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Le paradoxe du vase d’argile

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2 Corinthiens 4.6-12
6 Dieu a dit autrefois : « La lumière brillera du milieu de l’obscurité ! » Eh bien, c’est lui aussi qui a fait briller sa lumière dans nos cœurs, pour nous donner la connaissance lumineuse de sa gloire qui resplendit sur le visage de Jésus Christ.
7 Mais nous portons ce trésor spirituel en nous comme en des vases d’argile, pour qu’il soit clair que cette puissance extraordinaire vient de Dieu et non de nous. 8 Nous sommes accablés de tous côtés, mais non pas laissés sans issue ; nous sommes perplexes, mais non désespérés ; 9 nous sommes persécutés, mais non abandonnés ; nous sommes jetés à terre, mais non anéantis. 10 Nous portons sans cesse dans notre corps la mort de Jésus, afin que sa vie se manifeste aussi dans notre corps. 11 Bien que vivants, nous sommes constamment exposés à la mort à cause de Jésus, afin que sa vie se manifeste aussi dans notre corps mortel. 12 Ainsi, la mort agit en nous, pour que la vie agisse en vous.
Le choix de ce texte biblique est assez naturel pour un dimanche de l’Eglise persécutée. L’expérience évoquée par l’apôtre Paul – sa propre expérience – est bien celle de la persécution. Il a connu l’opposition, jusqu’à la prison, à cause de sa foi et de son ministère. Il connaîtra même le martyr à la fin de sa vie… Mais ce n’est pas qu’un témoignage personnel. Paul en tire un enseignement, un principe général pour tout croyant. A partir du verset 7, il parle à la première personne du pluriel : “Nous portons ce trésor en nous comme des vases d’argile…”

Portes Ouvertes met l’accent sur la formule, très évocatrice, du verset 8 : “Nous sommes pressés de toutes parts mais non écrasés.” (Segond 21) Elle évoque le sentiment d’oppression que peuvent ressentir les chrétiens vivant dans des pays où ils n’ont pas le droit de dire ou de vivre leur foi. Elle évoque aussi la foi remarquable et leur persévérance face à la persécution : ils ne sont pas écrasés mais tiennent fermes dans la foi.

Portes Ouvertes distingue deux types de persécution dont peuvent souffrir les chrétiens :
La persécution “marteau”. Il s’agit d’une oppression violente (assassinat, kidnapping, mariage forcé, destruction de biens…).
La persécution “étau”. Il s’agit d’une pression par discrimination (oppression, rejet, déni de droit, exclusion, procès injuste…). C’est de ce type de persécution dont parle l’apôtre Paul dans notre texte.

Même si nous ne vivons pas dans un pays qui persécute les chrétiens, et nous pouvons en être reconnaissant, l’impression parfois d’être pris dans un étau peut sans doute nous concerner aussi. Parce que nous ne vivons pas forcément dans un contexte qui encourage notre foi. On perçoit même aujourd’hui une méfiance grandissante à l’égard des religions en général. Alors les pressions extérieures sont là. Elles sont évidentes dans certains cas, plus sournoises dans d’autres. Mais elles sont là. Dans notre contexte, ce sont des pressions qui nous poussent à nous conformer aux autres, à nous réfréner dans l’expression de notre foi, voire à la privatiser.

Ce qui frappe dans ce texte, c’est le paradoxe du vase d’argile : il est fragile mais il ne se brise pas. Et pour expliquer ce paradoxe, Paul trace un parallèle avec Jésus-Christ.

 

L’exemple de Jésus-Christ

Ce sont ici les versets 10-12 en particulier qu’il faut citer : “Nous portons sans cesse dans notre corps la mort de Jésus, afin que sa vie se manifeste aussi dans notre corps. Bien que vivants, nous sommes constamment exposés à la mort à cause de Jésus, afin que sa vie se manifeste aussi dans notre corps mortel. Ainsi, la mort agit en nous, pour que la vie agisse en vous.”

Ce sont des formules qu’il faut un peu décrypter… Il est question de corps, de mort et de vie, en lien avec Jésus et nous-mêmes. En fait, l’idée principale est sans doute de dire que nos souffrances et nos persécutions font écho à celles que le Christ a subies. D’ailleurs, il avait averti ses disciples : “S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi…” (Jean 15.20)

Si la mention du corps peut faire référence aux sévices physiques que l’on pouvait faire subir à ceux que l’on persécutait, je ne pense pas que nous devions limiter l’expression “dans notre corps” à cela. L’expression fait référence plus globalement à notre expérience ici-bas, sur cette terre, là où nous vivons avec notre corps. Rattachée à Jésus, l’expression fait référence à l’incarnation, par laquelle le Fils de Dieu n’a pas seulement pris un corps humain, mais il est devenu un être humain, dans son être tout entier, corps et âme.

L’image du vase d’argile peut être une formidable image de l’incarnation. Le Fils de Dieu devenu homme, c’est le trésor le plus précieux gardé dans un vase d’argile : un être humain. Dieu s’est fait fragile en devenant un être humain !

Le mystère de l’incarnation ouvre à tous les possibles pour le croyant ! Les vases d’argile que nous sommes sont au bénéfice de la plus grande et la plus extraordinaire des bonnes nouvelles : la mort et la résurrection du Christ. La lumière glorieuse qui resplendit sur le visage du Christ ressuscité nous rejoint dans toutes les obscurités que nous pouvons traverser.

C’est grâce à la mort et la résurrection de Jésus-Christ que le paradoxe du vase d’argile s’éclaircit.

 

Le paradoxe du vase d’argile

Le vase d’argile est fragile mais il ne se brise pas, malgré toutes les pressions auxquelles il est soumis, malgré l’étau dans lequel il se retrouve. C’est ce qu’évoquent les versets 8 et 9, avec leurs différentes formes d’oppressions qui nous malmènent mais ne vont pas jusqu’à nous briser.

Plus encore, Paul affirme que notre fragilité met en valeur la puissance de Dieu : “Mais nous portons ce trésor spirituel en nous comme en des vases d’argile, pour qu’il soit clair que cette puissance extraordinaire vient de Dieu et non de nous.” (v.7)

L’important, ce n’est pas le vase d’argile, c’est le trésor qu’il renferme, celui que nous avons dans notre coeur et dont Paul parle au verset 6 : “c’est lui aussi qui a fait briller sa lumière dans nos cœurs, pour nous donner la connaissance lumineuse de sa gloire qui resplendit sur le visage de Jésus Christ.” Ce trésor qu’a reçu tout croyant, c’est la présence lumineuse du Christ vivant, une part de sa gloire qui repose en nous, par son Esprit.

