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Les seconds rôles (I) : Caïn et Abel (Gn 4.1-16)

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Je vous propose de consacrer ces prochaines semaines à quelques personnes de l’Ancien Testament, plus ou moins connus, dont le point commun est de se tenir dans l’ombre d’un autre. cC sont des seconds rôles, des personnes éclipsées, évincées, cachées, dont pourtant la Bible nous rapporte l’histoire. Chacun à sa manière a été en relation avec Dieu, et leur histoire nous révèle la présence et l’identité du Seigneur dans des situations difficiles.

J’aimerais commencer cette petite série avec celui qui est sûrement le mieux connu de ceux que j’ai choisis : Caïn, éclipsé par son frère Abel. Avant d’en dire plus, je vous invite à suivre la lecture dans le livre de la Genèse, ch. 4, v.1-16.

Lecture

Ce texte porte de nombreuses énigmes : l’histoire de Caïn et Abel appartient aux débuts de l’humanité, toujours délicats à appréhender, et il y a plusieurs questions que je laisserai pour d’autres moments. J’aimerais ce matin me concentrer sur la personne de Caïn et sur sa relation avec Dieu.

Caïn est peut-être le second rôle dont la place est la moins évidente. C’est l’aîné, le premier fils d’Adam et Eve, a priori il a le premier rôle, devant son frère cadet, Abel. L’aîné est l’héritier en chef, le premier des enfants, celui vers qui on se tourne, celui qui s’attend aussi à avoir la première place. Pourtant, lors d’un culte où les deux frères apportent leur offrande à Dieu, Dieu accepte l’offrande d’Abel et refuse l’offrande de Caïn. Caïn manifestement se sent reléguer au second plan, et fou de jalousie, assassine son frère à la première occasion. Le texte présente une sorte de paradoxe : Dieu approuve le sacrifice d’Abel, mais on ne parle quasiment que de Caïn.

1)   Un choix perturbant… la liberté de Dieu

Tout commence avec un choix qui ne suit pas l’étiquette : Dieu agrée l’offrande d’Abel et rejette celle de Caïn. Ce choix est aberrant d’un point de vue social : Caïn est celui qui a apporté son offrande en premier, et c’est lui l’aîné, l’héritier, celui qui transmet la lignée de son père.

Ce choix n’est pas plus simple à comprendre si on se place d’un point de vue religieux. A priori, les deux offrandes se valent : autant le fruit des récoltes que les bêtes du troupeau. Ces offrandes sont liées au métier de celui qui les offre, et il semble qu’elles soient toutes les deux le meilleur de ce que chacun a produit. Dieu n’a encore donné aucun commandement qui permettrait de préférer tel ou tel sacrifice, et les deux types d’offrande (végétale et animale) sont demandés dans la Loi que Dieu donnera à son peuple.

En plus, ce choix est radical : c’est oui ou c’est non. Dieu n’essaie pas d’épargner les sentiments de Caïn : ce n’est même pas une préférence qui s’exprime, mais un oui ou un non, sans nuances. La radicalité de ce choix ressort d’autant plus qu’on ne le comprend pas.

Rien dans le texte ne laisse présager du refus de Dieu devant l’offrande de Caïn, et rien ne l’explique. Quand on voit les suites tragiques de ce choix : la jalousie de Caïn et sa folie meurtrière, on s’attendrait quand même à ce que la Bible donne des raisons ou au moins des indices pour comprendre ce choix qui a tout fait basculer. Cependant, à aucun moment Dieu ne s’explique ou ne se justifie. Quand il approche Caïn, c’est pour lui donner des conseils, pas des explications.

