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“Aime, et fais ce que tu veux!” (St Augustin)

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https://soundcloud.com/eel-toulouse/aime-et-fais-ce-que-tu-veux

Ce matin, je vous propose de lire un des textes du jour, dans la lettre de Paul aux chrétiens de Rome, ch. 13. Paul a fait de la théologie dans la 1e partie de sa lettre, et maintenant il en tire les conséquences pour la vie du chrétien. Comment la foi en Dieu transforme-t-elle notre façon de vivre ? Paul parle essentiellement de nos relations, de notre rapport avec les autres, et juste avant notre texte, il évoque notre comportement en société, et rappelle notre devoir d’être des citoyens modèles, justes.

Lecture biblique: lettre aux Romains, 13.8-10

(7 Donnez à chacun ce que vous lui devez. Si c’est l’impôt, payez l’impôt, si c’est une taxe, payez-la. Si c’est l’obéissance, obéissez, si c’est le respect, soyez respectueux.)

8 N’ayez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour que vous devez avoir entre vous. Celui qui aime les autres obéit parfaitement à la loi. 9 En effet, vous connaissez les commandements : « Ne commets pas d’adultère. Ne tue personne. Ne vole pas. Ne désire pas ce qui ne t’appartient pas. » Ces commandements et tous les autres sont contenus dans cette parole : « Aime ton prochain comme toi-même ! » 10 Quand on aime, on ne fait aucun mal à son prochain. Par conséquent, aimer, c’est obéir parfaitement à la loi.

1)   Ne rien devoir à personne… sauf l’amour

Avant de parler d’amour, j’aimerais rester sur cette invitation à ne rien devoir à personne. La Bible nous appelle à une vie responsable, notamment dans le domaine des finances. On peut entendre dans cette phrase de Paul un principe applicable pour notre vie d’aujourd’hui : ne pas contracter de dette inutile, ne pas vivre au-dessus de ses moyens, mais gérer nos biens avec prudence et sagesse. Et si parfois il faut bien faire un crédit (pour une maison, une voiture…), Paul invite à être « réglo », à rembourser en temps et en heure. Plus généralement, nous sommes appelés à rendre aux autres ce qui est dû : remboursement, taxe, respect, etc. Que ce soit avec l’Etat ou notre voisin, il nous faut veiller à des relations justes, où personne n’est lésé et où personne ne profite de l’autre.

Rendre à chacun ce que nous devons pour être en règle,  ne rien devoir à personne…   Mais Paul ajoute aussitôt une correction : la seule dette impossible à rembourser, c’est l’amour. Le seul devoir dont on ne sera jamais complètement libéré, déchargé, c’est l’amour de l’autre. En clair : on n’aura jamais assez aimé ! Jamais on ne pourra dire : « OK, c’est bon, maintenant j’ai aimé tant de personnes, plus besoin d’aimer ! » Ou : « Elle, je l’aime depuis 25 ans, maintenant, ça suffit, j’ai rempli mon quota ! » Non, l’amour c’est pour toujours, et avec tous ! Paul mentionne un cercle qui s’élargit : les frères et sœurs dans la foi, le prochain (l’entourage), et finalement l’autre (le différent, voire l’ennemi) : l’amour n’a pas de limites !

Sans culpabiliser, Paul rappelle seulement l’essentiel. Au cœur de notre relation aux autres, il y a l’amour, et l’amour ne connaît ni les quotas ni les dates de péremption.

Remarquez que Paul parle de notre dette, ce que nous devons aux autres et pas ce qu’ils nous doivent : on ne va pas aller reprocher au voisin de ne pas assez aimer, ou de ne pas être assez “chrétien” ! C’est à mon devoir, à ma responsabilité d’amour, que Paul fait référence, et pas à mes droits dont je pourrais exiger la prise en compte.

2)   « Aime, et fais ce que tu veux » Augustin

L’amour, c’est la caractéristique des relations que le chrétien est appelé à vivre – là, Paul reprend, purement et simplement, l’enseignement de Jésus et son insistance envers les disciples : « je vous laisse un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Ce n’est pas vraiment nouveau, puisque Moïse avait déjà transmis ce commandement : « aime ton prochain comme toi-même » (Lév. 19.18) (que Paul cite ici). Ce qui est nouveau, c’est de dire que l’amour résume, récapitule, tous les autres principes, tous les autres commandements. Paul en cite quelques-uns, bien connus, des Dix Commandements : Tu ne tromperas, voleras pas, tueras pas, convoiteras pas… Égale : tu aimeras ! S. Augustin, au 5e s., l’a bien formulé : « Aime, et fais ce que tu veux ».

L’idée sous-jacente, c’est qu’il n’y a pas de contradiction fondamentale entre la Loi (les règles données par Moïse à Israël 1500 ans plus tôt) et l’amour. Au contraire, aimer c’est vouloir le bien de l’autre – pas seulement le bien-être ! – le bien, ce qui est juste et bénéfique pour l’autre. Quand on agit avec amour, c’est, pour Paul, forcément en accord avec les règles éthiques : on ne trichera pas, on ne manipulera pas un ami, on n’ira pas le voler, et encore moins le tuer ! La loi, qui avait pour objet de réglementer les relations sociales pour éviter la vendetta, protège l’autre – et l’amour fait de même.

3)   L’amour, juste et généreux

L’amour véritable accomplit la loi, il la réalise dans son intention, dans ses principes, mais il la dépasse aussi. Il va au-delà. En effet, là où la loi se définit négativement, avec une liste de choses à ne pas faire, l’amour, lui est positif. Là où la loi empêchera de blesser, de léser, de tuer, etc., l’amour, lui, cherchera activement comment soigner, combler, soutenir !

L’amour cherche à bénir, quand la loi cherche seulement à éviter le mal (et on est d’accord que c’est déjà beaucoup !). Là où, par la loi, je peux me laver les mains et dire « moi je ne fais de mal à personne », l’amour demande : « à qui puis-je faire du bien aujourd’hui ? ». Là où, dans la loi, on coche des cases, dans l’amour on écrit des pages entières, des histoires, des rencontres !

La différence est simple : imaginez un époux qui dirait « moi je suis un bon mari : je ne bats pas ma femme, je ne l’insulte pas et je ne la trompe pas. » Et ?… Ne manque-t-il pas quelque chose ? L’essentiel, peut-être ? La chaleur des échanges, des petites attentions, de la complicité, des projets communs ?

