La résurrection de Jésus, un Dieu qui nous échappe

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Lecture biblique: Marc 16.1-8

Le récit qui termine l’évangile de Marc nous laisse sur notre faim : pas de corps, pas d’explication sur la résurrection, pas de rencontre avec le ressuscité, juste quelques femmes et un homme, une consigne qui n’est même pas mise en œuvre. La fin de cet évangile est abrupte : les femmes n’ont rien fait car elles avaient peur, et nous restons comme en suspens, au point très tôt dans l’histoire de l’église, il y a eu la tentation de donner une vraie fin, en ajoutant une conclusion rassurante. Pourtant, l’originalité de Marc, qui s’arrête plus tôt que les autres évangélistes, a le mérite de nous plonger dans l’intensité de ce qui s’est passé et de faire résonner encore jusqu’à aujourd’hui l’interpellation de ce matin de Pâques.

1)   Un choc qui déchire l’ordinaire

Pour décrire cet événement indescriptible, Marc choisit de nous montrer la scène du point de vue des femmes qui découvrent le tombeau vide. Il prend le temps de nous décrire leur état d’esprit : malgré leur chagrin après le supplice et la mort du Maître, elles s’affairent pour achever l’enterrement. Après la crucifixion, elles ont repéré dans quel caveau on plaçait le corps de Jésus mort, et, dès que le sabbat, jour férié, est passé, elles achètent les huiles nécessaires pour parfumer le mort, et éviter qu’il ne sente trop. Le lendemain matin, elles partent dès le lever du soleil vers la tombe, pour ne pas perdre de temps. Avec bon sens, elles réfléchissent en chemin aux détails pratiques, et là, mince, elles se rendent compte qu’elles n’ont pas pensé à tout : la grande pierre qui ferme le caveau est trop lourde pour qu’elles puissent la déloger. Espérant trouver quelqu’un sur place, un gardien, un soldat, un visiteur, elles continuent leur route.

En arrivant, c’est étrange, la pierre est déjà roulée. Bon, elles entrent et elles trouvent dans la petite entrée du caveau un jeune homme, rayonnant, qui les fait presque sursauter de surprise et de crainte : qui est cet homme ? que fait-il ici ? Est-ce qu’elles se seraient trompées de tombeau ? Le jeune homme les rassure – c’est bien la tombe de Jésus, de Nazareth, crucifié le vendredi d’avant. Mais après les avoir rassurées, il les jette dans la confusion : Jésus n’est plus là, oui il s’est levé, il est parti et il laisse un message à transmettre aux apôtres : rendez-vous en Galilée. Prises de panique, les femmes s’enfuient au plus vite, et s’arrêtent, grelottantes, hébétées, en essayant d’encaisser le choc de cette nouvelle.

En décrivant la scène du point de vue des femmes, Marc évite le surnaturel, le merveilleux, le glorieux, même. Tout est ordinaire, et le tombeau vide apparaît presque comme un accident, une déviation en cours de route : ah non, vous ne pouvez pas embaumer le corps, il n’est pas là. Le messager ne prend particulièrement de pincettes, il n’explique rien, simplement Jésus n’est plus là et voici où vous pouvez le trouver. La résurrection, flash de vie divine qui vient déchirer la mort et la fatalité, la résurrection n’est pas donnée à voir, elle n’est pas décrite, il n’y a pas de mots pour rendre compte d’un tel chamboulement.

Notre seule échelle pour mesurer l’ampleur de ce qui s’est passé, c’est la réaction des femmes. Ce sont des femmes de bon sens, des femmes pratiques qui ont en vu et qui ne se laissent pas facilement impressionner : elles ont suivi Jésus, elles l’ont vu agoniser sur la croix, elles ont l’habitude de s’occuper des cadavres parfois abîmés. Pourtant, là, elles sont terrifiées. ter-ri-fiées ! Le tombeau vide, c’est l’écroulement de leurs certitudes, de leurs habitudes, de ce qui est le plus sûr dans notre vie, le plus universel : nous mourrons tous un jour. Cette certitude est ébranlée : la mort n’a pas eu le dernier mot, et Jésus en est sorti. Plus elles y pensent, plus elles ont le vertige devant ce tombeau vide, trace en creux de l’intervention du Dieu vivant qui déchire l’horizon, qui franchit les frontières de l’ordinaire : Jésus s’est réveillé, la vie de Dieu a triomphé de la mort.

Ce matin-là, tout est pareil, mais tout est différent. Nouveau jour, nouvelle semaine, nouvelle ère : dans le quotidien, la vie de Dieu a fait irruption.