Que faire avec ce choix apparemment injuste ? avec ces silences ? Respecter ce silence. Il me semble que certains silences bibliques ne sont pas faits pour être comblés de nos explications maladroites. On serait tentés de broder, d’extrapoler, de justifier, dans le but de nous dire que Dieu n’est pas injuste, arbitraire, imprévisible. Seulement,  Dieu ne se justifie pas – comme c’est souvent le cas dans notre propre vie : pourquoi Dieu a-t-il permis que l’un vive et l’autre meure ? Pourquoi permet-il que l’un réussisse et que l’autre échoue ? Pourquoi certains semblent-ils tout avoir pour eux, et d’autres lutter pour survivre ? Ni devant Caïn ni devant nous Dieu ne se justifie. Il est juste, sage, et bon, mais il n’a pas de compte à nous rendre pour le détail de ses choix. Nous voyons là l’effrayante liberté de Dieu, cette liberté d’accepter ou de refuser, de faire passer les ouvriers de la 11e heure devant et les aînés derrière, de bousculer les ordres sociaux, de renverser les protocoles, parce que rien ne peut dicter ses choix. Dieu n’est l’esclave de personne, pas même de la logique, mais il est le Maître qui prend toute décision avec pleine liberté, dans une sagesse et une justice qui nous dépassent.

2)   L’engrenage du péché : du point de vue de Caïn

Caïn, lui, a du mal à accepter cette décision. L’impression que son frère l’a évincé, l’a fait passer au second plan, le remplit de jalousie et de tristesse. il est vexé, abattu, déprimé. Ce qui est remarquable, c’est que, alors même que Dieu a préféré l’offrande d’Abel, il se tourne vers Caïn pour l’encourager et lui donner des conseils. « Pourquoi es-tu fâché ? Pourquoi fais-tu la tête ? Ce n’est pas fini, si tu réagis bien, tu peux te relever. Il y a une marge de progrès. Toutefois, si tu réagis mal et que tu cèdes à ta jalousie, à cet engrenage d’amertume et de ressentiment, le péché l’emportera. » Pour Caïn aussi, c’est le moment du choix : céder ou non à la jalousie. La Bible nous révèle que nous sommes acteurs de notre vie, même si nous ne choisissons ce qui nous arrive. Nous sommes maîtres de nos réactions, de nos décisions, et aussi de nos sentiments. C’est d’ailleurs ce que suggère le commandement d’aimer – que l’amour est aussi un acte de volonté. Nous ne sommes pas victimes des tempêtes extérieures ou intérieures : Dieu avertit Caïn face à la jalousie et ses conséquences, l’appelant à faire un choix, de même que nous sommes appelés à ôter les racines du péché dans notre vie et à cultiver des attitudes bienfaisantes.

Caïn est très intéressant, parce qu’il nous montre comment on s’endurcit contre Dieu, en se fermant à sa parole pour laisser croître les fruits morbides de notre colère, de notre avidité, de notre orgueil… Caïn était loin d’être obligé de tuer son frère, et il nous donne l’exemple tragique d’un homme qui s’est laissé emporter par son péché, allant de la convoitise à la haine, et de la haine au meurtre.

L’histoire de Caïn, c’est l’histoire d’un engrenage : l’engrenage du péché dans le cœur de l’homme, qui le conduit sur des chemins de mort. Caïn se révèle dans toute son obstination butée : quand Dieu le console la première fois, il se mure dans le silence avant d’assassiner son frère avec rage. Après le crime, quand Dieu s’approche de lui et lui tend une perche : « où est ton frère », Caïn se met à mentir et à parler agressivement à Dieu : « suis-je le gardien de mon frère ?? » autrement dit : « qu’est-ce que j’en ai à faire ? » Quand Dieu le replace devant son crime, devant les conséquences du meurtre de son propre frère, et qu’il lui énonce le châtiment décidé, Caïn a encore l’audace de se plaindre et de réclamer la clémence de Dieu : « mais c’est trop dur ! je risque de mourir ! » – dit l’assassin !

Même après l’acte, Caïn ne montre ni remords, ni culpabilité, ni même un semblant d’humilité devant Dieu après ce qu’il a fait. Enfermé dans son égoïsme, dans sa haine, dans son orgueil, il conteste Dieu et l’accuse à moitié de le mettre en danger de mort – alors que le châtiment de Dieu paraît clément face à une condamnation à mort par exemple. Caïn a un petit côté immature tout à fait exaspérant, tapant du pied et du point quand ça ne va pas comme il veut.

