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Dieu, notre potier (Une espérance qui nous transforme 2/4)

Regarder la vidéo du culte ici.

Nous poursuivons aujourd’hui le parcours de méditations proposé par notre Union d’églises, qui nous plonge, pendant 4 semaines, dans l’espérance que la foi nous donne, une espérance qui nous transforme. La semaine dernière, nous avons évoqué le fait de regarder vers l’horizon de ce que Dieu prévoit, un monde juste et bon, un point d’espérance, qui, logiquement, produit des changements dans notre vision des choses, et dans nos priorités. Bien plus, Dieu lui-même met la main à la pâte (comme le boulanger) ou les mains dans la terre, comme le potier, pour imprimer en nous, déjà, cet ADN d’éternité, comme un avant-goût de ce qu’il a hâte de nous faire vivre.

Cette semaine, nous allons explorer comment Dieu nous prépare à vivre avec lui pour toujours, avec l’image du potier qui façonne une matière brute pour en faire une œuvre belle – l’implication étant bien sûr, que, peu importe qui nous sommes, Dieu veut faire de nous un chef-d’œuvre qui rend hommage à sa justice et son amour. En introduction, nous sommes invités à réfléchir à notre attitude envers l’artiste, notre posture, nos attentes, et du coup, la relation que nous avons avec lui.

L’apôtre Paul touche à cette question dans sa lettre à l’église de Rome, dans un contexte un peu différent, que je vous résume rapidement (on fait un détour mais promis, on revient au potier !) : Paul écrit à des chrétiens de différentes origines, dont des chrétiens d’origine juive qui ont tellement assimilé l’idée d’être le peuple élu qu’ils ont du mal à accepter que d’autres puissent rejoindre le groupe. Paul transmet que oui, ils étaient le peuple élu pour un temps, pour une phase du projet de salut de Dieu, mais que depuis Jésus, on est entré dans une autre phase : tous, par la foi en Jésus, peuvent devenir enfants de Dieu. Le peuple juif a toujours une place dans le projet, mais ce n’est plus la même, Jésus a rebattu les cartes.

Dans son argumentation, Paul s’appuie notamment sur le fait que Dieu a toujours eu une préférence pour les petits derniers – un peu comme si le peuple juif était le frère aîné dans la famille spirituelle de Dieu : or Dieu a toujours aimé mettre en avant les petits frères (p. ex. le livre de la Genèse, sur les premiers croyants, ce n’est que ça), pour montrer que notre statut dans la société n’est pas un critère pour recevoir la faveur de Dieu. Paul anticipe alors la réponse de ceux qui le lisent : Non mais c’est n’importe quoi ! C’est injuste ! Si les grands frères perdent leurs privilèges (à l’époque, ils avaient une double part d’héritage p.ex.), qu’est-ce que ça veut dire ?

Je vais lire en commentant rapidement les références de Paul (en particulier à l’histoire juive) pour que le raisonnement soit plus clair.

Texte biblique : Lettre de Paul aux Romains 9.14-23 (Traduction Parole de vie)

14 Que faut-il en conclure ? Dieu serait-il injuste ? Certainement pas ! 

15 En effet, il dit à Moïse : « J’aurai pitié de qui je veux avoir pitié et j’aurai compassion de qui je veux avoir compassion. » (cf. Exode 33.19 : c’est le moment où il se montre à Moïse, et dans cette phrase il résume son identité)

16 Cela ne dépend donc pas de la volonté de l’être humain ni de ses efforts, mais uniquement de Dieu qui a compassion. (C’est la grâce ! La grâce, par définition, est un cadeau que l’autre nous fait librement, généreusement, sans mérite de notre part)

17 Dans l’Écriture, Dieu déclare au Pharaon : « Je t’ai établi roi précisément pour montrer en toi ma puissance et pour que ma renommée se répande sur toute la terre. » (cf. Exode 9.16. C’est le moment où Moïse doit négocier avec le pharaon la libération du peuple juif, tenu en esclavage – Moïse transmet au pharaon que même son obstination est dans le plan de Dieu, parce que c’est comme un point d’appui pour bien montrer que Dieu est prêt à tout pour sauver son peuple : comme un bras de fer, avec de la résistance, qui souligne la puissance et l’implication de Dieu)

18 Ainsi, Dieu a compassion de qui il veut et il incite qui il veut à s’obstiner.

19 Tu me diras peut-être : « Alors pourquoi Dieu nous ferait-il encore des reproches ? Qui en effet résisterait à sa volonté ? » (oui, si c’est Dieu le maître du jeu, et qu’il choisit les directions, alors l’être humain peut-il encore être tenu responsable, si c’est Dieu qui dirige l’ensemble ?)

20 Mais qui es-tu donc, toi, un être humain, pour contredire Dieu ? Le vase d’argile demande-t-il à celui qui l’a façonné : « Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? » 

21 Le potier fait ce qu’il veut avec l’argile : à partir de la même pâte il fabrique un vase précieux ou un vase ordinaire.

22 Eh bien, Dieu, en bon potier, voulait montrer sa colère envers certains vases et faire ainsi connaître sa puissance. Pourtant il a supporté avec une grande patience les personnes qui méritaient sa colère et qui s’en allaient à leur perte. 

23 Mais son but était surtout de manifester combien sa gloire est riche pour les autres vases, ceux dont il a compassion, ceux qu’il a préparés d’avance à participer à sa gloire.

Je vous avais dit qu’on reviendrait au potier !

L’argument est sec, les mots sont durs et provoquants ! Pour résumer, Dieu est dieu, il est complètement libre et il est tout-puissant : donc, il fait ce qu’il veut – basta ! S’il a envie d’aider certains et pas d’autres, c’est comme ça, il est libre – et on ne peut pas dire que c’est injuste, puisque c’est Dieu qui a créé le monde, et ses règles du jeu : tant qu’il est fidèle à lui-même, et à ses règles, il est juste.

Bien sûr que Dieu, en tant que créateur et roi, a autorité, mais ce genre d’argument nous donne l’impression que Dieu est un tyran, capricieux, péremptoire – et l’être humain a tellement souffert depuis toujours sous la main des tyrans que cela nous révolte.

En réalité, ce qui est dit de façon provocante nous aveugle sur les autres points importants dans le texte. Comment se caractérise ce Dieu plein d’autorité ? Revenons aux exemples cités.

À Moïse : “j’aime qui j’aime !” C’est un Dieu d’amour. Un Dieu qui fait tout pour sauver son peuple, qui prend sur lui, dès le départ, avec patience, pour conduire ce peuple vers la liberté et la joie. Ce même Dieu se révèle à travers Jésus-Christ : lui qui était capable de marcher sur l’eau et faire taire la tempête, qui était rempli d’une autorité que tous reconnaissaient, celui-là même s’est donné, par amour, jusqu’à la mort, la mort humiliante sur la croix, pour que nous soyons délivrés de ce qui nous détruit, pour que nous puissions entrer dans sa joie. Ce Dieu libre, puissant, plein d’autorité, affirme d’abord son droit à aimer !

Que dit-il au pharaon ? « J’accepte que tu fasses n’importe quoi parce que ça va me permettre de montrer (là, à son peuple) combien je les aime et qu’aucun obstacle ne peut m’empêcher de les bénir. » C’est dur pour le pharaon, mais Dieu ne veut pas lui faire du mal, il veut faire du bien à son peuple – comme un prof qui vous laisse faire des erreurs, aller au bout d’un raisonnement bancal pour que vous appreniez : son but, ce n’est pas votre erreur, mais ce qu’il y a derrière. Ici, la leçon, c’est que Dieu est grand, et que personne ne peut s’opposer à lui, et en particulier à son amour. En fait, c’est plutôt réconfortant !

