Savez-vous ce qu’est cet objet ?
C’est plus reconnaissable quand c’est taillé, non ?
et plus beau aussi… ! Taillé, il reflète la lumière, donne envie de l’exposer ou de le porter en bijou, petit trésor ambulant.
Comme ce rubis, nous avons nous aussi des trésors, en tant que chrétiens… mais des trésors parfois laissés à l’état brut, mat : ils sont beaux, mais s’ils étaient mieux taillés, si l’on voyait mieux leurs facettes, qu’est-ce qu’ils viendraient illuminer notre foi ! Et on aurait peut-être plus envie de les exposer ou de les porter partout avec nous…
Pour nous préparer à Pâques, je vous propose une série de prédications centrées sur la Croix où meurt Jésus. Cette croix est au centre de notre foi chrétienne, Martine l’a rappelé, au centre de notre spiritualité évangélique : nous chantons l’Agneau immolé, son sacrifice, celui qui nous libère par son sang, qui nous rachète à la croix, etc.
Jésus est mort pour nous à la croix : qu’y a-t-il vraiment derrière cet événement ? Je vous propose de tailler ensemble la pierre pour en faire ressortir quelques facettes, à l’aide des images qu’utilise la Bible pour nous aider à saisir davantage la richesse insondable de l’amour de Dieu démontré à la Croix.
Parce que dans la Bible, la Croix est vraiment un trésor aux mille facettes, avec certaines plus larges que d’autres, j’en ai retenu 4, les 4 sens les plus courants, qu’on verra sur 4 dimanches… Il se trouve que j’ai croisé en formation cette semaine un collègue, Matthieu Moury, pasteur à l’église évangélique baptiste d’Argenteuil, qui fait lui aussi une série sur les 4 sens principaux de la croix (les mêmes ), et il m’a offert ce moyen mnémotechnique des 4 R de la Croix :
Rituel (sacrifice)
Réconciliation
Rachat (ou rançon)
Reconquête (la dimension de victoire)
Autant d’images qui s’articulent pour enrichir notre compréhension de ce que Jésus a accompli pour nous. Attention, ce sont des images, forcément partielles…
Pour commencer la série, prenons le sens du Rituel, du sacrifice, avec un extrait de la lettre de Paul aux Romains – Martin Luther, un des pionniers de la Réforme protestante, disait que c’était le cœur de la lettre, et même de la Bible entière !
Lecture biblique : Lettre aux Romains 3.21-26
21 Mais maintenant, indépendamment de la loi, la justice de Dieu a été manifestée ; la loi et les prophètes lui rendent témoignage.
22 C’est la justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient, car il n’y a pas de différence : 23 tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, 24 mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus Christ.
25 C’est lui que Dieu a destiné à servir d’expiation par son sang, par le moyen de la foi, pour montrer ce qu’était la justice, du fait qu’il avait laissé impunis les péchés d’autrefois, 26 au temps de sa patience.
Il montre donc sa justice dans le temps présent, afin d’être juste tout en justifiant celui qui vit de la foi en Jésus.
Paul trace une ligne dans l’Histoire : il y a un avant et un après Jésus-Christ. Plus précisément, un avant et un après sa mort.
La croix comme sacrifice
La Croix est ici présentée comme un sacrifice, une expiation. Dans l’Antiquité, la religion, juive ou païenne, est centrée sur le rituel de sacrifice, sur ce qu’on offre à la divinité. Le sacrifice est comme un cadeau : pour l’honorer, la remercier pour son aide ou encore pour se faire pardonner… Il est donc assez naturel de comprendre la mort de Jésus sur la croix comme un sacrifice en notre faveur pour nous pardonner. A chaque fois qu’on parle du sang de Jésus dans la Bible ou dans nos chants, on évoque le sacrifice : la crucifixion tue par asphyxie, il n’y a quasiment pas de sang versé.
Paul parle d’expiation, un type de sacrifice nécessaire au pardon dans les rituels juifs. Expier une faute, dans la loi juive, c’est encaisser la colère de Dieu face à notre injustice. Dans le rituel du sacrifice d’expiation, le croyant reconnaît qu’il mérite la colère de Dieu – et par convention entre Dieu et son peuple, on considère que l’animal qui meurt, meurt à la place du croyant, se substitue à lui pour encaisser la colère de Dieu et donner au croyant une nouvelle chance. Il y a un transfert symbolique de culpabilité. Et cela évite de tuer tous les coupables (il ne resterait plus grand monde !).
