La Vérité vous rendra libres (Jean 8.30-50)

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Je vous invite ce matin à méditer le texte du jour, dans l’évangile de Jean. Dans ce texte, Jésus dialogue avec des compatriotes récemment convertis, des Juifs qui croient depuis peu que Jésus est le Messie attendu par Israël. En poursuivant son enseignement, Jésus suscite comme à son habitude de vives réactions, et le dialogue qui s’ensuit vient questionner leur conception de la foi.

Lecture

En quelques minutes, les auditeurs de Jésus passent du camp des croyants au camp des adversaires, ennemis, haineux : « tu as un démon, finissent-ils par lui dire ! Tu es comme les samaritains, ce peuple avec qui nous cohabitons mais que nous détestons presque plus que les Romains ! » Jésus n’est pas en reste : on pourrait presque dire que c’est lui qui a commencé. Il débute son discours en traitant ses interlocuteurs comme des disciples en devenir, et finit par leur dire qu’ils n’ont rien compris et qu’ils sont fils du diable. Au lieu d’accepter aimablement ses nouvelles recrues, il les provoque et les insulte, au point de récolter rien moins que leur agressivité. Dans la conclusion de ce dialogue, Jésus prouve que la foi de ces croyants est bancale et qu’ils ne sont pas dans la bonne disposition pour recevoir de Jésus le salut. A travers cette discussion, Jésus livre des pistes qui restent actuelles pour réfléchir aux implications de la foi.

1)Une foi à approfondir

Tout d’abord, ce qui ressort de cette discussion, c’est une caractéristique de la foi : une foi authentique s’approfondit. Autrement dit, on ne devient pas disciple du Christ en un instant. Les interlocuteurs de Jésus sont d’abord décrits comme des Juifs qui l’ont cru lorsqu’il s’est présenté comme la lumière du monde, qui reçoit la pleine faveur de Dieu parce qu’il met pleinement en pratique la volonté de Dieu. A priori, on pourrait dire de ces gens qu’ils sont convertis, qu’ils ont compris que Jésus est le Messie, et que leur foi va changer leur vie.

Trouver qui est le Messie, c’est la grande question à l’époque de Jésus, puisque toute la spiritualité juive est remplie de cette attente, de cette espérance que Dieu va sauver son peuple en envoyant le Messie, l’homme validé par Dieu pour parler en son nom, pour agir avec sa puissance, et délivrer son peuple. Cette attente du Messie, ça fait des siècles et des siècles qu’elle dure et qu’elle nourrit la foi des Juifs. Vous imaginez bien que, pour un Juif héritier de cette attente séculaire, rencontrer celui qui se présente comme l’envoyé de Dieu, le libérateur, c’est comme trouver le jackpot, comme trouver un trésor qui change la donne.

Du coup, quand l’évangéliste dit de ces Juifs qu’ils croient, on s’attend à ce qu’ils regorgent d’enthousiasme, de joie, d’espérance, face à cet accomplissement de la promesse de Dieu. Sauf qu’on se rend rapidement compte que la foi de ces Juifs n’a pas l’ampleur imaginée, et qu’à la première remarque-demande-promesse de Jésus, ils se rebiffent. Reprenons cette parole de Jésus qui les vexe au point de les renvoyer loin du Christ : « Si vous restez fidèles à mes paroles, vous serez vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres ». Les interlocuteurs de Jésus perçoivent derrière cet enseignement et cette promesse des insinuations qui leur déplaisent fortement. 1) ils ne sont pas encore ses disciples et leur foi actuelle n’est pas suffisante ; 2) ils sont encore dans l’ignorance de la vérité et ont besoin d’être libérés.

Les Juifs qui viennent de reconnaître en Jésus le Messie ne sont pas encore ses disciples. Aux yeux de Jésus, leur foi est comme une plante qui a germé mais dont on ne sait si elle va vraiment se développer. J’ai expérimenté ça il y a peu : on nous a offert un citronnier, et j’ai observé avec beaucoup d’attention les petits fruits qui émergeaient des fleurs. Ils ont commencé à grandir, mais, à cause de l’été pluvieux, mes petits fruits ont pourri avant de faire la taille de mon ongle. J’ai dû les enlever, mais maintenant j’en ai un qui a dépassé la taille critique et dont je suis à peu près sûre qu’il va devenir un citron. Pour être disciple de Jésus, c’est-à-dire avoir une foi authentique, forte, stable, il faut la développer. Admettre que Jésus est le sauveur, ce n’est pas l’aboutissement d’un processus, mais un commencement, une ouverture. La foi ne nous installe pas au coin du feu, mais elle nous place sur un chemin sur lequel nous sommes appelés à avancer.