Dans la Bible, et dans la pensée de Paul, l’idée c’est que l’être humain court à sa perte depuis qu’il s’est déconnecté de Dieu. A partir de là, toutes les fois où Dieu vient repêcher quelqu’un, c’est un cadeau, puisque normalement, selon les règles du jeu énoncées dès le départ (Genèse 2.15-17), l’être humain déconnecté du Dieu vivant n’est pas censé vivre. Donc 1/ Dieu est patient, puisqu’il nous permet de vivre alors que pour la plupart dans l’humanité, nous faisons comme si Dieu n’existait pas et n’était pas constamment en train de nous donner son souffle et sa force. Et 2/ si Dieu vient en sauver un certain nombre, c’est complètement immérité car rien ne l’obligeait à venir aimer ne serait-ce qu’un seul de ceux qui lui ont tourné le dos. Dans les deux cas, la « tyrannie » de Dieu c’est quand même de montrer son amour et de libérer.

Je précise quand même que dans l’histoire du pharaon, le pharaon est d’une arrogance incroyable : il manipule le peuple, il essaie de les arnaquer, il revient sur sa parole… Pour le coup, lui c’est un vrai tyran qui fait souffrir les autres. Dans l’histoire, on ne peut pas dire qui est le premier à décréter cette obstination : est-ce que c’est Dieu et le pharaon suit la pente ? ou Dieu, dans la phrase citée, prend-il seulement en compte l’opposition de cœur du pharaon ? Dans l’histoire d’origine on ne sait pas. Mais si Dieu est la source de tout, le moteur du monde, c’est un peu dur d’imaginer qu’il soit à la traîne de nos décisions pour simplement appuyer nos idées, comme si notre liberté était plus importante que la sienne. Du coup si la liberté de Dieu est plus forte que la nôtre, est-ce que nous sommes encore responsables de nos choix ou est-ce que nous sommes des jouets entre les mains de Dieu ?

Paul répond, mais en partie seulement: Dieu est libre. Oui, Dieu, lui, il fait ce qu’il veut – il n’a de comptes à rendre à personne. Et nous, quand bien même nous aimerions être totalement libres, en réalité nous n’avons qu’une liberté relative, dérivée, contenue dans un cadre et des limites – physiques, spatiales, temporelles, mentales, financières, psychologiques, etc. Il est hors de question de nous mettre sur le même plan que Dieu : il est le Créateur, et nous sommes les créatures.

Cela étant, nous ne sommes pas des pions pour autant, nous avons une certaine liberté – mais Paul n’en parle pas, parce qu’ici, il veut insister sur l’autorité et la liberté absolues de Dieu. Ailleurs oui, Paul reconnaît notre liberté puisque toute sa vie, il va annoncer à toutes sortes de personnes que Jésus les aime et il va les inviter à choisir cet amour.

Plus largement, dans la Bible, on trouve ces deux affirmations fortes : Dieu est souverain, tout-puissant et totalement libre, et il intervient dans notre vie, et en même temps, nous sommes responsables de nos choix devant lui, parce que nous avons une certaine liberté.

On trouve les deux, dans la Bible – pas dans ce texte, mais dans la Bible – d’où la nécessité, en particulier sur des sujets sensibles, d’être prudent en ayant conscience que la Bible a un discours riche, nuancé, parfois paradoxal, sur notre monde qui est complexe, riche, nuancé, souvent paradoxal. Il ne s’agit de lancer un verset en disant « La Bible dit que » !

Nous ne vivons pas en noir et blanc ou en système binaire, mais dans un écosystème complexe. Et dans cet écosystème, Paul insiste ici, comme avec un laser, sur un point qu’on oublie régulièrement : l’autorité de Dieu – depuis Adam et Eve, l’autorité de Dieu nous est difficile à accepter. Pourtant, Dieu est le créateur, le roi, tout puissant et totalement libre. Paul nous invite ici à nous rappeler notre place dans l’écosystème : nous ne sommes pas les chefs – nous ne sommes pas des pions, mais nous ne sommes pas le roi.

 

La souveraineté de Dieu, sa puissance et sa liberté, doivent nous conduire à une certaine humilité dans notre foi : Dieu n’a pas de comptes à nous rendre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut jamais lui poser de questions ! Mais dans nos questions, nos demandes, nos plaintes, rappelons-nous que Dieu n’est pas notre grigri, il n’est pas à notre service, il n’a pas à se plier à notre façon de penser. Rappelons-nous sa grandeur, et soyons humbles devant lui.

Dans cette humilité de croyant, il y a aussi de la confiance, car Dieu se définit d’abord comme un Dieu aimant, et tout ce qu’il imagine, prépare, et accomplit, c’est pour répandre au maximum sa justice et sa bonté.

Humilité et confiance : c’est une position qui n’est pas facile à tenir, parce que nous aimerions savoir, comprendre, et même, pouvoir approuver tous les choix de Dieu. Mais ce n’est pas notre place. Il y a toutefois des vérités essentielles comme sa puissance et son amour prouvés en Christ, des vérités sur lesquelles nous pouvons nous appuyer – en particulier dans les moments où nous ne comprenons pas. Cela étant, c’est le principe de la foi, de la confiance, que d’accepter une part d’inconnu, une part qui nous échappe. Dieu nous échappe, mais nous en savons suffisamment sur lui pour pouvoir lui faire confiance dans les moments difficiles.

Alors quelles que soient nos questions, rappelons-nous que Dieu est pleinement puissant et pleinement bon, et qu’il fait tout pour mettre en œuvre sa justice et son amour. Que notre foi en lui puisse grandir, en humilité, en confiance, pour le suivre dans les clairs moments comme dans les heures sombres.

La foi d’Abraham (Une espérance qui transforme 1/4)

Regarder la vidéo du culte ici.

Le fait que Dieu nous rejoigne vient, évidemment, transformer notre vie : sa présence, son amour pour nous, son soutien, ses promesses, nous ouvrent des perspectives nouvelles à la fois dans notre façon de voir le monde, et, du coup, dans notre façon de vivre dans ce monde.

Notre Union d’églises (Union des Eglises Evangéliques Libres de France) propose pour cette rentrée un parcours de méditations et prédications pour nous approprier, ou nous réapproprier, cette ouverture, cette largeur, cet horizon que Dieu vient insérer dans notre vie. On aurait peut-être parfois tendance à normaliser notre vie avec le Christ, à mettre notre foi dans une case, à côté des autres, mais la foi en Christ nous met en relation avec un Dieu vivant, vivifiant, qui ébranle nos petits systèmes pour nous faire entrer dans sa dimension à lui.

Et pour cette première semaine, le parcours se concentre sur l’espérance que Dieu nous donne, cet horizon nouveau dévoilé par la foi, à partir de la vie d’Abraham, le père des croyants, celui à partir de qui a commencé l’aventure du peuple juif, quelques 2000 ans avant Jésus-Christ, jusqu’à Jésus et donc jusqu’à l’Eglise. Avant de descendre cette semaine pour explorer tel ou tel aspect de son parcours et comment ça peut nous inspirer aujourd’hui, nous sommes invités à rester ce matin en surplomb, avec la vue d’ensemble de la foi d’Abraham, à partir d’un commentaire qu’en fait l’auteur de la lettre aux Hébreux,  dans le NT, qui s’adresse à des chrétiens au début de notre ère.