2)   Où voir Jésus ? L’invitation à se mettre en route

Le tombeau vide n’a pas de sens en lui-même, c’est une empreinte, un manque qu’il faut interpréter, et sans la parole du messager qui affirme la résurrection de Jésus, son réveil d’entre les morts, ce tombeau vide pourrait avoir un tout autre sens : déplacement du corps, vol… Il en est du matin de Pâques comme des autres interventions divines : les faits ne parlent pas d’eux-mêmes, mais ils demandent de se mettre à l’écoute de Dieu pour les comprendre et en saisir la portée.

La parole du messager, au matin de Pâques, est centrale, cruciale, et réserve d’autres surprises que le miracle inouï de la résurrection du Christ. En effet, le messager confirme aux femmes que Jésus s’est dérobé à la mort, d’une part, mais aussi à leurs yeux. Plus tard, le ressuscité apparaîtra, mais dans un premier temps, comme pendant sa vie sur la terre, il est insaisissable. Devant ceux qui voulaient faire de lui le Roi, le libérateur, le vainqueur triomphant, sans comprendre le chemin douloureux qu’il avait choisi, il se dérobait. Devant ceux qui venaient à lui par soif de spectaculaire, sans se soucier de Dieu, il se dérobait.

Je me demande s’il n’y a pas là la même dynamique : ce miracle est tellement extraordinaire, grandiose, bouleversant, que peut-être les femmes n’auraient pas pu entendre ce que Jésus avait à leur dire si elles l’avaient vu, dans sa gloire de ressuscité. Submergées de soulagement, de joie, d’émerveillement, d’adoration-même, elles auraient peut-être été sourdes à ce que Jésus voulait leur dire. Avouons que c’est notre tendance, d’enfermer Dieu même dans sa puissance, même dans ses miracles, et d’être sourds à ce qu’il veut nous dire. Nous sommes tellement enclins à nous choisir un Dieu qu’on peut mettre sous vitrine, posséder, maîtriser, que devant ses miracles et sa grandeur nous sommes parfois tentés de nous dire : ce Dieu-là va changer ma vie, j’ai besoin de ça, ça…

Mais il n’est pas ici, il ne se laisse pas enfermer, ni par la mort, ni par notre vision limitée, ni par nos désirs, nos questions. Il n’est pas un porte-bonheur qui améliore notre quotidien, mais il est Dieu, grandiose, insaisissable. Et il veut nous parler. Le miracle n’est pas seulement un événement extérieur qui nous subjugue, comme les chutes du Niagara ou une étoile filante, c’est une interpellation, c’est l’intervention de Dieu qui veut résonner dans notre vie, dans le cœur des femmes ce matin-là et dans le nôtre aujourd’hui.

En fait, l’absence de Jésus oblige les femmes à se mettre en route pour le rencontrer. Elles sont obligées de faire ce pas, de prendre cette décision de foi : il est vivant, et s’il est vivant, il faut le suivre, comme elles l’ont suivi quand il sillonnait les routes. Le messager les envoie en Galilée, la région où tout a commencé pour Jésus et ses disciples. Il les appelle à se remettre en marche, à ne pas laisser le miracle de la résurrection devenir une pièce de musée, qui prendra la poussière et, une fois la première surprise passée, ne suscitera plus que des « oh » et des « ah ». Non, la résurrection est un réveil, non seulement pour Jésus qui est revenu d’entre les morts, mais aussi pour nous, l’occasion d’ouvrir les yeux sur ce que Dieu a fait, sur ce que Dieu est, sur sa puissance et ses promesses. C’est l’occasion de sortir de nos carcans, de notre fatalité, de nos propres tombes, pour nous mettre en route à la suite du Christ, les yeux ouverts sur un nouvel horizon où l’aube paraît, où la lumière de Dieu vient nous illuminer, et entrer dans les projets de Dieu.

Conclusion

Marc nous laisse devant le tombeau vide, au côté des femmes paniquées, où résonne encore l’invitation à croire à l’incroyable et à se mettre en route. Même si, par d’autres évangiles, nous savons que les femmes ont fini par transmettre le message et rejoindre Jésus, restons quelques instants avec elles, dans ces premiers moments de stupeur et de crainte. Est-ce vrai ? Y croirons-nous, aujourd’hui encore ? croirons-nous que la mort n’a pas eu le dernier mot ? Et si nous le croyons, accepterons-nous de quitter nos plans, nos habitudes, nos routines rassurantes et fatales, pour marcher derrière le Christ ressuscité, sur cette route inconnue qui nous conduit vers le Dieu vivant ?

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