Archives mensuelles : avril 2015

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Menteurs !

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https://soundcloud.com/eel-toulouse/menteurs

Lecture biblique : Jérémie 9.1-8

Tous pourris ! Tous des menteurs ! Voilà un peu le sentiment que nous pouvons avoir en lisant ce texte de Jérémie.

C’est même l’avis du Seigneur lui-même qui semble en avoir marre de son peuple. Il rêve presque de s’en débarrasser (v.1) ! C’est bien-sûr une image qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre… mais qui exprime bien le désarroi de Dieu, sa déception devant son peuple.

Les prophètes qui se sont levés juste avant l’exil ont adressé au nom du Seigneur de nombreux reproches au peuple, et en particulier à ses dirigeants. L’idolâtrie, l’injustice, la corruption, la débauche et bien d’autres maux étaient dénoncés.

Le reproche principal, ici, c’est le mensonge. Et un mensonge généralisé : chez les dirigeants du peuple : « ils sont devenus maîtres du pays non pas grâce à la vérité, mais grâce au mensonge » (v.2) mais aussi dans le quotidien des relations : « Chacun doit se méfier de son ami, personne ne doit faire confiance à son frère. Tout frère est un trompeur. » (v.3)

Et, ironie, c’est l’exemple de Jacob, l’ancêtre du peuple d’Israël, qui est évoqué : « Comme Jacob, il vous trompera sûrement. » (v.3). Une référence à son stratagème pour voler le droit d’aînesse à son frère Esaü.

Du coup, la conclusion est sans appel : « Chacun trompe son prochain, personne ne dit la vérité, tous ont pris l’habitude de mentir. » (v.4) Ou comme le traduit la NBS : « ils exercent leur langue à proférer des mensonges ! » Le mensonge est alors presque un sport national en Juda, tous en sont devenu des experts !

Pourquoi une telle véhémence contre le mensonge ? Où sont, aujourd’hui, les mensonges à dénoncer, dans notre société, mais aussi dans notre vie ?

Avec le mensonge, le ver est dans la pomme !

Dans la Bible, le mensonge est à la racine du péché. Tout a commencé à mal tourner à cause du mensonge du serpent : « Vous ne mourrez pas mais vous deviendrez comme Dieu ! » (Genèse 3.4) En laissant ce mensonge pénétrer son esprit, Eve a laissé le ver entrer dans la pomme. Car c’était un double mensonge. Un mensonge sur Dieu, qui mettait en doute sa parole et le faisait menteur. Mais aussi un mensonge sur nous-mêmes, en faisant croire que nous pouvions devenir comme Dieu.

Dans le discours des prophètes, le mensonge est associé aux faux dieux, aux idoles. Ce sont des dieux de mensonge qui trompent leur adorateur. Ou plutôt ce sont les adorateurs qui se trompent eux-mêmes et qui se trompent sur Dieu.

« Tous les fondeurs ont honte de leurs faux dieux.
Ces statues sont trompeuses :
il n’y a en elles aucun souffle de vie. » (Jérémie 10.14)

Le mensonge éloigne du vrai Dieu. « Il ne me connaissent pas » (v.2). Le Décalogue mettait en garde contre ce danger : « Je suis le Seigneur ton Dieu. Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face ».

Mais le mensonge brise aussi ma relation à mon prochain : la confiance est remplacée par la méfiance. Dans notre texte de Jérémie, ce sont bien les conséquences du mensonge qui sont dénoncées : la violence, les crimes, la trahison… C’est pourquoi, dans le Décalogue, il n’y a pas le commandement « Tu ne mentiras pas », qui serait abstrait et absolu. Mais « Tu ne porteras pas de faux témoignage ». C’est le mensonge pour nuire.

Où sont les mensonges aujourd’hui, dans notre société ? Il y a bien-sûr les magouilles des puissants, les petits (ou gros) arrangements dans le monde des affaires, la fraude ou l’évasion fiscale. Mais on peut penser aussi aux mensonges de promesses électorales oubliées aussitôt après avoir été élu, ou de certains discours politiques qui érigent les uns ou les autres en boucs émissaires, responsables de tous les maux. Sans oublier les mensonges des publicités vantant les mérites de telle lessives ou tel produit cosmétique miracle, les mensonges « photoshopés » des canons de beauté qui ornent les couvertures des magazines.