Un mot du contexte : l’auteur s’adresse à des chrétiens découragés. Découragés parce qu’ils subissent des pressions dans la société – de la part des autorités et puis de leur entourage qui voudrait les faire revenir à leur religion d’avant. Ils sont aussi découragés parce que, passé l’enthousiasme des débuts, ils ont l’impression de stagner avec le Christ, ça n’avance plus comme au début, et ils sont tentés soit de changer de spiritualité soit d’ajouter autre chose, un autre « module » spirituel, pour optimiser leur expérience. Evidemment, ce découragement peut nous toucher nous aussi, quand nous sommes coincés dans une situation où rien n’avance, quand on ne comprend pas ce qui nous arrive, quand on a l’impression d’être tiraillé entre deux mondes contradictoires, ou quand Dieu paraît silencieux… alors l’ardeur des débuts semble lointaine.

Dans la lettre aux Hébreux, l’auteur rappelle d’abord tout ce qui fait que le Christ est unique : il n’est pas un simple prophète, un prêtre, un grand maître, il est Dieu faisant irruption parmi les humains pour toucher notre vie – que pourrait-on y ajouter ? Et avant de conclure son argumentation, l’auteur rappelle à ces chrétiens découragés ce qu’est vraiment la foi, en s’appuyant sur les exemples des grands croyants juifs, de leurs ancêtres spirituels, qu’il relit évidemment dans une perspective chrétienne. Donc ce matin, nous lisons un extrait de cette argumentation concentrée sur Abraham.

Lettre aux Hébreux, chapitre 11

8 Par la foi, Abraham obéit quand Dieu l’appela : il partit pour un pays que Dieu allait lui donner en possession. Il partit sans savoir où il allait. 

9 Par la foi, il vécut comme un étranger dans le pays que Dieu lui avait promis. Il habita sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, qui devinrent tous deux héritiers de la même promesse de Dieu. 10 Car Abraham attendait la cité qui a de solides fondations, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur.

11 Par la foi, Sara elle-même, bien que stérile, fut rendue capable d’avoir une descendance, alors qu’elle avait passé l’âge d’être enceinte. En effet elle eut la certitude que Dieu serait fidèle à sa promesse. 

12 C’est ainsi qu’à partir d’un seul homme, Abraham, pourtant déjà en âge de mourir, sont nés des descendants nombreux comme les étoiles dans les cieux, innombrables comme les grains de sable au bord de la mer.

Pour nous parler de la foi d’Abraham, l’auteur va très vite : il ne cherche pas à tout raconter, il considère sûrement que son auditoire connaît plus ou moins sa vie, il ne s’appesantit pas non plus sur les moments peu glorieux (qui nous sont racontés dans le livre de la Genèse, parce que la Bible n’invente pas des super-héros : elle nous présente des hommes et des femmes ordinaires, touchés par un Dieu extraordinaire). Ici, l’auteur de la lettre aux chrétiens trace à grands traits ce qui pour lui est essentiel : comment la foi d’Abraham s’est manifestée.

Si vous voulez la version longue, vous pouvez lire la Genèse à partir du chapitre 12. Sinon, en version ultra-concentrée : Abram, un obscur Mésopotamien de 75 ans, marié, sans enfants, entend l’appel de Dieu à partir de chez lui – dans cet appel, il y a une promesse : Abram aura une descendance innombrable, un pays, un impact sur le monde, et surtout le soutien de Dieu qui fait alliance avec lui. Abram et Saraï étaient bien, là-haut, chez eux, ils avaient une vie bien cadrée – sans trop d’horizon mais bien cadrée. Ni une ni deux, Abram prend sa femme, ses troupeaux et il fonce – dans le désert. Pendant 24 ans, il attend l’héritier promis, et il finit par avoir un fils avec sa femme. Tout à la fin de sa vie, il arrive à acheter une toute petite parcelle du pays que Dieu lui montre, mais jamais il ne s’installe vraiment.

Pour résumer, c’est une vie dans la précarité, dans l’incertitude presque complète, sans assurance. Et c’est dans ce « moins » que va jaillir le « plus », un surcroît de bénédiction : pour eux, et pour ceux qu’ils rencontrent. En acceptant de laisser ce qui les rassurer pour Dieu en comptant uniquement sur lui, ils sont témoins des merveilles que Dieu est capable de mettre en œuvre. Ils ne s’appuient plus sur ce qui est rassurant au quotidien (et avec les récentes crises, on a vu, et on voit, que ce qui nous rassure au quotidien peut très vite s’effriter). Pour eux, la parole du Créateur a plus de solidité que le diamant.

L’auteur élargit ensuite :

13 C’est dans la foi que tous ces gens sont morts. Ils n’ont pas reçu les biens que Dieu avait promis, mais ils les ont vus et salués de loin. Ils ont ouvertement reconnu qu’ils étaient des étrangers et des gens de passage sur la terre. (l’auteur évoque des paroles d’Abraham qui se définit comme étranger et migrant Gn 23.4 alors qu’il campe sur la terre promise)

14 En reconnaissant cela, ils montrent ainsi clairement qu’ils recherchent un pays qui serait le leur. 15 S’ils avaient pensé avec regret à celui qu’ils avaient quitté, ils auraient eu l’occasion d’y retourner. 

16 En réalité, ils désiraient un pays meilleur que celui-ci et qui se trouverait dans les cieux. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu ; en effet, il leur a préparé une cité.

Pour Abraham et sa famille, comme pour la plupart des croyants, la promesse de Dieu ne s’est pas accomplie de leur vivant – loin de là ! On aimerait tellement pouvoir définir la foi comme une connexion à un pouvoir supérieur qui nous donne des ressources démultipliées pour réussir notre vie, surtout dans un contexte culturel marqué par la performance, la consommation, l’optimisation…

En réalité, la foi ne fait pas de notre vie un paradis terrestre. Les anciens croyants, qui ont suivi Dieu avec conviction et persévérance, en sont témoins : être croyant ne garantit pas la satisfaction à 100%. On tombe malade, on est sujet aux accidents, on se fait blesser par d’autres, on se bat avec soi-même… sans arriver jamais au contentement plein, parfait, durable, parce que ce contentement n’est pas pour maintenant.

Pour Abraham et sa famille, la promesse de Dieu se représente comme un pays, une terre où s’installer et s’épanouir : pour vous ce n’est pas forcément un pays, mais ce qui vous permet de vous enraciner et de vous déployer, de vous sentir chez vous, assurés, confiants. Et cette promesse, l’auteur de la lettre la réinterprète à la lumière : ce terrain que Dieu promet, c’est ni plus ni moins que le bonheur, une terre marquée par la justice et la paix, l’égalité et la fraternité, l’honnêteté et la bonté. Même la terre que les descendants d’Abraham ont habitée n’avait pas cette qualité, et indique quelque chose de plus grand, une réalité qui ne peut venir que du ciel, que de Dieu, en qui tout est parfait !