Aimer, c’est plus que ne pas faire de mal : c’est faire du bien à l’autre. Certes, pas toujours de la même façon ni avec la même intensité – il faut tenir compte de nos limites naturelles, et de la hiérarchie de nos relations : mon époux a plus d’importance que mon voisin ! – mais toujours avec la même posture : en quoi puis-je bénir l’autre ? En quoi notre relation, ma présence, apporte-t-elle du bon à l’autre ? Parfois c’est simplement un sourire dans le métro, quelques minutes pour aider un inconnu, ou une question à un collègue : « comment tu vas aujourd’hui ? Tu es fatigué, comment pourrais-je t’aider ? » Là où la loi peut produire l’indifférence, le « chacun chez soi et les cochons seront bien gardés », l’amour crée du lien, rend visite, partage, donne un coup de main…

La loi trace le dessin, le cadre, mais l’amour colorie l’intérieur de toutes les couleurs. Celui qui aime ne fait pas seulement « ce qu’il faut » (la loi), mais il donne chair, il déborde, il invente, il rayonne. L’amour est généreux : non seulement il paie ses dettes, mais il donne au-delà de ce qui est dû, il partage, il élève l’autre. Il donne de la grâce, de la joie, de la beauté aux relations.

Si le commandement d’amour paraît plus libre que la loi, il est en réalité plus exigeant, car il vaut pour toutes les relations, tout le temps, partout. C’est ce qui fait que bien souvent, même les chrétiens, on se retranche derrière la loi, celle de la Bible ou les nôtres : c’est plus facile ! Il peut être dur de renoncer à certaines choses, d’adopter des contraintes parfois fermes, mais, c’est faisable ! Alors que l’exigence d’amour concerne mes actes, mais aussi mon regard, mon cœur, mes pensées… Je ne peux jamais en faire le tour, tandis que les règles ont ce côté rassurant de la tâche accomplie : « ça c’est fait ». L’amour n’est jamais terminé.

Soyons clairs : cet amour qui peut transfigurer nos relations, magnifique mais exigeant, il ne vient pas de nous. Il vient de Dieu. De l’amour que Jésus a montré en se faisant serviteur de ses propres élèves, en touchant les lépreux avec tendresse, les aveugles avec respect, les démoniaques avec confiance. L’amour qu’il a montré en mourant pour nous. L’amour qui a triomphé quand il est ressuscité, l’amour qu’il déverse en nous aujourd’hui par son Esprit. Paul ne l’évoque pas – c’est une évidence : l’amour de l’autre, nous le trouvons en Dieu, nous l’apprenons auprès de Dieu.

Alors, est-ce qu’on a encore besoin de la loi, de lire l’Ancien Testament (AT) ? Est-ce qu’on a encore besoin de règles de conduite ? D’un genre de charte pour nos relations ? Oui, quand même. Les lois de l’AT ne sont pas incompatibles avec le commandement d’amour ! Elles en sont des applications, dans un contexte donné. Des applications qui ne sont pas forcément pertinentes dans notre société (p. ex. rapport aux esclaves), mais qui nous aident à voir, concrètement, ce qu’aimer veut dire, dans les relations familiales, professionnelles, de voisinage… Et c’est essentiel pour nous ! Parce que parfois nous manquons d’amour, et nous laissons de côté des domaines entiers de nos relations. Parfois aussi nous nous trompons sur ce qu’aimer veut dire : aimer, ce n’est pas apaiser l’autre coûte que coûte, sauvegarder la relation à tout prix, tout accepter sans rien dire… Parfois, aimer, c’est dire la vérité, ouvrir un chemin de réconciliation en exprimant nos fautes ou ce qui nous a blessés, c’est militer pour la justice. Les exemples bibliques d’applications d’amour corrigent nos excès et guident nos efforts pour progresser là où nous avons des manques. Donc oui, continuons à lire l’AT, ces exemples concrets de justice et d’amour, pour avoir une meilleure idée de comment aimer, aujourd’hui.

Conclusion

Paul, comme Jésus, nous invite à respecter les règles, et à les dépasser. Dans le bon sens : pour aimer ! A faire un pas vers l’autre, sans calcul ni lassitude. A puiser dans l’amour de Dieu, débordant et généreux, le modèle de toutes nos relations. Bien sûr que c’est, aujourd’hui, au-delà de nos forces, au-delà des capacités de notre cœur ! Mais gardons cet objectif, osons viser plus grand que nos capacités, plus haut que notre taille. Osons rêver, inventer, innover dans nos relations, au-delà de ce qui « normal », habituel, correct : laissons la générosité de Dieu élargir notre cœur, en témoignage de l’amour que Dieu a lui-même pour nous.

Une foi qui coûte (Mt 16.21-28)

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https://soundcloud.com/eel-toulouse/sons-de-dimanche-matin-4

« Que disent les gens à mon sujet ? Et vous qui dites-vous que je suis ? » (Mt 16.13, 15) A cette question de Jésus, Pierre répond, enthousiaste : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16.16) Plus qu’un prophète, plus qu’un rabbin de génie : l’envoyé de Dieu, Dieu lui-même ! Jésus le félicite, se réjouit de la foi de Pierre, qui lui a permis de comprendre. A partir de là, il entreprend de développer cette affirmation : oui, il est le messie, l’envoyé – mais envoyé pour quoi ?

Lecture biblique : Matthieu 16.21-28

21 À partir de ce moment, Jésus-Christ commence à annoncer clairement à ses disciples : « Il faut que j’aille à Jérusalem. Je vais beaucoup souffrir à cause des anciens, des chefs des prêtres et des maîtres de la loi. Ils vont me faire mourir. Et le troisième jour, je me réveillerai de la mort. »  22 Alors Pierre prend Jésus à part et il se met à lui faire des reproches. Il lui dit : « Seigneur, que Dieu te protège ! Non, cela ne t’arrivera pas ! »  23 Mais Jésus se retourne et il dit à Pierre : « Va-t’en ! Passe derrière moi, Satan ! Tu es en train de me tendre un piège. En effet, tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les hommes ! »
 24 Ensuite Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut venir avec moi, il ne doit plus penser à lui-même. Il doit porter sa croix et me suivre. 25 En effet, celui qui veut sauver sa vie la perdra. Mais celui qui perdra sa vie à cause de moi, la retrouvera. 26 Si une personne gagne toutes les richesses du monde, mais si elle perd sa vie, à quoi cela lui sert-il ? Qu’est-ce qu’on peut payer en échange de la vie ? 27 Oui, le Fils de l’homme va venir avec ses anges, dans la gloire de son Père. Alors il récompensera chacun selon ses actions. 28 Je vous le dis, c’est la vérité : quelques-uns ici ne mourront pas avant de voir le Fils de l’homme venir comme roi. »

A partir de ce moment, Jésus opère un virage dans son enseignement : c’est la première fois qu’il dit explicitement qu’il va souffrir, et il l’annonce d’ailleurs avec une grande précision : l’ensemble des responsables juifs va se retourner contre lui et provoquer sa mort. Il commence ainsi à préparer les disciples à sa mort prochaine, tout en montrant qu’il subit son sort de son plein gré.