Remarque: Ne soyons pas choqués aujourd’hui de la place donnée à l’animal dans ce type de sacrifice : c’était relativement rare et une partie de l’animal était consommée. C’était aussi une occasion de manger de la viande dans une société bien plus frugale que la nôtre. Le traitement de l’animal est sûrement bien plus violent dans nos sociétés occidentales modernes qu’à l’époque.
Dans la mort de Jésus sur la croix, les disciples reconnaissent l’équivalent de ces sacrifices. Mais à la différence d’un animal, il y a un lien, une solidarité charnelle entre Jésus et nous : Dieu s’est fait homme, humain, de notre chair, frère de chacun d’entre nous – lorsque Jésus meurt sur la croix, le transfert de notre culpabilité est bien plus naturel, et valide, que sur un animal. C’est un homme qui paie pour l’humanité. Un innocent (même ses adversaires en convenaient) qui encaisse à notre place la colère de Dieu pour nos injustices. Paul précise même que ce sacrifice en Christ est le seul à être valide : tous les sacrifices qui ont eu lieu auparavant n’étaient efficaces que parce qu’ils pointaient vers le sacrifice de Jésus – seul un humain peut encaisser pour l’humanité. Le système de sacrifices animaux, c’était le temps de la patience de Dieu, où il montrait aux croyants le besoin de payer pour le mal commis, un peu comme une simulation avant l’expérience réelle.
L’image de la justification
Très logiquement, puisqu’on parle de colère, d’injustice et de justice, Paul glisse vers le vocabulaire juridique de la justification, c’est-à-dire le moment où le juge déclare que l’accusé est innocent, juste, en règle. Si on quitte le monde du rituel, la salle du temple, pour entrer dans une salle de tribunal, le monde du procès, on a Dieu, nous, Jésus et Satan. J’extrapole un peu par rapport au texte de Romains 3.
Dieu : fondateur de la justice, roi, maître, arbitre, juge.
Nous : créés par Dieu, désirés par Dieu, et pourtant rebelles, transgresseurs de la justice de Dieu, coupables – et condamnables.
Satan : accusateur vicieux qui fait tout pour nous séparer de Dieu – d’un côté en nous invitant au mal, de l’autre côté en nous accusant devant Dieu (“comment peux-tu les aimer, regarde-les, ils sont tous pourris, nuls… ce sont des cas désespérés, ces humains !”)
Or Dieu est justice tout autant qu’il nous aime. Même par amour, il ne peut pas aller à l’encontre de son essence : il est justice ! Il ne peut pas regarder ailleurs ! Mais il ne peut pas non plus se résoudre à nous condamner, à nous perdre, parce que son amour pour nous est tout autant enraciné dans son être.
Sa solution au dilemme : aller lui-même, en la personne de Jésus, prendre la place des accusés et subir la peine juridique qu’ils méritent – la condamnation à mort. C’est comme si le juge se dédoublait pour à la fois rester juge et prendre la place des condamnés, en encaissant tout le poids de la sentence. Il est ainsi juste tout en justifiant le coupable : c’est le résumé de l’Evangile – Dieu trouve une solution pour respecter à la fois son exigence de justice et son amour ardent envers nous : c’est lui, en devenant un être humain, qui va assumer le poids de nos fautes. C’est seulement ainsi qu’il peut être à la fois juste et miséricordieux.
Dans la salle du Temple dans le tribunal, il ne reste aux coupables qu’à croire – croire que Jésus, Dieu fait homme, est mort pour nous, c’est-à-dire en notre faveur, et même plus, à notre place – il s’est substitué à nous pour nous offrir une nouvelle chance.
Le poids du péché
Le point commun entre le sacrifice d’expiation et le procès, c’est l’idée que nous méritons la mort parce que nous avons péché : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, dit Paul au v.23. Être privé de la gloire de Dieu, c’est être privé de sa présence, de son amour, de sa vie – c’est être coupé de la source, condamné à une aridité morbide.