Nous avons un pas d’avance sur Abraham : Dieu a commencé à poser les fondations en venant à travers Jésus. Jésus a montré à tous à quoi ressemble une vie juste, paisible, libre et généreuse ; il est mort, étouffé par la jalousie, la corruption, le mensonge de ceux qui l’entouraient, il est mort pour porter ce qui nous détruit, mais lorsqu’il est ressuscité, la justice et l’amour de Dieu se sont imposés pour toujours : son retour à la vie marque en quelque sorte le coup d’envoi du chantier –comme si Dieu était passé du plan à la réalité, en posant une belle dalle de béton.

Au milieu de notre quotidien imparfait, la parole de Dieu résonne pour décrire un projet d’architecture inédite (à grands traits, nous n’avons pas tous les détails… seulement la certitude que Dieu, le Dieu juste et aimant, tout-puissant, prépare ce monde auquel nous aspirons tous, si profondément, un monde équitable, où chacun peut se déployer dans la liberté et la joie, dans la solidarité). Ce plan, Dieu nous invite à le voir aujourd’hui, déjà, un peu, par l’imagination, par la foi, ce grand projet, pour déjà y participer à la mesure de nos moyens, pour y goûter – même un peu, mais un peu si délicieux qu’il éclipse des tonnes de fadeur.

Pour Abraham, faire confiance à Dieu et à sa promesse, c’était partir et planter sa tente, ici et là. C’était vivre le présent en se rappelant constamment la promesse d’avenir. Pour nous, c’est aussi vivre le présent – il ne s’agit pas de vivre dans l’illusion, de partir s’isoler dans nos rêves en attendant que Dieu nous réveille… Non, vivre le présent, mais en nous laissant inspirer par la justice et la paix que Dieu prévoit. Vivre à deux niveaux : le quotidien, fragile, partiel, frustrant – nous y sommes – et, par la foi, imaginer ce que Dieu prévoit, sa promesse, dont les fondations souterraines ne sont pas très visibles mais assurent la construction d’un monde enfin juste et bon.

Vivre par la foi seule ?

La foi est un mode de relation avec Dieu extraordinaire : extra-ordinaire, en dehors de l’ordinaire. Oui, on peut avoir différentes sortes de foi (croire en Dieu, croire en Shiva, croire en les fées, croire en soi, croire en…), mais la foi comme relation basée sur la confiance en Dieu et non sur les œuvres est unique dans la constellation des religions existantes (en tout cas, celles que je connais !). En général, il faut suivre des règles pour être approuvé de Dieu ou des autres. Même dans les courants « new age », on s’appuie sur une bienveillance diffuse dans l’univers, mais il faut toujours se dépasser, se surpasser, lutter avec soi, pour réussir, pour trouver le bonheur, le repos. Pour avancer, il faut se surpasser.

Et même en étant chrétien, en chantant à tue-tête la grâce du Christ, en se rappelant dimanche après dimanche que nous avons accès à Dieu par Jésus, crucifié et ressuscité, même en étant chrétien donc, on est tenté de céder à ces exigences de performance. Je cite deux cas de figure opposés : celui qui a chuté, et qui se dit que Dieu ne veut plus de lui, et celle qui fait tout bien comme il faut, et qui se dit qu’ainsi tout va bien avec Dieu.

L’apôtre Paul, disciple de Jésus, aborde en partie cette question en écrivant sa lettre aux chrétiens de Galatie, dans des églises qu’il a lui-même implantées, une vingtaine d’années après le départ de Jésus. Leur problématique est assez spécifique : les premiers chrétiens, ce sont des Juifs convertis à Jésus – ils comprennent que Jésus accomplit leurs lois et leurs attentes, et ils s’attachent à lui, avec une certaine continuité dans leur foi. C’est comme si Jésus les avait rejoints sur la route pour les conduire à destination, qu’il avait comblé le fossé qui les séparait de Dieu.

Mais Jésus est si extraordinaire que ces Juifs devenus chrétiens se rendent vite compte que la lumière de Jésus concerne tous les humains : ils prêchent largement, et des non-Juifs, des « Grecs », des polythéistes, se convertissent, avec tout leur arrière-plan à eux ! Alors certains chrétiens d’origine juive sont gênés par la différence, et ils finissent par exiger que les chrétiens d’origine non-juive adoptent une partie de la culture juive (ses règles, ses coutumes, ses symboles – la « loi ») : comme si Jésus était une porte d’entrée, mais qu’il fallait quand même faire un bout de chemin juif, si vous voulez, pour pouvoir aller plus loin avec Dieu. Dans un contexte différent du nôtre, la même question se pose : que faut-il faire pour vivre avec Dieu, pour demeurer dans la vie avec lui ?

Paul répond. Il commence par rappeler que le père des croyants juifs, Abraham, n’a pas été sauvé par son obéissance envers la Loi, mais simplement en faisant confiance à Dieu.

Lecture biblique : Galates 3.14-29

Cela pour que la bénédiction d’Abraham parvienne aux païens en Jésus Christ, et qu’ainsi nous recevions, par la foi, l’Esprit, objet de la promesse. 15 Frères, partons des usages humains : un simple testament humain (Paul joue sur le sens du mot diathèkè en grec, qui signifie à la fois alliance/contrat et testament), s’il est en règle, personne ne l’annule ni ne le complète. 16 Eh bien, c’est à Abraham que les promesses ont été faites, et à sa descendance. Il n’est pas dit : « et aux descendances », comme s’il s’agissait de plusieurs, mais c’est d’une seule qu’il s’agit : et à ta descendance, c’est-à-dire Christ. 

17 Voici donc ma pensée : un testament en règle a d’abord été établi par Dieu. La loi, venue quatre cent trente ans plus tard, ne l’abroge pas, ce qui rendrait vaine la promesse. 18 Car, si c’est par la loi que s’obtient l’héritage, ce n’est plus par la promesse. Or, c’est au moyen d’une promesse que Dieu a accordé sa grâce à Abraham. 

Paul affirme une continuité entre les promesses faites à Abraham (une descendance, un pays, une bénédiction qui s’étend à ceux qu’il rencontre) et le salut offert en Christ : il s’agit de la vie avec Dieu, baignée dans sa présence spirituelle (l’Esprit). Par rapport à la Loi (donnée à Moïse quelques siècles plus tard, fondatrice pour le peuple juif), Paul veut prouver la supériorité, la priorité, de l’alliance avec Abraham : Dieu lui a donné sa parole, il ne revient pas en arrière !

Si on regarde en Genèse 15, où la promesse de Dieu est en effet ratifiée devant Abraham, on se rend compte que non seulement Dieu a appelé Abraham pour l’inviter à l’abondance, sans rien demander d’autre que de la confiance, mais en plus, au moment de ratifier le contrat, le testament, à l’aide d’un sacrifice, Abraham s’endort pendant que Dieu passe (Gn 15.12). Ce sommeil, c’est le repos de celui qui ne prouve rien mais qui reçoit le cadeau et la promesse que Dieu lui fait.

Il y a une certaine incompatibilité entre loi et promesse. Le pasteur Tim Keller prend un bon exemple : imaginez que qu’un vieil oncle vienne vous voir en vous proposant la somme de 10 000 euros. Il peut vous les donner par affection, et vous n’avez qu’à les recevoir en cadeau. Mais s’il vous demande de vous occuper de lui, de faire ses courses, sa cuisine, le ménage, les papiers, de le conduire ici et là, de vivre à demeure lorsqu’il est malade, jusqu’à sa mort, est-ce que c’est encore un cadeau ? Non c’est un salaire, que vous méritez en échange de vos efforts. Pour le salut, c’est pareil : soit on le reçoit en cadeau, soit on le mérite.