Pour nous, cette première mention de la souffrance de Jésus n’est pas choquante : nous connaissons déjà la fin ! Mais pour les disciples, c’est insupportable à entendre : Jésus, le Fils de Dieu, celui qui leur ouvre le royaume de Dieu (cf. la semaine dernière), va être rejeté et traité comme un criminel ? Sa mission, c’est de mourir ? Pierre n’entend même pas l’annonce de la résurrection au 3e jour, il bloque : « non, cela ne t’arrivera pas ! » un destin aussi misérable ne peut pas attendre celui pour qui il donne sa vie…

Jésus le renvoie dans les cordes, car il reconnaît en lui le vieux discours du tentateur qui le suit depuis son passage au désert, après le baptême : et s’il montrait sa puissance, mais sans souffrir ? s’il remportait la victoire, mais sans la croix ? Jésus rejette fermement ce mirage d’une victoire facile, sans sacrifice, et surtout sans amour ! quel qu’en soit le coût, il est déterminé à aimer jusqu’au bout, même en donnant sa vie.

Mais Jésus va plus loin, et c’est ce sur quoi je voudrais m’arrêter ce matin : d’une certaine façon, ce qui est vrai pour lui est vrai pour les disciples, est vrai pour nous ! Sa mission lui coûte ? Notre foi va nous coûter aussi ! Celui qui veut s’attacher au Christ doit se renier lui-même/ne plus penser à soi, prendre sa croix et suivre Jésus.

1)   Renoncer à soi-même 

« Ah, tu as la foi ? C’est bien, si ça t’apporte quelque chose… » Jésus n’aborde pas la question sous cet angle : c’est vrai que la foi « apporte », mais pour le croyant, avant de recevoir, il va falloir faire le vide.

Se renier soi-même : cette dynamique triste et austère, autodestructrice, on l’a souvent reprochée au christianisme ! Et dans notre société fondée sur le bien-être et la plénitude de soi, parfois au détriment du bien, ces paroles résonnent comme une hérésie… Comment ça, se renier, se frustrer, se refouler ? S’oublier, alors que l’ego est plus que jamais au centre de notre vie ?

Mais Jésus n’appelle pas au renoncement pour le renoncement, par haine de nous-mêmes, ou par honte. Ce n’est pas la théologie du vide : s’il faut s’oublier, c’est pour penser à Dieu ! Faire descendre notre ego de notre piédestal intérieur, ne plus être notre dieu, notre idole, notre propre but, pour laisser Dieu retrouver sa place dans notre vie !

En tant que croyant, on voudrait mettre Dieu au centre, bien sûr. Et pourtant, lorsqu’il s’agit, très concrètement, d’abandonner les petits privilèges qu’on s’était octroyés (être au centre de tout, avoir l’illusion de pouvoir tout faire, tout décider, faire valoir nos droits et notre liberté en toutes circonstances…), le principe est difficile à appliquer… Mille objections se lèvent, pour justifier notre place VIP : oui, mais si je ne pense pas à moi, qui va le faire ? oui, mais Dieu m’aime et ne se réjouit sûrement pas de me voir souffrir ? Et puis, quand on a une responsabilité, de famille par exemple, on ne peut pas l’oublier !

Il ne s’agit pas de nier notre valeur, ni d’évacuer complètement notre personne de notre vie (ça serait d’ailleurs très compliqué) mais plutôt, dit en termes forts, d’apprendre à mettre les intérêts de Dieu avant les nôtres, les projets de Dieu avant les nôtres, la vocation que Dieu nous adresse avant nos rêveries… Et parfois, quand il y a conflits d’intérêts, choisir les intérêts de Dieu nous oblige à abandonner des choses qui paraissaient si importantes qu’en faire le deuil, c’est comme faire le deuil de soi-même… Changer de vision sur l’argent, par exemple, ou sur notre besoin de sécurité, au nom de la justice et de la solidarité… Ou abandonner sa fierté et demander pardon !

2)   Prendre sa croix 

Jésus continue les réjouissances : non content de renoncer à lui-même, le croyant doit porter sa croix. Pas porter une croix, hein ! (bijou) Pour Jésus, porter sa croix, ce sera accepter son chemin vers la mort, rester fidèle à sa mission jusqu’au bout, malgré les moqueries, les insultes, les accusations et les coups… Porter sa croix, comme un criminel, un nul, un paria. Subir le mépris des hommes, endurer la colère de Dieu pour des crimes qu’il n’avait pas commis, pour gagner le pardon et le salut, et l’offrir largement…

Pour ses disciples, porter leur croix, c’est accepter l’éventualité d’un même rejet, du mépris, de l’accusation, voire de la mort ! Ce fut le cas pour les premiers chrétiens, persécutés, ça l’est encore dans de nombreux pays, où devenir chrétien c’est risquer d’être désavoué par sa famille, de perdre son travail, voire d’être arrêté, torturé, et condamné, parfois, à mort. Assumer sa foi, coûte que coûte.

Là encore, pas d’invitation à la passivité : on prend sa croix, on assume ! Mais pas, à l’inverse, de dolorisme ou de masochisme : le chrétien ne recherche pas plus la douleur que Jésus ne l’a fait ! Mais il accepte que ce puisse être un prix à payer pour suivre Jésus – perdre sa vie, à cause de lui ! à cause de Jésus ! Et quand la croix se présente, il ne change pas de chemin, mais il la prend persévère, à cause de Jésus.

Nous chantons la croix, nous adorons le Christ crucifié, nous le remercions pour le sacrifice de sa vie… Mais porter notre croix, ce n’est pas juste chanter ou prier avec émotion : c’est assumer,  nous identifier de manière claire comme disciples du Christ. Et dans notre société occidentale, les risques ne sont probablement pas mortels, mais il y en a. Les conséquences nous paraîtront peut-être même (oserai-je le dire ?) insupportables : le ridicule, le mépris, l’impression d’être un extra-terrestre. La tentation est forte d’édulcorer notre foi, pour qu’elle soit socialement acceptable : cet été, j’ai discuté dans un mariage avec un ami du marié, qui s’étonnait de la foi « jusqu’au-boutiste » du marié. Rien qui ne m’avait choqué jusque là, mais pour ce jeune homme, la foi ça passe, tant que ça reste privé, policé, bien à sa place. Sauf que suivre Jésus bouleverse toute notre vie ! Et peut paraître radical, fondamentaliste, tout ce qu’il ne fait pas bon être aujourd’hui.

Pour rester acceptables en société, on est vite tenté de rogner nos convictions, notre croix. Jésus n’invite certes pas à choquer volontairement ni à provoquer, mais assumer notre foi dans tous les domaines, en particulier éthique (justice, solidarité, économie, domaine familial…) risque de soulever des remous.