Et c’est ce trésor que renferme les vases d’argile que nous sommes qui rend les vases d’argile eux-mêmes plus solides.

L’exemple des chrétiens persécutés est toujours une illustration saisissante de ce que Paul dit ici. Je suis frappé comment, dans l’épreuve parfois la plus terrible, Dieu donne une force, une résistance incroyable à ces vases d’argile qui deviennent incassables. Pourtant ils sont fait de la même terre que nous… Mais plus la pression est forte à l’extérieur, plus la résistance venant de l’intérieur est forte. Dieu donne à chacun la force et la résistance dont il a besoin pour ne pas se briser.

Ici encore, il ne faudrait pas croire que le vase d’argile serait juste notre corps. Comme si notre faiblesse ne serait que physique, matérielle, et notre force spirituelle. Le vase d’argile, c’est tout notre être, ce que nous sommes, dans toutes les dimensions de notre personne. Le corps aussi, bien-sûr, mais tout en nous est fragile.

Et les pressions subies ne sont pas que physiques et matérielles. Même dans les contextes de persécution où les chrétiens sont pourchassés, emprisonnés, menacés physiquement, la pression qu’ils subissent est aussi largement psychologique et spirituelle.

Il est important de le reconnaître : nous sommes des vases d’argiles, nous sommes des êtres fragiles. Ce n’est pas une faiblesse de le reconnaître, au contraire : car pour être fort, il faut reconnaître sa fragilité… pour laisser Dieu agir en nous.

C’est un des grands dangers qui menacent les croyants, peut-être encore plus dans des contextes où ils ne sont pas persécutés : oublier notre fragilité et notre vulnérabilité, se croire hors d’atteinte, en sécurité… se croire fort.

Mais reconnaître sa fragilité, ce n’est pas pour autant s’apitoyer sur elle, voire se complaire en elle. Oui, nous sommes des vases d’argiles, mais nous avons en nous un trésor qui nous rend fort : le Christ vivant qui habite en nous.

 

Conclusion

Le paradoxe du vase d’argile, c’est l’affirmation de notre espérance. Portons un regard lucide sur nous-mêmes : nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Nous sommes fragiles, comme les autres. Mais nous avons un trésor, un trésor inestimable, que Dieu a choisi de placer en nous.

Notre force dans la détresse et l’adversité, c’est le trésor de notre foi. Notre assurance, c’est que le Christ vivant habite en nous par son Esprit. Notre espérance, c’est que sa lumière nous guidera toujours, même dans les ténèbres les plus profondes.

La tentation du pouvoir et le modèle du serviteur

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séries pouvoir

Quel est le point commun entre toutes ces séries ? Elles tournent autour de la question du pouvoir et nous font entrer, d’une manière ou d’une autre, dans les coulisses où se jouent les alliances et les trahisons, les tractations et les coups bas… Bref, les jeux de pouvoir.

Bien-sûr, ce sont des fictions, pas des documentaires (même The Crown)… Mais les jeux de pouvoir existent bien dans la vraie vie ! Et ils sont parfois violents aussi. On risque de le voir dans les prochains mois, avec l’élection présidentielle qui commence. Sans tomber dans la caricature et dire que c’est magouilles et compagnie, reconnaissons que le petit jeu électoral, avec ses tractations, ses alliances et ses jeux de pouvoir n’est pas toujours très reluisant… et bien des choses se passent en coulisse.

Mais ne nous faisons pas d’illusion : à peu près partout, dans tout groupe humain, il y a des enjeux de pouvoir, et beaucoup de choses se passent en coulisse. Et croire que les institutions chrétiennes et les Églises ne seraient pas concernées relèverait d’une naïveté coupable.

Ça a d’ailleurs commencé dès le groupe des disciples de Jésus. Les Evangiles n’hésitent pas à s’en faire l’écho… comme dans le texte de l’Evangile du jour. Une véritable tranche de vie ! Ça sent le vécu…

Marc 10.35-45
35 Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, viennent auprès de Jésus. Ils lui disent : « Maître, nous désirons que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. » – 36 « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » leur dit Jésus. 37 Ils lui répondirent : « Quand tu seras dans ta gloire, accorde-nous de siéger à côté de toi, l’un à ta droite, l’autre à ta gauche. » 38 Mais Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Êtes-vous capables de boire la coupe de douleur que je vais boire, ou de recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? » 39 Ils lui répondirent : « Nous en sommes capables. » Jésus leur dit : « Vous boirez en effet la coupe que je vais boire et vous serez baptisés du baptême où je vais être plongé. 40 Mais ce n’est pas à moi de décider qui siègera à ma droite ou à ma gauche ; ces places sont à ceux pour qui Dieu les a préparées. »
41 Quand les dix autres disciples entendirent cela, ils s’indignèrent contre Jacques et Jean. 42 Alors Jésus les appela tous et leur dit : « Vous le savez, ceux que l’on regarde comme les chefs des peuples les commandent en maîtres, et les personnes puissantes leur font sentir leur pouvoir. 43 Mais cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, 44 et celui qui veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous. 45 Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme rançon pour libérer une multitude de gens. »
Mais quelle mouche a piqué ces deux frères pour faire cette demande à Jésus ? S’attendaient-ils vraiment à ce que Jésus leur dise : “OK, pas de problème, c’est noté ! Je vous réserve les deux places de choix dans mon Royaume puisque vous me le demandez si gentiment !”

Tout ne nous est pas dit dans le récit mais j’imagine, quand même, que Jacques et Jean sont allés discrètement faire leur demande à Jésus. Ils ont sans doute profité d’un moment où Jésus était isolé pour aller le voir. Dans l’Evangile de Matthieu, pour ce même épisode, c’est leur mère qui va le demander à Jésus pour ses deux fils. Quoi qu’il en soit, on perçoit bien qu’ils ont préparé leur coup !

Pourtant, dans la deuxième partie du récit, les 10 autres disciples réagissent fortement. Ils ont donc compris la demande de Jacques et Jean, et ils s’en indignent. J’imagine que c’est à cause de la réponse de Jésus, dite suffisamment fort pour que tout le monde entende. Jésus ne l’a pas forcément fait exprès pour confondre les deux frères. Mais il a pu s’emporter. On imagine le ton du verset 38 : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Êtes-vous capables de boire la coupe de douleur que je vais boire, ou de recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? » Je ne vois pas Jésus dire cela calmement et d’une voix douce… Et en entendant la réponse de Jésus, même par bribes, les autres disciples ont vite compris la nature de la demande que leurs deux collègues avaient faite… Alors ils s’indignent !