Veillons à ne pas tomber dans les pièges de ces mensonges… Soutenons les organismes qui militent pour plus de transparence et d’intégrité, comme le Défi Michée et son plaidoyer contre la corruption. Recherchons une vie simple, authentique, intègre.

Car la mise en garde est vraie aussi pour notre pomme ! Nous avons tous des zones d’ombres dans notre vie, des chose que nous préférons cacher, y compris à nos proches. Où sont les mensonges dans notre vie ? Comment affectent-ils notre relation avec Dieu, comment altèrent-ils nos relations avec nos proches ?

La vérité pour vaincre le mensonge

Dénoncer le mensonge, c’est aussi promouvoir la vérité. Non pas au sens d’une vérité absolue qu’il conviendrait de connaître, voire de posséder. C’est une illusion, donc un mensonge, de prétendre détenir la vérité !

Il n’y a pas de vérité à détenir, il n’y a qu’une vérité à vivre. Jésus ne l’a-t-il pas dit lorsqu’il se définit lui-même comme « le chemin, la vérité et la vie » ? La vérité ici, ce n’est pas le dernier mot sur tout, ce n’est pas un discours, un dogme ou une connaissance. La vérité, c’est la personne de Jésus. Le Fils de Dieu fait homme pour nous ouvrir le chemin de la vie.

Le mensonge n’est vaincu que lorsqu’il est remplacé par la vérité. Lorsque la tromperie a laissé place à l’intégrité, lorsque la manipulation est devenue service, lorsque l’hypocrisie a disparu au profit de l’authenticité, lorsque la méfiance est remplacée par la confiance…

C’est cette vérité-là que nous devons rechercher. C’est pourquoi l’apôtre Jean, dans sa première épître, trace un lien étroit entre la vérité et l’amour. « Si quelqu’un dit ‘je connais Dieu’, mais s’il n’obéit pas à ses commandements, c’est un menteur, la vérité n’est pas en lui. Mais celui qui obéit à la parole de Dieu, son amour pour Dieu est vraiment parfait. » (1 Jn 2.4-5) Et plus loin : « Si quelqu’un dit ‘je suis dans la lumière’, mais s’il déteste son frère ou sa sœur, celui-là est encore dans la nuit. » (1 Jn 2.9)

Pour Jean comme pour Jérémie, la vérité et le mensonge se mesurent dans notre façon de vivre. Devant Dieu, le mensonge conduit à l’hypocrisie ou l’idolâtrie. Alors que la vérité produit une foi vivante, authentique, qui grandit et s’épanouit. Dans nos relations à notre prochain, le mensonge conduit à la tromperie, la manipulation, la méfiance. Alors que la vérité produit la fidélité, l’humilité, la confiance.

Rejetons donc le mensonge et ses conséquences néfastes et choisissons la vérité, fidèle compagnon de l’amour.

Conclusion

Tous pourris ! Tous des menteurs ! Certes… mais sommes-nous meilleurs ? Prenons garde en tout cas, car nous aussi nous pouvons nous laisser entraîner dans le mensonge. La séduction du serpent change de forme mais elle garde tout son attrait.

Alors, certes, soyons les promoteurs de la vérité. Quand nous le pouvons, dénonçons les mensonges si facilement véhiculés par les médias traditionnels ou modernes. Mais pourquoi ne pas prier aussi pour les hommes et les femmes qui veulent vivre dans la vérité ? Et surtout, soyons chacun à notre niveau, de vrais disciples de Jésus-Christ, témoins en paroles et en actes de son amour et de sa grâce, dans la vérité.

L’appel à une vie juste

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https://soundcloud.com/eel-toulouse/lapppel-une-vie-juste

Lecture biblique Amos 2.6-8

Le prophète Amos prêche au 8e siècle avant Jésus-Christ, c’est un éleveur juif qui va s’adresser essentiellement au royaume du Nord d’Israël – le royaume d’Israël s’étant divisé environ 150 ans avant Amos. Le royaume du Nord, Israël, composé de dix tribus sur les 12, est beaucoup plus grand et important que le royaume du Sud, Juda, qui n’a gardé que le territoire de 2 tribus, autour de Jérusalem et du Temple. A l’époque d’Amos, le royaume du Nord vit une période faste, riche, prospère – apparemment tout va bien. Amos va pourtant aller à la rencontre des dirigeants du Nord pour révéler le point de vue de Dieu sur la vie de ce royaume.