3)   Suivre

Se renier soi-même, prendre des risques pour sa foi, voire souffrir… Ce n’est guère motivant ! Mais, encore une fois, ce n’est pas la croix pour la croix, mais pour suivre Jésus. Le suivre de près, pour recevoir de lui la vie véritable, le sens, l’espérance. Quel est le verbe le plus important des trois ? En tout cas, le but, c’est de suivre ! Nos efforts, non négligeables, se comprennent dans cette dynamique du chemin où nous suivons le Christ. L’important c’est d’avancer, de vivre ce défi renouvelé chaque jour qui consiste à ressembler un peu plus au Christ, à être un peu mieux image de Dieu, reflet de sa justice et de sa paix.

Et pour encourager ses disciples, Jésus donne trois raisons, trois promesses :

  • La valeur de la vie qu’offre Jésus dépasse tout ce que peuvent nous obtenir les faveurs de ce monde : le prestige, les accomplissements, l’argent, etc. (répéter v.26b)
  • Nos sacrifices ne sont pas perdus, mais notre confiance en Dieu malgré les difficultés, Jésus la reconnaît et la reçoit comme un gage d’amour et de fidélité
  • Enfin, ce chemin sombre et étroit débouche sur la vie – et peut-être plus rapidement qu’on ne le croit. Jésus dans peu de temps entrera dans sa royauté – est-ce une allusion à la transfiguration qui a lieu juste après ? à la résurrection, dans quelques semaines ? à l’ascension de Jésus au ciel, à l’envoi de l’Esprit ? En tout cas, la vie éternelle pour laquelle jésus nous invite à faire ces sacrifices est à portée de main, elle ne se cantonne pas à « après la mort », mais elle s’expérimente aujourd’hui, dans la joie de mettre Dieu au centre de notre vie, à sa place, dans le sens qu’il donne à notre vie, dans l’assurance que Jésus nous sauve et nous protège.

La foi seule

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https://soundcloud.com/eel-toulouse/la-foi-seule

Le texte de l’Évangile de ce dimanche est parfait pour un culte de baptême ! En effet, un baptême de croyant, c’est LE moment où on professe sa foi personnelle, c’est LE moment où on dit qui est Jésus-Christ, où on proclame publiquement le reconnaître comme le Messie.

Matthieu 16.13-20
13 Jésus arrive dans la région de Césarée de Philippe. Il demande à ses disciples : « Pour les gens, qui est le Fils de l’homme ? » 14 Ils lui répondent : « Les uns disent que tu es Jean-Baptiste. D’autres disent que tu es Élie. D’autres encore disent que tu es Jérémie ou l’un des autres prophètes. » 15 Jésus leur dit : « Mais vous, qu’est-ce que vous dites ? Qui suis-je ? » 16 Simon-Pierre lui répond : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » 17 Alors Jésus lui dit : « Simon, fils de Jean, tu es heureux. En effet, ce n’est pas une personne humaine qui t’a fait connaître cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. 18 Et moi, je te dis ceci : Tu es Pierre, et sur cette pierre, je construirai mon Église, et la puissance de la mort ne pourra rien contre elle. 19 Je te donnerai les clés du Royaume des cieux. Ce que tu refuseras sur la terre, on le refusera dans les cieux. Ce que tu accueilleras sur la terre, on l’accueillera dans les cieux. » 20 Alors Jésus donne cet ordre à ses disciples : « Ne dites à personne que je suis le Messie. »

Au cœur de notre passage, il y a la confession de foi de Pierre. Mais elle ne vient pas comme ça, spontanément. Elle est amenée par Jésus, dans son dialogue avec ses disciples.

Tout commence avec une question : « Pour les gens, qui est le Fils de l’homme ? ». Un sondage, en quelque sorte. Une enquête d’opinion. Il n’y avait pas d’instituts de sondage à l’époque, encore moins Internet ! Mais les gens parlaient. Jésus intriguait les foules et, forcément, les disciples entendaient ce qui se disait. On venait même probablement leur parler, leur poser des questions sur Jésus !

Et les réponses sont variées : Jean-Baptiste, Élie, Jérémie, ou l’un des autres prophètes. Ils rattachent Jésus à des gens qu’ils connaissent, et pas des moindres. Ce sont des grands noms qui sont cités. Les plus grands prophètes de l’histoire biblique. Les foules prenaient Jésus pour un grand homme, un homme de Dieu.

Mais Jésus savait tout cela… il n’avait pas besoin de cette enquête d’opinion. Il ne l’a fait auprès de ses disciples que pour pouvoir leur poser LA question qu’il voulait leur poser : « Mais vous, qu’est-ce que vous dites ? » Ce n’est pas l’opinion des gens à son sujet qui intéressait Jésus mais le positionnement de ses disciples.

La foi n’est pas une question d’opinion,
elle est une conviction intime et personnelle.

Il ne s’agit pas seulement de cocher la bonne case du sondage : « Croyez-vous en Dieu ? Oui. Non. Ne se prononce pas. » Il ne s’agit pas non plus de réciter son catéchisme ou de se cacher derrière l’éducation reçue. Alors bien-sûr, notre éducation compte dans notre cheminement spirituel mais la foi reste une affaire personnelle et intime. On ne peut pas vivre sur la foi de ses parents… Un cheminement spirituel demande forcément, un jour ou l’autre, l’affirmation d’une conviction personnelle.

Le baptême est l’occasion d’exprimer cette conviction. Mais là aussi il ne s’agit pas simplement de cocher la bonne case le jour de son baptême. Il s’agit de nourrir et d’affermir notre conviction.

Comment nourrissez-vous votre foi ? Comment affermissez-vous vos convictions ? Je vous propose un test : qu’est-ce qui a changé dans vos convictions profondes ces derniers mois, ces dernières années ? Comment votre foi a-t-elle évolué ? Si vous me répondez que rien n’a changé, que vous êtes le même chrétien aujourd’hui qu’il y a 10 ans, je m’inquiéterais un peu pour vous… Il ne s’agit pas, bien-sûr, de tout balancer ou de croire tout et son contraire. Mais une foi vivante est une foi qui évolue, y compris au niveau des convictions. Parce que nous n’avons jamais fini de découvrir de nouvelles facettes de Dieu, de sa Parole, de ses projets…

Dans notre texte, la foi de Pierre s’exprime en tout cas avec conviction : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. »

Il faut mesurer l’ampleur de la déclaration de Pierre. Il va beaucoup plus loin que tous les autres avis exprimés. La référence à tous les grands prophètes de l’histoire d’Israël pour désigner Jésus, ce n’est rien à côté de ce que dit Pierre… Et d’ailleurs Jésus le souligne par sa réaction : « ce n’est pas toi tout seul, avec ta sagesse et ton intelligence qui a pu dire cela. C’est Dieu lui-même qui te l’a révélé ! »

« Tu es le Messie. » C’est le sens du mot Christ, qui en est l’équivalent grec. Le Messie (littéralement « celui qui est oint ») c’est celui qui est choisi par Dieu, celui que les prophètes ont annoncé et qui devait venir pour accomplir le projet de Dieu pour l’humanité. Ainsi, pour Pierre, Jésus n’est pas seulement un prophète, aussi grand soit-il. Il est celui que les prophètes ont annoncé.