L’enjeu, pour Paul, c’est l’unité du peuple de Dieu, rattaché au Christ : si le Christ est notre porte d’entrée dans la vie avec Dieu, on ne peut pas avoir pour certains la promesse, et pour d’autres la Loi – soit le Christ nous offre le salut par la foi, soit c’est par la loi. Si on repasse par la loi, alors le salut n’est plus le cadeau que le Christ nous fait, c’est la juste réponse à nos efforts.

 19 Dès lors, que vient faire la loi ?

Bonne question ! s’il y a une ligne droite d’Abraham à Jésus, de la promesse à la grâce, pourquoi la Loi a-t-elle été donnée par Moïse ?

Elle vient s’ajouter pour que se manifestent les transgressions, en attendant la venue de la descendance à laquelle était destinée la promesse : elle a été promulguée par les anges par la main d’un médiateur. 20 Or, ce médiateur n’est pas médiateur d’un seul. Et Dieu est unique.

21 La loi va-t-elle donc à l’encontre des promesses de Dieu ? Certes non !! Si en effet une loi avait été donnée, qui ait le pouvoir de faire vivre, alors c’est de la loi qu’effectivement viendrait la justice. 22 Mais l’Ecriture a tout soumis au péché dans une commune captivité afin que, par la foi en Jésus Christ, la promesse fût accomplie pour les croyants.

23 Avant la venue de la foi, nous étions gardés en captivité sous la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. 24 Ainsi donc, la loi a été notre surveillant, en attendant le Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. 25 Mais, après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant.

Une remarque : Paul ici ne fait pas un traité sur le bien-fondé de la Loi, sur l’importance d’un cadre pour vivre. Ici, il se concentre sur la place de la Loi comme base (ou non) de notre relation avec Dieu.

La Loi donnée à Moïse veut, officiellement, nous éviter de pécher ! Comme le Code civil en France doit nous éviter de faire du mal à ceux qui nous entourent. Mais la Loi donnée par Dieu exige la justice, en tout temps, en toute situation – et comme nous sommes incapables de vivre cette justice parfaitement, la Loi vient braquer ses projecteurs sur nos défaillances, elle révèle notre péché.

Disons que notre péché, notre distance d’avec Dieu, a créé des fêlures dans notre âme, comme une assiette fêlée. La Loi vient mettre la pression sur l’assiette, jusqu’à ce qu’elle casse – elle nous oblige à toucher le fond.

Pourquoi ? D’une part, pour qu’on ne puisse pas prendre le problème à la légère, en disant que l’assiette fêlée est saine : jusqu’au moment où elle craque sous nos doigts et nous coupe. Dieu veut nous montrer la gravité de ce qui se passe dans notre cœur, parce que dans nos fêlures se larve la destruction – de soi et des autres.

D’autre part, voir le problème réel nous empêche de croire qu’on peut s’en sortir tout seul, par nos propres efforts : si l’assiette reste seulement fêlée, on s’imagine que ça va, qu’en faisant attention, on peut encore l’utiliser… Mais quand l’assiette est cassée, on est obligé de se rendre à l’évidence : il faut la réparer. Et rafistoler avec un peu de colle ou de scotch ne fera pas l’affaire !

La Loi que Dieu a donnée à Moïse nous confronte à une exigence de justice dont on trouve l’écho dans toutes les cultures, une exigence qui nous révèle nos failles intérieures dans le but de nous forcer à abandonner nos illusions pour recevoir, les mains ouvertes, le cœur confiant, le salut, la restauration, la réparation que Dieu nous offre par le Christ, qui dans sa mort a payé le prix de nos assiettes cassées ; il a assumé le coût, le poids, le fardeau de nos défaillances – afin que Dieu vienne nous réparer de l’intérieur.

Bien sûr que la Loi reste utile pour nous montrer à quoi ressemble la justice – mais ce n’est pas sur cette base-là que nous sommes réparés : la Loi, depuis le début, nous oblige à nous tourner vers Dieu avec humilité & confiance (même si pendant un temps, le Christ, le grand Réparateur n’était pas visible).

26 Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. 27 Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. 28 Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. 29 Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers.

C’est la finalité du salut ! être les fils de Dieu, grâce à Jésus-Christ. Fils de Dieu, fils héritiers – qu’on soit homme ou femme, esclave ou citoyen, on reçoit le privilège de l’héritier – par le Christ, qui est le seul Fils « biologique » de Dieu si je peux le dire ainsi : par son sacrifice, il a payé pour notre adoption.

En conséquence, du moment que nous croyons, que nous faisons confiance à Jésus pour nous réparer devant Dieu, nous sommes enfants de Dieu, héritiers du salut, dans la pure lignée des enfants d’Abraham, sauvés par la grâce de Dieu.

Il y a deux enjeux ici. D’abord, le repos de l’âme : je n’ai plus rien à rafistoler, avant ou après mon adhésion au Christ – seul Dieu sauve, seul le Christ répare, seul l’Esprit fait revivre. Parce que nous sommes acceptés par Dieu, lentement réparés par lui, nous désirons bien sûr la justice (présentée par la Loi) mais ce n’est pas une condition, c’est une conséquence. Et les nombreuses défaillances qui sont en attente de réparation sont couvertes par le Christ, qui a déjà réglé le devis. Vouloir nous-mêmes nous rafistoler, c’est, comme les Galates avec leur retour à la Loi, barrer l’œuvre du Christ. La foi-confiance reste le principe de la vie avec Dieu.

L’autre enjeu, c’est l’unité dans l’église : si nous sommes tous sauvés de la même manière, alors nous avons tous, d’un coup, le même statut, le plus haut statut – enfants chéris de Dieu ! Il n’y a pas de catégorie premium… Donc, à l’époque, les barrières entre chrétiens d’origine juive ou non-juive s’effondrent : pas sur le plan culturel, mais sur le plan spirituel – ils ont le même statut devant Dieu, en Christ. Et Paul élargit, en reprenant les trois catégories identitaires de l’époque : l’arrière-plan spirituel, la situation sociale/politique, et le genre. A l’époque antique, il y avait dans ces trois domaines une séparation du même type que la ségrégation raciale qui a eu lieu aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud. Et régulièrement, Juifs ou pas, on se réjouissait de n’être ni étranger, ni esclave, ni femme !

En Christ, cela n’a plus d’importance – notre identité première, c’est l’amour que Dieu nous porte ! C’est sa promesse ! Bien sûr, nous gardons ce qui nous caractérise, mais cela ne doit plus causer d’écart dans le peuple de Dieu – nous sommes tous au même niveau, en Christ, quelles que soient nos fêlures, ou le regard que la société porte sur nous. Le baptême dit bien cette unité, cette égalité : un geste unique, pour tous les chrétiens, qui dit notre attachement au Christ, notre seule espérance.

Reprendre avec les bonnes priorités

Regarder la vidéo du culte.

Comment s’est passé l’été pour vous ? … Et dans votre relation avec Dieu ? est-ce que vous avez eu des expériences riches et intenses (peut-être que vous étiez en colonie, dans un séjour chrétien, que vous avez lu un livre génial, visité d’autres églises pendant vos congés, ou vu Dieu dans des moments de stress, de changement…) ? ou est-ce que c’était plutôt déconnecté, en pointillé, le rythme étant plus décalé ?