Lecture               PVI

1)   Le constat d’un peuple corrompu

Par le prophète Amos, Dieu dénonce la corruption qui gangrène son peuple, il la dénonce ici rapidement, mais il développera ses accusations dans les chapitres qui suivent. E parlant de corruption, on vise la corruption judiciaire, bien sûr, mais au-delà, c’est la mentalité de tous les dirigeants qui est visée, puisqu’ils vivent tous d’une manière tordue, décalée de la volonté de Dieu, en détournant les lois à leur profit ou simplement en les transgressant. Ainsi, Amos relève quelques scandales quotidiens de la vie dans le royaume du Nord.

Par exemple, à l’époque, se vendre comme esclave était une possibilité pour payer ses dettes, quand on n’avait plus aucune ressource pour les rembourser, et l’esclavage durait le temps équivalent au remboursement, comme un paiement en nature, en travail. Amos dénonce le fait de forcer des gens à se vendre pour des dettes dérisoires, d’en venir à priver des compatriotes de leur liberté alors que d’autres solutions étaient envisageables. Les juges vont même jusqu’à décréter la vente d’innocents parce qu’un tel leur a donné un bon pot-de-vin. Quand les gens ne sont pas vendus, on réquisitionne leurs biens, on en profite largement, sans respecter les conditions de gage et de prêt, et on en profite notamment lors du culte, apportant au culte des biens acquis de manière injuste.

Autre exemple, au verset 7, où un homme et son fils ont des relations avec la même femme. Il s’agit sûrement de servantes employées de maison, privées de respect et de protection, livrées à la merci de leurs employeurs. Amos s’attaque, là, moins à la dépravation sexuelle ou à l’adultère qu’à la vulnérabilité des petits, des employés, des pauvres, qui subissent des abus de toute sorte et ne peuvent pas se défendre.

En quelques phrases, Amos nous livre le portrait décapant d’une société où règnent l’injustice, les inégalités, les abus, la loi du plus fort, la cruauté et l’appât du gain. Cette société, ce n’est pas le monde païen, c’est Israël, c’est le peuple de Dieu ! Dieu accuse son peuple d’avoir transgressé ses commandements, pas seulement sur le plan religieux ou moral, mais aussi sur le plan social, civil : la justice est mal appliquée, les employés travaillent dans des conditions dangereuses, etc. On touche là à une spécificité de la situation d’Israël dans l’A.T. : Israël est à la fois un groupe religieux, qui honore le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob, leurs ancêtres, mais c’est aussi une réalité politique, une nation souveraine. Et dans les lois que Dieu a données à Moïse, il y a des règles morales (tu ne tueras pas), des règles cultuelles (voici comment faire un sacrifice) et des règles civiles (si quelqu’un a tué, voici la procédure). Ces règles civiles gèrent la vie en société, comme nos lois françaises, formulées et appliquées par l’Etat.

Une des difficultés pour les chrétiens, par rapport à ces textes, c’est que notre réalité est différente. L’Eglise est une réalité religieuse, car nous sommes rassemblés autour de Jésus-Christ, le Messie qu’attendait Israël, mais nous ne sommes pas une nation, nous sommes de toutes les nations, nous venons de différents pays, nous nous réunissons dans différents pays, et nous ne nous identifions pas à un Etat. Du coup, on ne peut pas juste transposer les règles de la vie de la nation religieuse d’Israël à notre situation, et quand on lit l’AT, on se pose souvent la question : qu’est-ce qui reste valable pour nous aujourd’hui ?

