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Tous les articles par Florence VANCOILLIE

Florence VANCOILLIE

A propos Florence VANCOILLIE

Pasteur de l'Eglise évangélique libre de Toulouse depuis 2013, membre de la Commission synodale de l'UEEL.

Cherchez Dieu, et sa justice

Quels sont les reproches que vous avez déjà entendus, ou pensés, vis-à-vis de l’Eglise, des chrétiens ? Un qui revient souvent, c’est l’hypocrisie. Parler d’amour, mais pas le montrer. Être toujours fourré à l’église, tout en étant imbuvable en famille. S’afficher comme chrétien au travail, et traiter ses collaborateurs sans respect. Une double vie qui donne l’impression que les convictions, les croyances, les activités religieuses, n’ont pas vraiment d’impact sur la réalité du quotidien.

Dans l’Ancien Testament, quelques siècles avant Jésus-Christ, le peuple d’Israël, avec qui Dieu a fait alliance, reçoit lui aussi ces reproches – mais pas de la part de ses voisins : de la part de Dieu lui-même ! Par le biais du prophète Esaïe, Dieu va révéler ce qu’il pense de leur pratique religieuse, en particulier du jeûne : le jeûne n’était obligatoire qu’une fois par an, mais il était beaucoup plus fréquent car ce renoncement physique venait appuyer les démarches de repentance (devant la culpabilité) ou les demandes, en montrant qu’on cherchait Dieu de tout son cœur – et de tout son corps. Dieu nous livre son analyse de la situation.

Lecture Esaïe 58.1-12

1 Crie à pleine voix, ne te retiens pas, dit le Seigneur. Comme le son de la trompette, que ta voix porte loin. Dénonce à mon peuple sa révolte, aux descendants de Jacob leurs fautes.

2 Jour après jour, tournés vers moi, ils désirent connaître ce que j’attends d’eux. On dirait un peuple qui agit comme il faut et qui n’abandonne pas le droit proclamé par son Dieu. Ils réclament de moi de justes jugements et désirent ma présence. 

3 Mais ils me disent : « À quoi bon pratiquer le jeûne, si tu ne nous vois pas ? À quoi bon nous priver, si tu ne le sais pas ? » Alors je réponds : Constatez-le vous-mêmes : jeûner ne vous empêche pas de saisir une bonne affaire, ni de malmener vos employés. 

4 Quand vous jeûnez, vous vous querellez, vous vous disputez et vous donnez des coups de poing ! Quand vous jeûnez ainsi, votre prière ne parvient pas jusqu’à moi.   

5 Est-ce en cela que consiste le jeûne tel que je l’aime, le jour où l’on se prive ? Courber la tête comme un roseau, revêtir l’habit de deuil, se coucher dans la poussière, est-ce vraiment pour cela que vous devez proclamer un jeûne, un jour qui me sera agréable ? 

6 Le jeûne tel que je l’aime, le voici, vous le savez bien : c’est libérer ceux qui sont injustement enchaînés, c’est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c’est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les tient esclaves. 

7 C’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, c’est fournir un vêtement à celui qui n’en a pas, c’est ne pas te détourner de celui qui est ton frère.   

8 Alors ce sera pour toi l’aube d’un jour nouveau, ta plaie ne tardera pas à se cicatriser. Le salut te précédera et la gloire du Seigneur fermera la marche.         9 Quand tu appelleras, le Seigneur te répondra ; quand tu demanderas de l’aide, il te dira : « J’arrive ! » Si tu cesses chez toi de faire peser des contraintes sur les autres, de les ridiculiser en les montrant du doigt, ou de parler d’eux méchamment, 10 si tu partages ton pain avec celui qui a faim, si tu réponds aux besoins du malheureux, alors la lumière chassera l’obscurité où tu vis. Au lieu de vivre dans la nuit, tu seras comme en plein midi. 11 Le Seigneur restera ton guide ; même en plein désert, il te rassasiera et te rendra des forces. Tu seras comme un jardin bien arrosé, comme une fontaine abondante dont l’eau ne tarit pas. 

12 Alors tu relèveras les anciennes ruines, et tu rebâtiras sur les fondations abandonnées depuis longtemps. On te nommera ainsi : « Celui qui répare les brèches », « Celui qui restaure les sentiers, pour rendre le pays habitable ».

1/ Un appel à la cohérence

Les auditeurs du prophète ont dû être surpris ! Dieu vient critiquer… les bons élèves ! Ceux qui prient, qui jeûnent, qui se privent, qui donnent pour le Temple… qui cherchent la volonté de Dieu, et qui ne comprennent pas pourquoi Dieu ne répond pas. C’est que Dieu rejette en bloc leur démarche. Il ne rejette pas le rite, le jeûne ou la prière en soi, c’est lui qui l’a demandé ! ce sont des formes qui aident à structurer la relation avec Dieu. Mais le problème, c’est le manque de cohérence et de sens. Au Temple, ils offrent un visage spirituel, concentré, consacré, mais à la maison, en réunion d’équipe au travail, avec leur porte-monnaie, ces « bons élèves » montrent un autre visage, comme s’ils avaient deux vies – sans aucune connexion.

De manière intéressante, Dieu n’évoque pas les gros péchés scandaleux qui nous feraient bondir, mais il pointe du doigt la violence du quotidien, l’agressivité, l’opportunisme, le mépris de l’autre, l’égoïsme ordinaire qui fait que je sers d’abord mes intérêts, quitte à nier l’autre. Ce qu’ils vivent avec Dieu n’a aucun impact sur leurs relations, sur leur comportement, sur leurs valeurs… Ce qui pose la question : que vivent-ils vraiment avec Dieu ? Cherchent-ils vraiment Dieu ou veulent-ils simplement obtenir des avantages ?

Puisqu’ils disent qu’ils cherchent la volonté de Dieu, Dieu la leur donne – pas pour Untel ou Untel, mais en général, pour tous : ce qu’il désire, c’est la justice. Au Temple comme au bureau, au magasin ou en réunion de syndic, en réunion de chantier ou en conseil de classe, c’est la justice. Le quotidien, bariolé et complexe, fait partie de la relation avec Dieu.

Voyons comment Dieu résume sa volonté [v.9-10] :

  • Eviter la pression sur les autres: la pression financière provenant de pratiques douteuses, la pression dans les relations, le chantage, les menaces, les horaires invivables…
  • Eviter le mépris: humiliation, moquerie, calomnie, commérage…

Une simple question de respect, finalement ! Mais dans nos cultures (familiales, sociales, d’entreprise), est-ce que la pratique du respect est toujours au centre ?

  • Et Dieu ajoute le partage. Ne faire de mal à personne, ce n’est pas faire le bien. C’est un premier pas ! mais sa vision à lui est aussi proactive : partager avec celui qui a faim, qui est nu, qui est déraciné…

Dieu invite à une relation avec lui qui nous décentre : au lieu de chercher notre intérêt, encore et encore, il nous appelle à nous ouvrir aux autres, dans la justice et dans l’amour. Sinon ? Sinon, tous nos actes religieux et « spirituels » ne sont que des offrandes sur l’autel de notre ego…

          2/ aimer Dieu et la justice

Car vraiment aimer Dieu, c’est aimer ce qu’il aime, et il aime la justice. La justice – c’est-à-dire que chacun soit traité selon la valeur et la dignité que Dieu lui a donnée en le créant, indépendamment de nos réussites ou de nos conditions de vie. En particulier ceux que la société méprise facilement : les pauvres, les étrangers… (v.7) Dieu nous invite à voir l’autre, dans sa chair, son visage, son regard, son histoire, sa personne – loin des statistiques ou des distances théoriques, sa chair est la mienne.