La notion de péché est assez mal perçue aujourd’hui, comprise comme “une notion archaïque inventée par les judéo-chrétiens pour maintenir les foules dans l’asservissement moral, un levier de contrôle religieux qui s’appuierait sur une vision du monde en noir et blanc : le Bien / le Mal, alors que nous modernes avons compris que nos vies – comme l’a si bien dit Jean-Jacques Goldman – sont souvent « entre gris clair et gris foncé ». Le développement de la psychologie, de l’accompagnement, nous invite plutôt à accepter nos défauts, nos limites, sans se charger d’une culpabilité qui nous entrave et nous rend malheureux. Par pragmatisme, puisque nous sommes tous imparfaits, nous sommes invités à abandonner l’idéal culpabilisant de la perfection ou de la sainteté, pour assumer nos imperfections et défricher à tâtons notre chemin dans un monde complexe. Pour beaucoup, le péché n’existe pas, ou plus. On fait ce qu’on peut, avec notre histoire, nos circonstances de vie…”
En théorie ! parce qu’en réalité, la culpabilité demeure centrale – c’est le fondement de notre système de justice, bien sollicité aujourd’hui avec des plaintes et des procès qui se multiplient. Le fondement de la lutte pour l’égalité, le respect, l’inclusion – c’est bien au nom de la justice, et contre l’injustice personnelle ou collective, que les slogans de colère sont scandés dans la rue et sur les réseaux, ou que l’on boycotte telle personnalité politique, tel artiste…
Pourquoi être pécheur nous condamne-t-il à mort ? Imaginez notre âme comme une belle nappe en lin blanc, immaculée – à chaque fois que nous commettons le mal, nous renversons de l’encre sur cette nappe. Franchement, peu importe la quantité d’encre ou sa couleur, peu importe le nombre de tâches : la nappe est fichue ! inutilisable ! laide ! Vous ne pouvez pas accueillir vos invités d’honneur avec cette nappe sur la table !
Spirituellement, nous ne pouvons pas accueillir Dieu avec une âme entachée : ça le dégoûte trop ! parce que Dieu, bien plus que nous, est attaché à la justice. A ce qui est beau et bon. Bien plus que nous, Dieu est sensible aux dégâts que nous causons – sur nous-mêmes et sur les autres. Quand on parle de colère de Dieu, c’est la colère du Père, qui ne supporte pas qu’on touche à un cheveu de ses enfants !
La notion biblique du péché nous invite à reconnaître que nous ne sommes pas que des victimes : statistiquement, 100% de victimes c’est improbable. En réalité, nous sommes tous d’une manière ou d’une autre, entachés par le péché, suscitant la colère de Dieu face aux dégâts commis. Même si dans l’épaisseur de la vie humaine, nos fautes n’ont pas le même impact ni le même ancrage, tous nous sommes entachés, indignes d’être en présence de Dieu.
La Croix, filtre de justice
A la Croix, le Christ porte le poids moral de nos fautes, il assume à notre place notre responsabilité devant Dieu, comme s’il payait le prix des nappes abîmées, des âmes tordues et blessées. Comment savons-nous que le prix payé a couvert nos dettes ? Jésus est ressuscité, il est sorti de prison – son passage dans la mort est suffisant pour couvrir nos manquements. Sa justice, son innocence, sa perfection, ont tout couvert.
Lorsque nous croyons en Christ, par la foi nous sommes « couverts » devant Dieu, recouverts de cette innocence gagnée par le Christ. Vous connaissez Snapchat ? Une application qui permet notamment de mettre des filtres sur nos photos et vidéos, et c’est très bluffant. Une forme qui se surimpose intelligemment sur le visage photographié. Lorsque nous croyons en Christ, par la foi nous choisissons ce « filtre » d’innocence et de justice – et Dieu ne voit plus nos taches, nos distorsions, nos médiocrités : tout est couvert par l’innocence du Christ. La démarche de foi implique donc de notre part une repentance (encore un vieux mot mal accepté), le fait de reconnaître que nous méritons d’être sur le banc des accusés, et la confiance – le fait de croire que Jésus a pris notre place sur ce banc, et en prison, et dans la mort, pour que nous soyons déclarés justes et dignes de vivre avec Dieu.
Qu’est-ce que ça change pour nous ? La Croix est l’assurance que Dieu a pardonné nos fautes – a pardonné. C’est fait ! Une fois pour toutes ! Le Christ est entré dans la mort et il en est sorti, il nous ouvre le chemin des retrouvailles avec Dieu. Toutes les fois où nous sommes indignes de Dieu (les moments horribles qui hantent notre conscience, les moments mesquins qui égratignent notre quotidien, les moments ignorés où nous nous empêtrons dans nos taches et étalons le mal) toutes ces fois où nous sommes indignes de Dieu, nous pouvons regarder à la Croix. Le seul filtre qui marche pour gommer vraiment la laideur du péché. A la Croix le Christ a tout encaissé – nous pouvons maintenant vivre debout, soulagés de ce poids de culpabilité, debout devant Dieu qui nous redresse la tête et nous invite dans la richesse glorieuse de sa présence.