Il me semble que ce qui reste toujours valable, même dans des lois juridiques qui ne nous concernent pas directement, même dans des lois sociales qui ne sont pas les mêmes que dans notre pays, ce sont les valeurs que Dieu nous révèle. Derrière les lois et les règles données à Israël, et derrière les accusations de Dieu face à un peuple qui ne respecte pas la loi, on découvre les principes, les valeurs, les préoccupations de Dieu, qui est le même hier, aujourd’hui, et demain. J’aimerais, à partir du texte d’Amos et de ses dénonciations, simplement relever deux principes pour nous aujourd’hui.

2)   Culte et vie quotidienne

Le premier principe que j’aimerais relever, c’est le lien entre le culte et la vie quotidienne. Amos dit qu’en écrasant les pauvres, en commettant des abus à l’égard des petits, en vivant de manière injuste, on insulte l’honneur de Dieu, ou dans une autre traduction, on profane son nom. Autrement dit, notre vie  de tous les jours, nos choix, nos attitudes, nos paroles et nos gestes, toute notre vie concerne Dieu.

En effet, même si notre relation avec Dieu commence souvent dans par des questions spirituelles – qui est Dieu, quel regard Dieu porte-t-il sur moi, quelle espérance devant la mort – notre relation avec Dieu a un impact au-delà du cadre spirituel. En réalité, Dieu nous invite tous entiers dans cette relation avec lui, en prenant en compte l’intégralité de notre personne, de nos actes, nos pensées, nos projets, nos relations.

Amos nous décrit une situation où le mal perpétré au quotidien corrompt le culte, la relation avec Dieu : aucune louange n’est acceptée, aucun sacrifice n’est apprécié, venant de ceux qui se complaisent dans le mal envers autrui. De manière plus fondamentale, notre péché envers autrui entrave notre relation avec Dieu. La solution que Dieu nous apporte à ce problème, c’est la croix de Jésus-Christ, qui inverse la tendance, en nous réconciliant d’abord avec Dieu, en nous justifiant, en nous rendant proches de lui, ce qui va influencer notre vie de tous les jours et y implanter les caractéristiques de la vie avec Dieu : justice, paix, vérité, amour etc. En Jésus-Christ, notre relation avec Dieu est redressée, ce qui doit nous conduire à redresser nos relations avec les autres.

Comment la justice et la vérité et la paix et l’amour découverts auprès de Dieu peuvent-ils redresser notre vie quotidienne, en famille, au travail, dans notre voisinage, de façon à ce que notre vie corresponde aux valeurs de notre créateur ?

Très concrètement, ça commence par nourrir notre relation avec Dieu, apprendre à le connaître, découvrir sa vision des choses (souvent très différente de la nôtre) et nous approprier ses valeurs. Ca passe par la lecture de sa Parole et par la prière, où on apprend à demander ce que Dieu veut et non pas ce qui nous arrange. En nous mettant à l’écoute de Dieu, nous apprenons ce qui est droit, bon, saint, juste, parfait.

Cela étant, il ne suffit pas de savoir pour faire. Je pense que beaucoup des personnes critiquées par Amos savaient, en théorie, qu’il y avait des lois pour protéger les faibles, les innocents, les employés, mais ils ne les mettaient pas en pratique. Pour passer du savoir à la pratique, il me semble que Dieu nous donne deux aides : le Saint Esprit et l’Eglise. Le Saint Esprit travaille dans notre cœur, et la communauté de nos frères et sœurs en Christ nous encourage de l’extérieur. C’est avec d’autres chrétiens, qui ont un point de vue et une expérience différents de nous, que nous pouvons chercher ensemble comment améliorer telle attitude, concrètement, comment redresser telle relation. Ca se fait un peu au culte, mais il est essentiel que chacun ait un moment, un lieu, de partage dans l’église avec d’autres chrétiens, pour aborder ces mille défis que nous avons tous, pour écouter ensemble ce que Dieu veut nous dire, très concrètement, pour prier, pour s’encourager les uns les autres, pour apprendre ensemble à laisser la vie avec Dieu transformer notre vie de tous les jours.