Ce texte ancien vient nous décoiffer aujourd’hui, et attaque notre mentalité individualiste, notre sentiment de mériter ce qu’on a et d’avoir bien le droit d’en profiter, quand même ! Dieu vient même piquer notre quête de « toujours plus », de bons coups et de bonnes affaires, qui garantissent rarement une rémunération juste du producteur…

L’autre a la même valeur que moi : c’est de l’humanisme basique. Mais l’Evangile ajoute un élément de poids : Jésus, qui était Dieu, riche et glorieux, s’est dépouillé lui-même, de sa gloire, de sa vie, pour donner aux pauvres, aux affamés, aux exilés, une vie nouvelle, dans l’éternité. Ces gens pauvres et nus, c’est nous ! Nous étions nus, honteux, affamés de sens et de paix, assoiffés d’amour et de justice – et en Christ, Dieu nous a nourris de pardon, il nous a abreuvés d’amour, il nous a habillés de dignité, il nous a donné une chambre dans sa maison.

          3/ Vivre la justice de Dieu

A ceux qui cherchent vraiment Dieu, de tout leur cœur et de toute leur vie, Dieu promet de répondre : il donnera sa lumière, il donnera l’abondance, il protègera, réparera, guidera. En somme, il prendra sa place parmi le peuple pour lui faire du bien. La vision qu’il donne est presque paradisiaque : Dieu annonce un royaume de justice et de paix, que nous attendons encore mais que le Christ a inauguré par sa vie, sa mort, sa résurrection.

Notez que Dieu invite à rassasier l’autre, et qu’il promet lui-même de nous rassasier… derrière le manque de partage ou la convoitise effrénée, on a souvent peur de manquer, de ne pas avoir assez : Dieu affirme qu’il pourvoira, qu’il prendra soin de ceux qui le suivent.

Dieu s’adresse ici au peuple d’Israël dans son ensemble, en tant que nation – mais la situation a changé : l’Eglise existe dans différentes nations, et les chrétiens ne sont pas entièrement responsables du système politico-socio-économique en place. Les enjeux de justice et d’injustice aujourd’hui impliquent à la fois l’individu, la collectivité, l’Etat et les dynamiques internationales, dans un réseau d’enchevêtrements complexes. On aurait tort de prendre sur nos épaules d’individu la culpabilité d’un tel système. Mais, admettre que ni vous ni moi ne sauverons le monde ne rend pas caduc l’appel à une vie juste et généreuse.

Dans le texte, Dieu annonce que son peuple aura un titre tout à fait particulier : « celui qui répare les brèches ». Celui qui met en œuvre la justice de Dieu, qui répare, qui restaure… Seul Dieu peut remettre notre monde dans un juste fonctionnement – c’est ce que nous attendons, c’est ce que nous réclamons lorsque nous prions « que ton règne vienne ». Mais notre attente ne se vit pas en salle d’attente, à passer le temps en feuilletant un magazine et ne regardant l’heure de temps à autre : Dieu est déjà en train d’agir, son projet est en cours de réalisation, et il nous invite à le rejoindre, maintenant, là où nous sommes, tels que nous sommes, avec nos moyens, pour participer à sa mission.

Conclusion

La plaidoirie de Dieu contre l’hypocrisie de son peuple est très concrète : elle touche aux actes du quotidien. Mais chaque quotidien est différent : si vous êtes retraité, étudiante, comptable, ouvrier, prof, aide-soignant, si vous vivez seul ou que vous avez charge de famille… Chacun est différent, avec ses responsabilités, ses défis et ses ressources. Mais dans ce quotidien, Dieu nous invite tous, sans exception, à laisser sa justice orienter un peu plus notre vie, notre mentalité, nos choix, nos pratiques. Nous ne règlerons pas tout ! mais par nos prières, nos prises de position, nos actions, nous œuvrerons pour Dieu, par Dieu, comme Dieu – et nous goûterons, en avant-première, à la douceur de sa paix et de sa joie.

Face au découragement

Regarder le culte ici.

On a beau être chrétien, avoir la foi, on est parfois découragé… Cela vous sûrement déjà arrivé ! Qu’est-ce qui a pu vous donner envie de baisser les bras ? Ce peut être une situation compliquée au travail ou en famille, un avenir bouché, une situation d’injustice ou de surcharge, les interrogations devant l’état de notre monde, le sentiment d’être isolé et sans appui…

Ces ressentis, on les retrouve dans un psaume, une prière du roi David, environ 1000 ans avant Jésus. David est un homme de foi, un homme choisi par Dieu, proche de Dieu – et malgré tout, il traverse lui aussi des périodes de découragement.

Lecture biblique: Psaume 11

1 Du répertoire du chef de chorale. Psaume de David.

Auprès du Seigneur, je trouve refuge.

Comment pouvez-vous me dire :

« File, comme un petit oiseau, dans les montagnes » ?

2 Regarde bien : les méchants tendent leur arc,

ils ajustent leur flèche sur la corde pour tirer dans l’ombre sur ceux qui ont le cœur droit.

3 Quand les fondements sont en miettes,

que peut alors faire la personne qui est juste ?

Une situation décourageante

On ne connaît pas les circonstances que David évoque dans ce psaume, même s’il donne quelques indices (très imagés) sur ce qu’il traverse :

  • La menace : l’image du méchant qui tend son arc pour tirer sur sa proie, évoque toutes sortes de dangers, notamment physiques (des agressions), avec une bonne dose de manipulations, des pièges, des situations perverses qui peuvent nous nuire (le méchant attaque « de nuit », sournoisement). On sent le poids de la malveillance, de la haine, chez ceux qui menacent David.
  • Les fondements en miettes: c’est l’image de la désolation, quand tout est en ruine, comme s’il n’y avait plus rien de solide, plus d’appui, que le mal avait gangréné jusqu’aux racines… Rien ne va plus ! Ce ressenti, on peut l’avoir à un niveau individuel, quand une relation est profondément entamée, ou qu’un projet part dans la mauvaise direction ; à un niveau plus global, c’est parfois l’impression que les choses vont de travers autour de nous sur le plan social, économique, moral, politique, environnemental… et je ne dis pas ça spécifiquement par rapport à la France ou à un pays particulier, on retrouve partout cette frustration, ce découragement /qu’on soit chrétien ou pas, d’ailleurs/ devant l’écart entre ce qui est et ce qui devrait être.

Devant le danger, les pressions, les manipulations, les profonds dysfonctionnements, le cri de David retentit : que peut faire le juste ? Autrement dit, même avec les meilleures intentions et les meilleures méthodes, la tâche paraît trop lourde, trop grave, trop dangereuse. C’est le découragement, l’envie de tout lâcher, de se retirer totalement de la situation.

La tentation de fuir

Vient le conseil du début : File, petit oiseau, réfugie-toi dans les montagnes… Conseil qui fait bondir David (Comment ?! Comment osez-vous me conseiller cela ?) mais c’est une vraie option, voire une tentation, pour nous face à la difficulté, la frustration, la menace ou le découragement : fuir. Et David de se positionner – il le met d’ailleurs en tête de son psaume : c’est dans le Seigneur que je me réfugie, pas dans les montagnes, pas là-bas au loin. Il oppose ici la confiance en Dieu et la fuite.

Cette opposition peut nous perturber, en particulier dans le contexte actuel. Mais est-ce que David parle vraiment d’une fuite physique, géographique, au point qu’on pourrait tirer comme conclusion : si vous avez vraiment confiance en Dieu, ne fuyez pas ? C’est peut-être vrai, parfois, mais la Bible donne bien des exemples de personnes qui fuient les conflits, la persécution, la sécheresse et la famine, ou simplement la pression familiale… avec la bénédiction de Dieu ! David lui-même a fui de nombreuses années lorsque son adversaire, le roi Saül, cherchait à le tuer. Même la famille de Jésus a fui quand Hérode a massacré les enfants de Bethlehem. On aurait donc tort d’en tirer des conclusions hâtives sur ceux qui fuient le conflit, comme en Ukraine en ce moment (ou d’autres conflits dans le passé, que ce soit en Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud…) – bibliquement, faire confiance et fuir le danger peuvent totalement aller ensemble.

