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Nous continuons ce matin notre série sur les fondamentaux de la Réforme protestante au XVIe siècle, dont nous sommes héritiers, avec cette affirmation : le salut vient du Christ seul, un salut offert par grâce que nous recevons simplement par la foi. Pour creuser cette affirmation, je vous invite à lire un passage de la première lettre de l’apôtre Paul à Timothée. Paul est en train de recommander à Timothée et à l’église de prier, de prier largement, pour tous, et son argument massue, c’est l’œuvre du Christ pour nous.
Lecture biblique : 1 Tim 2.1-7
1 Avant tout, je recommande ceci : il faut faire des demandes à Dieu, le prier, le supplier et le remercier pour tous les êtres humains. 2 Il faut prier pour ceux qui nous gouvernent et pour toutes les autorités. Alors nous pourrons mener une vie calme et tranquille en étant fidèles à Dieu et en nous conduisant bien. 3 Voilà ce qui est beau et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, 4 qui veut que tous soient sauvés et arrivent à connaître la vérité.
5 En effet, il y a un seul Dieu. Il y a aussi un seul intermédiaire [médiateur] entre Dieu et les êtres humains : c’est un être humain, le Christ Jésus, 6 qui a donné sa vie en rançon pour libérer tous les humains. C’est là le témoignage que le Christ a donné au moment fixé par Dieu.
7 Et c’est à cause de ce témoignage que Dieu a fait de moi un messager et un apôtre (je dis la vérité, je ne mens pas). Il m’a chargé d’enseigner aux non-Juifs la foi et la vérité.
Pour résumer : Paul nous invite à prier pour l’humanité, à la fois nos contemporains et ceux qui nous gouvernent, afin que la Bonne Nouvelle du salut en Christ puisse se propager facilement au plus grand nombre, car Dieu veut que l’humanité soit sauvée – le Christ en est la preuve. Concentrons-nous donc sur le Christ, clef de notre salut.
Jésus-Christ, le médiateur
Jésus est présenté ici comme un médiateur, un intermédiaire, entre Dieu et nous. Au départ, c’est un terme juridique (comme un médiateur entre deux parties qui s’affrontent), commerciale, ou diplomatique : le médiateur, c’est quelqu’un qui aide à établir ou rétablir la relation. Plus largement, on peut penser au grand frère qui va parler aux parents de notre part, à l’oncle qui rassemble toute la famille pour régler une affaire, ou tout simplement à l’ami qui recommande un professionnel en disant : « Dis-lui bien que tu viens de ma part ! ». Ce médiateur facilite la transaction, la relation, et pour que ça marche, il faut qu’il ait la faveur, la confiance, des deux parties.
Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et nous. Cela signifie que la relation entre Dieu et nous a été rompue, puisque nous avons besoin d’un intermédiaire pour rétablir le contact. Car l’humanité créée, aimée de Dieu, rendue vivante par Dieu, appelée à gouverner avec justice dans le monde – l’humanité s’est détournée de Dieu tout en profitant de ses dons (nous vivons encore !). Mais en nous détournant du Dieu de justice et de vérité, nous nous sommes détournés du même coup de la justice et de la vérité… entrant dans les engrenages du mal qui abîme tout, depuis notre pensée la plus intime jusqu’au système politique ou économique le plus impersonnel. Nous avons donc besoin à la fois d’être libérés du mal, et d’être reconnectés avec Dieu.
L’image de la rançon dit bien cette double réalité : on paye une rançon pour libérer des otages, et pour qu’ils retrouvent leur vraie vie, avec leurs proches. Et cette libération a un prix ! Mais à la différence des otages généralement passifs, nous sommes artisans de notre propre esclavage, à la fois victimes et coupables du mal qui nous gangrène : le montant de notre rançon, c’est notre dette devant Dieu. Et cette dette, nous ne pouvons pas la payer car jamais nous n’aurons assez ! Jamais nous ne couvrirons le passé… mais Jésus qui a mené une vie parfaitement juste et sainte devant Dieu, parfaitement obéissant et aimant, Jésus a donné toute la valeur de sa vie pour nous délivrer des conséquences du mal.