Avec Caïn, nous sommes face à une des personnes bibliques les moins aimables : immature, violent, colérique, impénitent… En même temps, il reflète avec une précision déconcertante les effets du péché dans notre cœur : haine, mensonge, repli sur soi et rejet des autres, rejet de Dieu, orgueil… Il démontre comment une simple vexation peut nous conduire au drame.

3)   La fidélité de Dieu

Que fait Dieu avec un tel homme ? Loin de le disqualifier, il l’encourage à remonter la pente, à progresser ; il lui témoigne de son attention et de sa sollicitude. Caïn n’a pas vu son offrande acceptée, mais ça ne veut pas dire que Dieu l’aime moins qu’Abel ou lui accorde moins de valeur. Dès le culte terminé, il rejoint Caïn pour le réconforter, et c’est Caïn qui semble monopoliser l’attention de Dieu, pas Abel.

A quatre reprises, Dieu s’adresse à Caïn : d’abord pour lui remonter le moral. Après le meurtre, il lui donne une chance de se repentir et d’avouer son crime. Lorsque Caïn s’obstine, il le punit, mais pas avec la peine capitale. Enfin, quand Caïn a l’audace de négocier sa peine, Dieu fait preuve d’indulgence et le place sous sa protection. Malgré les refus de Caïn, malgré sa culpabilité, malgré son aveuglement, Dieu continue de se tourner vers lui, il continue de lui offrir sa grâce. Même après l’avoir rejeté de sa présence, il prend pitié de Caïn et le protège. Cette compassion est gratuite, sans fondement : alors que Caïn ne cesse de tourner le dos à Dieu, Dieu ne cesse de lui tendre la main.

Je trouve que cette situation illustre bien cette phrase de l’apôtre Paul : là où le péché abonde, la grâce surabonde. Même dans cette situation désespérée, Dieu fait grâce, il laisse une issue, une promesse, une bénédiction. Il me semble que l’histoire de Caïn montre la relation tragique entre un homme au cœur fermé et un Dieu qui tend la main. Dieu ne cesse d’offrir une nouvelle chance, la possibilité de faire demi-tour, de demander pardon, de recommencer autrement. Ce n’est pas lui qui se détourne, c’est l’homme. Même dans l’application de sa justice, Dieu laisse une possibilité de clémence, que l’on saisit ou pas.

Cette histoire nous replace devant ce Dieu extraordinaire, qui non seulement aime et s’approche des petits, des faibles, de ceux qui échouent et qui souffrent, mais qui s’approche aussi des brutes, des tyrans, de ceux qui calment leur peine en écrasant les autres. Ce Dieu extraordinaire qui s’approche de ceux qui l’acceptent et de ceux qui le refusent, qui tend la main sans distinction, sans condition, à tous, tout le temps, offrant sans cesse une chance de se laisser relever et restaurer.

Conclusion

L’histoire de Caïn nous rappelle que notre vie nous échappe, que nous ne maîtrisons pas nos réussites ou nos échecs, et que de notre point de vue, tel ou tel événement est aléatoire. Cette affirmation que nous sommes soumis à la volonté de Dieu, dans ses mystères et ses silences, s’accompagne d’une affirmation plus forte, plus prégnante, que ce Dieu qui est notre maître est aussi notre père, plein d’un amour sans limites. Ce Dieu ne nous laisse pas errer dans les jungles de la vie, mais il propose de marcher avec nous, de nous conduire, de nous accompagner, de nous donner les forces et les ressources pour suivre le chemin de la vie. Là où Caïn a choisi de persister sur un chemin de mort, nous avons le choix, à chaque carrefour, à chaque instant, de nous ouvrir à la présence de Dieu, d’accepter son amour et sa grâce, de saisir cette main tendue, la possibilité de vivre vraiment, de se dégager des fardeaux et des poids pour marcher debout, vraiment libres, vraiment vivants, avec le Seigneur.