« Tu es le Fils du Dieu vivant. » Autrement dit, pour Pierre Jésus n’est pas seulement « le Fils de l’homme », titre messianique repris par Jésus lui-même. Il est le Fils de Dieu. Il est Dieu lui-même, venu parmi les hommes. Et c’est sans doute cela en particulier que Pierre n’a pas pu deviner tout seul…

Par sa déclaration de foi, Pierre témoigne du fait qu’il a compris qui est Jésus. Il l’a vraiment rencontré…

La foi chrétienne, c’est la rencontre avec le Christ vivant.

La déclaration de Pierre nous recentre sur l’essentiel. Avoir la foi, c’est connaître Jésus-Christ. C’est ça l’Évangile. Pas des dogmes. Pas un système de valeurs. Pas un ensemble de rites et de contraintes.

La voilà, la pierre sur laquelle Jésus bâtit son Église. Même si l’apôtre Pierre a joué un rôle spécial dans les premières années de l’histoire de l’Église (il suffit de lire les Actes des apôtres), ce n’est pas sur la personne de Pierre que Jésus bâtit son Église mais sur sa confession de foi, ou sur Pierre en tant que croyant qui confesse sa foi. L’Église de Jésus-Christ, c’est une communauté de croyants. Et toutes les dénominations et étiquettes qui ont été inventées par la suite sont secondaires par rapport à cela…

Nous avons donc dans ce récit l’essentiel de l’Évangile dans la révélation de la personne de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Nous avons l’essentiel de la foi dans la confession de Pierre qui reconnaît en Jésus le Messie. Nous avons l’essentiel de l’Église que le Christ bâtit, avec les pierres des croyants qui confessent leur foi.

Nous l’avons dit, notre foi doit sans cesse évoluer, nos convictions toujours s’affermir. Mais nous ne devons jamais perdre de vue que fondamentalement, la foi est la rencontre avec le Christ. Et qu’elle vit de sa relation avec le Christ vivant.

Une foi qui ne serait que théorique, avec des convictions abstraites, aussi fortes soient-elles, ne serait pas vraiment la foi. C’est ce que dira l’apôtre Jacques dans son épître, avec sa formule choc : « la foi sans les œuvres est morte ». Sans une relation avec le Christ, qui se manifeste notamment dans la prière, sous toutes ses formes, la foi est morte…

La foi est la clé du Royaume de Dieu.

Il faut ici dire quelque chose des dernières paroles de Jésus dans notre texte. Sans doute plus difficiles à comprendre. Quelles sont ces clés du Royaume des cieux dont il parle ? Pierre a-t-il reçu un pouvoir particulier ? Est-il celui qui décide qui entrera ou n’entrera pas dans le Paradis, comme on le voit dans la piété populaire ?

En fait, on ne peut pas dissocier cette parole de celle qui suit :

« Je te donnerai les clés du Royaume des cieux. Ce que tu refuseras sur la terre, on le refusera dans les cieux. Ce que tu accueilleras sur la terre, on l’accueillera dans les cieux. »

Et cette phrase, deux chapitres plus loin (Mt 18.18), on la retrouvera dans la bouche de Jésus mais cette fois clairement adressée à tous ses disciples :

« Je vous le dis, c’est la vérité : tout ce que vous refuserez sur la terre, on le refusera dans le ciel. Tout ce que vous accueillerez sur la terre, on l’accueillera dans le ciel. »

Cette parole souligne la responsabilité des disciples. De tous les disciples. Ils ont d’une certaine manière le pouvoir d’ouvrir ou de fermer la porte du Royaume de Dieu. Ou plutôt, les clés du Royaume de Dieu sont entre leurs mains… car le Royaume de Dieu se décide sur la terre. Ici et maintenant.

Il faut se défaire d’une vision du Royaume de Dieu, ou du Paradis, comme de la récompense réservée aux bons croyants. Ou comme une espérance ou une consolation promise seulement après la mort.

Le Royaume des cieux commence maintenant, sur terre. Dans la rencontre avec le Christ vivant. Et nous avons les clés entre nos mains. Car ces clés, ce sont celles de l’Évangile. C’est ici et maintenant que se décide l’entrée dans le Royaume de Dieu, quand l’Évangile est partagé (c’est notre responsabilité de disciples !). Quand il est reçu par la foi.

Et on voit que les premiers chrétiens l’ont compris, Pierre en tête, quand on lit le livre des Actes des apôtres. Animés par le Saint-Esprit, les disciples ont parcouru l’empire romain pour proclamer la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ. Et en faisant cela, ils ont ouvert grand les portes du Royaume de Dieu.

Conclusion

Un jour de baptême, c’est un jour où la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ est proclamée. C’est un jour où les portes du Royaume sont grandes ouvertes. Un jour où chacun, et pas seulement le ou la baptisé(e), peut s’interroger sur sa foi, quel que soit son propre cheminement.

Quelle est ma conviction intime et personnelle ? Ma foi se nourrit-elle d’une rencontre avec le Christ vivant ? Le Royaume des Dieu fait-il partie de ma vie, ici et maintenant ?

Toutes ces questions peuvent d’une certaine manière se résumer à celle que Jésus a posé à ses disciples, et qu’il nous pose à travers l’évangile de ce matin : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »

Membre du peuple de Dieu

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Qui appartient au peuple de Dieu ? sur quels critères devenons-nous membres, pleinement fils et filles de Dieu ? sur quels critères Dieu nous accueille-t-il ? Par la foi me direz-vous ; mais cela a-t-il toujours été ainsi ? Et qu’est-ce que ça implique ?

Je vais lire chez le prophète Esaie, écrit aux environs de 700 av. JC. Le prophète s’est longuement adressé au peuple d’Israël, dont Dieu condamne l’hypocrisie et l’injustice. Le peuple sera puni, par l’exil (quelques décennies plus tard), mais Esaie annonce d’avance que Dieu fera grâce et ramènera son peuple chez lui. Il rassemblera les exilés, et créera de nouvelles conditions de vie, en harmonie avec Dieu, en paix avec les hommes. Ces promesses pleines d’espérance débordent le cadre historique effectif du retour des Israélites sur leur terre, et désignent à la fois le salut qu’offre Jésus, et ses conséquences le monde à venir que nous attendons encore, donc un texte qui nous concerne aussi, indirectement.