Imaginez un jeu de société, un jeu de plateau : un seul joueur a réussi à faire le maximum de points, 100%, et sa victoire c’est un joker infini, qui permet de sortir de toutes les cases « prison ». Quand vous êtes en prison, victime d’un guet-apens ou de vos propres mauvais coups, ce joueur décide d’utiliser son joker – pour vous, pour votre voisin… c’est infini ! Vous êtes libres d’avancer, grâce à son joker.
Jésus peut payer nos dettes parce qu’il est solidaire de notre humanité : il est comme nous ! Et une fois qu’il nous a rendus libres, il peut nous amener devant Dieu, comme un médiateur, parce qu’il est aussi intimement lié à Dieu, il est Dieu le Fils : il est le pont parfait et suffisant, Dieu devenu homme pour sauver l’humanité.
Cela est arrivé une fois, une fois pour toutes : en Jésus, Dieu s’est attaché à nous et nous a attachés à lui, jusque dans son ADN, pour l’éternité. Le pont entre Dieu et nous ne peut plus se refermer : il est imprimé dans l’identité-même de Dieu…
Nous sommes sauvés par le Christ seul : il est notre libérateur et notre médiateur, il est la porte et il est la clef, il est le pont éternel entre Dieu et nous.
Cette affirmation est au cœur de toutes les autres affirmations de la Réforme : nous sommes sauvés par le Christ seul, qui s’offre par grâce, et que nous ne pouvons que recevoir avec confiance, tels des otages délivrés et ramenés à la maison. C’est l’Ecriture, la Bible, qui nous l’affirme, afin que nous reconnaissions Dieu dans toute sa magnificence et que nous lui rendions gloire.
Pas d’autre médiateur
Martin Luther, à l’heure de la Réforme, a écrit : « Il me faut écouter l’Evangile, qui me raconte non pas ce que je dois faire, mais ce que Jésus-Christ, le fils de Dieu, a fait pour moi » (Commentaire aux Galates, 2.4-5).
Les chrétiens, pourtant émerveillés de l’œuvre de Dieu en Christ, ont toujours bataillé pour vraiment saisir cette bonne nouvelle, depuis les chrétiens de Galatie dont Eglantine parlait la semaine dernière, jusqu’à nous, en passant par toutes les époques. A l’époque de la Réforme, c’était des participations financières coûteuses, des pèlerinages laborieux, des rituels culpabilisants, qui venaient ajouter au salut du Christ. Luther a redécouvert, pour lui-même d’abord, combien le Christ suffit. Nous sommes tentés d’ajouter au salut, de mériter le cadeau, pour nous rassurer peut-être, en nous disant que nous contrôlons au salut ? ou par orgueil, ou un peu des deux… Mais en rajoutant à l’œuvre du Christ, en fait, nous disons qu’elle n’est pas suffisante, et nous la dévalorisons. Nous méprisons le Christ, lui Fils de Dieu devenu homme, notre médiateur éternel, nous nous mettons au-dessus de lui, et cela nous empêche de recevoir vraiment ce qu’il veut nous offrir, ce qui ne peut venir que de Dieu.
Nous n’avons rien à ajouter à notre salut car le Christ a tout accompli. Nous n’avons pas non plus besoin d’un autre intermédiaire entre Dieu et nous ou entre Jésus et nous… Le Christ est tout proche de nous, et de Dieu, il suffit ! Pas besoin d’en appeler aux anges, aux saints, aux médiums, aux prêtres, à des « prophètes » ou des « apôtres » : Dieu est tout proche, à travers le Christ. Cela vaut aussi pour les pasteurs, qui sont au même niveau que la communauté, même si avec le conseil ils en sont responsables – mais quelle que soit notre fonction, nous avons tous la même valeur devant Dieu, et notre prière a la même efficacité. C’est l’idée du sacerdoce universel : nous sommes tous prêtres, c’est-à-dire, tous invités à expérimenter au plus près le mystère de la vie avec Dieu.
Un pour tous ?