Mais Jésus va ensuite calmer le jeu en s’adressant à tous. Sans doute aussi parce qu’ils avaient tous besoin de l’entendre. Ne peut-on pas se demander si l’indignation des 10 autres disciples était pure de toute jalousie ? S’indignent-ils de la demande faite par Jacques et Jean, choqués de ce qu’ils n’auraient jamais osé demander ? Ou regrettent-ils un peu de ne pas avoir osé le demander avant eux… et ils ragent d’avoir été devancés ? J’extrapole, évidemment… Mais je constate quand même que la mise au point que Jésus fait, il la fait non pas seulement à Jacques et Jean mais à l’ensemble des 12 disciples : “Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous !” Tout le monde est concerné par l’enseignement que Jésus tire de cet épisode…

Et je note, pour nous, au moins deux enseignements en application de ce récit :

  • La tentation du pouvoir
  • Le modèle du serviteur

 

La tentation du pouvoir

Qu’est-ce que Jacques et Jean espéraient obtenir avec leur demande ? Un privilège ! Ils sont 12 disciples, il n’y a que deux places ! Ils ne sont ni meilleurs, ni pires, que les autres. Ils ne méritent pas plus, mais sans doute pas moins non plus, que les autres, les places d’honneur qu’ils réclament. Mais ils savent qu’il n’y a que deux places autour du trône.

Là où les choses se complexifient c’est que dans la formulation de leur demande, il y a aussi l’expression d’un attachement à Jésus, et même une affirmation de foi : “Quand tu seras dans ta gloire…” Alors qu’ils suivent Jésus sur les chemins de Judée et de Galilée, ils croient l’un et l’autre que Jésus est le Messie, et qu’il montera sur le trône du Royaume de Dieu. Ils veulent être associés à son règne… et à son pouvoir. Mais leur demande se fait au détriment des 10 autres disciples ! Et le problème est bien là…

“Vous le savez, ceux que l’on regarde comme les chefs des peuples les commandent en maîtres, et les personnes puissantes leur font sentir leur pouvoir. Mais cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous.”

Quand Jésus évoque ici les dirigeants et les puissants de ce monde, il souligne combien ils aiment faire sentir leur pouvoir. C’est le même reproche qu’il adresse aux Pharisiens : ils profitent de leur pouvoir spirituel, pour contrôler voire humilier les gens, et pour rechercher les honneurs. Le pouvoir procure des privilèges, et on a envie de les montrer et d’en profiter…

Le pouvoir est une drogue. Il faut en consommer avec modération…

La formule utilisée par Jésus est intéressante : il parle de “ceux que l’on regarde comme les chefs des peuples”. Jésus insiste sur le regard qu’on porte sur eux… Le pouvoir des puissants se mesure dans le regard que les autres portent sur eux. Un regard qui peut être un regard de peur, d’admiration, de jalousie… et les puissants s’en nourrissent.

Mais Jésus le dit explicitement : “Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous.”

Nous devons, en tant que croyant, sans cesse nous interroger sur la tentation du pouvoir dans nos relations, dans toutes nos relations. Car nous sommes tous concernés ! Il y a bien des enjeux de pouvoir dans toutes les sphères de notre vie. Dans notre famille, au travail, dans notre cercle d’amis, et forcément aussi dans l’Eglise…

Dans nos familles, les abus peuvent se manifester dans les relations de couple, dans les relations de parents à enfants, ou dans une rivalité entre frères et soeurs… Ces enjeux de pouvoir se manifestent parfois de manière évidente, parfois de manière plus sournoise mais réelle. Ils prennent la forme de tensions, d’affrontements, de paroles humiliantes, parfois de violence, qu’elle soit verbale ou physique… Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, dans vos familles… et pourtant !

Au travail, les enjeux de pouvoir sont évidents, avec les relations hiérarchiques, avec les ambitions carriéristes qui se font souvent au détriment voire au mépris des autres… et on peut se laisser entraîner facilement. Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, dans votre travail… et pourtant !

Dans notre cercle d’amis, les enjeux de pouvoir sont probablement moins évidents. Quoique… Les jalousies et les rivalités y existent aussi, on peut y rechercher la popularité ou la place de chef de bande… Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, avec vos amis… et pourtant !

Et dans l’Eglise aussi, ne nous faisons pas d’illusion… Il y a des jeux d’influence, des jalousies et des rivalités, des enjeux de pouvoir qui peuvent conduire, dans les pires des cas, à des abus spirituels ou pire. Avec le rapport Sauvé qui vient de sortir, il ne faudrait pas croire que seule l’Église catholique puisse être touchée… Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, dans votre Église… et pourtant !

 

Le modèle du serviteur

Face aux tentations du pouvoir, Jésus oppose le modèle du serviteur. Et le contraste est radical :

“Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, et celui qui veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme rançon pour libérer une multitude de gens.”

Il faut souligner tout le paradoxe des paroles de Jésus : pour devenir grand et être le premier, il faut prendre la position du serviteur et même de l’esclave. Il n’y a pas de position plus basse dans l’échelle sociale que celle d’esclave ! L’idée de Jésus, ce n’est pas que chacun se considère comme un moins que rien mais que chacun considère les autres comme importants. Dans la perspective du Christ, ce qui doit présider aux relations ce n’est pas le pouvoir mais le service.

Il n’y a personne de plus légitime que Jésus pour dire cela. C’est exactement l’exemple qu’il a donné. Le modèle, c’est le Christ ! Plus que quiconque, il aurait pu se prévaloir de son rang de Fils de Dieu mais il a choisi le chemin du service. Il a accepté de devenir un être humain, d’embrasser la condition humaine, avec tout ce que cela implique. Quel chemin d’humilité ! “Il n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie…”

Qu’est-ce que ce modèle du serviteur implique dans nos relations ? Quelles sont les différences entre le modèle du puissant et le modèle du serviteur ?

  • Le puissant fait sentir son pouvoir et cherche à impressionner. Le serviteur est prêt à s’effacer pour mettre l’autre en valeur.
  • Le puissant sert ses propres intérêts. Le serviteur se préoccupe des intérêts des autres.
  • Le puissant s’élève au dépend des autres. Le serviteur cherche à élever les autres.

