Les seconds rôles (IV) : les parents de Samson (Jg 13)

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Nous continuons notre série des seconds rôles. Vous connaissez Samson, le héros d’Israël, au moins pour son histoire avec Dalila qui l’a privé de sa force spectaculaire en lui coupant les cheveux pendant son sommeil. Mais connaissez-vous ses parents ? Savez-vous comment a commencé l’aventure de Samson ? Le récit que nous allons lire se trouve dans le livre des juges. Avant de lire, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte : après que le peuple d’Israël est sorti d’Egypte avec Moise, il vit dans le désert avant d’entrer dans le pays promis. Une fois installé, le peuple d’Israël est censé vivre sous la direction de Dieu lui-même. Le problème, c’est qu’Israël est un tout petit pays, entouré par toutes sortes de voisins païens, et que les Israélites se laissent régulièrement influencer par les croyances païennes, oubliant le Dieu qui les a sauvés. Lorsque le peuple se détourne trop de Dieu, Dieu les livre aux mains de leurs ennemis. Dans ces temps d’épreuve, le peuple finit par retourner à Dieu en lui demandant son aide. Dieu envoie alors un libérateur, un sauveur, un « juge », qui remporte la victoire sur les ennemis et assure la paix. Ce cycle, incrédulité-oppression-cri vers Dieu-délivrance, ce cycle n’intervient pas une fois, mais de nombreuses fois pendant environ 300 ans. Le livre des juges a sélectionné 12 sauveurs représentatifs de cette période, et Samson est le dernier.

Lecture

1)   Un peuple en manque d’espérance

Pour bien comprendre les parents de Samson, il faut déjà resituer la place de Samson dans l’histoire d’Israël. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le livre des juges met en valeur le cercle – vicieux – des dérives spirituelles du peuple de Dieu. A chaque fois que l’histoire d’un juge est développée, différentes étapes sont mentionnées : Israël fait le mal, Dieu le livre aux mains des ennemis – dans notre cas, des Philistins, qui habitent à l’Ouest. C’est à la fois un jugement et je pense que ça représente la conséquence logique de l’incrédulité : si Dieu est celui qui fait vivre, à partir du moment où on se détourne de lui, la vie se dégrade. Une fois dans la détresse, le peuple opprimé revient vers Dieu en prenant conscience que seul Dieu peut sauver, Dieu entend et envoie un libérateur. Par rapport à ce schéma-type, on peut relever deux anomalies.

La première anomalie, c’est que notre texte commence ainsi : « Les Israélites recommencent à faire ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR. Et le SEIGNEUR les livre aux Philistins pendant 40 ans. 2À Sora, il y a un homme, etc. » Vous avez remarqué, le peuple n’a pas crié vers Dieu. Face à l’oppression qui dure toute une génération, 40 ans, le peuple ne se tourne pas vers Dieu pour être secouru. Il ne demande rien. Manifestement, le peuple a oublié que Dieu peut sauver, et qu’il ne considère plus Dieu comme celui qui peut apporter une réponse à la détresse. On a l’impression que cette situation de soumission à un peuple étranger leur paraît inévitable, voire normale. Le livre des juges montre que le cycle qui se répète n’est pas régulier : en fait, la situation spirituelle du peuple s’aggrave. Le retour vers Dieu, la réaction de foi face à l’épreuve devient de plus en plus difficile. On pourrait comparer la situation à un enfant qui fuirait la maison familiale en claquant la porte tous les 6 mois. Une fois sorti de la maison, il se retrouve en pleine forêt en proie aux bêtes sauvages, au froid, à la faim, etc. Devant ces difficultés, il revient chez lui et sonne à la porte pour que ses parents lui ouvrent et le soignent. Cependant, au fil du temps, le chemin pour rentrer chez lui devient de plus en plus flou, et un jour, alors que ça fait des années qu’il fugue et revient, un jour il oublie complètement où se trouve sa maison. C’est cette impression que donne le peuple, car dans la détresse et l’oppression il ne sait plus que demander, à qui, comment, pour être sauvé.

