Vivre par la foi: l’exemple d’Abraham (Hé 11.8-19)

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L’auteur donne aux croyants toute une liste d’exemples, dont Abraham est un des plus longs. Il reprend trois événements majeurs dans la vie du patriarche : 1/ en Gn 12, lorsque Dieu appelle Abram, déjà âgé, à quitter sa terre pour aller vivre en pays inconnu, avec la promesse de commencer avec lui une grande nation bénie de Dieu (8-10). 2/ entre Gn 15 et 21, lorsque Dieu promet au couple âgé et stérile la naissance d’un fils qui héritera de la promesse faite à Abram. Après plusieurs années qui usent d’ailleurs la patience de Sara, Isaac finit par naître et réalise ainsi la promesse de Dieu qu’Abraham aurait un fils. (11-12)  3/ en Gn 22, alors qu’Isaac a grandi, Dieu demande à Abraham de lui offrir Isaac en sacrifice de reconnaissance. Abraham part donc avec Isaac et le prépare pour le sacrifice quand au dernier moment, un ange le retient d’aller plus loin et lui fournit une victime appropriée. Au milieu de cette notice biographique, une parenthèse nous plonge dans les motivations des patriarches.

Les récits de la Genèse sont assez sobres et se concentrent surtout sur les faits, très peu sur les projets du patriarche, sur ses motivations, ses espoirs et ses craintes. L’auteur de la lettre aux Hébreux relit l’histoire d’Abraham à la lumière de toute la révélation, et met en valeur les implications de la foi d’Abraham, notamment dans les v.13-16.

Dans ce passage où l’auteur veut encourager les chrétiens à vivre par la foi, à rester fermement attachés au Christ, l’histoire d’Abraham met en valeur (sans être exhaustive) deux dimensions de la foi que nous sommes appelés à vivre nous aussi.

1)   La confiance en Dieu visible dans l’obéissance

La foi peut recevoir différentes définitions : croire que Dieu existe et qu’il est bon envers nous, adhérer à un ensemble de convictions, nourrir une relation avec Dieu (aspect de piété). Ce que notre texte met en valeur, c’est la confiance en Dieu envers et contre tout, alors que le bon sens décourage de suivre Dieu.

A chaque événement de la vie d’Abraham, il y a un sérieux obstacle à suivre Dieu ; on remarque d’ailleurs un crescendo d’obstacles de plus en plus déroutants, qui demandent une confiance de plus en plus grande.

D’abord, Dieu demande à Abram de tout quitter pour un endroit inconnu, et Abram prend sa famille, ses biens, et s’engage dans un long voyage vers le Sud, sans savoir à quoi s’attendre. Il a pour seule garantie une promesse, un peu extravagante d’ailleurs : à travers lui et ses descendants qu’il n’a pas, le monde sera béni. C’est l’obstacle de l’ignorance : Abram se lance dans une aventure qu’il ne maîtrise en rien. Nous, nous aurions sûrement demandé des esquisses du fameux pays, étudié son potentiel, nous aurions demandé à Dieu des garanties pour voir s’il était sérieux et fiable, et nous aurions peut-être pris une assurance en cas d’échec. Abram ne demande aucune garantie : il plonge.

Ensuite, Dieu promet à Abraham un fils avec Sara, sa femme, qui héritera des projets de Dieu. Dieu fait cette promesse à plusieurs reprises à un couple stérile et âgé (notre passage dit : déjà marqué par la mort), et là on passe à l’obstacle de ce qui est possible. Au départ, Sara tente d’adopter un fils, mais non, c’est bien de son ventre stérile que Dieu veut faire naître l’héritier. Quand Abraham comprend ce que Dieu promet, il rit en lui-même, tant l’idée est farfelue. Quand Sara entend à son tour comment l’enfant doit naître, elle aussi exprime son incrédulité en riant. Finalement, un an plus tard, naît Isaac. Vous remarquez que là, Dieu laisse le temps au couple de s’habituer à l’idée ! Même si ce que Dieu promet paraît impossible d’un point de vue humain, Abraham et Sara finissent par lui faire confiance, et ils renoncent à tout plan B.