La Vérité vous rendra libres (Jean 8.30-50)

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Je vous invite ce matin à méditer le texte du jour, dans l’évangile de Jean. Dans ce texte, Jésus dialogue avec des compatriotes récemment convertis, des Juifs qui croient depuis peu que Jésus est le Messie attendu par Israël. En poursuivant son enseignement, Jésus suscite comme à son habitude de vives réactions, et le dialogue qui s’ensuit vient questionner leur conception de la foi.

Lecture

En quelques minutes, les auditeurs de Jésus passent du camp des croyants au camp des adversaires, ennemis, haineux : « tu as un démon, finissent-ils par lui dire ! Tu es comme les samaritains, ce peuple avec qui nous cohabitons mais que nous détestons presque plus que les Romains ! » Jésus n’est pas en reste : on pourrait presque dire que c’est lui qui a commencé. Il débute son discours en traitant ses interlocuteurs comme des disciples en devenir, et finit par leur dire qu’ils n’ont rien compris et qu’ils sont fils du diable. Au lieu d’accepter aimablement ses nouvelles recrues, il les provoque et les insulte, au point de récolter rien moins que leur agressivité. Dans la conclusion de ce dialogue, Jésus prouve que la foi de ces croyants est bancale et qu’ils ne sont pas dans la bonne disposition pour recevoir de Jésus le salut. A travers cette discussion, Jésus livre des pistes qui restent actuelles pour réfléchir aux implications de la foi.

1)Une foi à approfondir

Tout d’abord, ce qui ressort de cette discussion, c’est une caractéristique de la foi : une foi authentique s’approfondit. Autrement dit, on ne devient pas disciple du Christ en un instant. Les interlocuteurs de Jésus sont d’abord décrits comme des Juifs qui l’ont cru lorsqu’il s’est présenté comme la lumière du monde, qui reçoit la pleine faveur de Dieu parce qu’il met pleinement en pratique la volonté de Dieu. A priori, on pourrait dire de ces gens qu’ils sont convertis, qu’ils ont compris que Jésus est le Messie, et que leur foi va changer leur vie.

Trouver qui est le Messie, c’est la grande question à l’époque de Jésus, puisque toute la spiritualité juive est remplie de cette attente, de cette espérance que Dieu va sauver son peuple en envoyant le Messie, l’homme validé par Dieu pour parler en son nom, pour agir avec sa puissance, et délivrer son peuple. Cette attente du Messie, ça fait des siècles et des siècles qu’elle dure et qu’elle nourrit la foi des Juifs. Vous imaginez bien que, pour un Juif héritier de cette attente séculaire, rencontrer celui qui se présente comme l’envoyé de Dieu, le libérateur, c’est comme trouver le jackpot, comme trouver un trésor qui change la donne.

Du coup, quand l’évangéliste dit de ces Juifs qu’ils croient, on s’attend à ce qu’ils regorgent d’enthousiasme, de joie, d’espérance, face à cet accomplissement de la promesse de Dieu. Sauf qu’on se rend rapidement compte que la foi de ces Juifs n’a pas l’ampleur imaginée, et qu’à la première remarque-demande-promesse de Jésus, ils se rebiffent. Reprenons cette parole de Jésus qui les vexe au point de les renvoyer loin du Christ : « Si vous restez fidèles à mes paroles, vous serez vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres ». Les interlocuteurs de Jésus perçoivent derrière cet enseignement et cette promesse des insinuations qui leur déplaisent fortement. 1) ils ne sont pas encore ses disciples et leur foi actuelle n’est pas suffisante ; 2) ils sont encore dans l’ignorance de la vérité et ont besoin d’être libérés.

