu de chances pour qu’elle devienne ma meilleure amie ! Nos regards entrecroisés conditionnent la relation. Ce qui est sûrement excessif, c’est d’accorder de l’importance au regard de personnes avec qui nous n’avons pas de relation. Ainsi, il est légitime d’accorder de la valeur au regard et donc à l’opinion que portent sur moi les personnes qui ont de la valeur pour moi. Vous me suivez ?
Si on l’applique à Dieu : Dieu est Dieu, il n’a pas besoin de nous pour exister ou pour se sentir bien – il est au-dessus de tout ! dans une autre sphère ! Et pourtant, du jour où il a décidé de créer l’être humain pour être en relation avec nous, une relation d’amour et d’amitié, du jour où il nous a accordé de la valeur, il a donné de la valeur à notre regard sur lui. Le thème de la réputation, de son honneur, de sa gloire, renvoie indirectement au poids que Dieu nous donne dans sa vie : nous ne sommes pas des moucherons qu’il balaye de la main, nous sommes ceux qu’il veut aimer et avec qui il veut construire.
Le deuxième argument est assez proche : au nom de la parole donnée, Moïse appelle Dieu à aller au bout de ce qu’il a commencé.
Et le cœur de ces promesses, c’est la patience et la fidélité de Dieu envers son peuple. « Tu as dit que tu serais fidèle ! Tu l’as déjà été ! Sois cohérent… » Et Moïse de citer la façon dont Dieu lui-même s’est révélé à lui, comme un Dieu lent à la colère et riche en bonté.
Une remarque : Moïse demande à Dieu de déployer sa grande puissance – et quelle est cette puissance ? sa patience et sa fidélité, son pardon renouvelé. Sa grâce !
Comme Abraham la semaine dernière, Moïse prouve dans son argumentation à quel point il prend Dieu au sérieux. A quel point il prend au sérieux sa parole, ses promesses, ce qu’il a déjà révélé de lui-même par ses actes. Et dans cette argumentation audacieuse, Moïse montre en fait une confiance en Dieu inébranlable – justement cette confiance que le peuple n’arrive pas à donner. Ultimement, c’est cette confiance qui caractérise la foi : pas seulement croire que Dieu existe, qu’il a inventé un monde extraordinaire, mais croire qu’il est bon, et lui faire confiance, croire ses paroles, et s’attendre à ce qu’il fasse ce qu’il a dit.
La posture de Moïse est essentielle dans cette prière : il n’est pas centré sur lui, mais sur les intérêts du peuple et sur les intérêts de Dieu – comme s’il lui disait : « ne te laisse pas dévier par ce peuple de bons à rien, mais reste qui tu es, et montre-toi ! tu es plus grand que leur médiocrité ! » Et Moïse n’exige pas quelque chose de précis, seulement que Dieu fasse grâce – il a confiance !
20 Le Seigneur répondit : « Je lui pardonne, comme tu le demandes. 21 Cependant, aussi vrai que je suis vivant et que ma gloire remplit toute la terre, j’affirme 22-23 que personne de cette génération n’entrera dans ce pays. Ils ont vu ma gloire, et tous les actes puissants que j’ai accomplis en Égypte et dans le désert ; malgré cela ils n’ont pas cessé de me mettre à l’épreuve en me désobéissant. C’est pourquoi aucun d’eux ne verra le pays que j’ai promis à leurs ancêtres, puisqu’ils m’ont tous rejeté.
24 Mais mon serviteur Caleb a été animé d’un autre esprit et m’est resté fidèle ; je le ferai entrer dans le pays qu’il a exploré, et je donnerai cette région à ses descendants. 25 – Les Amalécites et les Cananéens occupent actuellement les vallées de cette région. – Demain donc, vous ferez demi-tour et vous repartirez par le désert dans la direction de la mer des Roseaux. »
Dieu accède à la demande de Moïse, et épargne le peuple, en tout cas pour l’instant. C’est le début des 40 ans d’errance dans le désert, le temps qu’une nouvelle génération se lève et entre dans le pays promis. Dieu trouve là un équilibre entre le pardon, la grâce, et la sanction devant un comportement insolent et injuste chez le peuple.
Pour revenir à la prière, cet échange entre Dieu et Moïse doit nous encourager ! Nous encourager à prier, à échanger avec Dieu, à prendre au sérieux ses promesses malgré les circonstances défavorables.
Je parlais récemment avec un instituteur qui commence à avoir de l’expérience, et on évoquait le fait qu’en début de carrière, on a tendance à tout anticiper, tout préparer de A à Z – et le moindre imprévu nous fait dérailler. Avec l’expérience et une meilleure maîtrise des sujets, on peut s’adapter à la situation, aux questions, aux besoins, et on sait qu’il y a plusieurs chemins pour arriver quelque part. C’est la même chose dans nos déplacements : quand on ne connaît pas une ville, on prend toujours le même itinéraire – mais quand on connait bien la ville, on sait qu’il existe plusieurs chemins pour arriver au même endroit.
Dieu est un expert en sagesse et en puissance, et comme tous les experts, il maîtrise le sujet de ce qui est juste et bon : il a un plan A, mais il peut aussi passer à un plan B, ou C, ou D, selon la situation, tout en atteignant ses objectifs ! Il y a donc de la place pour notre prière, pour nos demandes, nos intercessions, nos questions…
Nous pouvons demander à Dieu, l’implorer, pour qu’il révèle sa grâce puissante dans notre vie et celle des autres – en nous appuyant sur ce qu’il est et sur ce qu’il a fait : en Christ, nous avons une base bien plus solide encore que l’expérience du peuple d’Israël. En Christ, Dieu lui-même est devenu un homme, il a lui-même porté dans son corps et son identité son engagement envers nous, son engagement à accomplir la justice et à révéler sa grâce. Bien plus, il donne son Esprit à ceux qui lui font confiance : Dieu s’engage de tout son être – prenons au sérieux ses promesses !