Remarque préliminaire: cette prédication a été composée sous forme de récit, du point de vue du messager de Dieu qui s’approche d’Elie.
Le texte biblique de référence est celui-ci: 1 Rois 19.1-18
Certains disent que je suis un ange… C’est une façon de voir! En fait, je fais simplement partie des messagers de Dieu. Mais pas comme les prophètes : je ne suis pas humain.
Comme d’autres messagers que vous connaissez peut-être (Michel ou Gabriel), j’ai été créé il y a très très longtemps, et les règles qui s’appliquent aux créatures terrestres ne me concernent pas : le temps, l’espace, la fatigue, je ne connais pas. Par contre, je sais beaucoup plus de choses que les humains : seul Dieu connaît toute chose, c’est vrai, mais disons que nous, les « anges », nous avons une vision panoramique des situations.
En tant que messager angélique, une de mes fonctions principales c’est de transmettre à d’autres créatures une parole, une vision, tout ce que Dieu m’envoie partager. Depuis le temps, je suis apparu à bien des personnes : aux patriarches du peuple d’Israël aussi bien qu’à des personnes en détresse – je vais là où Dieu m’envoie, comme un ambassadeur. Vous comprenez, Dieu est trop grand pour paraître devant ses créatures terrestres tel quel, sans filtre, dans toute sa gloire. Alors il nous envoie à sa place, mes collègues et moi.
Mais ce matin, je ne veux pas vous parler de moi. J’aimerais plutôt vous raconter la fois où Dieu m’a envoyé vers son prophète, Elie.
Quand je l’ai trouvé, c’était dans la steppe, tout au sud, au-delà des frontières d’Israël. Elie ressemblait à un homme comme celui-ci : il avançait doucement, les épaules basses, la tête courbée, comme s’il portait tout le malheur du monde sur son dos. Elie avait laissé son serviteur à Beershéba, la dernière ville habitée au sud d’Israël : tout seul, il entrait maintenant en territoire inconnu, non civilisé, un genre de zone de non-droit.
Vous vous demandez peut-être ce qu’il faisait là ? Aux dernières nouvelles, Elie avait remporté la victoire contre les prophètes païens dirigés par la perfide reine Jézabel ; sur le mont Carmel, il avait prouvé à tous – au peuple, au roi Achab… – que seul Dieu, Yahweh, est Dieu, et qu’il est le seul dieu digne d’être suivi et honoré. Elie était reparti en courant devant Achab, porté par un nouvel élan, l’espoir d’une nouvelle étape et d’un renouveau spirituel profond pour le peuple de Dieu.
Mais… Achab l’a trahi. Il a raconté tout ce qui s’était passé à sa femme Jézabel, qui a menacé Elie de le tuer dans la journée, puisqu’il avait fait éliminer les prophètes de sa religion à elle. Ce n’est pas la première fois que Jézabel veut faire tuer des prophètes de Dieu, Yahweh… Mais là, Achab a retourné sa veste, c’en est la preuve. Elie, voyant cela, est parti.
Elie s’assoit. Sous un genêt, en pleine chaleur. Le découragement pèse sur lui comme une canicule. J’aimerais savoir ce qu’il pense, mais je ne suis pas Dieu. Au bout d’un moment, Elie lève les yeux au ciel et s’adresse à Dieu : « Maintenant, Seigneur, j’en ai assez ! Reprends ma vie, je veux… Je veux mourir… » Il dit ça au Créateur ! Au Dieu vivant qui aime faire vivre ! Il ne s’agit pas de la simple baisse d’adrénaline que beaucoup expérimentent après un moment euphorique comme ce qui s’est passé au Carmel… Je sens qu’Elie est profondément dégoûté, dégoûté de la vie, désespéré devant le manque de résultats malgré l’énergie déployée.
Mais Elie n’a pas fini : « Reprends ma vie, car je ne suis pas meilleur que les prophètes qui m’ont précédé : j’y ai cru, j’ai cru que j’allais pouvoir faire revenir le peuple et le roi vers toi, mais leur obstination dans la rébellion est plus forte que mon zèle… non, je n’ai plus rien à faire ici, reprends ma vie ! »
Il se couche et s’endort, prêt à mourir.