La deuxième anomalie du texte, c’est la caractérisation du sauveur que Dieu appelle. Notre texte est le seul du livre à mentionner un appel de Dieu dès la naissance. Jusque là, Dieu s’adressait à un homme directement pour lui confier une mission à court ou moyen terme. Là, au contraire, l’appel commence dès avant la naissance, ce qui donne l’impression que le sauveur va être différent des précédents. De même, Dieu formule des exigences très claires vis-à-vis de cet homme, ce qui est sans précédent parmi les juges. Le sauveur est mis à part dès le ventre de sa mère, il est consacré à Dieu. Cette consécration à Dieu se concrétise par plusieurs règles : l’abstention de tout produit de la vigne, l’abstention de tout ce qui est impur (p. ex. toucher un cadavre ou manger un aliment interdit) et le fait de ne pas couper ses cheveux. Les règles et l’appel du bébé semblent suggérer que ce sauveur sera exceptionnel. Il y a pourtant un « mais » qui jette une ombre sur cette interprétation : l’ange dit à la femme que son fils commencera à sauver le peuple. Il sera un début de sauveur, pas un sauveur à part entière. Ainsi on a une tension qui annonce la vie de Samson : c’est de loin le juge le plus fort, mais c’est aussi celui qui comprend le moins sa mission et qui écrase ses ennemis sans autre raison que la vengeance personnelle.

De la même manière que la situation spirituelle du peuple se dégrade, la situation des sauveurs se dégrade aussi, puisque le dernier, Samson, qui reçoit plus de Dieu que les précédents, a en fait une mission partielle, inférieure, qu’il remplira pour de mauvaises raisons.

2)   Un couple déconnecté de Dieu

Les parents de Samson sont tout à fait représentatifs du problème global. A leur échelle, ils offrent une peinture parlante de la situation spirituelle du peuple. Le texte que nous avons lu commence comme une banale scène d’annonciation : un couple stérile, un ange de Dieu, la promesse d’un enfant. Tous les ingrédients sont réunis, sauf que la situation s’emballe, et tout devient compliqué. Le couple peine à comprendre ce qui se passe, et illustre malheureusement le manque de foi et d’espérance qu’on trouve chez le peuple.

Premièrement, voyez la réaction de Manoah. Quand sa femme lui explique ce qui lui est arrivé, il se tourne vers Dieu pour lui demander confirmation. Dieu entend, et il envoie son ange confirmer sa promesse, sauf que l’ange va voir la femme, pile quand Manoah est absent. Ensuite, dans le dialogue entre l’ange et Manoah, l’ange répond avec réticence – soit en ne répondant pas, soit en le redirigeant vers quelqu’un d’autre : il n’y a pas de véritable échange. Manoah a du mal à accueillir la révélation de Dieu.

Le texte n’est pas dénué d’ironie : l’époux est nommé, ce qui suggère son importance dans le récit. Par contre, sa femme reste anonyme tout au long du texte, c’est la femme de… Pourtant, Dieu s’adresse à la « femme de », et pas à celui qui paraît important. Dieu parle aux anonymes, à ceux que nous ne prenons pas la peine de nommer. Avec insistance, il choisit de se révéler à ceux qui sont plus faibles, méprisés, sans statut reconnu. Et Manoah peine à accueillir cette révélation qui lui parvient de manière non conventionnelle.

Je me demande si ce texte ne nous interpelle pas dans notre manière d’entendre nous aussi les révélations de Dieu. Sommes-nous capables de reconnaître les moments où Dieu parle en dehors des conventions qui nous rassurent ? est-ce que parfois nous n’avons pas des préjugés qui nous rendent sourds à la voix de Dieu, parce que quelqu’un nous paraît trop jeune ou trop dépassé, trop illuminé ou trop conventionnel, trop faible, trop instable, trop différent… ? Tout n’est pas révélation de Dieu bien sûr, mais Dieu ne reste pas silencieux, et nous sommes appelés à reconnaître les moments où il parle, avec prudence et sagesse bien sûr, mais nous ne devons pas disqualifier un projet, une parole ou un avertissement sous prétexte que cette parole de Dieu nous vient par quelqu’un que nous n’aurions pas choisi. Régulièrement, Dieu choisit les faibles, les nuls, les inadaptés, et je pense qu’il nous appelle non seulement à les voir comme lui il les voit, mais aussi à les écouter avec le même respect que ceux qui nous impressionnent par leur statut, leur réputation, leur expérience… Manoah, lui, sous prétexte que sa femme n’a pas voix au chapitre à la maison ni dans la société, Manoah discrédite la révélation sérieuse que Dieu lui a pourtant adressée, et le fait que l’ange réapparaisse à la femme prouve que Dieu l’a vraiment choisie, elle l’anonyme.