Il me semble que du coup, la fuite en question, c’est moins le fait de partir physiquement, que le fait de céder au découragement, de baisser les bras. Devant la pression, on peut être tenté de tout laisser tomber, de se retirer comme si on s’en lavait les mains… De se désintéresser de ce qui se passe, de tout laisser en plan, de se refermer sur nous pour prendre soin de nous – et après nous le déluge.

Or…

4 Le Seigneur est dans le temple qui lui appartient ;

le Seigneur a son trône dans les cieux.

Il ne perd pas de vue les humains, il les évalue d’un coup d’œil.

5 Le Seigneur sait à quoi s’en tenir sur ceux qui sont justes,

mais les méchants, les amateurs de violence, il les déteste.

6 Qu’il fasse tomber sur les méchants une pluie de catastrophes !

du soufre enflammé, un vent de tempête fondant sur eux.

Voilà le sort qui les attend.

7 Car le Seigneur est juste, il aime tout ce qui est juste

et les personnes qui mènent une vie droite le verront face à face.

Le Seigneur de justice

Au lieu de baisser les bras, David reprend conscience de la souveraineté de Dieu : Dieu est LE Roi, il trône sur la création – et rien ne lui échappe. David ne s’étend pas sur la contemplation de la majesté de Dieu, sur sa grandeur ou sa puissance ; ce qui le percute, c’est que Dieu veille sur le monde, et que rien ne lui échappe. Alors que lui se désespère, que d’autres l’invitent à chercher des stratégies de repli, il reprend conscience que Dieu est juste, et que sa justice s’appliquera.

Dans le psaume, cela prend la forme d’un châtiment violent sur les agresseurs, les ennemis – sur qui s’abattent toutes les catastrophes, dans une ambiance assez proche de la destruction de Sodome et Gomorrhe. Ce n’est pas forcément notre doctrine préférée ou la plus politiquement correcte (on aimerait chanter : « on ira tous au paradis… »), mais David affirme – non, il appelle de ses vœux, il réclame – la réalité d’un jugement. Derrière ce jugement qui peut nous gêner aujourd’hui et paraître peu aimant, il y a une revendication légitime : que justice soit faite. Que le mal soit stoppé – bien plus, éradiqué, rejeté, déraciné.

David prend courage en se rappelant que Dieu applique ce qui est juste – en stoppant les injustes, mais aussi en veillant sur les justes. Le regard que porte Dieu sur les justes signifie son attention, et son implication. Il ne regarde pas de loin, comme un flâneur indifférent, mais il est attentif, il scrute, il anticipe – pour prendre une image locale, pensez aux fans de rugby qui ont regardé le match Pays de Galles-France vendredi soir : ils étaient tendus, sur le bord de leur siège, attentifs à chaque détail, prêts à se réjouir ou à se lamenter selon l’action… Dieu scrute avec toute son attention les justes.

Nul doute que David se place lui-même parmi les justes… Mais c’est embarrassant ! Les « justes » reviennent souvent dans les psaumes, et on peut avoir du mal à se l’appliquer à soi directement. Qui peut dire : moi, je suis juste devant Dieu ? je mérite son soutien, son secours ? Par « juste », David évoque ceux qui s’attachent à Dieu, qui recherchent sa justice et se détournent du mal. Mais il est conscient de ne pas être irréprochable. Sans le savoir, il pointe vers le seul vrai « juste », Jésus, Dieu lui-même fait homme – innocent, parfait, droit, prophète de vérité, militant d’équité. Un juste qui nous a justifiés, qui nous a rendus justes, malgré nos injustices, en les portant sur la croix – il nous dépouille de notre honte pour nous recouvrir de sa justice. En lui, nous pouvons approcher Dieu et dire : « je suis juste… en Christ ! »

Du coup, depuis la venue du Christ, on n’écrirait peut-être pas le psaume exactement pareil… On demanderait la justice, oui, l’arrêt du mal, oui, la protection des justes, oui, mais peut-être pas la destruction des méchants – car nous sommes trop conscients que notre propre cœur est lui aussi gangréné… L’imprécation face aux méchants se transforme plutôt en intercession, pour que Dieu délivre l’autre du mal, même du mal dont il est coupable.

David est donc profondément encouragé par la présence du Dieu juste, devant qui rien ne passe inaperçu, et qui appliquera sa justice. Dieu veille sur les justes, il aime ce qui est juste, et ceux qui sont justes (ou justifiés) reçoivent cette promesse : ils verront Dieu face à face. C’est vrai que c’est réconfortant, quand vous êtes menacé, rejeté, victime, de savoir que Dieu, lui, vous voit, vous accorde de la valeur, et qu’il vous garde une place dans son cercle d’intimes. David voit plus loin que l’épreuve, il relève la tête pour contempler l’horizon : Dieu règne, le mal n’aura pas le dernier mot, et sa justice vient.

 

Mais David ne nous dit pas ce que ça veut dire, concrètement, de se confier à Dieu dans l’épreuve. Il l’affirme, mais il ne le décrit pas. La question « que peut faire le juste ? » semble rester sans réponse. Pourtant, vu l’atmosphère du psaume, deux pistes se dégagent :

1/ ne pas baisser les bras, mais persévérer. La fuite (pas forcément géographique, je le rappelle) s’oppose au fait de rester, de tenir, voire de résister. Cela peut prendre différentes formes : rester sur-place, ou partir mais agir de loin – dans le cas d’un conflit p. ex. ; ou rester engagé, se mobiliser, dans le cadre d’une situation qui nous décourage.

2/ L’insistance de David sur la justice – justice de Dieu, justice rendue, justice de ceux qui s’attachent à Dieu. Si Dieu aime ce qui est juste, et pas seulement ceux qui ont été justifiés, n’y a-t-il pas un appel implicite à agir avec justice en particulier quand nous sommes découragés ? Le découragement peut en effet donner envie de baisser les bras, de fuir, ou bien d’imiter ceux qui aiment le mal, d’utiliser leurs armes, par pragmatisme ou par colère.

Lorsque, face au découragement, Dieu nous invite à nous réfugier en lui, c’est à la fois pour nous rassurer et pour nous ressourcer, afin que nous puissions trouver la force de faire ce qui est juste à ce moment-là, de suivre ce chemin de justice que Dieu aime tant – et sur lequel il promet de nous accompagner.

Regarder à la croix du Christ nous conforte dans cette assurance que David avait : elle nous rappelle qu’en Jésus, Dieu s’est fait proche de nous, qu’il a porté nos blessures et nos culpabilités, pour nous en délivrer un jour. Il est mort, mais il est ressuscité, et il a rejoint le Père à côté de qui il règne aujourd’hui. Sa résurrection, c’est le socle inébranlable de notre espérance : il est vivant, il règne, et nous attendons son retour, pour qu’il établisse partout sa justice et sa paix.

Tant qu’il y a Jésus, il y a de l’espoir!

Regarder le culte ici.

L’espoir fait vivre ! Souvent, on le dit avec une certaine ironie, en sous-entendant qu’il faut être réaliste. Mais on le voit, à titre personnel et en société, lorsqu’il n’y a plus d’espoir, plus de perspective, on ne sait plus comment avancer…

Dans l’Evangile, Jésus rencontre souvent des personnes désespérées, et je vous invite à lire l’histoire d’un homme possédé. Je vais la lire en plusieurs fois, car il y a beaucoup de rebondissements.

Lecture biblique : Marc 5.1-20

  • Un cas désespéré

1 [Jésus et ses disciples] arrivèrent de l’autre côté du lac de Galilée, dans le pays des Géraséniens. 