Comment avancer ? Comment développer cette foi naissante pour qu’elle nous attache solidement à Dieu et nous conduise au salut ? En s’appropriant les paroles de Jésus. Dans ces paroles, la vérité de Dieu se révèle et transforme notre manière de voir, notre manière de vivre. Dans ces paroles, nous découvrons peu à peu le caractère de Dieu, sa volonté, ses projets, et quel regard il porte sur nous. En ce sens, la parole de Jésus est la lumière de Dieu qui nous éclaire : elle nous révèle la vérité de ce monde et nous éclaire sur notre route pour que nous cheminions vers le salut. Savoir ne suffit pas, rester à l’entrée du chemin ne suffit pas, mais ces paroles, ces connaissances doivent être appropriées, digérées, appliquées, traduites en actes en paroles et en pensées.

2)Vérité et esclavage

Les interlocuteurs de Jésus, nous l’avons vu, sont vexés. Vexés de ne pas être considérés comme de vrais croyants, mais surtout vexés de s’entendre dire qu’ils doivent écouter Jésus pour connaître la vérité et ainsi devenir libres. Pour des gens issus du peuple élu, descendants du grand patriarche Abraham, ami de Dieu, héritiers de promesses faramineuses, pour des gens comme ça, être traités d’ignorants et d’esclaves, c’est une grave insulte. Ils ne sont pas comme ces païens, asservis aux idoles de pierre et de bois, gouvernés par de fausses valeurs, esclaves de motivations indignes, puisqu’ils sont juifs, enfants de Dieu depuis Abraham. Pourtant, Jésus les confronte à une dure réalité : ils ne sont pas mieux que les autres, parce que comme tous les autres, leur vie est corrompue par le mal et ils ont péché. Dans cette accusation, Jésus rappelle que le véritable esclavage, la véritable ignorance dépasse les errances grossières et évidentes, mais qu’il peut se faufiler sournoisement derrière la plus belle apparence de piété. Personne n’est à l’abri du péché – le péché, c’est l’influence du mal dans ma vie, c’est le fait de céder à la fascination du mal.

Dit d’une autre manière, personne ne peut se targuer d’être libre moralement. Parce qu’à partir du moment où j’ai péché, où j’ai mis le doigt dans l’engrenage, cet engrenage s’emballe. Dès le moment où j’ouvre la porte au mal, il entre, il s’installe et il se répand sans me laisser la possibilité de le déloger. Il y a au moins deux raisons à cela. La première, c’est que mes actes laissent une empreinte sur moi, ils créent une disposition, ils m’orientent d’une certaine manière. Dès que j’ai commencé à faire le mal, le mal est devenu le mode par défaut de ma vie – pas besoin d’ailleurs que ce mal soit spectaculaire : simplement le mensonge, l’orgueil, la colère, la jalousie, l’indifférence,… La deuxième raison, c’est que le mal et le bien ne sont pas des forces neutres, impersonnelles, des réseaux de valeur ou d’action. Derrière notre notion de bien, il y a un Dieu bon qui incarne toutes les valeurs de vie, de justice, de vérité, de paix, d’amour, de sainteté, etc. De même, derrière notre notion du mal, il y a une créature rebelle, qui s’est détournée de Dieu de manière si radicale qu’il n’y a plus de place en elle pour la vérité ou le bien : la noirceur a tout envahi, et ses chemins que destruction et corruption. Dès que nous avons péché, dès que nous avons choisi le mal, nous sommes devenus esclaves de celui qui ne vit que par le mal, qui ne répand que mensonges et destruction sur son passage. C’est cet esclavage que démasque Jésus : ses interlocuteurs se croient libres, bien portants, sains (avec ou sans t), alors qu’en réalité, leur vie est corrompue et ils sont esclaves du péché, marchant sur des chemins de mort, privés du salut.