Lecture biblique: Es 56.1-8

1 Voici ce que le SEIGNEUR dit :

« Respectez le droit, faites ce qui est juste.

La libération que j’apporte est sur le point d’arriver,vous allez découvrir que je veux vous sauver. 2Il est heureux,celui qui fait ce que je dis, qui s’y tient solidement. Il est heureux, celui qui respecte fidèlement le sabbat, qui évite toute action mauvaise. »

 

3L’étranger qui s’est attaché au SEIGNEUR  ne doit pas penser :« Le SEIGNEUR va sûrement m’exclure de son peuple. »

L’eunuque ne doit pas se dire : « Je ne suis qu’un arbre sec. »

 

4En effet, voici ce que le SEIGNEUR affirme : 

« Certains eunuques respectent mes sabbats.Ils choisissent de faire ce qui me plaît et s’attachent à mon alliance. 5Eh bien, à l’intérieur des murs de mon temple, je leur dresserai une pierre pour y graver leur nom. Cela aura plus de valeur pour eux que des fils et des filles. Le nom que je leur donnerai restera pour toujours, il ne sera jamais effacé. »

 

6 Certains étrangers sont attachés au SEIGNEUR. Ils l’honorent, ils l’aiment et ils sont ses serviteurs. De ceux-là, le SEIGNEUR dit : « Tous ceux qui respectent fidèlement le sabbat,

qui s’attachent à mon alliance, 7je les ferai venir sur ma montagne sainte, je les remplirai de joie dans ma maison de prière. J’accepterai les sacrifices et les dons qu’ils m’offrent sur l’autel. Oui, on appellera ma maison “Maison de prière pour tous les peuples” . »

 

8Le Seigneur DIEU, lui qui a rassemblé les exilés d’Israël, déclare :

« J’ai déjà rassemblé des gens autour d’eux, et j’en rassemblerai encore d’autres avec eux. »

 

  1. Le critère d’une foi profonde et concrète

Dieu le Rassembleur, l’Accueillant. A ceux qu’il accueille, il ajoute encore d’autres : « venez, venez ! » Mais sur quelle base accueille-t-il ? le respect du droit, l’application de la justice (v.1). Dès le début, c’est ce que Dieu a demandé aux hommes : faire le bien, respecter sa volonté. Mais le peuple d’Israël s’est laissé croire que l’appartenance à la lignée d’Abraham, et le culte, les sacrifices, les rituels, suffisaient pour être membre de son peuple, autrement dit, pour vivre avec Dieu. Dieu remet les points sur les i : ces critères extérieurs, impersonnels, ne valent pas la piété personnelle et la mise en pratique concrète de la foi.

L’accent est mis sur deux points : le respect du  sabbat et l’absence d’action mauvaise. Peut-être que ces deux points résument une vie pieuse, une vie de croyants : le sabbat, c’est le jour de repos dans la foi juive, un jour de congé prévu pour la famille et pour Dieu. C’est un moment de recueillement, une pause hebdomadaire où l’on se recentre sur Dieu, sur ce qu’il a accompli pour nous, sur sa présence et ses projets. C’est un temps vertical, vécu seul ou en communauté, mais centré sur Dieu pour se ressourcer auprès de lui. Et à ce temps vertical répond, horizontalement avec les autres, le refus de faire le mal, de blesser ou léser autrui. Celui qui ne se met pas à l’écoute de Dieu aura bien du mal à appliquer la justice de Dieu, mais à l’inverse, celui qui apprend et écoute, sans mettre en pratique, montre que la relation avec Dieu ne l’a pas transformé… Donc une vie de foi, enracinée dans la relation intérieure avec Dieu, et manifestée par la droiture et la justice. Tous ceux qui remplissent ce critère ont leur place parmi les gens que Dieu aime.

Petit problème : même en étant très proche de Dieu, qui peut dire qu’il ne fait rien de mal ? Si on applique ce critère, le peuple de Dieu sera bien clairsemé… En plus, Esaïe a prêché la grâce de Dieu, l’invitation de Dieu à tous ceux qui lui font confiance : comment réconcilier cela avec l’injonction à vivre une vie juste ? Ce texte ne remet pas en question les bases de notre salut : c’est par la grâce que nous sommes sauvés, c’est par la seule bonté de Dieu que nous recevons son pardon, et non par nos efforts. Esaie a d’ailleurs annoncé plus que tout autre prophète l’Envoyé de Dieu qui porterait les péchés de son peuple et lui obtiendrait salut et pardon auprès de Dieu, une figure qui annonçait Jésus-Christ. Mais, que se passe-t-il après la grâce ? Qu’y a-t-il après la nouvelle chance, le nouveau départ que Jésus nous offre ? Celui qui a vraiment reçu le salut de Dieu, qui a expérimenté profondément son pardon, ne peut pas repartir comme si de rien n’était dans sa vie d’autrefois. Même si la transformation est longue, et peut-être chaotique, la transformation vers la sainteté est incontournable. C’est sûrement ainsi qu’il faut entendre le texte : dans la mesure de notre possible, choisir le bien, choisir de vivre les choses en accord avec Dieu, et refuser (de plus en plus) ce qui nous éloigne de lui ou lèse les autres. La promesse que le salut et la justice de Dieu sont imminents résonne comme une motivation à faire de notre mieux, à progresser sans cesse vers ce qui est bon.

  1. La place des marginaux

Tous ceux qui se tournent sincèrement vers Dieu et cherchent à le servir de leur mieux sont membres de plein droit de son peuple. Pour enfoncer le clou, Esaïe évoque deux cas limites, deux populations qui pourraient légitimement se croire membres de seconde zone. D’abord les étrangers : dans le peuple d’Israël, il y a le critère religieux et le critère national ! Comment donc l’étranger peut-il avoir sa place auprès du peuple d’Israël ? Certains se sont greffés, dans l’histoire, mais en restant un peu en marge. D’ailleurs, dans le Temple, pour offrir des sacrifices, des cours concentriques se succèdent : d’abord, près du Saint des Saints, les prêtres, puis les hommes juifs, puis les femmes, puis on sort, et c’est la cour des étrangers qui croient. Seconde zone !

Les eunuques sont un cas différent, mais eux aussi restent en marge : très en vogue autour du bassin méditerranéen, ces hommes privés de leur virilité s’occupaient d’abord des femmes dans les harems, puis leurs fonctions se sont généralisées dans l’administration, l’armée etc. Dès le départ, Dieu refuse ces pratiques en Israël, ne souhaitant pas qu’on dévalorise la sexualité ou qu’on la voie comme une menace. Parmi les étrangers rattachés à la foi d’Israël, il y avait donc peut-être des eunuques, mais en complet décalage avec la culture israélite, qui faisait facilement le lien entre bénédiction et descendance nombreuse.