2 Jésus descendit de la barque et, aussitôt, un homme sortit du milieu des tombeaux et vint à sa rencontre.

Cet homme était possédé par un esprit impur 3 et il vivait parmi les tombeaux. Personne ne parvenait plus à le tenir attaché, même avec une chaîne ; 4 souvent, en effet, on l’avait attaché avec des fers aux pieds et des chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les fers. Personne n’avait la force de le maîtriser. 5 Sans cesse, la nuit comme le jour, il errait parmi les tombeaux et sur les montagnes, en poussant des cris et en se blessant avec des pierres. 

Jésus quitte le territoire juif et s’aventure en zone grise, dans la région de la Décapole, avec 10 villes grecques, où les coutumes juives rencontrent des pratiques païennes.

Alors que Jésus n’a encore rien fait, un homme se précipite. On nous le décrit comme un cas, un cas désespéré ! Depuis longtemps, il est violent, agressif, au point que sa communauté n’a pas réussi à le gérer et l’a exclu. Depuis, il est complètement dominé par ses pulsions destructrices, au point de se blesser lui-même. Il est impur : il vit parmi les tombeaux. Pour un Juif, toucher un cadavre, c’est se rendre impur devant Dieu pour un temps (Dieu est le Dieu des vivants !!) – alors vivre au milieu des tombeaux ? C’est comme vivre dans les poubelles !

Cet homme est possédé par un esprit impur, démoniaque. Alors là, nous aussi on entre en zone grise, surtout les Occidentaux qui ont du mal avec l’invisible ! A la vue des symptômes, nous pourrions proposer un autre diagnostic, p. ex. psychiatrique. Mais je crois qu’il faut résister à la tentation de réduire le texte biblique au tout médical, tout scientifique, tout maîtrisable. D’une part, la Bible affirme la réalité de forces invisibles, surnaturelles, plus fortes que nous – des bonnes et des maléfiques. Si nous croyons en Dieu, il est difficile de rejeter par principe l’existence d’esprits invisibles qui interagissent avec nous, même si nous ne les reconnaissons pas forcément au quotidien. D’autre part, pour en revenir à la possession, troubles spirituel et psychiatrique ne s’excluent pas forcément – au contraire même, d’après les spécialistes de la délivrance, les cas de possession prennent souvent racine dans des vies brisées de l’intérieur par le traumatisme, l’abus, l’addiction…

Cela dit, cet homme me renvoie à tous ceux que nous étiquetons « cas désespéré », quelle que soit la cause. Des cas qu’on n’arrive plus à accompagner, et qui nous laissent démunis : quelqu’un enfermé dans l’addiction, p. ex., ou pris dans l’engrenage crime-prison-difficile réinsertion, ou affecté par un trouble psy qu’on n’arrive pas à traiter, ou sous l’emprise d’un réseau radicalisé/mafieux… On n’a pas besoin d’être possédé pour toucher le fond !

Et c’est là, sur ce terrain dévasté, où la destruction rugit et le mal se déchaîne, sur ce terrain tellement opposé à ce que Dieu est, c’est là que Jésus met pied à terre.

  • La victoire sur les démons

6 [L’homme] vit Jésus de loin ; alors il accourut, se prosterna devant lui, 7 et cria d’une voix forte : « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? Je t’en conjure, au nom de Dieu, ne me tourmente pas ! » 8 Jésus lui disait en effet : « Esprit impur, sors de cet homme ! » 

9 Jésus l’interrogea : « Quel est ton nom ? »

Il répondit : « Mon nom est “Légion”, car nous sommes nombreux. » 10 Et il le suppliait avec insistance de ne pas les envoyer hors du pays.

11 Il y avait là un grand troupeau de porcs qui cherchait sa nourriture près de la montagne. 12 Les esprits impurs supplièrent Jésus : « Envoie-nous dans ces porcs, et nous entrerons en eux ! » 13 Jésus le leur permit. Alors ils sortirent du possédé et entrèrent dans les porcs. Le troupeau d’environ 2 000 porcs se précipita du haut de la falaise dans le lac et s’y noya. 

Sans attendre une démarche de foi de cet homme, Jésus entreprend de le délivrer, au grand dam de l’esprit démoniaque. Et celui-ci se lance dans une négociation avec Jésus. Il reconnaît Jésus, c’est d’ailleurs un indice de son origine : les démons sont toujours ceux qui reconnaissent Jésus, ce qui ne veut pas dire qu’ils se soumettent !

Alors le démon se prosterne devant Jésus, en fausse soumission ; il prend bien soin de nommer Jésus (à cette époque, il y avait cette croyance que quand on connaît le nom de quelqu’un, on peut le maîtriser) ; et même, il le supplie « au nom de Dieu » !!! C’en serait presque risible, si l’homme derrière n’était dans une telle détresse.

Jésus rétorque en demandant le nom du démon, ce dont il ne s’embarrasse pas généralement : par rapport à ce qui se pratiquait à l’époque (comme aujourd’hui) dans les milieux ésotériques, sorcellerie, magie etc., Jésus n’a pas de rituel. Même pour guérir, d’ailleurs ! Pas de formules, de gestes, d’effets spéciaux… Là où les techniques humaines sont en échec, Jésus parle et la chose arrive. C’était la même chose, juste avant, dans l’Évangile de Marc, quand Jésus calme la tempête en disant : « Silence », et juste après, lorsque Jésus ressuscite la fille de Jaïrus, qui était morte, simplement avec ces mots : « Jeune fille, lève-toi ». L’autorité divine, si efficace, est d’une grande sobriété.

Si Jésus renvoie la balle au démon, c’est pour montrer qu’il ne rentre pas dans son jeu, et au passage, nous devinons l’ampleur du dommage chez le possédé : une légion romaine comptait 6000 soldats… Le possédé est complètement tiraillé de l’intérieur !

Finalement, le démon demande une issue de secours : on considérait à l’époque que le pire pour les esprits était de ne pas avoir de réceptacle. Le mieux, c’est un humain, mais en second choix, des animaux iront bien. Et Jésus exauce cette demande ! Pourquoi ? Je ne sais pas. En tout cas, cela va se révéler fatal pour les démons, puisqu’ils s’auto-détruisent en se noyant. Ils ne peuvent aller que vers la mort. Cela nous montre aussi, visuellement, la gravité de ce que vivait cet homme.

Certains pourraient se scandaliser qu’on sacrifie des animaux, ou le revenu d’un éleveur qui n’y est pour rien, mais d’une part, pour le lecteur juif, le porc est à part – c’est un animal impur (comme le rat pour nous !). Par l’action de Jésus, symboliquement, tout ce qui est impur disparaît (esprits et animaux).

D’autre part, cela montre aussi l’importance que Jésus accorde à la délivrance de cet homme possédé : la vie et la liberté n’ont pas de prix ! Plus tard, sur la Croix, c’est sa propre vie que Jésus offre, pour débarrasser notre existence de toute chaîne, de toute impureté, de toute emprise… Jésus ne prend pas à la légère le coût de ses actions, mais à ses yeux, rien, rien, ne vaut plus que la vie et la liberté d’un homme.

  • Le rejet des témoins

14 Ceux qui gardaient les porcs s’enfuirent et portèrent la nouvelle dans la ville et dans la campagne. Les gens vinrent donc voir ce qui s’était passé. 

15 Ils arrivent auprès de Jésus et voient l’homme qui avait été possédé par une légion d’esprits impurs : il était assis, habillé et il avait toute sa raison. Et ils prirent peur. 16 Ceux qui avaient tout vu leur racontèrent ce qui était arrivé à l’homme possédé et aux porcs. 17 Alors ils se mirent à supplier Jésus de quitter leur territoire. 

Jésus a résolu une situation que personne ne pouvait gérer ! Les concitoyens en sont plus qu’impressionnés, ils sont terrifiés, et ils demandent à Jésus de partir. Pour eux, le coût du changement est trop grand : mieux vaut garder son petit équilibre, quitte à devoir supporter un démoniaque, que d’accueillir la vie au risque de perdre un troupeau, ou de modifier l’écosystème ! A la fin, on se demande qui, du démoniaque ou de son entourage bien-pensant, est le plus sous emprise, le plus morbide, le plus sec !!!