Les Juifs qui viennent de reconnaître en Jésus le Messie ne sont pas encore ses disciples. Aux yeux de Jésus, leur foi est comme une plante qui a germé mais dont on ne sait si elle va vraiment se développer. J’ai expérimenté ça il y a peu : on nous a offert un citronnier, et j’ai observé avec beaucoup d’attention les petits fruits qui émergeaient des fleurs. Ils ont commencé à grandir, mais, à cause de l’été pluvieux, mes petits fruits ont pourri avant de faire la taille de mon ongle. J’ai dû les enlever, mais maintenant j’en ai un qui a dépassé la taille critique et dont je suis à peu près sûre qu’il va devenir un citron. Pour être disciple de Jésus, c’est-à-dire avoir une foi authentique, forte, stable, il faut la développer. Admettre que Jésus est le sauveur, ce n’est pas l’aboutissement d’un processus, mais un commencement, une ouverture. La foi ne nous installe pas au coin du feu, mais elle nous place sur un chemin sur lequel nous sommes appelés à avancer.

Comment avancer ? Comment développer cette foi naissante pour qu’elle nous attache solidement à Dieu et nous conduise au salut ? En s’appropriant les paroles de Jésus. Dans ces paroles, la vérité de Dieu se révèle et transforme notre manière de voir, notre manière de vivre. Dans ces paroles, nous découvrons peu à peu le caractère de Dieu, sa volonté, ses projets, et quel regard il porte sur nous. En ce sens, la parole de Jésus est la lumière de Dieu qui nous éclaire : elle nous révèle la vérité de ce monde et nous éclaire sur notre route pour que nous cheminions vers le salut. Savoir ne suffit pas, rester à l’entrée du chemin ne suffit pas, mais ces paroles, ces connaissances doivent être appropriées, digérées, appliquées, traduites en actes en paroles et en pensées.

2)Vérité et esclavage

Les interlocuteurs de Jésus, nous l’avons vu, sont vexés. Vexés de ne pas être considérés comme de vrais croyants, mais surtout vexés de s’entendre dire qu’ils doivent écouter Jésus pour connaître la vérité et ainsi devenir libres. Pour des gens issus du peuple élu, descendants du grand patriarche Abraham, ami de Dieu, héritiers de promesses faramineuses, pour des gens comme ça, être traités d’ignorants et d’esclaves, c’est une grave insulte. Ils ne sont pas comme ces païens, asservis aux idoles de pierre et de bois, gouvernés par de fausses valeurs, esclaves de motivations indignes, puisqu’ils sont juifs, enfants de Dieu depuis Abraham. Pourtant, Jésus les confronte à une dure réalité : ils ne sont pas mieux que les autres, parce que comme tous les autres, leur vie est corrompue par le mal et ils ont péché. Dans cette accusation, Jésus rappelle que le véritable esclavage, la véritable ignorance dépasse les errances grossières et évidentes, mais qu’il peut se faufiler sournoisement derrière la plus belle apparence de piété. Personne n’est à l’abri du péché – le péché, c’est l’influence du mal dans ma vie, c’est le fait de céder à la fascination du mal.

Dit d’une autre manière, personne ne peut se targuer d’être libre moralement. Parce qu’à partir du moment où j’ai péché, où j’ai mis le doigt dans l’engrenage, cet engrenage s’emballe. Dès le moment où j’ouvre la porte au mal, il entre, il s’installe et il se répand sans me laisser la possibilité de le déloger. Il y a au moins deux raisons à cela. La première, c’est que mes actes laissent une empreinte sur moi, ils créent une disposition, ils m’orientent d’une certaine manière. Dès que j’ai commencé à faire le mal, le mal est devenu le mode par défaut de ma vie – pas besoin d’ailleurs que ce mal soit spectaculaire : simplement le mensonge, l’orgueil, la colère, la jalousie, l’indifférence,… La deuxième raison, c’est que le mal et le bien ne sont pas des forces neutres, impersonnelles, des réseaux de valeur ou d’action. Derrière notre notion de bien, il y a un Dieu bon qui incarne toutes les valeurs de vie, de justice, de vérité, de paix, d’amour, de sainteté, etc. De même, derrière notre notion du mal, il y a une créature rebelle, qui s’est détournée de Dieu de manière si radicale qu’il n’y a plus de place en elle pour la vérité ou le bien : la noirceur a tout envahi, et ses chemins que destruction et corruption. Dès que nous avons péché, dès que nous avons choisi le mal, nous sommes devenus esclaves de celui qui ne vit que par le mal, qui ne répand que mensonges et destruction sur son passage. C’est cet esclavage que démasque Jésus : ses interlocuteurs se croient libres, bien portants, sains (avec ou sans t), alors qu’en réalité, leur vie est corrompue et ils sont esclaves du péché, marchant sur des chemins de mort, privés du salut.