Enfin, troisième épreuve, cet héritier promis, attendu, chéri, Dieu demande de le lui sacrifier. Au-delà de la tragédie que représente la mort de cet enfant, il y a l’obstacle de l’incohérence de Dieu. Dieu a promis qu’Isaac porterait la promesse de Dieu, sa bénédiction, et qu’à travers lui seul naîtrait la descendance d’Abraham, prélude à une nation aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel ou le sable de la mer. Comment cela peut-il arriver par un mort ? On passe encore un cran dans l’inconnu, dans l’impossible ! Pourtant, face à ce Dieu qui souffle le chaud et le froid, qui semble se contredire, Abraham fait confiance. D’une certaine manière, il sait maintenant que ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu, que ce qui est insensé – en termes de garanties ou de probabilité – aux yeux des hommes n’est pas en dehors des capacités de Dieu. L’auteur de notre passage suppose qu’Abraham a réconcilié le paradoxe en faisant confiance au Dieu de la vie, qui avait déjà fait surgir la vie d’un ventre stérile, et qui pouvait aussi bien faire surgir la vie dans un cadavre.

A chaque fois, Abraham est mis devant des situations impossibles, qui demandent une décision radicale. Il n’y a pas de demi-mesure : on suit ou on ne suit pas ! La confiance en Dieu s’exprime à chaque fois par l’obéissance. Ce n’est pas toujours de gaieté de cœur, ou immédiat (on le voit avec l’incrédulité face à Isaac), mais la foi se concrétise forcément dans l’obéissance. Obéir c’est suivre coûte que coûte le Dieu qui nous appelle, qui nous fait vivre. C’est s’attacher à Dieu, donner plus de réalité à ses promesses et à sa puissance qu’à notre champ de possibilités.

Dans l’obéissance de la foi, nous devons parfois vivre des ruptures, des abandons, des deuils, même s’ils sont moins spectaculaires que le voyage d’Abraham ou le presque sacrifice d’Isaac. Dans l’obéissance de la foi, nous devons aussi accueillir des options apparemment insensées, irrationnelles, parfois effrayantes. La seule raison pour obéir, c’est la connaissance du Dieu vivant. Là on n’est pas dans l’obéissance à des codes, des rituels, mais dans l’attachement à une personne, un attachement qui dépasse tout autre attachement que nous pourrions avoir, la conviction que ce Dieu-là est bon et puissant, et que même si nous avons l’impression de sauter dans le vide, ce Dieu-là va nous rattraper, ce saut est la seule manière de le suivre.

2)   L’espérance dans les promesses de Dieu visible dans la persévérance

La foi est confiance en Dieu, un attachement au Dieu vivant, bon et tout-puissant, qui triomphe de tout autre attachement. Cette confiance en Dieu est aussi marquée par l’espérance dans les promesses de Dieu. La foi est une marche avec Dieu, caractérisée par l’attachement à Dieu, comme si on se tenait à lui, et par une direction, une orientation : le royaume de Dieu, le règne de Dieu où toutes ses promesses s’accompliront parfaitement.

L’auteur aux Hébreux s’appuie sur le fait qu’Abraham a vécu sur la terre promise comme un étranger, comme un résident temporaire. Il ne s’est jamais installé, et il se définit lui-même de cette manière en parlant aux habitants de Canaan. Abraham avait reçu la promesse d’une terre qu’habiterait sa nombreuse descendance : à la fin de sa vie, il achète un tombeau sur cette terre, pour Sara ; ce tombeau est une sorte d’avance dans la possession de ce pays qui ne sera effective que des siècles plus tard. De loin, il voit la réalisation de la promesse d’un pays, ce qui va le motiver à rester toute sa vie un nomade, à vivre dans l’inconfort, sans jamais retourner dans son pays d’origine, sans non plus hâter la réalisation de la promesse. Il sait que Dieu va accomplir ses projets et il s’accroche à ces promesses, sans se chercher de béquilles.

Ce qui étonne un peu dans notre texte, c’est l’idée qu’Abraham et les autres croyants attendaient non pas la possession de Canaan, mais l’établissement du règne parfait de Dieu, la Jérusalem céleste aux fondations bien solides, éternelles. Pour quelqu’un qui n’a pas encore vu la Jérusalem terrestre, l’attente d’une Jérusalem parfaite, céleste, étonne. Là, on est en plein dans la relecture de l’auteur aux Hébreux, dans sa compréhension bien plus tard de ce qui se joue à l’époque d’Abraham.