Etrangement, lorsque Jésus fait surgir la vie, cela ne réjouit pas tout le monde… Certains trouvent des bénéfices au malheur des autres, et ce texte empêche toute naïveté : la lumière qui surgit dans les ténèbres ne suscite pas que de la joie… mais aussi de la résistance.

Sans même parler de malveillance, la simple inertie peut créer des résistances, et aussi chez les chrétiens, pourtant acquis à la cause ! Car toute nouveauté, aussi lumineuse qu’elle soit, met en péril nos équilibres, nos habitudes, notre écosystème… tout avancement coûte et déstabilise : mais si c’est pour la délivrance, même d’un seul, cela n’en vaut-il pas la peine ? Nous résistons au changement quand nous restons focalisés sur ce que nous perdons, mais si nous regardons à ce qui est gagné, quelle joie ! quelle motivation ! C’est cette attitude-là qui a permis au Christ d’entrer dans la mort, les yeux fixés sur sa résurrection, sur notre résurrection avec lui, sur la joie éternelle qu’il allait vivre avec nous.

  • L’invitation à aller

18 Au moment où Jésus montait dans la barque, celui qui avait été possédé le supplia de pouvoir rester avec lui. 19 Jésus ne le lui permit pas, mais il lui dit : « Retourne chez toi, dans ta famille, et raconte-leur tout ce que le Seigneur a fait dans sa bonté pour toi. » 20 L’homme s’en alla donc et se mit à proclamer dans la région de la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui ; et tout le monde était très étonné.

Dernier rebondissement : l’ex-démoniaque veut suivre Jésus, mais… Jésus le renvoie ! C’est d’autant plus étonnant que Jésus a accédé à la requête des démons, à celle des habitants qui lui demandent de partir, mais le seul qui a une intention louable, Jésus le renvoie ?!

Bien sûr, Jésus voit plus loin : l’homme, rentré chez lui, sera un témoignage fort de la puissance et de l’amour du Christ, et il portera plus de fruits en étant disciple « à distance » et témoin.

Première réflexion : l’exaucement ou le non-exaucement des prières n’est pas un gage de qualité de nos demandes… Souvent on se lamente quand on n’est pas exaucé : quand Dieu ne répond pas, et si c’était pour quelque chose de plus grand et de plus fécond ?

Deuxième réflexion : libérés par le Christ, nous n’avons qu’une envie, rester près de lui, dans un environnement saint, lumineux et pur. Mais Jésus nous renvoie, il nous disperse ici et là pour que la petite flamme que nous avons reçue puisse se multiplier… Vous me direz : et les disciples qui ont le privilège de suivre Jésus dans la barque ? Eux aussi ont dû se disperser, après la résurrection : « allez, et faites de toutes les nations mes disciples… ». Un disciple de Jésus, c’est quelqu’un qui sort, qui se mélange, et qui partage ce qu’il a reçu. Ce n’est pas confortable, on peut se heurter à des réactions agressives, des malentendus, des valeurs qui changent, et d’ailleurs souvent les chrétiens finissent par perdre de vue leur réseau d’avant (2 ans en moyenne). Ce n’est pas confortable, mais… c’est ce que Jésus a fait lui-même : il est venu dans le monde, dans les ténèbres, jusque dans la mort, pour partager sa vie et sa lumière. Et il nous demande de faire pareil, jusqu’à ce que sa lumière soit partout.

Conclusion

Finalement, on pourrait dire que, tant qu’il y a Jésus, il y a de l’espoir ! Personne, ni vous ni votre voisin, ni celui que vous croisez dans la rue, ni celle qui vous désespère, ni le criminel ou le terroriste : personne n’est tombé si bas que Jésus ne puisse le relever. Sans être naïfs sur les influences (démoniaques ou pas), le témoignage du démoniaque nous rappelle que derrière un cas désespéré, il y a toujours une personne, une personne que Dieu a créée et qu’il aime, une personne qu’il veut libérer et restaurer. Plus grand que le plus grand désespoir, voilà l’amour de Dieu, la puissance de Dieu qui domine sur le mal, quelle qu’en soit la forme. Alors que Dieu renouvelle notre regard et notre attitude, pour que nous soyons toujours pleins d’espoir, ouverts à la possibilité de son action !

La fidélité, même pour les infidèles

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Jusqu’où va la fidélité ?

Dans nos relations humaines – d’amour ou autre ! nous ne sommes pas fidèles seulement envers notre conjoint, mais aussi envers notre famille, nos amis, ceux envers qui nous nous sommes engagés… – la fidélité est un des fondements de la confiance : je fais confiance à l’autre parce qu’il est fiable, fidèle, qu’il honore sa parole, ses engagements, son soutien. Si la confiance est rompue, p. ex. si votre conjoint a regardé ailleurs, qu’un collègue a manœuvré dans votre dos, qu’un ami a colporté des rumeurs sur vous, qu’un employeur ou un client n’a pas honoré sa dette devant votre travail, la trahison peut être très douloureuse, et la relation est sérieusement entamée : vous serez sur vos gardes et vous aurez du mal à vous impliquer.

Notre fidélité dans une relation est bien souvent conditionnée, notamment à la fidélité de l’autre : tant qu’il honore ses engagements, j’honore les miens (en tout cas j’essaye). Et on est tenté de se dire qu’avec Dieu c’est pareil : certes, il est infiniment plus patient que nous, mais quand même, il y a bien des limites !

En cette veille de Saint Valentin, j’ai choisi un passage de l’Ancien Testament qui nous parle d’amour et de fidélité, qui nous parle de la relation entre Dieu et son peuple comme si c’était un couple marié. Je récapitule le contexte : à l’époque d’Abraham puis de Moïse, YHWH, Dieu, se révèle personnellement au peuple d’Israel, il le comble de bénédictions, il le libère de l’esclavage et des difficultés, le re-comble de bénédictions, le protège… Tout cela par amour : il aime son peuple, avec la tendresse d’un père, mais aussi avec la passion d’un amoureux. Malheureusement, comme dans nombre de relations, la confiance a été trahie. Ici, le peuple et ses responsables se laissent influencer par les peuples alentour, qui ont leur propre religion, espérant que le dieu d’à côté pourrait lui aussi leur faire du bien ! Dans le contexte d’Israel, sur les territoires secs à l’Est de la Méditerranée, la bénédiction c’est surtout la pluie, pour faire pousser les récoltes et nourrir les hommes comme les bêtes. Et justement, à côté, il y a ce Dieu « Baal » (ça veut dire « maître » mais là c’est presque un prénom), spécialiste de la pluie et de la fertilité. Israel se lance alors dans des rites divers, construit des temples, engage des prêtres, etc. pour obtenir les faveurs de ce dieu ! Elle n’hésite pas à plonger dans des comportements très louches, cautionnant p. ex. la prostitution sacrée ou le sacrifice d’enfants (rien que ça !). En voyant cela, Dieu Yhwh ne peut pas rester indifférent : c’est une trahison, un adultère. Du coup, il prend du recul, il coupe les vivres – notamment les vivres d’eau, puisqu’il est le créateur : il ne pleut plus, Israël se retrouve dans la sécheresse. On est au bord de la rupture… Voyons ensemble comment Dieu envisage la suite.

Lecture biblique : Osée 2.16-25

16 Eh bien, [dit Dieu] c’est moi qui vais la séduire,
je la conduirai au désert
et je regagnerai sa confiance.

17 Et de là-bas, je lui rendrai ses vignobles
et je ferai de la vallée de Akor [vallée où a lieu la première condamnation pour détournement de fonds, vallée de la corruption]
une porte d’espérance,
et là elle répondra comme au temps de sa jeunesse,
au jour où elle monta du pays d’Egypte.