Je m’approche de lui, je m’accroupis et, doucement, je touche son épaule : « Elie, Elie, réveille-toi ! Mange ! » A côté de lui sont apparus une cruche d’eau et des pierres chaudes sur lesquelles reposent des galettes : un pain primitif mais nourrissant. Elie ouvre les yeux, voit l’eau et le pain. Il se redresse, péniblement, lentement – quel contraste avec son énergie du Carmel ! Du bout des lèvres, il grignote une demi-galette, boit deux gorgées d’eau, et sans dire un mot, il se recouche, me tourne le dos et se rendort. Son visage n’a montré aucune surprise devant mon apparition ou celle de la nourriture : cet homme habitué aux miracles semble maintenant vide, sans élan ni vitalité. Il est complètement à plat. Son désespoir l’a rendu moribond.
Je sais que Dieu veut le convoquer au mont Horeb, l’autre nom du mont Sinaï, là où il est apparu au grand prophète Moïse, là où il a fait alliance avec son peuple après leur sortie d’Egypte. Mais Elie n’a pas l’air en état de se mettre en route… Je le contourne, je m’accroupis à nouveau et secoue son épaule : « Elie, Elie, mange et bois, car la route qui t’attend est longue ! » Il se réveille. Je le soutiens pour qu’il se relève, et j’insiste, malgré ses réticences, pour qu’il mange tout ce qu’il y a. Je sais qu’au-delà de ce pain et de cette eau, Dieu veut rassasier et désaltérer Elie pour le sortir de son désespoir.
Une fois le repas terminé, Elie semble en effet un peu requinqué. Pas vraiment débordant de vie, non, mais prêt à reprendre la route. Il se lève, et reprend sa marche vers le sud… Ma partie est finie. Au cas où, tout en restant invisible, je le suis sur sa route.
Il marche 40 jours, 40 nuits. Cela me fait penser aux quarante ans qu’Israel a passés dans le désert avant d’entrer dans le Pays Promis. Elie avance d’un pas régulier, machinalement, sans s’arrêter : le pain miraculeux l’a visiblement fortifié !
La montagne du Sinaï se dresse au loin. Elie s’avance, sans faiblir. Au bout de quelques jours, il finit par arriver, au crépuscule ; il grimpe jusqu’à une cavité dans laquelle il s’installe pour la nuit.
Au petit matin, une voix se fait entendre, comme un filet d’eau qui ruisselle sur le mur : « que fais-tu là, Elie ? »
Evidemment, c’est Dieu qui vient de parler ! Mais pourquoi pose-t-il la question, alors qu’il sait tout ? On dirait qu’il invite Elie à s’exprimer, à se décharger de son fardeau, à vider son sac…
Elie se redresse : « Oh, Seigneur, toi le Dieu de l’Univers… Comme toi, j’ai été rempli de passion, plein jusqu’à craquer de zèle pour te défendre ! Je ne supporte plus le comportement de ton peuple… Eux, ils ont rompu ton alliance, ils ont démoli tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée. Et moi, moi, je suis resté tout seul… je me suis dressé contre leur impiété, pour les ramener à toi. Avec ton aide, j’ai fait des miracles… Je leur ai montré que tu es Dieu ! Et voilà, maintenant, ils veulent me tuer ! Pfff… Tout cela n’a servi à rien ! »
Elie est visiblement amer, déçu. Mais je ne sais pas ce qui le bouscule le plus : que le roi n’ait pas défendu Elie face à Jézabel ? Qu’il ait si vite renoncé à sa foi en Yahweh malgré le miracle spectaculaire au mont Carmel ? Ou que malgré tout ce qu’Elie a fait pour Dieu, tous les dangers encourus depuis 3 ans, Dieu n’ait pas assuré la suite ?
Je me demande comment Dieu va réagir. Dieu prend la parole, mais il répond à côté : « Elie, sors de la caverne, tiens-toi devant, car moi, le Seigneur, je vais passer devant toi. » Ha c’est comme avec Moïse ! A l’époque, Dieu avait dû cacher Moïse pour que sa présence glorieuse ne consume pas le prophète… Elie en a, de la chance : peu d’humains ont eu ce privilège… !
A ce moment-là, le vent se lève… un vent de tempête, à déraciner les arbres, un cyclone qui déchire la pierre sur son passage et décolle les rochers. Si Elie sortait maintenant, il serait emporté par ce tourbillon ! Ce vent, il dit bien la force de notre Dieu, insaisissable, libre, invisible mais tout-puissant.
Mais Dieu n’est pas dans le vent. Et le cyclone s’évapore.
Je sens alors un grondement, une vibration dans le sol : la terre tremble, se fend, tout bascule… Un être humain aurait bien du mal à tenir debout ! Face à notre Dieu, créateur du ciel et de la terre, tout tremble, même le plus minéral des sols. Lui seul est le fondement éternel sur lequel on peut s’appuyer.