La rentrée (scolaire mais pas seulement), c’est une période où l’on revient à un rythme plus habituel, plus régulier – et en même temps, c’est l’effervescence des redémarrages, des nouveautés, qui peut nous donner le tournis. C’est d’autant plus important de reprendre du bon pied, aussi d’un point de vue spirituel – un enjeu qui revient régulièrement même si on est chrétien depuis longtemps !

Comment repartir du bon pied, notamment dans notre relation avec Dieu ? Dans les Evangiles, qui racontent la vie de Jésus, se trouve une petite anecdote, une anecdote domestique, pas très spectaculaire, qui peut donner nous donner quelques indices en cette période de redémarrage.

Lecture biblique : Luc 10.38-42

38 Pendant qu’ils étaient en route, il entra dans un village, et une femme nommée Marthe le reçut. 

Jésus et ses disciples sont en route vers Jérusalem, et ils arrivent à Béthanie près de Jérusalem, là où vit Marthe avec sa famille. Là, l’auteur de l’Evangile fait un zoom sur Jésus, et sur cette femme qui l’accueille chez elle. On ne sait rien d’elle (est-elle mariée ?) si ce n’est son rôle de maîtresse de maison qui pratique l’hospitalité, si essentielle notamment dans les cultures orientales. Jésus va se lier d’amitié avec cette famille, et revient régulièrement chez eux. Ici, c’est sûrement la première rencontre.

 

39 Elle avait une sœur, appelée Marie, qui s’était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole. 

Voilà une scène paisible, touchante, de Marie aux pieds du Christ, dans l’attitude d’écoute qui caractérise le disciple : on imagine Jésus, assis devant, parlant de Dieu, expliquant la façon dont Dieu voit le monde, invitant à vivre autrement, avec plus de justice et d’amour, plus de confiance et de simplicité, et puis Marie (et sûrement d’autres disciples) assise par terre devant lui – c’est presque une carte postale, dans des tons pastels, qui illustre la posture du croyant : calme, proche de Dieu, proche du Christ, désireux d’apprendre pour mieux ressembler à Dieu. On pourrait l’afficher dans notre chambre pour nous encourager à la prière et à la méditation de la Bible.

Sauf que sous cette apparente simplicité se cache une sérieuse transgression des codes culturels : une femme a pris la position d’un disciple, assise comme une élève. Or à l’époque les femmes sont mineures juridiquement, elles n’ont pas accès à l’éducation, à la synagogue elles sont à part, elles ne prennent pas la parole, au Temple elles sont loin de tout… Leur rôle c’est de prendre soin du foyer, d’aider à l’entreprise familiale et éventuellement elles peuvent avoir une petite activité si c’est convenable. Elles ont essentiellement un rôle de support et de soutien envers leur époux.

Or Marie a soif d’écouter Jésus, tellement soif qu’elle vient se placer au premier rang dans la classe de Jésus : elle aurait pu écouter d’une oreille depuis la cuisine, ou se tenir discrètement dans un coin. Non, elle vient s’asseoir au premier rang. Et apparemment, Jésus ne dit rien. Il l’accepte, peut-être s’en réjouit-il, et nous nous émerveillons de son accueil au-delà des codes, des conventions : pour lui, l’essentiel c’est cette soif d’être proche de Dieu, peu importe le reste.

Or le texte nous emmène en coulisses :

40 Marthe, qui s’affairait à beaucoup de tâches, survint et dit : « Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma sœur me laisse faire le travail toute seule ? Dis-lui donc de m’aider. » 

La sœur de Marie, en bonne maîtresse de maison, veille à la logistique du repas et de l’accueil : il y a du monde, et puis surtout elle veut honorer le maître spirituel dont tout le monde parle qui vient enfin chez elle ! Alors elle sort le grand jeu. Et elle aurait bien besoin d’aide… Déjà que c’est stressant ce genre d’invitations, alors si en plus sa sœur fait défection, c’est impossible à gérer !

Le texte est rapide, mais il faut prendre en compte le facteur temps : les frustrations montent, et comme a dit un prédicateur « il n’y a pas que les légumes qui chauffent !… ». Marthe finit par demander à Jésus d’arbitrer, et indirectement elle s’adresse à sa sœur, dont l’attitude la choque doublement : d’une part, elle se prend pour un disciple, d’autre part, elle ne fait pas son travail ! Si encore tout était terminé, bon, pourquoi pas ?

Marthe est complètement prise par son service, par le désir de bien faire les choses – pour faire honneur à Jésus bien sûr, et peut-être aussi pour tenir sa réputation d’hospitalité : combien de fois les femmes sont-elles jugées sur leur cuisine ?…

Ce désir de bien faire, nous l’avons aussi, bien sûr ! Pour notre famille (un parent qui travaille d’arrache-pied pour donner les meilleures chances à ses enfants), dans le travail, envers nos amis, pour l’église et pour Dieu aussi ! Il n’y a qu’à voir le temps important que beaucoup passent bénévolement dans divers services…

Cela dit, Marthe se laisse absorber par sa tâche au point de faire la demande que Marie arrête d’écouter Jésus, celui-là même qu’elle a invité parce que ses enseignements transforment la vie avec Dieu et donc la vie tout court. C’est un comble !! Elle veut tellement bien recevoir Jésus qu’elle finit par essayer de priver Marie de Jésus, au nom du service envers Jésus. C’est la maîtresse de maison que ses invités voient à peine, qui ne profite pas de leur présence voire qui les laisse seuls dans le salon – mais le repas est bon ! Comme le parent absorbé par son travail qui se retrouve déconnecté de sa famille, ou l’ami qui nous rend service mais qui s’agace vite sous l’effet du stress… L’absence, ou l’agacement, viennent corroder les bonnes intentions…

41 Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. 42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas retirée. »

Jésus ne rentre pas dans son jeu. Il reconnaît le stress de Marthe, il se montre attentif à ce qu’elle ressent et à ce qu’elle fait. Cela dit, tout en montrant du respect, il l’invite à prendre un peu de recul pour faire la part des choses : qu’est-ce qui est vraiment essentiel à ce moment-là ?

Vous remarquez qu’il ne fait pas la leçon : « oh la la, arrête de t’énerver ! » ou « mais c’est pas important tout ça, c’est qu’un repas ! » Sans être condescendant, il invite quand même à relativiser, mais d’une manière énigmatique : qu’est-ce que c’est que cette part, cette bonne part ?

Avant de m’attarder sur cette « part » choisie par Marie, remarquez que Jésus cautionne complètement le fait que Marie soit parmi ses disciples : femme, mais aussi esclave, étranger, enfant, marginal, pauvre, malade, personnalité sulfureuse, repris de justice, etc. – tous peuvent venir au Christ, peu importe le regard que la société porte sur eux ou le rôle dans lequel ils sont enfermés.

 

La « bonne part »

L’enjeu pour nous, comme pour Marthe, c’est de comprendre ce qu’est cette bonne part, afin de pouvoir la choisir dans notre vie quotidienne.

Il me semble que cette bonne part, celle qui ne peut pas nous être enlevée, c’est le fait d’être près de Dieu, près du Christ. Car lui est notre source, notre Créateur, notre rocher, notre inspiration. Marie se tient proche de Jésus, elle est avec lui, à son écoute.