Dans toutes nos relations, en famille, au travail, avec nos amis, à l’Église… quel modèle suivons-nous ? Celui du puissant ou celui du serviteur ?

Évidemment, ce modèle fonctionne parfaitement si tout le monde adopte la posture du serviteur, si le service est réciproque. C’est plus compliqué s’il y a d’un côté les serviteurs et de l’autre les puissants… Mais même face aux puissants, Jésus nous invite à prendre la posture du serviteur. Comme lui l’a fait. Il a accepté l’injustice, il s’est tu devant les puissants qui l’accusaient.

Ce n’est pas un chemin facile… mais c’est celui que le Christ a emprunté avant nous !

Mais souvenons-nous que le service n’est pas un aveu de faiblesse, c’est une preuve de force. Les faibles, finalement, sont ceux qui ont besoin de se servir des autres pour avoir de la valeur à leurs propres yeux. Les forts, ce sont ceux qui n’ont pas besoin d’écraser ou d’humilier les autres pour connaître leur valeur.

 

Conclusion

“Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous !”

Quand Jésus dit une telle phrase, c’est bien qu’il y a un danger !

La tentation du pouvoir existe, dans toute relation. Selon notre personnalité, notre histoire, les circonstances de notre vie, elle se manifeste de différentes manières. Mais elle est là. Elle nous pousse à chercher avant-tout voire exclusivement nos propres intérêts, elle nous pousse à asseoir notre autorité ou notre popularité, elle nous pousse à nous servir des autres, quitte à les dénigrer, les humilier, elle nous pousse à diverses formes de violence, évidentes ou sournoises…

“Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous !”

Face à la tentation du pouvoir, Jésus oppose le modèle du serviteur. Un modèle qu’il a lui-même incarné. Ce n’est pas le chemin de la facilité. Mais c’est le seul chemin qui nous permette vraiment d’accomplir le grand commandement de l’amour :

“Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Il faut que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Si vous avez de l’amour les uns les autres, alors tous sauront que vous êtes mes disciples.” (Jean 13.34-35)

Dans le monde sans être du monde

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Il y a quinze jours, pour la première prédication de notre campagne de rentrée, je vous avais posé une question : Suivre le Christ, est-ce vraiment si simple que ça ? En élargissant même la question, que vous soyez croyant ou non : est-ce que vous trouvez que c’est facile de vivre au quotidien en cohérence avec vos convictions et vos valeurs ?

Je pourrais poser à nouveau la même question aujourd’hui. Elle est au cœur de cette campagne de rentrée et elle pose le défi d’une vie de disciple du Christ à plein temps, 7 jours sur 7. La semaine dernière, Florence a rappelé que ce défi est celui de la mission que le Christ nous confie, son appel à être attaché à lui pour porter du fruit. C’est le défi d’avoir une vie épanouie et féconde, pas seulement pour soi mais aussi pour les autres.

Entre notre vie spirituelle et notre vie d’Eglise d’une part, et notre vie quotidienne, au contact de nos prochains, souvent très éloignés de notre foi, d’autre part, la posture à adopter n’est pas évidente. Une prière de Jésus dans l’évangile selon Jean va nous aider à y voir plus clair quant à cette posture.

L’évangile selon Jean a regroupé dans ses chapitres 14 à 17 un long discours d’adieu de Jésus à ses disciples. Il leur donne ses dernières instructions, en quelque sorte. Et ce discours se termine avec une longue prière qui constitue tout le chapitre 17. C’est une prière dense, riche et essentielle pour comprendre ce que le Seigneur attend de ses disciples.

Nous allons lire un extrait de cette prière, où Jésus évoque justement la posture des croyants dans le monde, dans des termes qui montrent que la juste posture est une question d’équilibre, qui demande finesse et discernement.

Jean 17.13-19
13 Maintenant je viens à toi et je dis ces choses pendant que je suis encore dans le monde, afin qu’ils aient en eux ma joie, une joie complète. 14 Je leur ai donné ta parole, et le monde a de la haine pour eux parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, comme moi je n’appartiens pas au monde. 15 Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais. 16 Ils n’appartiennent pas au monde, comme moi je n’appartiens pas au monde. 17 Fais qu’ils soient entièrement à toi, par le moyen de la vérité ; ta parole est la vérité. 18 Comme toi tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. 19 Je m’offre entièrement à toi pour eux, afin qu’eux aussi soient entièrement à toi.

C’est un texte qu’on cite assez souvent en tant que croyant. Il décrit fort bien la difficile condition du disciple de Jésus dans le monde. On en tire la fameuse formule, inspirée de ce texte, disant que les chrétiens sont dans le monde sans être du monde. La formule est juste mais il est légitime de la revisiter régulièrement, pour se demander si nous l’avons bien comprise, et si nous la vivons correctement…

On cite souvent le verset 14, qui souligne la haine du monde. Et, paradoxalement, ça nous rassure parce qu’on y voit l’écho de nos difficultés à vivre au quotidien en chrétien dans un monde qui ne partage pas nos convictions. Même si ça peut nous pousser à prétendre un peu trop vite que nous sommes persécutés… Attendons le 7 novembre, où nous vivrons ensemble le culte de l’Eglise persécutée, proposé par Portes Ouvertes, pour nous souvenir que des frères et soeurs chrétiens sont vraiment persécutés à cause de leur foi dans le monde. Et ce n’est pas notre cas ici, en France !

On cite aussi souvent le verset 16 qui affirme explicitement que le croyant n’appartient pas au monde. Même si ça a pu justifier, et ça justifie encore parfois, une méfiance systématique pour tout ce qui n’est pas explicitement et clairement chrétien… ce qui me semble tout à fait excessif !

On cite aussi le verset 18, surtout si on a un coeur pour la mission. Et on se souvient, avec raison, que le Seigneur nous envoie dans le monde pour être porteurs de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

Mais, et je me trompe peut-être, j’ai l’impression qu’on ne cite pas si souvent que cela le verset 15… Il me semble pourtant être à la charnière de tout ce passage, essentiel pour préserver un sain équilibre de notre vie de disciple de Jésus-Christ dans le monde :

Jean 17.15
Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais.