Cet esclavage les rend aveugles à la vérité. Leur foi naissante les amène cependant à un carrefour, elle les rapproche du Christ et les met devant un choix, qui se révèle crucial pour leur chemin ultérieur. Ce carrefour, pour les juifs à qui parle Jésus, c’est l’alternative entre leur tradition rassurante, leur piété reconnue, leur conviction d’être justes – tout cela de manière illusoire parce leur justice et leur piété sont torpillées par le péché – l’alternative donc entre l’impression rassurante d’être des gens bien, et l’invitation de Jésus à admettre leur noirceur pour en être libérés.

Autrement dit, le choix qui se dresse devant eux, c’est quelle place ils vont laisser à Jésus dans leur vie. Soit ils acceptent que Jésus les confronte à ce qu’ils sont vraiment dans le but de les libérer, soit ils reculent, refusant de le laisser les transformer. Jésus est très clair : sont disciples ceux qui laissent la voie libre au christ, ceux qui acceptent de tout entendre (même si ça fait mal, même si les transformations ne sont pas immédiates, mais ils écoutent). Les juifs de notre texte sont sur la défensive, ils ne sont pas prêts à se remettre en question, mais au contraire, ils préfèrent rejeter ce Messie dont les promesses de salut les bousculent et retournent à leurs illusions rassurantes mais mortelles.

3)Reconnaître le Dieu qui libère

Le nœud du problème, c’est la nature de la vérité qui nous libère du mal et nous conduit au salut. Dans l’antiquité, la vérité est libératrice. Chez Socrate, par exemple, on trouve l’idée que l’homme ne fait le mal que lorsqu’il ignore la vérité et ne sait pas ce qui est bien, le fameux « nul n’est méchant volontairement ». Chez d’autres philosophes, et même dans des courants spirituels contre lesquels les apôtres devront se battre, on trouve l’idée que la connaissance intellectuelle nous libère de la peur, dédramatise les situations difficiles et nous transporte vers la sérénité. Savoir, c’est être libre.

Quand Jésus dit : vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres, il s’inscrit en faux par rapport à ces théories. En effet, dans la Bible, comme nous l’avons déjà vu, la vérité n’est pas une notion abstraite, un ensemble d’idées parfaites, ou une connaissance parfaitement objective. Non, la vérité, dans la Bible, c’est une personne, c’est Dieu. Elle n’est pas désincarnée, mais elle est personnelle. Jésus l’affirme d’ailleurs un peu plus tard : je suis la vérité, le chemin et la vie. La vérité n’existe pas à côté ou en dehors de Dieu, mais elle naît de sa personne.

Du coup, ce qui nous libère, c’est moins l’apprentissage de notions qui nous étaient inconnus que l’approfondissement de notre relation avec Dieu qui est la vérité. Dans notre texte, cette ambiguïté est dissipée lorsque Jésus rappelle que c’est bien le Fils héritier dans la maison qui affranchit les esclaves. Notre libération du mal ne passe pas seulement par des prises de conscience ou des rééducations : c’est Dieu le fils lui-même, l’envoyé qui agit parfaitement, au nom du père, pour le père, qui est totalement dépourvu de mensonge, de fausseté, de vanité, c’est lui qui nous libère. Et c’est en le connaissant lui, en lui laissant toujours dans notre vie, que nos chaînes se brisent.

Comment est-ce possible ? Jésus, parfaitement juste, parfaitement bon, a pris sur lui à la croix toute notre culpabilité et a épuisé le mal qui nous envahit. Il a subi toute la force de notre châtiment, il a comme plongé au cœur du mal, et il en est remonté, il est ressuscité, il a triomphé de ce qui nous tenait en esclavage. par la foi, nous nous tournons vers le Christ, nous lui demandons, à lui le fils de Dieu, de nous libérer, de triompher dans notre vie des esclavages qui nous écrasent. plus nous le fréquentons, plus nous nous tournons vers lui, plus nous marchons à sa suite, plus le mal perd son emprise et nous relâche pour vivre pleinement avec Dieu, pour être sauvés, debout, libérés.

Ne soyons pas de ceux qui se ferment à la parole du christ, ne nous terrons pas dans l’aveuglement rassurant, mais ouvrons grand les portes au Dieu vivant, laissons Jésus Christ nous transformer, nous libérer, nous sauver, chaque jour un peu plus, jusqu’au jour où le mal aura totalement disparu, parce que Jésus Christ est déjà vainqueur. amen

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