Mais Dieu n’est pas dans le tremblement de terre. Et le grondement s’arrête.
Je ne comprends pas… pourquoi Dieu n’est-il pas dans ces manifestations spectaculaires qui rappellent tant sa force et sa gloire ?
Soudain, la roche devant la caverne s’embrase, et un grand feu jaillit. Comme le feu du mont Carmel, comme le feu qui appela Moïse dans le buisson ardent… Là, c’est sûr, Dieu est là ! Lumière, chaleur, pureté, objet de fascination et de crainte… Le feu nous parle si bien de Dieu !
Mais Dieu n’est pas dans le feu. Et la flamme s’éteint.
(respiration) Là, dans le silence et le vide, un murmure, un petit souffle ténu, même pas, comme la respiration d’un nourrisson qui dort. Elie comprend et il sort, en se cachant le visage devant Dieu : là, dans cette goutte d’air, là se trouve le grand Dieu des galaxies et des atomes. Je suis émerveillé : pourtant, en tant qu’ange, on pourrait croire que Dieu ne me surprend plus… mais si ! Lui, le Dieu si puissant, se révèle avec tant de délicatesse à Elie… Il lui donne ce qu’il peut recevoir, dans son découragement ; il lui donne ce qu’il a besoin de recevoir : après les grands miracles, le souffle de sa présence ordinaire, permanente, invisible et fidèle comme le souffle dans le corps.
Dans ce murmure, comme dans une bulle d’intimité, Dieu repose sa question, comme une invitation à la confidence : « que fais-tu là, Elie ? »
Mais Elie redit la même chose que tout à l’heure, mot pour mot, sur le même ton, obsédé par sa peine et sa déception – l’apparition de Dieu n’a rien changé.
Dieu écoute la plainte d’Elie. Il le laisse terminer. Quand il reprend la parole, ce n’est plus pour échanger, c’est pour le soulager. Il ordonne à Elie de refaire le chemin inverse, jusqu’au Nord d’Israël, pour aller consacrer Hazaël comme roi d’Aram – celui-ci vaincra Achab sur le terrain militaire, et il lui montrera que Dieu n’est plus de son côté. Elie doit aussi consacrer Jéhu comme roi d’Israël : une nouvelle dynastie remplacera celle d’Achab, peut-être un vrai nouveau départ, cette fois ! Et puisqu’Elie n’en peut plus d’être prophète, Dieu lui désigne un héritier : le jeune Elisée.
Elie n’est plus tout seul, il peut passer le flambeau, partager la charge… Il n’a plus tout sur ses épaules. Et puis, Dieu lui a montré qu’il était de son côté, que lui aussi était révolté par l’inconstance et l’ingratitude de son peuple.
Mais Dieu ajoute une remarque qui m’interpelle : il s’est gardé une part du peuple d’Israël, sept mille hommes fidèles qui n’ont jamais cédé devant Baal et qui ont persévéré dans la foi envers Yahweh. Alors qu’Elie se croyait seul, et revendiquait presque son statut de réformateur solitaire, Dieu lui rappelle que lui aussi est à l’œuvre… Qu’il a un plan et qu’il agit au niveau des autorités comme au niveau du peuple… Dans un sens, Elie avait perdu de vue l’œuvre globale de Dieu : tellement pris par son zèle, il avait négligé la foi discrète des autres et le plan global de Dieu. Et cela a ajouté au poids qui l’accablait.
Dieu élargit la vision d’Elie, et ce faisant il lui redonne une place équilibrée – et équilibrante: sa mission est importante, oui, mais tout ne dépend pas de lui – le prophète s’insère dans un plan à long terme que Dieu tient solidement dans sa main.
Elie repart.
Cet homme reste pour moi un mystère… Un homme excessif, passionné, provocateur et en même temps dévoué au Seigneur, capable de grandes choses, mais vulnérable à l’épuisement. Cet homme hors du commun, irrévérencieux, indomptable, Dieu l’a pris comme il est, quitte à le réorienter un peu. Quelle grâce… quelle grâce ! Notre Créateur si juste, pur et parfait, vient se mettre à la hauteur de ceux qu’il aime, il s’adapte à leur situation, avec justice et bienveillance. Non, ce n’est pas Elie le mystère, c’est Dieu ! Et j’ai l’éternité pour m’en émerveiller…
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