3)   Le souci de Dieu pour la justice

Le texte d’Amos attire notre attention sur ce qui est important aux yeux de Dieu : notre vie, dans son intégralité. Vous avez remarqué, peut-être, que dans ce texte, Dieu concentre ses accusations sur des problèmes sociaux, de justice collective. Dieu est le Dieu des veuves et des orphelins, le champion des petits, des faibles, des victimes. Il est du côté de ceux qu’on rejette, qu’on méprise, qu’on écrase, qu’on harcèle, qu’on brutalise. Admettons-le, cet aspect de la justice de Dieu, nous l’oublions parfois. Pour nous, chrétiens, vivre de manière juste, c’est souvent une question de morale personnelle : ne pas mentir, ne pas se saouler, être fidèle… Mais ce souci de justice globale, sociale, nous échappe parfois. Nous avons tendance à nous focaliser sur les questions de morale personnelle, familiale, en oubliant la morale sociale. Je ne parle pas de politique, pas du tout, en tout cas pas dans le sens d’un programme de parti, mais du souci de la justice commune qui dépasse notre moralité individuelle.

Est-ce que l’église doit, comme Amos, dénoncer les maux de notre société et s’élever contre ses inégalités, son injustice, ses travers ? Le NT ne nous rien, directement, sur cette question. On peut répondre « non », parce que cette société n’est pas le peuple de Dieu, c’est l’église ; on peut aussi répondre « oui », pour annoncer et favoriser la justice de Dieu dans le monde. Si on répond oui, et qu’on veut dénoncer les travers de notre société, alors il me semble qu’il nous faut refléter les préoccupations de Dieu, et pas simplement s’exprimer sur des problèmes familiaux ou individuels, mais qu’on peut, au nom du Dieu juste, au sens fort, appeler à la défense des faibles, à la lutte contre la corruption, à la protection des petits, à la lutte contre l’esclavage etc. C’était un des buts du défi Michée, par exemple, qui interpelle les dirigeants mondiaux sur la justice sociale.

Même si on considère que ce n’est pas le rôle de l’église de dénoncer les travers de la société, parce que ce serait deux mondes étanches, l’interpellation de Dieu demeure : comment favorisons-nous en tant qu’église la justice de Dieu ? Souvent nous nous préoccupons des questions de pureté, de vérité, mais comment vivons-nous cet appel au respect des petits, à l’accompagnement des faibles ? L’évangile dépasse le culte dominical, il nous fait approcher du Royaume de Dieu, un royaume où la justice et la paix habiteront. Comment préparons-nous ce royaume ? Comment l’annonçons-nous ? Ces réponses passent par l’association 1901 de notre église, association d’entraide et d’activité chrétienne, mais ce ne sont pas des réponses secondaires, ou déconnectées de notre foi. Jésus nous appelle à avoir faim et soif de justice, à être des ouvriers de paix, à nous préoccuper des petits : comment voulons-nous répondre ensemble, en église, à cet appel ?

Prions : merci Seigneur parce que tu n’es pas le Dieu d’une religion, mais tu es le Créateur qui as donné ton Fils pour racheter le monde, pour recréer un monde où ta paix et ta justice habiteront. Pardonne-nous nos œillères, élargis notre regard : montre-nous comment ton Evangile peut transformer notre vie, comme un signe aujourd’hui du royaume qui vient. Donne-nous soif d’une vie plus proche de toi, qui reflète toujours davantage tes valeurs. Elargis aussi notre regard au-delà de notre vie personnelle et donne-nous faim de justice pour les autres. Fais de nous des ouvriers de paix, porteurs de la paix acquise à la Croix, dans l’attente de ton Royaume.

La résurrection de Jésus, un Dieu qui nous échappe

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Lecture biblique: Marc 16.1-8

Le récit qui termine l’évangile de Marc nous laisse sur notre faim : pas de corps, pas d’explication sur la résurrection, pas de rencontre avec le ressuscité, juste quelques femmes et un homme, une consigne qui n’est même pas mise en œuvre. La fin de cet évangile est abrupte : les femmes n’ont rien fait car elles avaient peur, et nous restons comme en suspens, au point très tôt dans l’histoire de l’église, il y a eu la tentation de donner une vraie fin, en ajoutant une conclusion rassurante. Pourtant, l’originalité de Marc, qui s’arrête plus tôt que les autres évangélistes, a le mérite de nous plonger dans l’intensité de ce qui s’est passé et de faire résonner encore jusqu’à aujourd’hui l’interpellation de ce matin de Pâques.

