La mise à l’épreuve de Jésus

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Lecture Biblique : Matthieu 4.1-11

Jésus vient de se faire baptiser, et si vous avez bonne mémoire (puisque nous avons médité le baptême de Jésus il y a quelques semaines), le baptême de Jésus est un moment fort, où se révèlent à la fois la pleine humanité du christ, qui suit le même chemin que les autres hommes, et sa pleine divinité, puisque le baptême du christ est une des rares occasions où la trinité se manifeste aux yeux de tous : le fils, dans l’eau, le Saint Esprit venant sur lui sous la forme d’une colombe, et la voix du Père retentissant depuis le ciel en disant : « celui-ci est mon fils bien-aimé. C’est lui que j’ai choisi avec joie ». Le baptême marque ainsi l’entrée de Jésus dans son ministère public, dans sa mission de Messie.

Ce baptême à peine terminé, Jésus se retire au désert pour une période de 40 jours. Cette retraite a plusieurs sens : Jésus jeûne, ce qui est la manière juive de marquer sa dépendance à Dieu, il médite aussi les Ecritures saintes, il vit un temps particulier d’intimité avec Dieu avant de se lancer dans sa mission. Alors, u moment où Jésus est le plus vulnérable, affaibli par plus d’un mois de jeûne, l’esprit du mal, c’est-à-dire le diable, vient le provoquer.

Par trois fois il le teste : 1° tu as faim : si tu es le messie, mange ! transforme ces pierres en pains grâce à la puissance que tu reçois de Dieu. 2° tu t’appuies sur les promesses de Dieu : demande-lui une preuve qu’il est fiable ! saute du haut du temple : puisque Dieu t’a promis de te protéger en toute circonstance, tu ne risques rien ! 3° regarde toute la terre et ses richesses : j’ai un moyen facile et rapide pour que tu en deviennes le roi : tu n’as qu’à t’agenouiller devant moi et c’est fait. Le monde entier, toute autorité, toute puissance, sont à ta portée : tu n’as qu’à dire que je suis ton Seigneur. 3 tests : vérifier sa puissance, prouver la fiabilité des promesses de Dieu, et l’appel d’un pouvoir universel.

Aux trois tentations, Jésus répond trois fois de la même manière : voici la parole de Dieu, à laquelle je veux obéir.

Voilà pour résumer un peu cet épisode de la mise à l’épreuve de Jésus.

La confirmation de l’identité du Messie

La première question qu’on peut se poser, c’est : pourquoi Jésus commence-t-il son ministère par la tentation ? par l’épreuve ? d’autant plus qu’un détail assez perturbant vient nous alerter : l’auteur précise bien que c’est l’Esprit de Dieu qui conduit Jésus au désert, expressément dans le but qu’il rencontre le diable pour être tenté. Est-ce que Dieu ne serait pas un peu sadique ? est-ce qu’il joue à ce qu’on appelle l’ascenseur émotionnel : après le baptême où il révèle la gloire et la divinité de Jésus, où il donne des signes tangibles qu’il est le Messie tant attendu, paf, juste après les hauteurs de ce moment glorieux, il le jette dans la gueule du loup. Avec ce traitement, on préfère éviter de s’attirer les faveurs de Dieu !

C’est toute la question du sens de l’épreuve-tentation qui se pose ici (le même mot dans la Bible): Dieu suscite cette mise à l’épreuve, non pas pour écraser ou blesser, mais pour tester et pousser à grandir. L’épreuve se dessine comme un carrefour : le croyant a la possibilité de tomber ou de progresser. Quand Dieu suscite l’épreuve, ce n’est pas pour faire chuter : il met à l’épreuve son Fils, comme tout croyant, dans le but de lui faire passer une nouvelle étape, de le rendre plus fort en surmontant un obstacle. Ça c’est l’optique de Dieu qui suscite la mise à l’épreuve : seulement, dans l’épreuve intervient un opposant, le diable, pour qui le but c’est clairement de faire chuter !

Dans le cas de Jésus, qui subira bien des épreuves au cours de sa vie, notamment la dernière nuit avant sa mort, cette rencontre au désert teste sa foi et sa détermination à remplir la mission voulue. Aux moments-clefs de sa vie, Jésus aura à faire face à des situations-carrefours, où il aura deux possibilités : abandonner ou continuer. Là c’est le premier moment-clef : juste après le baptême qui marque l’entrée officielle de Jésus dans sa mission de Messie, le test arrive, comme pour vérifier que Jésus est bien à sa place et qu’il est prêt pour continuer dans cette aventure.