 

Ne pas se retirer du monde

Il est intéressant de noter que la première partie de la demande de Jésus est formulée de façon négative. Il aurait pu dire aussi : “Je te prie de les garder dans le monde”. Il préfère dire “Je ne te prie pas de les retirer du monde…”

C’est dire, probablement, que la tentation est forte de le faire. C’est peut-être même une tendance naturelle contre laquelle il faut lutter… d’où l’importance de demander à Dieu de ne pas nous retirer du monde.

Il me semble légitime de dire que le croyant est naturellement attiré vers un certain retrait du monde. Et ça peut s’expliquer. A force de ressentir un décalage entre ce qui nous anime, nos valeurs et aspirations profondes et celles que nous rencontrons autour de nous, il peut y avoir une fatigue légitime, une lassitude, un découragement et des frustrations. Surtout quand on doit faire face à l’incompréhension, voire aux moqueries ou au rejet de certains. Au bout d’un moment, on a peut-être envie de démissionner, de se retirer du monde pour se retrouver avec celles et ceux qui partagent notre foi et nos valeurs.

Se retirer du monde, c’est une tendance assez naturelle pour le croyant. Mais c’est une solution de facilité… en réalité, c’est même une fuite. Nous l’avons lu dans notre texte, Jésus nous envoie dans le monde ! On fuit cet appel quand on se retire du monde…

Il faut se rendre compte qu’on ne se retire pas forcément du monde de façon intentionnelle. C’est souvent un processus lent, presque imperceptible. Et parfois il est bon de s’arrêter et de se demander où nous en sommes.

Quand peut-on dire qu’on s’est retirés du monde ? On pourrait répondre sans doute qu’on s’est retiré du monde quand on ne le connaît plus sinon par nos aprioris et nos préjugés, quand nos contacts avec le monde ne sont plus que contraints par les nécessités de la vie sociale…

Voici quelques exemples concrets auxquels je pense :

  • Ne peut-on pas dire qu’on s’est retirés du monde quand notre cercle d’amis est constitué exclusivement de chrétiens ?
  • Ne peut-on pas dire qu’on s’est retirés du monde quand les seuls livres qu’on lit, les seules musiques qu’on écoute, les seuls films qu’on regarde sont des productions “chrétiennes” ?
  • Ne peut-on pas même dire d’une Église qu’elle s’est retirée du monde quand elle ne s’adresse qu’à des chrétiens et que ses préoccupations ne sont que de prendre soin de ses membres ?

On devient alors des chrétiens hors sol, déconnectés du monde qui les entoure. Comment pourrons-nous alors accomplir la mission que le Christ nous a confiée ?

La demande de Jésus doit nous tenir en éveil, et nous pouvons nous l’approprier en demandant à Dieu : “Garde-nous de nous retirer du monde !”

 

Être gardé du Mauvais

Mais pour garder une compréhension équilibrée de la posture du disciples du Christ dans le monde, il faut considérer la deuxième partie de la demande de Jésus : “Je te prie de les garder du Mauvais.” D’autres versions traduisent ici plutôt “garder du mal”, ce qui est aussi possible. En traduisant le Mauvais, on laisse entendre avec justesse que le mal n’est pas simplement un concept abstrait et philosophique, mais qu’il est un ennemi contre lequel il faut lutter, dont il faut discerner les manoeuvres et auquel il faut résister.

Il ne s’agit pas d’être naïf et de croire que nous vivons dans le monde des Bisounours ! Il y a bel et bien, dans le monde, des dangers dont il faut être gardés, des forces destructrices et aliénantes qu’il faut combattre. Mais il ne faut pas se tromper de combat. L’ennemi, ce n’est pas le monde, c’est le Mauvais.

Il serait absurde de dire que tout ce qui vient du monde est mauvais. D’abord parce que ce n’est pas faire justice au Dieu de grâce qui oeuvre aussi, dans sa souveraineté, dans notre monde. C’est ce qu’on appelle en théologie protestante la grâce commune, par laquelle Dieu veille sur sa création, il distribue aux humains des dons et des talents pour le bien de tous.

Il faut sortir d’un discours binaire et sans nuance. D’autant que dire que tout ce qui vient “du monde” est mauvais, c’est aussi oublier que le Mauvais n’est pas seulement extérieur à nous-mêmes ! Jésus dit bien que c’est ce qui sort de notre coeur qui nous souille ! Le Mauvais est aussi en chacun de nous…

Il ne s’agit pas non plus de faire une liste de ce qui serait bon et de ce qui serait mauvais, de ce qui vient de Dieu et de ce qui vient du diable. La réalité est bien plus complexe et nuancée que cela. On ne s’en sortira pas avec des listes !

C’est bien pour cela que Jésus adresse cette demande pour nous. C’est parce que la réalité du mal est complexe et qu’un travail fin de discernement est nécessaire que nous avons besoin d’être gardés du Mauvais.

Il n’est jamais superflu de s’interroger sur le bien-fondé de nos pratiques, de nos activités et de nos projets. Dans tous les domaines de notre vie. Quels en sont les impacts sur nous-mêmes, et sur ceux que nous côtoyons. Est-ce que ça élève ou ça abaisse ? Est-ce que ça libère ou ça emprisonne ? Est-ce que ça fait grandir ou ça humilie ? Est-ce que ça nous ouvre sur les autres ou ça nous enferme sur nous-mêmes ? Et on pourrait multiplier les questions…

Les réponses ne seront pas toujours simples, rarement binaires, souvent nuancées. Mais l’exercice est salutaire et doit se vivre nourri de prière et de méditation de la Parole de Dieu, pour avoir un discernement éclairé par l’Esprit de Dieu.

Car le solide fondement sur lequel s’appuyer, c’est la Parole de Dieu. C’est le verset 17 : “Fais qu’ils soient entièrement à toi, par le moyen de la vérité ; ta parole est la vérité.” A condition de ne pas chercher dans la Bible des listes et des opinions toutes faites, mais la pensée de Dieu à appliquer à notre vie, aujourd’hui.

 

Conclusion

L’expression “être dans le monde sans être du monde” exprime bien l’équilibre délicat auquel le disciple du Christ est appelé dans sa vie quotidienne. La double demande de Jésus, priant son Père de ne pas nous retirer du monde mais de nous garder du Mauvais, le souligne encore.

La formule renvoie aussi à une saine articulation, dans la vie de disciple, entre le rassemblement et la dispersion. Nous avons besoin des deux : des temps de rassemblement pour vivre pleinement en disciple du Christ les temps de dispersion. On pourrait comparer cela à un processus de respiration spirituelle, où nous avons besoin d’inspirer (dans le rassemblement) et d’expirer (dans la dispersion). Si on ne fait qu’expirer, on est à bout de souffle… Si on ne fait qu’inspirer, on hyperventile et on risque la syncope.