Cet esclavage les rend aveugles à la vérité. Leur foi naissante les amène cependant à un carrefour, elle les rapproche du Christ et les met devant un choix, qui se révèle crucial pour leur chemin ultérieur. Ce carrefour, pour les juifs à qui parle Jésus, c’est l’alternative entre leur tradition rassurante, leur piété reconnue, leur conviction d’être justes – tout cela de manière illusoire parce leur justice et leur piété sont torpillées par le péché – l’alternative donc entre l’impression rassurante d’être des gens bien, et l’invitation de Jésus à admettre leur noirceur pour en être libérés.

Autrement dit, le choix qui se dresse devant eux, c’est quelle place ils vont laisser à Jésus dans leur vie. Soit ils acceptent que Jésus les confronte à ce qu’ils sont vraiment dans le but de les libérer, soit ils reculent, refusant de le laisser les transformer. Jésus est très clair : sont disciples ceux qui laissent la voie libre au christ, ceux qui acceptent de tout entendre (même si ça fait mal, même si les transformations ne sont pas immédiates, mais ils écoutent). Les juifs de notre texte sont sur la défensive, ils ne sont pas prêts à se remettre en question, mais au contraire, ils préfèrent rejeter ce Messie dont les promesses de salut les bousculent et retournent à leurs illusions rassurantes mais mortelles.

3)Reconnaître le Dieu qui libère

Le nœud du problème, c’est la nature de la vérité qui nous libère du mal et nous conduit au salut. Dans l’antiquité, la vérité est libératrice. Chez Socrate, par exemple, on trouve l’idée que l’homme ne fait le mal que lorsqu’il ignore la vérité et ne sait pas ce qui est bien, le fameux « nul n’est méchant volontairement ». Chez d’autres philosophes, et même dans des courants spirituels contre lesquels les apôtres devront se battre, on trouve l’idée que la connaissance intellectuelle nous libère de la peur, dédramatise les situations difficiles et nous transporte vers la sérénité. Savoir, c’est être libre.

Quand Jésus dit : vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres, il s’inscrit en faux par rapport à ces théories. En effet, dans la Bible, comme nous l’avons déjà vu, la vérité n’est pas une notion abstraite, un ensemble d’idées parfaites, ou une connaissance parfaitement objective. Non, la vérité, dans la Bible, c’est une personne, c’est Dieu. Elle n’est pas désincarnée, mais elle est personnelle. Jésus l’affirme d’ailleurs un peu plus tard : je suis la vérité, le chemin et la vie. La vérité n’existe pas à côté ou en dehors de Dieu, mais elle naît de sa personne.

Du coup, ce qui nous libère, c’est moins l’apprentissage de notions qui nous étaient inconnus que l’approfondissement de notre relation avec Dieu qui est la vérité. Dans notre texte, cette ambiguïté est dissipée lorsque Jésus rappelle que c’est bien le Fils héritier dans la maison qui affranchit les esclaves. Notre libération du mal ne passe pas seulement par des prises de conscience ou des rééducations : c’est Dieu le fils lui-même, l’envoyé qui agit parfaitement, au nom du père, pour le père, qui est totalement dépourvu de mensonge, de fausseté, de vanité, c’est lui qui nous libère. Et c’est en le connaissant lui, en lui laissant toujours dans notre vie, que nos chaînes se brisent.