18 Et il adviendra en ce jour-là
– oracle du SEIGNEUR –
que tu m’appelleras « mon mari »,
et tu ne m’appelleras plus « mon baal, mon maître ».               //

19 J’ôterai de sa bouche les noms des Baals,
et on ne mentionnera même plus leur nom.

20 Je conclurai en ce jour-là une alliance,
avec les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, les reptiles du sol ;
l’arc, l’épée et la guerre,
je les briserai, il n’y en aura plus dans le pays,
et je permettrai aux habitants de dormir en sécurité.                //

21 [Israel] Je te fiancerai à moi pour toujours,
je te fiancerai à moi
par la justice et le droit, l’amour et la tendresse.

22 Je te fiancerai à moi par la fidélité
et tu connaîtras le SEIGNEUR.

23 Et il adviendra en ce jour-là que je répondrai
– oracle du SEIGNEUR –,
je répondrai à l’attente des cieux
et eux répondront à l’attente de la terre.

24 Et la terre, elle, répondra
par le blé, le vin nouveau, l’huile fraîche,
et eux répondront à l’attente d’Izréel [une ville d’Israël].                    //

25 Je l’ensemencerai pour moi dans le pays,
et j’aimerai Lo-Rouhama [« la mal-aimée »],
et je dirai à Lo-Ammi [« pas mon peuple »] : « Tu es mon peuple »,
et lui, il dira : « Mon Dieu ».

L’initiative de Dieu  

Devant l’infidélité de « sa femme », Israël, Dieu réagit en deux temps. D’abord il marque le coup : c’est grave, ce qui s’est passé, la trahison ne peut pas être prise à la légère. Il y a une pause dans la relation, un stop. Dieu enlève à Israël tous les avantages qu’elle avait auprès de lui. Mais Dieu ne s’arrête pas là : il veut faire de ce « désert » une opportunité, la chance d’un nouveau départ, l’occasion de se retrouver, tels qu’ils sont, face à face, comme au début, en mettant de côté tout ce qui perturbé la relation.

« Je la séduirai à nouveau » : qui d’entre nous, face à la trahison et à l’infidélité, se dirait cela ? n’est-ce pas au traître de venir implorer notre pardon ? Et pourtant là, c’est Dieu qui se met en quatre, qui s’abaisse, pour reconquérir celle qui l’a trahi. Dieu ne reste pas passif devant la difficulté, mais il se bat pour son couple. Même si lui est innocent, il ne se campe pas sur sa blessure ou ses droits, mais il donne tout pour reconquérir sa bien-aimée.

Parce que Dieu a un rêve, le rêve d’une vie heureuse à deux : un peuple en sécurité, dans la paix, sans guerres ni conflits, un peuple dans l’abondance (les champs de blé, les vignes,…), un peuple juste et bon. Plus que ça, son rêve, c’est l’intimité, l’authenticité, la complicité : que le peuple le connaisse, lui, pour qui il est, presque à visage découvert, sans masque ni faux-semblant, que le peuple réponde avec amour à sa tendresse passionnée… Et pour ce rêve, Dieu renouvelle ses vœux, il réaffirme sa promesse : par trois fois « je te fiancerai à moi… » (v.21). Dans le but qu’Israël réponde : « oui, je le veux ! tu es mon dieu, mon mari » (v.25).

Je trouve toujours très touchant le désir de renouveler ses vœux de mariage après des décennies ensemble… mais ici, Dieu renouvelle ses vœux avec une épouse infidèle qui n’a pas tenu sa promesse ! Ca paraît presque insensé, on aurait envie de dire à Dieu : « mais enfin, sois lucide ! elle te trompe depuis des années… passe à autre chose ! » Et c’est vrai que si Dieu comptait sur son épouse infidèle, il y aurait peu d’espoir…

Mais il s’appuie sur sa propre fidélité. Les fiançailles sont ici équivalentes au mariage, à l’échange public des promesses, à l’échange de la dot. Et Dieu fournit la dot, il donne lui-même ce qui manque à sa femme, pour que ça marche : justice et droit, amour et tendresse, fidélité. Même plus, il efface le souvenir de ses anciens amants, il classe le dossier, on n’en parle plus… Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour repartir du bon pied.

Quand cela arrive-t-il ? « En ce jour », dit Dieu. Quand les prophètes reçoivent de Dieu des indications sur l’avenir, ils voient que c’est devant eux, mais ils ne voient pas forcément la distance ou les étapes intermédiaires : c’est un point à l’horizon, un cap. Ce « jour », le « jour de l’Eternel », désigne à la fois

  • la façon dont Dieu va prendre soin d’Israel après l’exil, en la ramenant au pays (au 5e avant JC) ;
  • mais aussi le jour où Dieu purifiera de l’intérieur le cœur de son peuple en ôtant ses infidélités : sur la Croix, quand Jésus assume les infidélités de l’humanité pour nous en libérer, pour nous donner l’Esprit de Dieu qui vit en nous (quelle plus grande intimité ?), et nous faire entrer dans son peuple élargi : l’Eglise, épouse du Christ ;
  • mais aussi le jour où les infidélités, les conflits et les famines, seront complètement balayés de la surface de la terre, un jour de paix et d’harmonie pour notre monde, à tous les niveaux de la société, jusque dans la nature – et ce jour-là, nous l’attendons encore…

Une relation amoureuse peut être détruite de bien des façons. Mais quand je demande aux couples qui se préparent au mariage ce qui serait le pire pour eux, l’infidélité est toujours dans le top 3. La Bible parle de notre péché comme d’une infidélité (que nous trompions Dieu, que nous regardions simplement ailleurs, ou que nous soyons indifférents à sa voix, distants). C’est un adultère, une trahison blessante, mordante, humiliante, qui remet tout en question. Tout, sauf la fidélité de Dieu, qui honore sa promesse envers nous, qui est prêt à se donner lui-même en dot pour gagner notre amour. Il l’a montré en Christ.

Je n’ai pas fini ma prédication, mais avant de voir comment la fidélité de Dieu peut nous inspirer dans nos relations, je vous invite à chanter pour nous réapproprier la promesse de Dieu, l’assurance de sa fidélité, en particulier là où nous ne le méritons pas.

L’ancre de ma foi.

La fidélité de Dieu, une inspiration pour nos relations

Comment la fidélité de Dieu, scellée en Christ, habitant en nous par l’Esprit, peut-elle nous inspirer dans nos relations ? Comment pouvons-nous faire nôtre cette fidélité qui le caractérise et qu’il veut partager avec nous ? Certes, nous sommes infiniment plus limités que Dieu. Cela dit, nous sommes aussi rarement 100% innocents ! Explorons la façon dont la fidélité de Dieu peut nous inspirer, surtout quand l’autre nous déçoit.

Evidemment, en parlant de fidélité, on pense vite au couple, au mariage (couple engagé, lié par une promesse).  Spontanément, la fidélité évoque l’exclusivité de l’intimité physique, ne pas avoir d’amants, ne pas convoiter la femme qui passe à côté ou qui apparaît sur l’écran. Mais on le voit dans ce texte, et on l’expérimente, la fidélité c’est tellement plus ! ce n’est pas un couple qui reste ensemble pour rester ensemble, c’est un couple qui se soutient, dans le temps, une relation de confiance qui s’approfondit et qui permet d’être soi-même devant l’autre.

Un mot clef : la persévérance. Être fidèle, c’est être persévérant dans notre engagement, notre soutien, notre affection. Et la persévérance se muscle dans ces moments où l’autre nous déçoit, nous est infidèle, commet des erreurs ou des fautes. C’est facile, de persévérer quand il n’y a pas de souci ! Mais c’est quand on persévère face à la difficulté qu’on expérimente quelque chose de la fidélité divine.