Pour Jésus, la seule chose vraiment vitale, c’est d’être connecté au Dieu vivant, d’être tourné vers lui : si on a ça, ça ne veut pas dire que le reste ne compte pas, mais on a la base, on a l’essentiel qui permet de vivre le reste avec un certain équilibre. Et comme toute relation, cela nous demande un certain investissement, du temps, de l’attention… Avec Marthe, nous sommes vite tiraillés par mille sollicitations, certaines tout à fait légitimes, certaines même pour Dieu, mais avec le risque de nous occuper, préoccuper, au point de manquer de temps pour être avec Dieu.

Vous connaissez sûrement la parabole de la valise ? Si vous avez beaucoup d’affaires à prendre, ne mettez jamais les chaussettes en premier ! Vous mettez en premier les grosses choses, volumineuses, et ensuite vous calez avec chaussettes, sous-vêtements, peigne… sinon vous n’arriverez jamais à fermer la valise ! Peut-être connaissez-vous cette parabole avec l’histoire du bocal et des pierres ? C’est la même chose ! Et ça marche aussi avec les coffres de voiture, les cartables… Et les emplois du temps !

Alors comment ? Question qui revient sans cesse… C’est peut-être en se bloquant un moment dans la semaine où on est tranquille pour prier, lire la Bible, un café pris avec d’autres chrétiens pour échanger et prier, un livre de méditations qu’on parcourt le soir ou dans le bus… D’autres encore se mettent des petits réveils sur le téléphone pour se recentrer sur Dieu matin, midi, et soir.

C’est essentiel, car l’histoire de Marthe et Marie illustre bien que rien ne peut remplacer le fait d’être avec Jésus, avec Dieu. Même si on est pris par des choses importantes, même si on agit pour lui (et l’action, le service, l’obéissance font partie intégrante de la vie avec Dieu !), être avec lui est incontournable : faire pour lui ne suffit pas. La source et le but de ce que nous faisons, c’est d’être avec Dieu : sans cette relation comme source, on finit par s’épuiser, par agir par nos propres forces ; sans cette relation comme but, on se retrouve dans des situations paradoxales voire absurdes, comme Marthe qui veut accueillir Jésus mais qui ne le voit pas.

 

Cette priorité se vit au niveau du temps, mais ce n’est pas seulement une question de durée passée avec Jésus dans la journée ou la semaine… On pourrait aussi dire que c’est une priorité qualitative, c’est-à-dire qu’elle apporte une qualité, une orientation différente à tout ce qu’on fait, qu’on soit en train de prier ou pas ! Autant avec un être humain ou avec notre lit, on se retrouve à un endroit, à un moment, autant, comme Dieu est omniprésent, on peut se « brancher » sur lui quoi qu’on fasse… Un moine catholique à la fin du Moyen Âge a touché cela du doigt : il était constamment de service en cuisine, alors que les autres de la communauté priaient aux offices. Frère Laurent était donc très frustré, avec l’impression d’être privé de temps avec Dieu… Jusqu’au moment où il s’est rendu compte que Dieu était avec lui, dans sa cuisine, pendant qu’il épluchait les oignons et lavait les casseroles, et que passer du temps avec Dieu pouvait tout à fait se faire en même temps !

Alors on peut prendre des moments à part pour être avec Dieu, pour se reconnecter à lui, et emporter avec nous cette connexion… Même si on l’oublie à certains moments, on peut lever les yeux au ciel de temps en temps… pas par agacement, mais dans la prière ! Avant une discussion difficile, un rendez-vous important, au milieu d’une tâche laborieuse ou d’un trajet ralenti, rien que lever les yeux vers Dieu peut nous aider à changer de perspective… Rien que cette reconnexion nous permet de prendre du recul, nous rend disponible à Dieu pour qu’il parle, inspire, oriente, révèle… Et il le fait !

Conclusion

En tant que chrétiens, nous sommes appelés à une vie différente, infusée par la paix et la liberté de Dieu, son amour et sa justice… Cela commence par le fait de nous recentrer sur l’essentiel, en s’enracinant dans la prière et la présence de Dieu – et cela continue, quoi que nous fassions, car le Seigneur nous accompagne par son Esprit !

Elie au palais d’Achab : un Dieu juste (Elie 4/4)

Depuis début juillet, nous suivons le prophète Elie… croyant fidèle à une époque où le gouvernement entraîne le peuple loin de Dieu, il s’insurge contre le roi Achab, un peu plus de 800 ans avant J.-C. Elie veut montrer que les idoles, ces dieux de substitution, sont impuissantes et inutiles. Plus que ça, par Elie, Dieu va faire des miracles impressionnants, pour montrer à tous qu’il est Dieu et qu’on peut lui faire confiance.

Pour terminer notre série sur Elie, je vous invite à aborder un autre épisode – ce n’est pas la mort d’Elie ! – où Elie et Achab croisent le fer une dernière fois. Depuis le début de la série, Elie et Achab sont face à face, parfois dans l’opposition, parfois dans la même direction (en tout cas, c’est ce que croyait le prophète). Et dans le texte d’aujourd’hui, c’est Achab qui passe au premier plan. Au niveau du contexte, depuis que nous l’avons laissé, Achab a remporté des victoires militaires importantes, qui l’ont galvanisé.

Lecture biblique: 1 Rois 21.1-16

1 Après ces événements, voici ce qui arriva : Il y avait à Jizréel un homme appelé Naboth ; il possédait dans cette ville une vigne, tout près d’un palais appartenant à Achab, roi de Samarie. 

2 Un jour, Achab dit à Naboth : « Cède-moi ta vigne, pour que je m’en fasse un jardin potager, puisqu’elle est juste à côté de mon palais ; en échange, je te donnerai une vigne meilleure, ou si tu préfères, je t’en payerai le prix. » 

3Mais Naboth lui répondit : « Je n’ai pas le droit devant le Seigneur de te céder la vigne que j’ai héritée de mes ancêtres ! »

4Achab s’en retourna chez lui, amer et furieux à cause de cette réponse de Naboth : « Je ne te céderai pas ce que j’ai hérité de mes ancêtres. » Il se coucha sur son lit, se tourna contre le mur et ne voulut plus rien manger. 

5Sa femme Jézabel vint le trouver et lui demanda : « Pourquoi es-tu de mauvaise humeur ? Pourquoi ne veux-tu rien manger ? » – 

6« J’ai parlé à Naboth, de Jizréel, répondit-il ; je lui ai dit : “Cède-moi ta vigne contre de l’argent, ou si tu préfères, je te donnerai une autre vigne en échange”, mais il m’a répondu : “Je ne te céderai pas ma vigne.” » 

7Jézabel lui dit alors : « Vraiment, tu oublies que tu es le roi d’Israël ! Relève-toi ! Mange et réjouis-toi ! C’est moi qui te donnerai la vigne de Naboth, de Jizréel. »

8Elle écrivit des lettres au nom du roi Achab, elle les marqua avec le cachet royal, et elle les fit porter aux anciens et aux autorités de la ville où habitait Naboth. 

9Dans ces lettres, elle avait écrit ceci : « Convoquez la population à une cérémonie de jeûne, et demandez à Naboth de présider cette assemblée. 

10En face de lui, placez deux vauriens, qui l’accuseront d’avoir maudit Dieu et le roi. Ensuite conduisez-le hors de la ville, et qu’on lui jette des pierres jusqu’à ce qu’il meure ! »

11Les anciens et les autorités de la ville de Naboth firent ce que Jézabel leur avait ordonné dans ses lettres. 

12Ils convoquèrent la population à une cérémonie de jeûne et ils demandèrent à Naboth de présider cette assemblée. 