Le chétien respire vraiment, spirituellement, quand il trouve l’équilibre entre le rassemblement avec ses frères et soeurs croyants et la dispersion dans le monde où le Christ l’envoie. C’est aussi cela être dans le monde sans être du monde, ne pas se retirer du monde mais se préserver du Mauvais.

Disciples à plein temps ?

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Ce matin, nous commençons la campagne de rentrée proposée par notre Union d’Églises sur le thème : “Partout et tout le temps, suivre le Christ tout simplement”. J’ai participé à la formulation de cette thématique, et je l’assume. Mais je me dis quand même que c’est facile à dire et bien plus difficile à faire !

Suivre le Christ, est-ce vraiment si simple que ça ? Est-ce que vous trouvez que c’est facile de vivre en chrétien aujourd’hui ? On pourrait d’ailleurs élargir la question, que vous soyez croyant ou non : est-ce que vous trouvez que c’est facile de vivre au quotidien en cohérence avec vos convictions et vos valeurs ?

On a sans doute tous des convictions et des valeurs qui nous animent. J’espère que c’est votre cas ! C’est ce qui donne du sens à notre existence. Mais sans doute que, plus ces convictions sont fortes et plus ces valeurs sont élevées, plus il est difficile de les vivre et de les mettre en pratique. Parce que nos idéaux rencontrent la réalité, la réalité de notre monde et de ceux qui le composent, et il faut bien l’avouer aussi, la réalité de notre coeur, de notre volonté, pas toujours à la hauteur.

Évidemment, ce serait plus facile de vivre seulement avec ceux qui partagent nos convictions et nos valeurs. En l’occurrence, suivre le Christ serait déjà plus facile si ce n’était pas partout et tout le temps… Si on pouvait choisir les jours, les circonstances et les personnes avec qui suivre le Christ. Plus largement, si on pouvait côtoyer seulement ceux qui partagent nos valeurs et discuter seulement avec ceux qui ont les mêmes idées que nous, la vie serait tranquille !

Apprendre à vivre parfois en décalage voire à contre-courant, avec les frustrations, voire les souffrances que cela implique, faire face à la contradiction voire à l’opposition, ce n’est, certes, pas confortable… mais c’est incontournable, sauf à se retirer complètement du monde et vivre dans sa bulle. Et c’est une option que le croyant ne peut pas choisir, puisque le Christ envoie explicitement ses disciples dans le monde, pour être témoin de leur Seigneur.

Eh oui, nous sommes bel et bien appelés à suivre le Christ, partout et tout le temps.

C’est dans cette perspective que l’apôtre Pierre écrit à des croyants d’Asie Mineure. Et dans son adresse, il les désigne avec des termes qui peuvent surprendre au premier abord. Mais s’ils sont bien compris, ils restent pertinents pour nous aujourd’hui. Ils permettent même de dire comment nous sommes appelés à suivre le Christ, tout simplement.

1 Pierre 1.1-2
1 De la part de Pierre, apôtre de Jésus Christ.
À ceux que Dieu a choisis et qui vivent en immigrés, dispersés dans les provinces du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bithynie. 2 Dieu, le Père, vous a choisis d’avance selon un projet qui est le sien ; il vous fait vivre pour Dieu, grâce à l’Esprit saint, pour que vous obéissiez à Jésus Christ et que vous soyez purifiés par le sang qu’il a versé.
Que la grâce et la paix vous soient données en abondance !
Les termes utilisés par Pierre pour décrire la situation des destinataires de sa lettre évoquent plutôt la précarité : ils sont immigrés et dispersés. Mais c’est pourtant ainsi que Dieu les a choisis (c’est affirmé deux fois dans le texte !), selon son projet.

Immigrés

Être immigré, c’est être dans une situation de précarité, qui peut certes s’améliorer avec les années, grâce à une intégration réussie, mais qui est souvent synonyme de difficultés multiples, d’incompréhension, de frustrations, voire de souffrance et de rejet…

On en parle souvent dans la Bible. Abraham et les patriarches étaient des migrants nomades. Et puis il y a eu l’Exode, avec la sortie d’Egypte et l’errance de 40 ans dans le désert, et aussi l’Exil, avec les 70 ans passées par les habitants de Juda en exil à Babylone.

Cet omniprésence du motif de l’immigration fonde les appels répétés à accueillir et aimer les immigrés, comme par exemple :

Deutéronome 10.19
Vous donc aussi, aimez l’immigré car vous avez été immigrés en Égypte.

Et s’il y a cet appel répété à aimer l’immigré, c’est que ce n’est pas forcément naturel… Hier comme aujourd’hui, le statut d’immigré est un statut précaire. Dans le Nouveau Testament, le motif est repris et compris de façon spirituelle : le croyant est un immigré ici-bas, il est seulement de passage sur Terre, en chemin vers sa patrie céleste.

Et c’est parfois aussi synonyme de difficultés multiples, d’incompréhension, de frustrations, voire de souffrance et de rejet…

Dispersés

Les destinataires de la lettre de Pierre sont non seulement immigrés mais aussi dispersés. Les provinces mentionnées ici étaient situées en Asie Mineure, la Turquie actuelle. Elles désignent sans doute des destinataires multiples d’une lettre appelée à circuler dans plusieurs Églises d’une même région. Bien que dispersés, ils reçoivent la même lettre, qui les désignent tous de la même manière : “ceux que Dieu a choisis” (dans les versions plus anciennes ont traduisait “les élus”)

On pourrait comprendre cette dispersion comme une faiblesse… Mais en y réfléchissant, j’ai pensé à une parabole de Jésus : la parabole du Semeur.

Luc 8.5-8
5 « Le semeur sortit pour semer du grain. Comme il semait, une partie des grains tomba au bord du chemin : on marcha dessus et les oiseaux les mangèrent. 6 Une autre partie tomba sur un sol pierreux : dès que les plantes poussèrent, elles se desséchèrent parce qu’elles manquaient d’humidité. 7 Une autre partie tomba dans les ronces qui poussèrent en même temps que les bonnes plantes et les étouffèrent. 8 Mais une autre partie tomba dans la bonne terre ; les plantes poussèrent et produisirent des épis : chacun portait cent grains. » Et Jésus ajouta : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »

Certes, quand Jésus explique cette parabole, il dit bien que la semence c’est la Parole de Dieu et que les différents terrains représentent les différentes façons d’accueillir ou non cette Parole. Mais qui sont les porteurs de la Parole du Christ aujourd’hui sinon ceux qu’il envoie, ses disciples ? Qui sont-ils sinon, au temps de l’apôtre Pierre, ces croyants dispersés dans les différentes provinces d’Asie Mineure ? Ils sont comme autant de graines que le Semeur jette et qui tombent dans différents terrains.