Et il faut bien avouer que la persévérance, la fidélité, ne sont pas des qualités principales de notre temps ! Quasiment un mariage sur deux se finit en divorce, sans parler des couples qui se séparent sans passer par mariage et divorce. On accepte que les relations flottent au gré des ressentis, pour composer, recomposer, re-recomposer des familles au lien de plus en plus distendu.

Comprenez-moi bien : je suis bien consciente qu’il y a des cas où le mariage est non seulement détruit mais aussi destructeur. Vous avez peut-être subi un divorce, ou l’avez choisi parce que c’était un moindre mal – et je ne condamne absolument pas ! Cela dit, on ne peut pas dire que la majorité des ruptures autour de nous sont des cas de force majeure… La persévérance dans les relations n’est pas monnaie courante.

Et j’élargis : il n’y a pas que le couple dans la vie ! Qu’en est-il de nos relations en famille ? de nos amitiés ? de nos relations d’église ? que faisons-nous quand l’autre nous déçoit ? quand il s’éloigne ? est-ce que nous suivons le même mouvement d’écartement, ou est-ce que nous remontons, à contre-courant, pour rechercher l’autre et raviver la relation ? Nous sommes souvent prompts à nous saisir de ce qui s’est mal passé. L’attitude consommatrice nous pousse à rendre la relation si elle ne nous satisfait pas à 100% (et quel être humain, parfaitement imparfait, pourrait me satisfaire à 100% ?). Les relations virtuelles, basées sur les affinités, en rajoutent sûrement une couche.

Mais Dieu nous donne le modèle d’une persévérance qui regarde à l’affection d’origine, à ce qui a été construit, à la promesse, et qui donne une nouvelle chance (en disant les choses ! mais en recherchant la réconciliation). Par exemple, en recontactant un ami éloigné, un cousin avec qui on est fâché, en parlant avec notre collègue au lieu de l’éviter… Il s’agit de redonner une chance, sans s’enfermer dans l’amertume du passé ou nos droits et notre fierté, car les obstacles intérieurs sont aussi importants que les fléaux sociaux. Et là aussi, la fidélité de Dieu est essentielle, c’est notre force : si nous sommes trop fiers, que notre honneur paraît bafoué, regardons au Dieu, roi des cieux, qui s’est abaissé pour nous rejoindre. Si c’est la douleur qui nous empêche de revenir, regardons au Dieu compatissant et juste, qui prendra soin de nous.

Conclusion

La pandémie l’a montré : nous souffrons de solitude. Et ça ne risque pas de changer si nos relations changent tout le temps. Si au moindre désagrément, on se déracine, les relations restent toujours superficielles, et alors, même entouré, on reste seul derrière notre masque. Cultiver la persévérance, cultiver la fidélité, c’est surmonter des obstacles pour se donner la chance de relations profondes, intimes, authentiques.

Certes, nous ne sommes pas Dieu… Nous sommes bien plus petits que Dieu, mais ce qui fait la différence dans notre vie, ce qui impressionne/ motive/ inspire, ce supplément d’âme ou ce sel, c’est bien quand quelque chose d’extra-ordinaire vient transfigurer la banalité ordinaire. Même si les autres manquent de fidélité, même si nous manquons de fidélité, même si /surtout ! si c’est douloureux et difficile, regardons à Dieu, comptons sur sa fidélité, laissons l’exemple du Christ nous inspirer, et que son Esprit nous aide à porter des fruits de fidélité.

5 Solae (4) En Christ seul

Regarder la vidéo ici

Nous continuons ce matin notre série sur les fondamentaux de la Réforme protestante au XVIe siècle, dont nous sommes héritiers, avec cette affirmation : le salut vient du Christ seul, un salut offert par grâce que nous recevons simplement par la foi. Pour creuser cette affirmation, je vous invite à lire un passage de la première lettre de l’apôtre Paul à Timothée. Paul est en train de recommander à Timothée et à l’église de prier, de prier largement, pour tous, et son argument massue, c’est l’œuvre du Christ pour nous.

Lecture biblique : 1 Tim 2.1-7

1 Avant tout, je recommande ceci : il faut faire des demandes à Dieu, le prier, le supplier et le remercier pour tous les êtres humains. 2 Il faut prier pour ceux qui nous gouvernent et pour toutes les autorités. Alors nous pourrons mener une vie calme et tranquille en étant fidèles à Dieu et en nous conduisant bien. 3 Voilà ce qui est beau et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, 4 qui veut que tous soient sauvés et arrivent à connaître la vérité. 

5 En effet, il y a un seul Dieu. Il y a aussi un seul intermédiaire [médiateur] entre Dieu et les êtres humains : c’est un être humain, le Christ Jésus, 6 qui a donné sa vie en rançon pour libérer tous les humains. C’est là le témoignage que le Christ a donné au moment fixé par Dieu.

7 Et c’est à cause de ce témoignage que Dieu a fait de moi un messager et un apôtre (je dis la vérité, je ne mens pas). Il m’a chargé d’enseigner aux non-Juifs la foi et la vérité.

Pour résumer : Paul nous invite à prier pour l’humanité, à la fois nos contemporains et ceux qui nous gouvernent, afin que la Bonne Nouvelle du salut en Christ puisse se propager facilement au plus grand nombre, car Dieu veut que l’humanité soit sauvée – le Christ en est la preuve. Concentrons-nous donc sur le Christ, clef de notre salut.

Jésus-Christ, le médiateur

Jésus est présenté ici comme un médiateur, un intermédiaire, entre Dieu et nous. Au départ, c’est un terme juridique (comme un médiateur entre deux parties qui s’affrontent), commerciale, ou diplomatique : le médiateur, c’est quelqu’un qui aide à établir ou rétablir la relation. Plus largement, on peut penser au grand frère qui va parler aux parents de notre part, à l’oncle qui rassemble toute la famille pour régler une affaire, ou tout simplement à l’ami qui recommande un professionnel en disant : « Dis-lui bien que tu viens de ma part ! ». Ce médiateur facilite la transaction, la relation, et pour que ça marche, il faut qu’il ait la faveur, la confiance, des deux parties.

Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et nous. Cela signifie que la relation entre Dieu et nous a été rompue, puisque nous avons besoin d’un intermédiaire pour rétablir le contact. Car l’humanité créée, aimée de Dieu, rendue vivante par Dieu, appelée à gouverner avec justice dans le monde – l’humanité s’est détournée de Dieu tout en profitant de ses dons (nous vivons encore !). Mais en nous détournant du Dieu de justice et de vérité, nous nous sommes détournés du même coup de la justice et de la vérité… entrant dans les engrenages du mal qui abîme tout, depuis notre pensée la plus intime jusqu’au système politique ou économique le plus impersonnel. Nous avons donc besoin à la fois d’être libérés du mal, et d’être reconnectés avec Dieu.

L’image de la rançon dit bien cette double réalité : on paye une rançon pour libérer des otages, et pour qu’ils retrouvent leur vraie vie, avec leurs proches. Et cette libération a un prix ! Mais à la différence des otages généralement passifs, nous sommes artisans de notre propre esclavage, à la fois victimes et coupables du mal qui nous gangrène : le montant de notre rançon, c’est notre dette devant Dieu. Et cette dette, nous ne pouvons pas la payer car jamais nous n’aurons assez ! Jamais nous ne couvrirons le passé… mais Jésus qui a mené une vie parfaitement juste et sainte devant Dieu, parfaitement obéissant et aimant, Jésus a donné toute la valeur de sa vie pour nous délivrer des conséquences du mal.

Imaginez un jeu de société, un jeu de plateau : un seul joueur a réussi à faire le maximum de points, 100%, et sa victoire c’est un joker infini, qui permet de sortir de toutes les cases « prison ». Quand vous êtes en prison, victime d’un guet-apens ou de vos propres mauvais coups, ce joueur décide d’utiliser son joker – pour vous, pour votre voisin… c’est infini ! Vous êtes libres d’avancer, grâce à son joker.