Comment est-ce possible ? Jésus, parfaitement juste, parfaitement bon, a pris sur lui à la croix toute notre culpabilité et a épuisé le mal qui nous envahit. Il a subi toute la force de notre châtiment, il a comme plongé au cœur du mal, et il en est remonté, il est ressuscité, il a triomphé de ce qui nous tenait en esclavage. par la foi, nous nous tournons vers le Christ, nous lui demandons, à lui le fils de Dieu, de nous libérer, de triompher dans notre vie des esclavages qui nous écrasent. plus nous le fréquentons, plus nous nous tournons vers lui, plus nous marchons à sa suite, plus le mal perd son emprise et nous relâche pour vivre pleinement avec Dieu, pour être sauvés, debout, libérés.

Ne soyons pas de ceux qui se ferment à la parole du christ, ne nous terrons pas dans l’aveuglement rassurant, mais ouvrons grand les portes au Dieu vivant, laissons Jésus Christ nous transformer, nous libérer, nous sauver, chaque jour un peu plus, jusqu’au jour où le mal aura totalement disparu, parce que Jésus Christ est déjà vainqueur. amen

Les vertus théologales (3) L’amour

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amourAprès la foi et l’espérance, voici, l’amour ! Enfin !

Un mot souvent galvaudé, enrobé de mièvrerie ou souillé par de sombres histoires. D’ailleurs dans certaines versions de la Bible, on a préféré traduire par « charité ». Un mot qui a, lui aussi, ses connotations pas forcément positives…

Mais la perspective biblique sur l’amour est bien plus large que le sentiment amoureux. L’amour, dans la Bible, concerne toutes nos relations. Et cela est bien exprimé par les deux commandements que Jésus cite comme étant les plus importants, et indissociables l’un de l’autre : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée. » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Pour percevoir cette large perspective, le mieux est encore de lire ce qui est sans doute un des plus beaux textes bibliques sur l’amour, et qui se termine par le verset qui est à l’origine de notre mini-série sur les trois vertus théologales : 1 Corinthiens 13. Un texte qu’on aurait bien tort de limiter aux seules cérémonies de mariage ! Un texte qu’on ferait bien aussi de ne pas réduire aux seuls versets 4-7, certes magnifiques. Il vaut même la peine de commencer la lecture avec le dernier verset du chapitre précédent.

Lecture biblique : 1 Corinthiens 12.31-13.13

Nous avons commencé la lecture avec le dernier verset du chapitre précédent parce qu’il donne le ton de la suite : « Mais maintenant, je vais vous montrer un chemin meilleur que les autres. ». La conclusion du chapitre répond à cette introduction : « Maintenant, trois choses sont toujours là : la foi, l’espérance et l’amour. Mais la plus grande des trois, c’est l’amour. » (v.13)

En quoi le chemin de l’amour est-il le meilleur ? En quoi l’amour est-il plus grand que la foi et l’espérance ?

Sans l’amour, la foi n’est que du blabla

Aux versets 1-3, Paul commence pas évoquer les pratiques spirituelles dont il a parlé au chapitre précédent. Et les exemples évoqués sont quand même impressionnants : parler la langue des hommes et la langue des anges ; parler au nom de Dieu, comprendre tous les mystères et posséder toute la connaissance ; avoir une foi assez grande pour déplacer les montagnes. Et il ajoute même des exemples de consécration étonnants : distribuer toutes ses richesses à ceux qui ont faim, livrer son corps au feu. Ce n’est quand même pas rien…

Mais toutes les manifestations de foi, même les plus spectaculaires, toutes les preuves de générosité et de consécration, ne valent rien s’il n’y a pas l’amour. Sans l’amour, la foi n’est rien de plus que du blabla, toute piété est sans valeur.