Une fois la révélation de Dieu accueillie, Manoah et sa femme ont du mal à la comprendre, et on le voit à plusieurs reprises. Suite à la première apparition de l’ange, la femme court raconter à son mari ce qui lui est arrivé. Sauf qu’elle en oublie en route. Elle passe sous silence les cheveux, mais on sait qu’elle le mettra en pratique puisque Samson adulte a les cheveux longs. Plus grave, elle oublie l’essentiel : leur fils commencera à sauver le peuple. Elle ne rapporte à manoah que les règles à suivre. Pareil, dans sa prière ou dans son dialogue avec l’ange, Manoah ne pose aucune question sur le sens de cette naissance ou des exigences : il se focalise sur les règles sans s’intéresser à la mission qui leur donne du sens. A la fin, quand il comprend que l’ange représente Dieu, il panique et se focalise sur le détail sans chercher à comprendre – et dans ce cas-là, c’est sa femme qui rappelle le sens des entrevues : Dieu n’apparaît pas pour faire une promesse et tuer celui à qui il a choisi de se montrer !

Il me semble que c’est l’exemple d’une écoute au premier degré, qui manque de perspective, qui manque de sens. C’est très bien de respecter les règles – c’est Dieu qui les fixe – mais il ne faudrait pas séparer les règles de leur but, et se focaliser sur la préparation au détriment de la mission. Autrement dit, il ne faut pas prendre les moyens pour le but. C’était le cas des pharisiens à l’époque de Jésus, qui respectaient les plus petits commandements et oubliaient d’aimer leur prochain – alors que les deux vont ensemble ; c’est parfois notre cas quand nous perdons de vue les projets de Dieu en nous focalisant des détails. Notre but n’est pas d’aller aux études bibliques, de venir à toutes les réunions, ou de remplir les cases d’un planning : notre but c’est d’être des témoins que Dieu sauve aujourd’hui. Et pour ça, pour nous équiper, nous avons des réunions, pour prier, pour nous laisser instruire, pour écouter Dieu, pour nous améliorer, et ça, ça demande une organisation. Mais le but n’est pas l’organisation, ou même les activités : le but, c’est que notre vie soit un témoignage vivant que Dieu sauve aujourd’hui.

Enfin, le couple peine à reconnaître Dieu. La femme qui a vu l’ange décrit à son mari extraordinaire qui ressemble à un ange, mais elle na va pas jusqu’à l’affirmer. Ensuite, tous les deux vont parler de l’ange comme d’un homme : v.8 fais revenir l’homme de Dieu, v.10 l’homme est revenu, Manoa l’invite à manger et il lui demande son nom. Ce n’est que quand l’ange disparaît au milieu du sacrifice que manoah comprend enfin qui c’était – et c’est la panique. Le couple comprend que c’est une prophétie sérieuse, ils en oublient le sens, mais en plus ils ne sont pas au clair sur l’origine de la prophétie. Manoah prie Dieu pour que l’homme revienne, mais face à l’homme il est prêt à l’honorer lui et pas Dieu – c’est pour ça qu’il demande plusieurs fois son nom. Le nom de l’enfant révèle lui aussi un décalage par rapport à Dieu : les autres couples stériles de la Bible nomment leur enfant d’après une action de Dieu ou en relation avec lui. Là, samson est nommé en rapport avec le soleil, shemesh, a priori une divinité paienne. A aucun moment le couple n’exprime de la reconnaissance vis-à-vis de Dieu, et ils ne lui offrent un sacrifice que parce que l’ange les y fait penser.

Le couple est déconnecté de Dieu. Quand Dieu intervient dans leur vie, tout coince : l’accueil de la promesse, la compréhension de cette promesse, l’origine de cette promesse. Ils sont devenus presque incapables de reconnaître l’intervention de Dieu, et en ça ils représentent bien l’incrédulité du peuple.

Conclusion

Les parents de Samson reflètent l’état de leur peuple à cette époque, un état d’incrédulité tragique, une surdité à Dieu, un aveuglement, l’apathie de ceux qui n’attendent plus rien de Dieu. Et pourtant, pourtant, Dieu intervient. Il envoie encore un sauveur, et il y met une application particulière : deux manifestations d’ange, vocation avant la naissance, consécration de l’enfant… Tant bien que mal, son intervention est reçue, partiellement, avec difficultés. Encore une fois, ce texte nous montre la fidélité de Dieu, qui n’attend pas toujours que nous ayons la foi suffisante pour intervenir, qui n’attend pas que nous soyons capables de tout comprendre pour nous parler. La fidélité de Dieu est une grâce. Mais ce texte nous rappelle aussi que ce n’est pas parce que Dieu se manifeste aux aveugles que nous devons fermer les yeux et lui tourner le dos. Au contraire, nous sommes appelés à tendre l’oreille pour écouter Dieu, à ouvrir les yeux sur les interventions étonnantes de Dieu, à nous tourner vers lui avec espérance, avec reconnaissance, avec foi.

Une réflexion sur « Les seconds rôles (IV) : les parents de Samson (Jg 13) »

  1. Merci pour l’éclaircissement tout au long .
    Dieu dans sa miséricorde vous combles de sa grâce

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