Le lien avec le baptême est bien visible dans les paroles du tentateur : puisque, lors de son baptême, Dieu le Père a publiquement présenté Jésus comme son Fils bien-aimé, le tentateur joue sur cette corde. « si tu es bien le fils de Dieu, change les pierres ! si c’est vrai que tu es le fils de Dieu, saute ! » Cette mise à l’épreuve joue sur la confiance que Jésus a dans les paroles de Dieu lors de son baptême, paroles qui ne sont pas seulement des promesses mais qui concernent son identité propre : fils de Dieu.

Dans cette tentation, le diable rejoue la scène du péché originel avec Adam et Eve : il cherche à mettre en doute le bien-fondé de la parole de Dieu. Alors que les premiers hommes étaient tombés dans le piège, acceptant les suggestions du diable, Jésus reste sur ses gardes et décrypte les véritables intentions de son adversaire. Au lieu de se laisser manipuler, il reste ferme, solidement enraciné dans la parole de Dieu, ne laissant aucun sous-entendu mettre en doute sa confiance en Dieu. Là où Adam et Eve ont échoué, là où le peuple d’Israël, lui aussi éprouvé au désert avant d’entrer au pays promis, a échoué, Jésus réussit à progresser au lieu de tomber.

Par sa victoire sur la tentation, il démontre à la fois qu’il est vraiment humain, susceptible de chuter, mais qu’il demeure innocent. Il prouve que l’on peut être homme, fragile (il est exténué ! mort de faim !) sans pour autant être voué au péché : l’homme peut choisir le bien à chaque fois, et Jésus en est le suprême – et unique –exemple.

L’enjeu de la tentation de Jésus : la gloire avec ou sans souffrance ?

Revenons un peu sur le sens de la tentation de Jésus : en quoi les propositions du diable sont-elles un piège ? quel est l’enjeu du dialogue ?

On l’a vu, cet épisode se comprend en lien avec le baptême et cette pique de la part de l’adversaire : si tu es (vraiment) fils de Dieu… Le diable essaie de conduire Jésus à vérifier son privilège divin : a-t-il vraiment reçu la puissance de transformer les pierres en pains ? a-t-il l’assurance d’être secouru par les anges ? est-il prêt à recevoir toute autorité sur le monde ? Jésus est-il bien celui que Dieu prétend, fils de Dieu, Dieu le Fils, créateur du monde et tout-puissant ?

Devant cette provocation à utiliser les pouvoirs divins, Jésus ne rentre pas dans le panneau, il ne cède pas à l’envie de prouver sa puissance. Au contraire, il reste homme, démuni devant la faim, devant le risque de la mort, passager sur la terre plutôt que maître du monde. Il ne cède pas à ce délire de toute-puissance que le diable agite devant lui au milieu de son épuisement, à ce mirage de gloire et de pouvoir dans le désert aride qui le dessèche depuis 40 jours.

Le diable n’est pas créateur, et il n’invente rien : cette provocation, il l’avait déjà faite : à Eve puis adam : si tu es enfant de Dieu, et que Dieu veut vraiment ton bonheur, ne peux-tu pas manger de ce fruit, censé être interdit ? Adam et Eve cèdent : ils ne savent pas rester humains et se lancent dans ce délire d’être des petits dieux – ils perdront tout. Jésus, le Dieu devenu homme pour sauver tous les hommes, reste à la place qu’il a choisie. Il ne retourne pas dans ses palais glorieux à la première difficulté, mais il demeure pleinement homme, affaibli, inquiet, ayant pour seul secours les promesses de Dieu.

L’ironie, c’est que Jésus possède cette puissance : il nourrira les foules en multipliant les pains, il marchera sur l’eau, ressuscitera les morts, et en définitive il règnera sur l’univers. Cette mise à l’épreuve conduit à Jésus à réfléchir sur le chemin qui le mène à la gloire, à la victoire, au règne promis. Le chemin que lui présente le diable, c’est un chemin large, agréable, facile, pavé de petits pains et d’anges, alors que le chemin qu’a voulu Dieu est un chemin étroit, un chemin de renoncement, un chemin qui mène à la croix, à la mort, au sacrifice. Le diable fait miroiter un raccourci vers la gloire qui laisse de côté le salut des hommes par la mort du Messie innocent. Jésus ne se laisse pas tenter mais il choisit, il re-choisit, la voie étroite, la voie de l’homme, difficile et ardue, où il prendra la place des coupables, des pécheurs, des infâmes, afin de les recouvrir de justice et d’innocence, d’offrir aux égarés une place dans ce palais qu’il a abandonné.