En réalité, l’amour est le sceau qui authentifie la foi et l’espérance. Une foi confessée sans amour est une contrefaçon. Si on prétend être animé d’une espérance sans être animé d’amour, on se trompe soi-même et on trompe les autres.
Le chemin de l’amour est non seulement le meilleur mais il est le seul valable, le seul que nous devions emprunter en tant que croyant. Les autres sont des impasses ou des chemins qui se perdent.

Un chemin difficile vers l’amour parfait

Nous en arrivons aux fameux versets 4-7 où Paul associe à l’amour différents qualificatifs. Il parle ici plus spécifiquement de l’amour envers le prochain. Quelle est la différence entre cette liste de qualificatifs et la liste d’exemples des premiers versets ? Ici, rien de spectaculaire : la patience, l’esprit de service, l’humilité, le pardon… Pourtant, que c’est difficile ! Surtout lorsque les qualificatifs ne sont pas pris séparément mais ensemble, comme un tout.

Qui oserait dire, en lisant ces verset : « C’est tout moi ! Voilà mon portrait craché ! » ?

On l’a dit, ces versets sont souvent lus lors des cérémonies de mariage. Et c’est évident qu’ils peuvent s’appliquer à la vie de couple. Mais pourquoi les y limiter ? Le commandement de Dieu concerne toutes nos relations : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! » Est-ce que ces versets qualifient vraiment la façon dont nous sommes en relation avec notre prochain ?

Est-ce que j’ai de telles relations avec mes frères et sœurs dans l’Église ? L’amour rend service… l’amour ne cherche pas son propre intérêt… l’amour ne se souvient pas du mal… l’amour supporte tout…

Est-ce que j’ai de telles relations avec ceux que je côtoie dans ma vie de tous les jours ?
L’amour est patient… l’amour n’est pas jaloux… l’amour ne se met pas en colère… l’amour espère tout…

Et n’oublions pas que Jésus a dit qu’il nous fallait aller jusqu’à aimer… nos ennemis ! Comme lui-même en a donné l’exemple. Jésus nous précède sur ce chemin de l’amour, il est notre modèle, notre guide vers l’amour parfait. Meilleur chemin, l’amour est sans doute aussi le plus difficile, le plus exigeant. Celui sur lequel on ne peut pas avancer sans l’aide de Dieu, sans la force de son Esprit.

L’amour est éternel

Enfin, l’amour est le plus grand parce que l’amour est éternel. Et ce n’est pas là une affirmation romantique à l’eau-de-rose… Comme le dit le verset 8, « l’amour ne disparaît jamais. » Alors que la foi et l’espérance, oui. La foi, l’espérance et l’amour nous relient à Dieu aujourd’hui. Mais la foi et l’espérance passeront. Pas l’amour. C’est ce qui, pour l’éternité, nous relie à Dieu.

Paul le souligne, notre vie de foi est partielle, incomplète, notre connaissance est limitée. Aujourd’hui, nous voyons avec les yeux de l’espérance, de façon imparfaite, comme dans un miroir. Dans l’Antiquité, les miroirs étaient faits de métal poli et n’offraient qu’un reflet flou et déformé. Lorsque notre espérance sera accomplie, dans la présence même de Dieu, nous n’auront plus besoin de croire ni d’espérer ce que nous verrons ! Mais l’amour demeurera. Il sera même plus fort que jamais.

Voilà pourquoi l’amour est le plus grand. Aimer, c’est déjà goûter un peu du fruit de notre espérance. C’est permettre à Dieu de corriger les imperfections de notre foi.

Conclusion

La foi, l’espérance et l’amour sont les vertus qui qualifient notre relation à Dieu aujourd’hui. Mais il n’en sera pas toujours ainsi. La foi et l’espérance disparaîtront lorsque nous verrons Dieu face-à-face. L’amour par contre demeurera toujours. Voilà pourquoi l’amour est le plus grand.

En attendant, les trois sont aujourd’hui indissociables. L’amour est le sceau qui authentifie la foi et l’espérance. Il ne peut y avoir de véritable foi et de vraie espérance sans l’amour. L’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain. Voilà pourquoi l’amour est le chemin le meilleur.