1)   Un choc qui déchire l’ordinaire

Pour décrire cet événement indescriptible, Marc choisit de nous montrer la scène du point de vue des femmes qui découvrent le tombeau vide. Il prend le temps de nous décrire leur état d’esprit : malgré leur chagrin après le supplice et la mort du Maître, elles s’affairent pour achever l’enterrement. Après la crucifixion, elles ont repéré dans quel caveau on plaçait le corps de Jésus mort, et, dès que le sabbat, jour férié, est passé, elles achètent les huiles nécessaires pour parfumer le mort, et éviter qu’il ne sente trop. Le lendemain matin, elles partent dès le lever du soleil vers la tombe, pour ne pas perdre de temps. Avec bon sens, elles réfléchissent en chemin aux détails pratiques, et là, mince, elles se rendent compte qu’elles n’ont pas pensé à tout : la grande pierre qui ferme le caveau est trop lourde pour qu’elles puissent la déloger. Espérant trouver quelqu’un sur place, un gardien, un soldat, un visiteur, elles continuent leur route.

En arrivant, c’est étrange, la pierre est déjà roulée. Bon, elles entrent et elles trouvent dans la petite entrée du caveau un jeune homme, rayonnant, qui les fait presque sursauter de surprise et de crainte : qui est cet homme ? que fait-il ici ? Est-ce qu’elles se seraient trompées de tombeau ? Le jeune homme les rassure – c’est bien la tombe de Jésus, de Nazareth, crucifié le vendredi d’avant. Mais après les avoir rassurées, il les jette dans la confusion : Jésus n’est plus là, oui il s’est levé, il est parti et il laisse un message à transmettre aux apôtres : rendez-vous en Galilée. Prises de panique, les femmes s’enfuient au plus vite, et s’arrêtent, grelottantes, hébétées, en essayant d’encaisser le choc de cette nouvelle.

En décrivant la scène du point de vue des femmes, Marc évite le surnaturel, le merveilleux, le glorieux, même. Tout est ordinaire, et le tombeau vide apparaît presque comme un accident, une déviation en cours de route : ah non, vous ne pouvez pas embaumer le corps, il n’est pas là. Le messager ne prend particulièrement de pincettes, il n’explique rien, simplement Jésus n’est plus là et voici où vous pouvez le trouver. La résurrection, flash de vie divine qui vient déchirer la mort et la fatalité, la résurrection n’est pas donnée à voir, elle n’est pas décrite, il n’y a pas de mots pour rendre compte d’un tel chamboulement.

Notre seule échelle pour mesurer l’ampleur de ce qui s’est passé, c’est la réaction des femmes. Ce sont des femmes de bon sens, des femmes pratiques qui ont en vu et qui ne se laissent pas facilement impressionner : elles ont suivi Jésus, elles l’ont vu agoniser sur la croix, elles ont l’habitude de s’occuper des cadavres parfois abîmés. Pourtant, là, elles sont terrifiées. ter-ri-fiées ! Le tombeau vide, c’est l’écroulement de leurs certitudes, de leurs habitudes, de ce qui est le plus sûr dans notre vie, le plus universel : nous mourrons tous un jour. Cette certitude est ébranlée : la mort n’a pas eu le dernier mot, et Jésus en est sorti. Plus elles y pensent, plus elles ont le vertige devant ce tombeau vide, trace en creux de l’intervention du Dieu vivant qui déchire l’horizon, qui franchit les frontières de l’ordinaire : Jésus s’est réveillé, la vie de Dieu a triomphé de la mort.

Ce matin-là, tout est pareil, mais tout est différent. Nouveau jour, nouvelle semaine, nouvelle ère : dans le quotidien, la vie de Dieu a fait irruption.

2)   Où voir Jésus ? L’invitation à se mettre en route

Le tombeau vide n’a pas de sens en lui-même, c’est une empreinte, un manque qu’il faut interpréter, et sans la parole du messager qui affirme la résurrection de Jésus, son réveil d’entre les morts, ce tombeau vide pourrait avoir un tout autre sens : déplacement du corps, vol… Il en est du matin de Pâques comme des autres interventions divines : les faits ne parlent pas d’eux-mêmes, mais ils demandent de se mettre à l’écoute de Dieu pour les comprendre et en saisir la portée.