Cette dispersion peut donc aussi être perçue comme une chance d’être présent partout, “dans tous les terrains”. Dans notre contexte, on peut l’entendre sans doute comme le fait d’être dispersés sur nos lieux de vie, dans nos familles, sur nos lieux de travail ou d’engagement. Là où nous sommes dispersés, du lundi au samedi… Car c’est bien ce que nous sommes la plupart de notre temps. C’est une exception, et une exception heureuse, lorsque nous sommes rassemblés, comme ce matin. Mais la plupart du temps, nous sommes dispersés… et ce n’est pas un problème. C’est même tout à fait normal.

On peut même dire que dans une perspective biblique, on n’est pas dispersés par hasard ni même par nécessité. On y est envoyés par Dieu, pour y vivre en disciples du Christ !

Choisis

Le problème n’est pas d’être dispersés, c’est d’être isolé. Quand la dispersion résulte de l’éclatement ou du chacun pour soi, alors c’est difficile à vivre. C’est pour cela qu’il est essentiel de comprendre que nous sommes envoyés par Dieu sur nos lieux de vie. Ce n’est pas un éclatement subi, c’est ce que Dieu veut. Et on n’y est pas seulement pour soi mais pour les autres.

Car on peut être dispersés sans être isolés. On peut être dispersés et connectés ! Connectés les uns aux autres. Et on a plein de moyens de le faire aujourd’hui ! Et surtout connectés, ensemble, au même Dieu, qui est avec nous et qui nous unit dans un même appel.

C’est ce que Pierre souligne. Il y a bien une réalité qui unit tous ces croyants dispersés, c’est d’avoir été choisis selon le projet de Dieu. Il ne s’agit pas, ici, pour Dieu, de seulement connaître par avance ce qui va se passer. Dieu n’est pas un spectateur passif de l’histoire, même par avance… il est pleinement actif dans son projet. Et Pierre le souligne avec une formulation trinitaire : le projet du Père, l’oeuvre accomplie par le Fils à la croix et par le Saint-Esprit en nous. Dieu est tout entier, Père, Fils et Saint-Esprit, engagé dans la réalisation de son projet.

Le projet de Dieu, c’est nous !

Immigrés… nous sommes de passage sur cette Terre. Notre horizon s’étend au-delà de ce monde, au-delà de cette vie.

Dispersés… nous sommes envoyés par Dieu sur nos lieux de vie. Nous n’y sommes pas par hasard ou par nécessité mais parce que Dieu nous y envoie.

Choisis… nous sommes unis à Dieu et les uns aux autres. Bien que dispersés, nous ne sommes pas seuls.

En fait, pour faire encore plus court, on pourrait dire que le projet de Dieu, c’est nous ! Dans notre quotidien, nous sommes autant de graines semées par Dieu sur tous types de terrain, pour y porter la semence du Royaume de Dieu.

Et nous ne sommes pas dispersés seulement pour “prêcher la bonne parole”… mais pour vivre la Bonne Nouvelle. Cette Bonne Nouvelle, c’est Jésus-Christ mort et ressuscité. C’est Jésus-Christ vivant, pour toujours avec nous.

Bien-sûr, il s’agit aussi de dire cette Bonne Nouvelle, quand c’est le moment approprié. Mais avant tout, il s’agit de la mettre en pratique, à la maison, au bureau, sur les bancs de l’amphi, sur le terrain de sport… Il s’agit de la manifester concrètement, en laissant transparaître ce que produit l’Esprit de Dieu en nous et dont l’apôtre Paul cite une liste non exhaustive : l’amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, la douceur, la maîtrise de soi (cf. Galates 5.22)… Voilà une façon toute concrète d’être disciple du Christ au quotidien, partout et tout le temps !

Car être disciple de Jésus-Christ, ce n’est pas venir au culte le dimanche matin. Ou en tout cas pas seulement… C’est marcher avec le Christ vivant sur les chemins de notre vie, car il nous accompagne du lundi au samedi aussi. Car c’est alors que nous verrons si nous nous conduisons en disciples du Christ… Bref, si nous suivons le Christ, tout simplement.

Artisans de paix

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J’ai commencé ce parcours de quatre prédications sur le thème de la paix de Dieu parce que, dans le contexte troublé que nous connaissons, j’avais le sentiment que nous en avions besoin… avec le tumulte, voire la cacophonie ambiante. Et je n’ai pas l’impression que ça ait beaucoup changé. Nous avons plus que jamais besoin de la paix de Dieu !

Une paix que le Christ nous donne et qu’il garantit par sa présence à nos côtés à chaque instant, une paix qui dépasse toutes circonstances et toutes nos capacités de réfléchir et de penser, une paix qui trouve son origine dans la réconciliation avec Dieu : la paix de Dieu découle de la paix avec Dieu…

Pour terminer cette mini-série, il m’a semblé naturel de réfléchir à la paix que nous sommes appelés à donner. Avec la conviction que c’est en recevant la paix de Dieu que nous pouvons aussi donner la paix autour de nous. Il y a une béatitude de Jésus qui l’exprime avec force :

Matthieu 5.9
9 Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés enfants de Dieu !

Les béatitudes ouvrent le Sermon sur la Montagne. Elles constituent comme une charte du Royaume de Dieu, la description d’un idéal pour le croyant. Elle contient des formules parfois étonnantes (“Heureux les humbles de coeur…”), voire paradoxales (“Heureux ceux qui pleurent… Heureux ceux qu’on persécute…”). Mais elles se terminent toujours par une promesse, avec toujours la même structure : “Heureux… car…”

Matthieu 5.9
9 Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés enfants de Dieu !

Cette septième béatitude, sur laquelle nous allons nous arrêter ce matin, nous parle de la paix. Pour la comprendre et l’appliquer à notre vie, je propose des éléments de réponse à trois questions à propos des “artisans de paix” :

  • Qu’est-ce qu’un artisan de paix ?
  • Pourquoi seront-ils appelés enfants de Dieu ?
  • En quoi sont-ils heureux ?

