Quand la sainteté devient une idole

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Lecture biblique: Marc 7.1-23

En venant demander à Jésus pourquoi ses disciples ne purifient pas leurs mains avant de manger, les pharisiens et les maîtres de la loi ne s’attendaient sûrement pas à un tel retour de bâton. Jésus ne s’y trompe pas : la petite question de ces juifs pieux est une accusation, un jugement désapprobateur hypocritement coiffé d’un point d’interrogation. En effet, pharisiens et maîtres de la loi se préoccupent peu d’apprendre quel enseignement Jésus donne à ses disciples au sujet de la place de la tradition religieuse, mais ils accusent Jésus de mépriser cette tradition, transmise par les pères dans la foi. Jésus répond en deux volets à cette question, démasquant d’emblée l’hypocrisie de la demande, et il contre-attaque, d’abord en critiquant leur attitude vis-à-vis de la tradition, qui, aux yeux de Jésus, devient un obstacle à leur relation avec Dieu plutôt qu’une aide, et, devant la foule puis avec les disciples, en définissant ce qu’est la véritable impureté. Lorsque Jésus en a fini, les pharisiens sont mouchés, ils ne peuvent plus rien dire, le récit les tourne presque en ridicule : tel est pris qui croyait prendre ! Ceux qui voulaient prouver leur supériorité spirituelle en dénigrant Jésus voient leur superficialité et leur vanité dévoilées au grand jour.

1)   Comprendre les pharisiens    

Avant d’examiner les réponses de Jésus, j’aimerais qu’on s’arrête quelques instants sur les pharisiens, les maîtres de la loi, l’élite spirituelle en quelque sorte. Dans les Evangiles, ils apparaissent souvent comme les adversaires de Jésus, ses ennemis qui complotent contre lui, mais aussi comme des croyants rigides, superficiels, légalistes, et un peu ridicules. On aurait tort pourtant de s’imaginer qu’ils sont si loin de nous. En réalité, ce sont au départ des croyants sincères, dont le désir profond est de vivre tous les détails de leur vie en accord avec la volonté de Dieu. Ca c’est plutôt louable !

Ce désir de vivre saintement les conduit en particulier à chercher comment la loi juive peut concrètement être respectée au jour le jour. C’est la tradition, qui s’est constituée au fil du temps, au fil des problèmes qui se présentaient, et qui donne des repères concrets pour suivre au mieux les commandements de Dieu, par respect pour Dieu, avec le profond désir de ne rien faire qui lui déplaise. En particulier, les pharisiens vont choisir de respecter eux aussi les règles de vie des prêtres, considérant que ces règles favorisent un mode de vie saint.

L’intention de ces croyants est loin d’être mauvaise, et je sais que nombre de croyants aujourd’hui ont le même souci de chercher à plaire à Dieu dans les moindres détails de leur vie. Ce désir d’être saint est beau, mais dans le cas des pharisiens, il a conduit à un excès. A un moment, certains de ces croyants zélés ont confondu un mode de vie saint avec la relation avec Dieu : adorer Dieu, c’est devenu manger de telle manière, marcher de telle manière, prononcer telle parole à telle heure etc. La sainteté est comme devenue un but en soi, et a fini par occulter le Dieu pour qui ils voulaient être saints. On pourrait dire que, avec les meilleures intentions du monde, la sainteté est devenue leur idole => diapo titre, une idole qui les rend sourds aux vraies paroles de Dieu, et qui les rend aveugles sur leur propre état spirituel, deux éléments sur lesquels Jésus réagit.

2)   Quand le désir de sainteté finit par nous cacher Dieu

La tradition en soi n’est pas une mauvaise chose, elle aide le croyant à appliquer la volonté générale de Dieu, exprimée dans la Bible, dans le contexte précis, concret, de sa vie quotidienne. Pour les pharisiens et leurs semblables, le problème c’est que la tradition a fini par noyer les commandements originels de Dieu.

Jésus donne un exemple concret. Théoriquement, un bon juif doit respecter son père et sa mère, et c’est très sérieux puisqu’il encourt la condamnation à mort s’il agit mal envers eux. Ailleurs dans la loi, on rencontre le commandement selon lequel celui qui s’engage par un vœu doit absolument le respecter. La situation que décrit Jésus, c’est le cas où les deux entrent en conflit. Quelqu’un dirait à ses parents : « je ne peux pas vous aider financièrement (sachant qu’il n’y a pas de retraite ou de sécurité sociale !) parce que j’ai promis dans un vœu de consacrer cet argent à Dieu, et je ne peux pas revenir sur mon vœu. » Les chefs religieux tendraient à lui donner raison, c’est ça que critique Jésus ! Jésus critique le fait de bâtir un système de règles tellement compliquées qu’on se retrouve à les opposer les unes aux autres, à arbitrer en en choisissant certaines et pas d’autres, et surtout à donner la priorité aux règles les moins importantes ! Le respect des parents se trouve dans les 10 commandements, pas la règle sur le vœu. Le système devient tellement rigide que le bon sens n’y a plus de place, ni la volonté de Dieu : on est dans une situation absurde où, sous prétexte de respecter la loi, on la transgresse. C’est la tragédie des pharisiens, empêtrés dans un système qui les rend sourds et aveugles aux intentions de Dieu.