La parole du messager, au matin de Pâques, est centrale, cruciale, et réserve d’autres surprises que le miracle inouï de la résurrection du Christ. En effet, le messager confirme aux femmes que Jésus s’est dérobé à la mort, d’une part, mais aussi à leurs yeux. Plus tard, le ressuscité apparaîtra, mais dans un premier temps, comme pendant sa vie sur la terre, il est insaisissable. Devant ceux qui voulaient faire de lui le Roi, le libérateur, le vainqueur triomphant, sans comprendre le chemin douloureux qu’il avait choisi, il se dérobait. Devant ceux qui venaient à lui par soif de spectaculaire, sans se soucier de Dieu, il se dérobait.

Je me demande s’il n’y a pas là la même dynamique : ce miracle est tellement extraordinaire, grandiose, bouleversant, que peut-être les femmes n’auraient pas pu entendre ce que Jésus avait à leur dire si elles l’avaient vu, dans sa gloire de ressuscité. Submergées de soulagement, de joie, d’émerveillement, d’adoration-même, elles auraient peut-être été sourdes à ce que Jésus voulait leur dire. Avouons que c’est notre tendance, d’enfermer Dieu même dans sa puissance, même dans ses miracles, et d’être sourds à ce qu’il veut nous dire. Nous sommes tellement enclins à nous choisir un Dieu qu’on peut mettre sous vitrine, posséder, maîtriser, que devant ses miracles et sa grandeur nous sommes parfois tentés de nous dire : ce Dieu-là va changer ma vie, j’ai besoin de ça, ça…

Mais il n’est pas ici, il ne se laisse pas enfermer, ni par la mort, ni par notre vision limitée, ni par nos désirs, nos questions. Il n’est pas un porte-bonheur qui améliore notre quotidien, mais il est Dieu, grandiose, insaisissable. Et il veut nous parler. Le miracle n’est pas seulement un événement extérieur qui nous subjugue, comme les chutes du Niagara ou une étoile filante, c’est une interpellation, c’est l’intervention de Dieu qui veut résonner dans notre vie, dans le cœur des femmes ce matin-là et dans le nôtre aujourd’hui.

En fait, l’absence de Jésus oblige les femmes à se mettre en route pour le rencontrer. Elles sont obligées de faire ce pas, de prendre cette décision de foi : il est vivant, et s’il est vivant, il faut le suivre, comme elles l’ont suivi quand il sillonnait les routes. Le messager les envoie en Galilée, la région où tout a commencé pour Jésus et ses disciples. Il les appelle à se remettre en marche, à ne pas laisser le miracle de la résurrection devenir une pièce de musée, qui prendra la poussière et, une fois la première surprise passée, ne suscitera plus que des « oh » et des « ah ». Non, la résurrection est un réveil, non seulement pour Jésus qui est revenu d’entre les morts, mais aussi pour nous, l’occasion d’ouvrir les yeux sur ce que Dieu a fait, sur ce que Dieu est, sur sa puissance et ses promesses. C’est l’occasion de sortir de nos carcans, de notre fatalité, de nos propres tombes, pour nous mettre en route à la suite du Christ, les yeux ouverts sur un nouvel horizon où l’aube paraît, où la lumière de Dieu vient nous illuminer, et entrer dans les projets de Dieu.

Conclusion

Marc nous laisse devant le tombeau vide, au côté des femmes paniquées, où résonne encore l’invitation à croire à l’incroyable et à se mettre en route. Même si, par d’autres évangiles, nous savons que les femmes ont fini par transmettre le message et rejoindre Jésus, restons quelques instants avec elles, dans ces premiers moments de stupeur et de crainte. Est-ce vrai ? Y croirons-nous, aujourd’hui encore ? croirons-nous que la mort n’a pas eu le dernier mot ? Et si nous le croyons, accepterons-nous de quitter nos plans, nos habitudes, nos routines rassurantes et fatales, pour marcher derrière le Christ ressuscité, sur cette route inconnue qui nous conduit vers le Dieu vivant ?