Le Christ seul ! Le Christ suffit pour nous reconnecter à Dieu, rien ni personne ne peut y ajouter. Ouf ! Dieu nous aime d’un amour conditionnel, mais la condition, c’est le Christ, et le Christ seul – nous n’avons qu’à recevoir avec foi ! C’est la Bonne Nouvelle annoncée par les Réformateurs : nous sommes en paix avec Dieu et cela ne dépend pas de nous, nous ne pouvons pas l’abîmer – c’est entre les mains du Christ. Quel soulagement, quel repos pour nos âmes…
Mais dire : le Christ « seul », autant au XVIe qu’aujourd’hui, c’est un peu polémique. A l’époque de la Réforme, Luther, Calvin etc. s’attaquent à tout ce qui a pu recouvrir et étouffer l’œuvre du Christ pour nous.
Aujourd’hui, le « seul » interpelle alors que nous sommes dans un contexte mondialisé, multiculturel, blasé des vieilles religions institutionnelles et des discours totalitaires. Le Christ seul nous sauve ? Et ceux qui ont une autre religion ? Et ceux qui ne peuvent pas comprendre, à cause de l’âge, du handicap ? Et ceux qui n’en ont jamais entendu parler ? Dieu les priverait-il de salut ? Cette revendication, libératrice à la Réforme, peut sonner aujourd’hui comme du fanatisme, de l’arrogance, du mépris pour les autres, discréditée aussi par toutes les injustices historiques commises par des chrétiens.
Paul, dans son invitation à la prière, insiste sur l’ambition universelle de Dieu, qui veut sauver toute l’humanité – pas juste moi ou vous personnellement, toute l’humanité ! Le Christ est mort pour tous, et il offre son pardon et son amour à tous. D’ailleurs, il invite ses disciples à témoigner de cette bonne nouvelle à toutes les nations… Et l’apôtre Paul y consacre sa vie entière : Jésus n’est pas le sauveur des Juifs, comme il pourrait y avoir un sauveur des Grecs, des Celtes, des Chinois, des Rwandais…
Si nous croyons que Jésus nous a sauvés parce qu’il est Dieu devenu humain, alors il est venu pour tous les humains, et nous ne pouvons pas atténuer notre propos en disant: nous sommes sauvés par le Christ, de préférence, ou autre chose… Comment pourrions-nous mettre sur le même plan Dieu venu en personne parmi nous et nos tentatives, nos méditations, nos rituels tout humains ?
Ce serait arrogant, et ça l’a été dans l’Histoire, si nous mettions en avant un système, une religion, quelque chose qui dépend de nous… mais ce n’est pas le cas! Nous annonçons simplement une personne, en qui Dieu se révèle pleinement (cf. Col 1.15-20).
N’empêche que, une fois qu’on a affirmé être sauvés par le Christ seul, il y a des cas limites (les nourrissons, les inconscients, les ignorants…). Et la Bible garde le silence sur cette question. On peut nous-mêmes réfléchir, spéculer, mais on tombe très vite dans une impasse : soit on diminue l’importance du Christ, soit on « prive » des foules entières du salut. Mais quand la Bible garde le silence, c’est sage d’être prudent et de savoir dire qu’on ne sait pas. Un peu d’humilité !
Cela dit, ce que nous savons, avec certitude (et personnellement, c’est à ça que je m’accroche), c’est que le Dieu est le créateur de tout être humain, qu’il connaît et chérit infiniment plus que nous ne le faisons (voir p. ex. l’histoire de Jonas). Dieu est infiniment plus juste que notre justice, ou notre idée de la justice, et il est infiniment plus compatissant que nous.
Et à côté de ces certitudes, il y a cette exhortation massive : priez, et vivez, pour que l’amour de Dieu en Christ se répande à tous, que chacun reçoive ce repos et cette liberté de Dieu. Dieu nous confie une mission (vivre son amour et en témoigner autour de nous), sans pour autant tout nous dire. Et cela doit nous encourager à agir, tout en restant humbles : nous ne savons pas tout… La personne que je rencontre, c’est d’abord Dieu qui la connaît… que je sois un simple messager de son amour !
Le Christ seul ! Cette affirmation résonne avec force, elle nous invite à l’assurance pour nous-mêmes : nous sommes enfants de Dieu, à la joie, et à une certaine humilité (voire une humilité certaine) : nous avons tous reçu de Dieu, nous lui faisons confiance, et nous voulons simplement vivre et proclamer son amour en Christ.