Jésus peut payer nos dettes parce qu’il est solidaire de notre humanité : il est comme nous ! Et une fois qu’il nous a rendus libres, il peut nous amener devant Dieu, comme un médiateur, parce qu’il est aussi intimement lié à Dieu, il est Dieu le Fils : il est le pont parfait et suffisant, Dieu devenu homme pour sauver l’humanité.

Cela est arrivé une fois, une fois pour toutes : en Jésus, Dieu s’est attaché à nous et nous a attachés à lui, jusque dans son ADN, pour l’éternité. Le pont entre Dieu et nous ne peut plus se refermer : il est imprimé dans l’identité-même de Dieu…

Nous sommes sauvés par le Christ seul : il est notre libérateur et notre médiateur, il est la porte et il est la clef, il est le pont éternel entre Dieu et nous.

Cette affirmation est au cœur de toutes les autres affirmations de la Réforme : nous sommes sauvés par le Christ seul, qui s’offre par grâce, et que nous ne pouvons que recevoir avec confiance, tels des otages délivrés et ramenés à la maison. C’est l’Ecriture, la Bible, qui nous l’affirme, afin que nous reconnaissions Dieu dans toute sa magnificence et que nous lui rendions gloire.

Pas d’autre médiateur

Martin Luther, à l’heure de la Réforme, a écrit : « Il me faut écouter l’Evangile, qui me raconte non pas ce que je dois faire, mais ce que Jésus-Christ, le fils de Dieu, a fait pour moi » (Commentaire aux Galates, 2.4-5).

Les chrétiens, pourtant émerveillés de l’œuvre de Dieu en Christ, ont toujours bataillé pour vraiment saisir cette bonne nouvelle, depuis les chrétiens de Galatie dont Eglantine parlait la semaine dernière, jusqu’à nous, en passant par toutes les époques. A l’époque de la Réforme, c’était des participations financières coûteuses, des pèlerinages laborieux, des rituels culpabilisants, qui venaient ajouter au salut du Christ. Luther a redécouvert, pour lui-même d’abord, combien le Christ suffit. Nous sommes tentés d’ajouter au salut, de mériter le cadeau, pour nous rassurer peut-être, en nous disant que nous contrôlons au salut ? ou par orgueil, ou un peu des deux… Mais en rajoutant à l’œuvre du Christ, en fait, nous disons qu’elle n’est pas suffisante, et nous la dévalorisons. Nous méprisons le Christ, lui Fils de Dieu devenu homme, notre médiateur éternel, nous nous mettons au-dessus de lui, et cela nous empêche de recevoir vraiment ce qu’il veut nous offrir, ce qui ne peut venir que de Dieu.

Nous n’avons rien à ajouter à notre salut car le Christ a tout accompli. Nous n’avons pas non plus besoin d’un autre intermédiaire entre Dieu et nous ou entre Jésus et nous… Le Christ est tout proche de nous, et de Dieu, il suffit ! Pas besoin d’en appeler aux anges, aux saints, aux médiums, aux prêtres, à des « prophètes » ou des « apôtres » : Dieu est tout proche, à travers le Christ. Cela vaut aussi pour les pasteurs, qui sont au même niveau que la communauté, même si avec le conseil ils en sont responsables – mais quelle que soit notre fonction, nous avons tous la même valeur devant Dieu, et notre prière a la même efficacité. C’est l’idée du sacerdoce universel : nous sommes tous prêtres, c’est-à-dire, tous invités à expérimenter au plus près le mystère de la vie avec Dieu.

Un pour tous ?

Le Christ seul ! Le Christ suffit pour nous reconnecter à Dieu, rien ni personne ne peut y ajouter. Ouf ! Dieu nous aime d’un amour conditionnel, mais la condition, c’est le Christ, et le Christ seul – nous n’avons qu’à recevoir avec foi ! C’est la Bonne Nouvelle annoncée par les Réformateurs : nous sommes en paix avec Dieu et cela ne dépend pas de nous, nous ne pouvons pas l’abîmer – c’est entre les mains du Christ. Quel soulagement, quel repos pour nos âmes…

Mais dire : le Christ « seul », autant au XVIe qu’aujourd’hui, c’est un peu polémique. A l’époque de la Réforme, Luther, Calvin etc. s’attaquent à tout ce qui a pu recouvrir et étouffer l’œuvre du Christ pour nous.

Aujourd’hui, le « seul » interpelle alors que nous sommes dans un contexte mondialisé, multiculturel, blasé des vieilles religions institutionnelles et des discours totalitaires. Le Christ seul nous sauve ? Et ceux qui ont une autre religion ? Et ceux qui ne peuvent pas comprendre, à cause de l’âge, du handicap ? Et ceux qui n’en ont jamais entendu parler ? Dieu les priverait-il de salut ? Cette revendication, libératrice à la Réforme, peut sonner aujourd’hui comme du fanatisme, de l’arrogance, du mépris pour les autres, discréditée aussi par toutes les injustices historiques commises par des chrétiens.

Paul, dans son invitation à la prière, insiste sur l’ambition universelle de Dieu, qui veut sauver toute l’humanité – pas juste moi ou vous personnellement, toute l’humanité ! Le Christ est mort pour tous, et il offre son pardon et son amour à tous. D’ailleurs, il invite ses disciples à témoigner de cette bonne nouvelle à toutes les nations… Et l’apôtre Paul y consacre sa vie entière : Jésus n’est pas le sauveur des Juifs, comme il pourrait y avoir un sauveur des Grecs, des Celtes, des Chinois, des Rwandais…

Si nous croyons que Jésus nous a sauvés parce qu’il est Dieu devenu humain, alors il est venu pour tous les humains, et nous ne pouvons pas atténuer notre propos en disant: nous sommes sauvés par le Christ, de préférence, ou autre chose… Comment pourrions-nous mettre sur le même plan Dieu venu en personne parmi nous et nos tentatives, nos méditations, nos rituels tout humains ?

Ce serait arrogant, et ça l’a été dans l’Histoire, si nous mettions en avant un système, une religion, quelque chose qui dépend de nous… mais ce n’est pas le cas! Nous annonçons simplement une personne, en qui Dieu se révèle pleinement (cf. Col 1.15-20).

N’empêche que, une fois qu’on a affirmé être sauvés par le Christ seul, il y a des cas limites (les nourrissons, les inconscients, les ignorants…). Et la Bible garde le silence sur cette question. On peut nous-mêmes réfléchir, spéculer, mais on tombe très vite dans une impasse : soit on diminue l’importance du Christ, soit on « prive » des foules entières du salut. Mais quand la Bible garde le silence, c’est sage d’être prudent et de savoir dire qu’on ne sait pas. Un peu d’humilité !

Cela dit, ce que nous savons, avec certitude (et personnellement, c’est à ça que je m’accroche), c’est que le Dieu est le créateur de tout être humain, qu’il connaît et chérit infiniment plus que nous ne le faisons (voir p. ex. l’histoire de Jonas). Dieu est infiniment plus juste que notre justice, ou notre idée de la justice, et il est infiniment plus compatissant que nous.

Et à côté de ces certitudes, il y a cette exhortation massive : priez, et vivez, pour que l’amour de Dieu en Christ se répande à tous, que chacun reçoive ce repos et cette liberté de Dieu. Dieu nous confie une mission (vivre son amour et en témoigner autour de nous), sans pour autant tout nous dire. Et cela doit nous encourager à agir, tout en restant humbles : nous ne savons pas tout… La personne que je rencontre, c’est d’abord Dieu qui la connaît… que je sois un simple messager de son amour !

 

Le Christ seul ! Cette affirmation résonne avec force, elle nous invite à l’assurance pour nous-mêmes : nous sommes enfants de Dieu, à la joie, et à une certaine humilité (voire une humilité certaine) : nous avons tous reçu de Dieu, nous lui faisons confiance, et nous voulons simplement vivre et proclamer son amour en Christ.