Voilà le choix qui se dessine devant Jésus : un retour à la case départ, celle du trône glorieux de Dieu le fils, sans souffrance, sans humiliation, sans la croix, ou un chemin enténébré aux côtés des hommes souffrants, chemin que Dieu a choisi pour déboucher sur une plus grande lumière, répandue sur l’humanité.

L’enjeu de toute tentation : la relation avec Dieu

Au désert, Jésus est mis à l’épreuve : son choix de devenir homme, son choix d’endurer la peine des hommes pour leur offrir sa joie, son pardon, sa proximité avec Dieu le Père, c’est ce choix qui est testé, et Jésus persévère dans son choix, résistant ainsi à la tentation. Dans cet épisode du désert, on voit quelque chose d’unique se jouer en Jésus, le Messie, qui re-choisit d’assumer sa mission jusqu’au bout. Au travers de cette tentation si particulière se dessine le mécanisme général de la tentation, valable pour tout croyant.

On peut résumer ainsi la tentation de Jésus : Satan essaie de le conduire à sortir du chemin voulu par Dieu, à utiliser ses possibilités hors des cadres voulus par Dieu. Je crois qu’on peut en retirer quelques indices pour comprendre la tentation.

Le premier élément, c’est que le diable ne nous tente pas forcément avec des choses mauvaises en soi. Alors évidemment, si une petite voix vous dit d’aller assassiner votre voisin de palier, on est d’accord que la proposition est mauvaise, point. Mais regardez avec quoi Satan tente Jésus : des miracles, la confiance en Dieu, la vocation de Jésus à régner sur le monde. En soi ces choses ne sont pas mauvaises. Ce qui constitue un piège, c’est que le diable propose des choses en les sortant du projet global de Dieu. De très bonnes choses, détournées de leur vocation, utilisées de manière inappropriée, peuvent constituer une tentation : p. ex. le travail est une bonne chose, mais on entend parfois des gens qui deviennent accro et en viennent à négliger leur santé et leur famille. Ce peut être aussi bien l’argent, l’amour, la réussite : de belles choses, mais qui peuvent être détournées de leur usage et nous détourner ainsi du chemin de Dieu.

Le diable est si sournois qu’il va même jusqu’à citer la parole de Dieu : mais si, tu vois, c’est Dieu qui l’a dit, si tu sautes il te rattrape. La tentation n’est pas dans la parole biblique, mais dans l’intention avec laquelle elle est citée : pousser Jésus à utiliser ses privilèges comme il au lieu de faire confiance à Dieu.

Petite parenthèse : face à la tentation, nous ne pouvons pas avoir des réflexes bien huilés. En réalité, le diable peut tout utiliser, même les meilleures choses, même la parole-même de Dieu, pour nous détourner de la volonté de Dieu. On ne peut pas juste croire aux pattes blanches qu’il nous montre, mais nous sommes appelés au discernement, à peser les situations pour chercher quelle est la volonté de Dieu pour nous maintenant. Quel est le chemin que Dieu veut que je suive ? Une des façons de résister à la tentation (ce n’est pas une recette miracle) c’est de chercher à comprendre le but de telle situation, de telle capacité, de tel objet, de telle relation, comprendre le projet de Dieu qui entoure et oriente telle ou telle chose.

Pour le discernement nous sont données deux aides : le saint Esprit qui nous guide et nous éclaire, et la Parole de Dieu, méditée, fréquentée, comprise – dans sa cohérence. On a vu que le diable ne se gêne pas pour citer un verset biblique, et que sortie de son contexte, une parole peut dire tout et son contraire. C’est dans la compréhension du projet global de Dieu, de la relation entre Dieu et les hommes, que le discernement pourra s’effectuer.

Pour finir, l’épisode de la tentation au désert nous laisse voir aussi l’action discrète de Dieu, sa présence qui nous encourage : à la fin, les anges viennent et servent Jésus en lui donnant à manger. A lui qui a su respecter les temps de Dieu, à lui qui a su compter sur les promesses et la sagesse du Père, qui a su demeurer sur le chemin de la volonté de Dieu, Dieu répond fidèlement. Il n’est pas exempté du chemin choisi, mais Dieu prend soin de lui, il le garde et l’entoure de sa présence. A celui qui garde confiance en Dieu contre toute tentation, Dieu répond avec fidélité, et ce passage si particulier de la vie de Jésus nous invite à vivre, nous aussi, cette confiance sans compromis en Dieu.

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