 

Qu’est-ce qu’un artisan de paix ?

Le terme grec utilisé ici (eirênepoioi) ne se trouve pas ailleurs dans la Bible. C’est un terme composé qui vient de eirêne, la paix et du verbe poieô, faire. Il est traduit de différentes façon dans les versions françaises :

  • Segond : “ceux qui procurent la paix”
  • TOB : “ceux qui font oeuvre de paix”
  • Semeur : “ceux qui répandent la paix autour d’eux”
  • Parole de Vie : “ceux qui font la paix autour d’eux”
  • Nouvelle Bible Segond et Nouvelle Français Courant : “les artisans de paix”

C’est sans doute cette dernière traduction que je préfère. Elle exprime bien le fait que la paix n’est pas quelque chose qu’on donne comme ça, sans que ça nous coûte ou sans que ça demande du travail. Au contraire, la paix, ça se fabrique, ça se façonne, et ça demande du temps. Comme le travail d’un artisan. On peut même comparer la paix à un objet artisanal : c’est une pièce unique ! Elle doit trouver sa forme adaptée à chaque situation. Il n’y a pas de moule universel de la paix !

Un artisan de paix, c’est quelqu’un qui sait mettre à profit son expérience, son savoir-faire, et qui sait prendre le temps qu’il faut pour façonner la paix qui convient à une relation, dans un groupe de personnes, dans une situation conflictuelle…

Si la paix se façonne et se construit, c’est qu’elle n’est pas simplement l’absence de quelque chose. Elle doit être quelque chose en plus. La paix, ce n’est pas seulement l’absence de conflit, c’est la réconciliation. Ce n’est pas seulement l’absence de rancune, c’est le pardon. La paix, c’est la plénitude d’une relation restaurée. D’ailleurs le mot hébreu shalom qu’on traduit habituellement par paix évoque cette idée de plénitude.

C’est pourquoi la paix parfaite est celle qui découle de la plénitude de la présence de Dieu dans notre vie… Les artisans de paix sont ceux qui savent apporter un peu de cette plénitude à ceux qu’ils côtoient.

 

Pourquoi seront-ils appelés enfants de Dieu ?

Le premier artisan de paix, c’est Dieu lui-même. Toute l’histoire biblique témoigne de ce long travail de Dieu pour restaurer la paix brisée avec ses créatures, avec son peuple. Un véritable travail d’artisan, adapté parfaitement à la situation. Il a mis les mains dans le cambouis par l’incarnation, en devenant humain ! L’oeuvre de paix de Dieu a atteint sa plénitude dans la personne et l’oeuvre de Jésus-Christ, une oeuvre de salut, de pardon, de réconciliation.

Celui qui est artisan de paix au nom du Christ montre qu’il a appris de l’exemple suprême. Il sera appelé enfant de Dieu parce qu’il aura agi comme son Père.

La question qu’on peut se poser, du coup, est la suivante : N’y a-t-il que les chrétiens qui puissent être artisans de paix ? Non ! Certainement pas ! On sait très bien que ce n’est pas le cas. Mais, en tenant compte de cette béatitude de Jésus, ne pourrait-on pas dire alors que ceux qui sont artisans de paix, sans être croyant, agissent en enfant de Dieu sans le savoir ? Ils agissent conformément à l’image de leur Créateur, inscrite en eux.

Le croyant, lui, est enfant de Dieu non seulement par le fait qu’il est créé à l’image de Dieu mais aussi par adoption, par sa foi en Jésus-Christ. Alors si les artisans de paix seront appelés enfants de Dieu, ceux qui sont enfants de Dieu sont aussi appelés aujourd’hui à être artisans de paix ! Il faut être cohérent… Ce n’est pas une option, c’est lié à notre identité d’enfant de Dieu.

C’est pour cela, par exemple, que l’apôtre Paul est si sévère dans ses lettres envers ceux qui amènent le trouble et la division dans les Eglises. Si les enfants de Dieu ne sont pas des artisans de paix mais des fauteurs de trouble, quelle image de Dieu cela renvoie-t-il ?

 

En quoi sont-ils heureux ?

Mais il ne faut pas oublier que notre texte de ce matin est une béatitude : Jésus dit des artisans de paix qu’il sont heureux !

Il suffit de lire l’ensemble des béatitudes pour comprendre que Jésus n’est pas en train de dire qu’ils auront une vie facile, sans difficulté, en étant toujours dans la joie : dans les paroles de Jésus, sont heureux aussi ceux qui pleurent et même ceux qui sont persécutés à cause de leur foi…

Il me semble qu’être heureux, selon les béatitudes, c’est d’abord être en accord avec la volonté de Dieu. En témoignent les promesses associées à chacune des béatitudes et qui expriment l’approbation de Dieu. Ils sont heureux, les artisans de paix, parce qu’il font l’oeuvre du Dieu d’amour et de paix. Ils sont heureux parce qu’ils recevront l’approbation de leur Créateur.

Du coup, être heureux, c’est aussi être en paix avec soi-même, en vivant en accord avec ce que nous sommes, des créatures faites à l’image de Dieu. Ils sont donc heureux les artisans de paix parce qu’ils se conduisent en accord avec cette image de Dieu inscrite au plus profond d’eux. Le Seigneur est un Dieu de paix : nous sommes faits pour la paix et non le conflit. Ils sont heureux, les artisans de paix, parce que la haine, la rancune ou la jalousie sont des émotions délétères qui nous détruisent à petit feu.

 

Conclusion

La paix que Jésus donne, la paix de Dieu, la paix avec Dieu… le parcours aurait été incomplet si nous nous étions arrêtés là. Car cette paix de Dieu, qui fait de nous pleinement ses enfants, nous responsabilise. Nous ne pouvons pas seulement la recevoir, même si elle nous est largement accordée par Dieu. Nous devons aussi la donner autour de nous. Nous sommes appelés à être des artisans de paix.

C’est ainsi que nous serons vraiment, par notre conduite, des enfants de Dieu. Et alors nous serons heureux. Heureux d’accomplir la volonté de Dieu. Heureux de manifester un peu de l’amour et la paix de Dieu que nous avons reçues à notre prochain. Heureux d’accomplir notre vocation d’hommes et de femmes créés à l’image de Dieu, des artisans de paix au nom du Dieu de paix.

Nous serons heureux et en paix. Aujourd’hui et pour l’éternité.