Donc Dieu s’adresse à ces deux populations en périphérie, avec une parole spécifique. La foi suffit pour faire pleinement partie du peuple de Dieu, même quand on n’est pas juif, même quand on est eunuque.

Aux étrangers, Dieu promet un jour les mêmes conditions spirituelles qu’aux Juifs : l’accès à la montagne sainte symbole de la présence divine, le droit d’offrir des sacrifices pleinement valides, une jubilation pleine et entière. Les étrangers attachés à Dieu seront pleinement citoyens de son peuple, autant que les croyants descendant directement d’Abraham. Cette promesse, nous la voyons se réaliser dans l’Eglise, qui s’est ouverte à tous sur le critère de la foi ! Tous, d’origine juive ou pas, ont reçu le même pardon, le même salut, le même Esprit – la foi suffit.

Aux eunuques, Dieu promet une postérité meilleure que le nom perpétué par une descendance : il prend l’image d’une stèle qui porte le nom du croyant, pour toujours ! Non, le croyant sans enfant ne sombrera pas dans l’oubli, mais Dieu lui réserve une place de choix, un relief éternel.

Alors en Israël, il y avait des croyants situés très clairement à la périphérie du peuple. Loin de nous cette pratique ! Tous ont leur place dans l’église, tous sont égaux !

Et pourtant… Nombre d’entre nous se demandent ou se sont demandé s’ils sont assez, s’ils ne sont pas inférieurs à d’autres, avec plus d’ancienneté ou un statut social plus haut… Peut-être aussi que des croyants d’ailleurs peinent à se sentir vraiment intégrés, membres à part entière, dans notre communauté.

Je pense aussi aux discussions anodines qui s’avèrent parfois gênantes : alors, tu es marié ? Tu as des enfants ? Et sinon, tu fais quoi dans la vie ? Le célibataire et/ou sans enfants, et/ou sans travail, se sentira bien vite exclu ! Sans parler des questions récurrentes, bien intentionnées mais peut-être blessantes, à la longue : « alors, c’est pour quand ?… » Comme si l’autre n’était pas complet tant qu’il n’y a pas de conjoint/d’enfant/…

Et dans notre pratique : plus facile d’inviter un couple qu’un célibataire le dimanche midi ! Plus facile d’inviter quelqu’un qui me ressemble ! En pratique, malgré nous, nous établissons bien souvent des frontières, voire un modèle de chrétien idéal (p. ex. marié, avec enfants, travail, santé…) qui peut vite repousser les « autres », comme s’il leur manquait quelque chose de fondamental.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas poser de question pour se présenter ! Mais ce texte nous invite à redéfinir notre regard sur l’autre, à voir la valeur que Dieu donne maintenant à chacun… Car Dieu offre aux stériles le fruit d’une vie avec lui, et aux célibataires la chaleur de sa présence fidèle, il accorde aux chômeurs une valeur mémorable, il promet aux malades la vigueur de son Esprit…

Et de même que Dieu a rappelé aux Israélites que l’essentiel, c’est une relation profonde avec lui qui porte des fruits visibles, peut-être que Dieu veut nous interpeler nous aussi, et pas seulement sur notre façon d’accueillir. Car l’essentiel pour un père de famille, pour une épouse, pour une médecin ou un chef d’entreprise, n’est-il pas aussi en Dieu ? le critère du sens de notre vie, la source de notre joie profonde, qui que nous soyons et quoi que nous fassions, c’est Dieu ! Dieu qui sauve, Dieu qui rassemble, Dieu qui redonne espoir ! Et bien sûr que nous pouvons trouver joie et accomplissement, sentiment d’appartenance, dans notre famille et/ou notre travail, mais en premier, notre joie vient du Dieu sauveur !

Conclusion

Dieu accueille tous ceux qui l’aiment, quels qu’ils soient. Il les accueille de la même façon, sur la base de la foi, et leur accorde la même valeur. Cet accueil nous interpelle sur notre propre relation avec Dieu et nous invite à nous recentrer sur l’essentiel, à chercher toujours davantage une relation nourrie avec Dieu, transformatrice, porteuse de fruits concrets dans notre quotidien. Mais Dieu nous interpelle aussi sur le regard que nous portons sur l’autre, différent, et nous invite à voir en lui un homme, une femme, que Dieu aime pleinement, à qui il donne sens et valeur, bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Alors que Dieu, le Rassembleur, l’Accueillant, nous conduise pour devenir une communauté soudée, fraternelle et bienveillante, où chacun trouve sa place.

Réhabiliter Zachée !

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Lecture biblique : Luc 19.1-10

Le regard traditionnel sur Zachée voit en lui un méchant collecteur de taxes, malhonnête, qui a besoin de se repentir, de changer de vie, pour être sauvé. On voit alors dans sa rencontre avec Jésus l’occasion pour lui de se convertir : c’est à ce moment-là qu’il décide de réparer ses torts et de rembourser généreusement ceux qu’il a extorqué. Alors Jésus affirme qu’il est sauvé !

Sauf que ce n’est pas forcément ce que dit le texte… Malgré la traduction de certaines versions françaises, au verset 8, Zachée ne parle pas au futur. Il ne dit pas : « Désormais je vais donner la moitié de mes richesses aux pauvres et je vais rembourser au quadruple celui à qui j’ai pris trop d’argent. ». Il dit : « Ecoute, Seigneur ! Je donne la moitié de mes richesses aux pauvres et si j’ai pris trop d’argent à quelqu’un, je lui rend quatre fois plus ! ». Il ne dit pas ce qu’il va désormais faire mais ce qu’il fait déjà.

En fait, c’est comme s’il disait à Jésus : « Tu sais, je ne suis pas comme ce que les gens disent de moi. Je ne mérite pas ma réputation… » Car d’où vient la réputation de Zachée ? De ce que disent les foules de lui : « Voilà que Jésus s’arrête chez un pécheur ! » Tout est dit : Zachée est un collecteur de taxes, donc c’est un pécheur !

Il faut dire que les collecteurs d’impôts n’avaient pas bonne réputation. Ils étaient la figure même du collaborateur à la solde de l’occupant romain : ils collectaient les taxes pour l’envahisseur. Et ils avaient souvent tendance à s’en mettre un peu dans les poches au passage… Qu’est-ce qu’on disait alors des collecteurs de taxes ? Ils sont tous pourris !

Jésus, lui, a une toute autre attitude puisqu’il dit à Zachée qu’il veut manger chez lui. Qu’est-ce qui l’a décidé à le faire ? Peut-être le fait de le voir, ainsi, monter sur un arbre à son passage. Une attitude qui n’est pas très digne d’un homme de son statut social… et qui traduit surtout son ardent désir de rencontrer Jésus. Peut-être Jésus a-t-il vu que Zachée n’était pas un collecteur de taxes comme les autres.