D’un côté, il s’appuie sur le fait qu’Abraham a toujours gardé le cap des promesses de Dieu, il a supporté tous les inconforts, les incertitudes, parce qu’il savait que Dieu réaliserait sa promesse en son temps. D’un autre côté, la progression de la révélation biblique montre qu’Abraham est le père de tous les croyants, d’abord des israélites puis de tous ceux qui reconnaissent le Messie juif, Jésus, comme leur sauveur. De même, si l’occupation du pays promis est un élément important de la bénédiction divine dans l’AT, elle se révèle décevante puisque le peuple n’arrive pas à rester fidèle à Dieu, et que le pays du peuple élu finit par ressembler fortement aux nations païennes, lorsque le peuple se détourne de Dieu au point de l’oublier presque complètement. Le pays promis est une image imparfaite du Royaume que Dieu établira, un règne de paix et de justice, qui dépasse toutes les tentatives humaines et que nous attendons encore. La connaissance de l’histoire biblique permet à l’auteur de bien comprendre la portée de l’espérance d’Abraham, même si lui-même n’en était pas forcément conscient.

Le point crucial de cette réflexion, c’est que les croyants vivent en étrangers et résidents temporaires sur cette terre, en attendant le royaume de Dieu. Ca implique deux choses : premièrement, une marche persévérante orientée par les promesses de Dieu, une marche marquée par la justice, le pardon, la vérité, l’amour, parce que ces valeurs vont triompher lorsque Dieu établira parfaitement son règne. Alors le croyant ne s’arrête pas en route, il ne satisfait pas de demi-mesures, de demi-accomplissements, de compromis. Il garde les yeux fixés sur la promesse, s’approchant toujours un peu plus du Royaume de Dieu.

Deuxièmement, notre espérance est synonyme d’étrangeté, de décalage. Dans un monde où les orientations de vie sont différentes, celui qui cherche le royaume de Dieu est bien souvent à contre-courant, étranger dans son propre pays, décalé dans ses valeurs, ses actes, son attitude, passant même parfois pour un insensé. Il ne faut pas chercher la différence pour la différence, et Jésus comme Paul invitent à ne pas scandaliser nos contemporains par une attitude choquante. Cela étant, si nous sommes orientés vers le royaume de Dieu, notre vie sera forcément différente, forcément décalée. Ce décalage est inconfortable : il signifie que nous ne sommes pas chez nous ici – ou ailleurs – tant que le christ n’est pas revenu. Il signifie que nous serons forcément frustrés par notre situation, que nous serons en butte à l’incompréhension voire au mépris de ceux qui nous entourent. C’est pour cette raison que l’épître aux hébreux encourage particulièrement à la persévérance : ces difficultés, nos prédécesseurs dans la foi les ont supportées en contemplant les promesses de Dieu. L’étrangeté, la frustration, les souffrances d’aujourd’hui sont éclipsés par la richesse et la splendeur incomparables de ce que Dieu a prévu pour l’éternité.

Conclusion

Les croyants de l’AT ne sont pas parfaits, ce ne sont pas des héros : ils avaient nos faiblesses, nos craintes, notre incrédulité, mais ils connaissaient le Dieu vivant, et ils ont choisi de le suivre coûte que coûte. Ils ne sont pas meilleurs que nous, juste des exemples de ce que produit la relation avec Dieu : une confiance radicale qui s’exprime par une obéissance un peu folle, une espérance ardente qui donne un nouveau sens à notre vie, qui attend l’accomplissement des promesses de Dieu.

Malgré les doutes, les questions, la solitude, malgré la peur et l’inquiétude, les croyants tiennent bon en s’accrochant à Dieu, en le suivant sur cette voie étroite de l’obéissance et de la persévérance. Seulement, nous avons un avantage de taille par rapport à Abraham et aux autres croyants de l’AT : Dieu a déjà réalisé une promesse, celle d’envoyer un sauveur pour les hommes qu’il aime. Ce sauveur est pour nous la preuve de l’amour de Dieu, la preuve que rien n’est impossible au Dieu tout-puissant, la preuve que ses promesses ne sont pas des paroles en l’air mais des certitudes bien plus sûres que tout ce que nous connaissons. Alors faisons nôtre le chemin de foi d’Abraham : suivons notre Dieu avec confiance, marchons vers lui avec persévérance, sans nous laisser détourner ou décourager, en puisant notre force dans tout ce que Dieu a fait pour nous.

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