Nous sommes tellement différents ! Nous aussi, nous établissons des règles de vie pour respecter Dieu au quotidien. La situation des pharisiens nous interpelle sur notre pratique : est-ce que nos règles, utiles, sont devenues un obstacle entre Dieu et nous ? est-ce que nos règles, nos habitudes, nos valeurs chrétiennes (mais pas forcément bibliques !) ne nous détournent pas parfois de Dieu lui-même, un Dieu qui se plaît à sortir des cadres bien réguliers que nous nous imposons ? C’est tout le danger des réflexes, des recettes, d’une certaine culture implicite : quand on est chrétien on ne fume pas, on ne boit pas, on s’habille comme ci, on lit ça, on fréquente tel type de personnes etc.

Nos règles chrétiennes doivent rester des aides, utiles mais modifiables, toujours soumises à la comparaison avec ce que Dieu nous communique vraiment dans la Bible. Souvent, on est très surpris, par exemple sur le mariage, de voir l’écart entre ce que nous considérons comme un vrai et bon mariage et la conjugalité dans la Bible… On pourrait dire la même chose sur le ministère pastoral, les dons spirituels, etc. Nos règles ne sont pas forcément fausses, mais elles restent des traditions, des interprétations humaines qu’il faut veiller à ne pas identifier à la Parole de Dieu, transmise dans la Bible. Il y a une différence de statut et de priorité entre ce que Dieu dit et ce que nous comprenons.

3)   Quand la sainteté apparente nous trompe sur nous-mêmes

Après avoir bien relativisé le poids de la tradition humaine au regard de la vraie loi, la loi de Dieu, et ce faisant, démoli le piédestal imaginaire sur lequel se pavanaient les pharisiens, Jésus se tourne vers la foule et clarifie ce qu’est la véritable impureté, sujet trop délicat pour être passé sous silence. Sauf que, comme d’habitude, il s’exprime de manière un peu mystérieuse et les disciples réclament une explication. Ce qui souille, ce qui salit, l’homme, dit Jésus, ce n’est pas ce qui rentre, sous entendu des aliments qui vont être digérés et expulsés, mais ce qui sort de lui, son comportement, ses actes, ses paroles. C’est ce que l’homme produit qui le caractérise comme pur ou impur, autrement dit, digne ou indigne de Dieu. Et là, surprise ! La liste des comportements qui nous disqualifient devant Dieu est bien plus exigeante que toutes les règles rituelles des pharisiens : calomnie, orgueil, convoitise, jalousie – choses dont les pharisiens se sont rendus coupables, eux qui respectent tant les règles de pureté ! Et on pourrait rappeler les autres, bien sûr : le vol, le meurtre, l’immoralité, l’adultère, la mesquinerie, la méchanceté, le désordre, la sottise…

Ces comportements nous disqualifient parce que nous en sommes responsables devant Dieu, et ils révèlent qui nous sommes vraiment – notre cœur, c.à.d. notre être intérieur. Malheureusement, à ce jeu-là, même les plus pieux se retrouvent indignes de Dieu, un Dieu de justice et d’amour, de sagesse et de vérité. Jésus nous renvoie tous, croyants de niveau 3 ou de niveau 7, à une sainteté exigeante, qui dépasse les petites listes, les habitudes, les apparences, qu’on peut peaufiner et qui donnent l’illusion à ceux qui nous entourent, et parfois à nous-mêmes, mais jamais à Dieu, que nous sommes des gens bien. Jésus nous confronte à notre propre noirceur : plus d’excuse, plus de bons points qui tiennent devant la radicalité du mal que nous vivons à chaque instant et qui nous rend indignes de Dieu.

Conclusion

Jésus en reste là, cassant les préjugés, brisant les illusions, remettant chacun à sa place, la même, une place peu glorieuse : nous sommes tous pécheurs, nous sommes tous mauvais, et tous, à notre manière, même les plus « purs », nous sommes indignes de Dieu. C’est sec ! Mais ce constat a la saveur amère de la vérité. Heureusement, Jésus ne vient pas seulement donner des diagnostics, des constats, il apporte aussi le remède : Dieu, avec une générosité que nous ne pouvons imaginer, nous aime malgré tout ce que nous sommes et faisons, et il nous veut dans sa présence, dans son intimité, dans sa famille. Alors, il choisit d’apporter lui-même la solution en passant par Jésus-Christ. Ce don que Dieu nous fait, le salut, le pardon sans autre condition que la foi, c’est la grâce, et tous, Jésus nous l’a rappelé, tous nous en éprouvons le même besoin.

Avant qu’on partage la cène ensemble et qu’on se rappelle comment Dieu nous a sauvés alors que nous ne méritions rien, j’aimerais ajouter une petite réflexion. Une religion basée sur des codes à respecter, une religion qui dérive vers le faire et le paraître comme bases du salut, nous isole de Dieu et des autres, en favorisant le culte de la performance individuelle, de l’orgueil et de la rivalité. Une foi basée sur la grâce nous pousse au contraire à l’humilité : humilité devant Dieu, à qui je dois tout, humilité devant les autres, qui galèrent autant que moi, et à côté de qui je ne suis ni pire ni meilleure, parce que nous sommes tous pécheurs, tous bénéficiaires d’une grâce qui nous dépasse, tous apprentis de la sainteté, tous disciples.

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