Car, il faut le dire, Jésus ne se laissait pas enfermer dans les a priori sur les gens. Ce n’est pas la première fois qu’il approchait un collecteur de taxes. Il a même appelé l’un d’eux à devenir son disciple et il l’a ensuite choisi pour faire partie des 12 apôtres. Il s’agit de Matthieu (appelé Lévi). Jésus mangeait aussi avec les collecteurs de taxes, comme avec tous ceux qu’on rejetait ou qu’on considérait comme pécheur. Les évangiles nous disent même que plusieurs suivaient Jésus.

Jean le baptiste, lui aussi, a vu des collecteurs de taxes venir à lui. Et lui non plus ne les a pas chassés. Il leur disait seulement d’être intègre dans leur tâche :

« Des collecteurs des taxes aussi vinrent pour recevoir le baptême ; ils lui demandèrent : Maître, que devons-nous faire ? Il leur dit : N’exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné. » (Luc 3.12-13)

Et si Zachée avait reçu le baptême de Jean ? On n’en sait rien, évidemment, mais pourquoi pas ? Ca expliquerait son attitude intègre, peut-être même suite à son baptême. Ca expliquerait aussi son désir de rencontrer Jésus : Jean-Baptiste n’avait-il pas annoncé que le Messie allait venir à sa suite ?

Ce sont, bien-sûr, des conjectures. Mais ce qui est sûr, c’est que le texte de l’évangile laisse bien entendre que Zachée avait déjà une attitude intègre avant de rencontrer Jésus. Tous les collecteurs de taxes n’étaient donc pas des pourris ! Mais les foules n’étaient pas capables de le voir, semble-t-il…

Jésus, lui, non seulement décide d’aller manger chez Zachée mais il ne lui fait aucun reproche, il ne lui demande même pas de changer d’attitude. Il accueille au contraire ce que Zachée dit de son intégrité avec joie : « Aujourd’hui le salut est venu dans cette maison ! » De plus, il le réhabilite aux yeux de tous : « Zachée aussi est de la famille d’Abraham ! »

La conclusion du récit : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » s’adresse donc peut-être moins à Zachée qu’à ceux qui le jugeaient… « Ne jugez pas afin de ne pas être jugés ! »

Les leçons de cet épisode

Je vous propose de tirer des leçons de ce récit non pas en se demandant s’il faut ou pas agir comme Zachée mais en considérant l’attitude de ceux qui entourent Zachée. Et dans ce cas, je crois qu’on peut dire que nous devons prendre exemple sur Jésus et considérer la foule comme un contre-exemple à ne pas suivre :
La foule juge et enferme Zachée dans ses a priori : c’est un collecteur de taxe donc c’est un pécheur !
Jésus accueille Zachée tel qu’il est et sait le reconnaître à sa juste valeur : c’est un fils d’Abraham !

Toute l’histoire de Zachée est résumée par ces deux affirmations : c’est un pécheur ou c’est un fils d’Abraham.

Pour la foule, Zachée est un pécheur !

Pour la foule, dire de Zachée « c’est un pécheur », c’est l’enfermer dans une catégorie. Les pécheurs, ce sont les gens à ne pas fréquenter. Ce sont les infidèles, les impurs, les gens de mauvaise vie. Pour la foule, Zachée est de ceux-là. Il est déjà jugé ! Victime des a priori.

Nous avons tous des a priori sur les gens. Mais il faut prendre conscience qu’ils sont autant de prisons qui enferment les autres… et nous-mêmes.

Ne souffrons-nous pas lorsque nous sommes victime d’a priori ? Je suis sûr qu’en tant que chrétien, peut-être plus encore en tant que protestant évangélique, vous avez déjà été confronté à des a priori des gens à votre égard. Convaincus que les chrétiens c’est comme ça, ils pensent ceci et ne font pas cela. Et ce n’est pas agréable…

Mais nous avons aussi nos a priori sur les autres. Regardez autour de vous. Que pensez-vous des gens que vous voyez ? Que savez-vous vraiment d’eux ? Quelle est la part d’a priori dans votre jugement sur eux ? Avez-vous déjà collé une étiquette sur leur front ?

Pour sortir de nos a priori, il y a deux règles d’or :
– Il faut se méfier des apparences.
– Il faut rejeter les étiquettes.

Les apparences sont trompeuses. La première impression que vous avez de quelqu’un est très rarement conforme à la réalité. Et pourtant, on en reste si souvent à cette première impression… Passez du temps avec quelqu’un, apprenez à le connaître vraiment et vous découvrirez quelqu’un d’autre. En bien ou en mal d’ailleurs…

Il faut rejeter les étiquettes. C’est pourtant tellement facile. On classe les gens en catégories et on les y enferme. Les politiciens. Les artistes. Les patrons. Les pasteurs (!) Ou alors les non-chrétiens. Les « gens du monde ». Ou même les catholiques. Les pentecôtistes… Et derrière ces étiquettes, on met en gros tout le monde dans le même panier.

Mais enfermer l’autre dans ses a priori, c’est refuser de le rencontrer tel qu’il est ! Et c’est, d’une certaine manière, le juger…

Pour Jésus, Zachée est un fils d’Abraham !

Pour Jésus, dire « c’est un fils d’Abraham », c’est reconnaître en Zachée un frère, un homme de foi. Et le dire publiquement, c’est inviter les autres à faire de même et changer de regard sur lui.

Jésus, lui, savait reconnaître la vraie valeur des gens et ne pas se laisser piéger par les apparences ou la réputation. Alors bien-sûr, on n’arrivera jamais à être comme Jésus. Il n’empêche, Jésus n’allait pas tout seul voir Zachée et les gens de mauvaise réputation qu’il n’hésitait pas à rencontrer. Il emmenait ses disciples avec lui ! N’est-ce pas aussi pour leur montrer l’exemple et les inviter à faire de même ?

N’y a-t-il pas pour nous un défi à accueillir comme Jésus accueille, à regarder comme Jésus regarde ? N’est-ce pas ainsi que nous pourrons glorifier Dieu dans nos relations ?

« Accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu. » (Romains 15.7)

Sommes-nous prêts à changer notre regard ?
Sommes-nous prêts à aller au-delà des apparences et des réputations ? A aller vraiment à la rencontre des autres, à nous laisser surprendre par eux ?
Sommes-nous prêts à croire que les gens peuvent changer ou les enfermons-nous à tout jamais dans des a priori, incapable de retirer l’étiquette que nous avons collé sur leur front ?

Conclusion

L’histoire de Zachée est donc peut-être moins l’histoire d’un pécheur qui se repent que d’un homme victime de sa réputation. Nous sommes comme la foule, victimes de nos a priori. Et l’accueil du Christ nous invite à changer notre regard. Non seulement sur Zachée, mais aussi sur notre prochain !