13Les deux vauriens vinrent se placer en face de Naboth et ils se mirent à l’accuser devant tout le monde en disant : « Naboth a maudit Dieu et le roi ! »

On le conduisit hors de la ville, et on lui jeta des pierres jusqu’à ce qu’il meure. 

14On envoya un messager informer Jézabel que Naboth avait été exécuté et qu’il était mort. 

15Lorsque Jézabel apprit cela, elle dit à Achab : « Va prendre possession de la vigne que Naboth, de Jizréel, refusait de te vendre : il est mort ! » 

16À cette nouvelle, Achab se rendit à la vigne de Naboth et il en prit possession.

« Alors là, c’est le monde à l’envers ! » Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? Combien de fois l’avons-nous prononcée ? Devant tant de scandales quotidiens, on se demande parfois s’il y a une justice en ce bas monde ! Indignés et impuissants, nous cherchons pourquoi tant d’hommes sont méprisés, oubliés, bafoués… et nous levons les yeux au ciel, dans l’attente que Dieu fasse enfin cesser les crimes que certains commettent sans scrupules…

Au sein d’une société décalée, pétrie d’inégalité et de violence, nos propres vies sont marquées par cette injustice. Tour à tour Naboth et Achab, l’injustice que nous subissons nous entraîne dans un cercle qui nous éloigne peu à peu de Dieu et de la justice, quand pour diverses raisons je défends mes propres intérêts, devenant sourd et aveugle à ceux qui m’entourent. Parce que l’inégalité et le mépris se cachent parfois dans la complexité de nos vies, l’histoire d’Achab et Naboth, cette histoire d’un autre temps, nous met en face de ce monde renversé et nous donne aussi la réponse de Dieu.

Commentaire sur l’épisode

Revenons d’un peu plus près à cette sombre histoire, où l’on nous décrit comment le roi Achab a obtenu le jardin qu’il désirait tant. Ce roi qui possède déjà plusieurs palais, ce roi en veut encore… Le nœud de l’intrigue vient du propriétaire de la vigne, Naboth, qui ose refuser la proposition, pourtant honnête, du roi. Naboth connait en effet la loi de Dieu, qui interdit de transmettre son patrimoine à quelqu’un d’une autre tribu, parce que chaque tribu d’Israël a son propre territoire, comme l’indique le livre des Nombres. Ce n’est pas que Naboth se cramponne à son terrain, mais il respecte la loi donnée par le Seigneur, ce qui suffit à le faire passer pour un original, en ces temps troublés où l’idolâtrie règne sur Israël depuis plusieurs générations.

Le refus de Naboth jette Achab dans la déprime. Devant cette crise, sa femme, la reine Jézabel, décide de prendre les choses en main pour résoudre la crise. Aucun scrupule ne l’arrête quand elle choisit purement et simplement d’éliminer Naboth. Elle va jusqu’à prendre l’autorité du roi pour créer un complot : en utilisant le tampon d’authenticité royale, le sceau, elle envoie de fausses lettres, et commande d’organiser un faux procès où Naboth sera faussement accusé de blasphème, ce qui lui vaudra la peine de mort. Aucun membre du gouvernement local ne réagit et tous sans exception rentrent dans cette mascarade, cette justice en trompe-l’œil. Quant au chef d’accusation, il est aussi bancal que le procès : le blasphème concerne Dieu, bien sûr, et le roi, ce qui est une nouveauté… une nouveauté qui en dit long sur l’état d’esprit de Jézabel : fille d’un roi syrien, fervente adoratrice de Baal, elle considère que le roi possède l’autorité suprême. C’est pour cela qu’elle ne comprend pas la réaction d’Achab au v. 7 : le roi a tous pouvoirs, il est au-dessus de tous : oser lui dire non, c’est un crime ! car le roi a tous les droits…

L’auteur biblique braque les projecteurs sur Achab, le roi capricieux, déprimé sur son lit. Il boude et rumine le refus de Naboth, qui revient déjà trois fois dans notre récit. Lui, le roi, a perdu goût à la vie, il est en deuil parce qu’il ne pourra pas agrandir son jardin.

Alors on hésite entre stupéfaction et indignation devant cet enfant gâté qui se laisserait presque mourir parce qu’on lui a dit NON. Et la réaction du roi nous montre que l’enjeu dépasse le simple problème de la convoitise. Bien sûr, nous savons tous que la convoitise cause en elle-même d’énormes dégâts, lorsque toute la saveur de la vie dépend de ce qu’on a ou de ce qu’on fait, de ce qu’on montre – c’est un engrenage dans le « toujours plus ». Derrière la convoitise, l’auteur biblique met aussi en valeur l’égoïsme du roi, qui ne tolère pas la résistance, qui veut qu’on lui obéisse coûte que coûte, quitte à écraser les autres.

Que nous soyons du côté des coupables ou des victimes, d’ailleurs cela varie selon les situations, nous nous demandons souvent ce que Dieu fait. Est-il seulement au courant de nos malheurs, de la crise que je traverse, que la société traverse, est-il au courant des aberrations d’un monde qui ne tourne plus rond ?…

je vais maintenant lire la suite du texte, qui rapporte l’oracle du prophète Elie, c’est-à-dire la réponse que Dieu vient donner à cette situation.

Lecture 1 Rois 21.17-29

17Alors la parole du Seigneur fut adressée au prophète Élie, de Tichebé : 

18« Rends-toi auprès d’Achab, le roi d’Israël qui réside à Samarie, lui dit-il. Il se trouve dans la vigne de Naboth, où il est allé pour en prendre possession. 

19Va lui dire : Voici ce que déclare le Seigneur : “Ainsi, tu as assassiné quelqu’un, et tu viens maintenant prendre possession de ses biens !” Puis tu ajouteras : Voici ce que déclare encore le Seigneur : “À l’endroit même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang !” »

20Élie alla porter ce message à Achab, qui lui dit : « Eh bien, mon ennemi, tu m’as retrouvé ! » – « Oui, je t’ai retrouvé, dit Élie. Et puisque tu consacres ton énergie à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur, 

21voici ce qu’il déclare : “Je vais envoyer le malheur sur toi ; je te ferai disparaître, j’exterminerai d’Israël tous les hommes de ta parenté, sans exception. 

22Je traiterai ta famille comme j’ai traité celle de Jéroboam, fils de Nebath, et celle de Bacha, fils d’Ahia, parce que tu m’as grandement offensé, et que tu as poussé le peuple d’Israël à pécher.” 

23Et, ajouta Élie, le Seigneur a aussi parlé contre Jézabel en déclarant : “Les chiens dévoreront Jézabel au pied de la muraille de Jizréel.” 

24De plus, roi Achab, tout membre de ta famille qui mourra dans la ville sera dévoré par les chiens, et celui qui mourra dans la campagne sera déchiqueté par les vautours. »

25On n’a certainement jamais vu personne consacrer autant d’énergie que le roi Achab à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; c’est qu’il y était poussé par sa femme Jézabel. 

26Il a agi d’une façon particulièrement abominable lorsqu’il adorait des idoles, tout comme les Amorites que le Seigneur avait chassés pour faire place au peuple d’Israël.

27Lorsque le roi Achab eut entendu le message du Seigneur, il déchira ses vêtements, en portant une étoffe grossière directement sur la peau et en jeûnant ; il gardait sur lui cette étoffe grossière même pour dormir, et il marchait à pas lents. 

28La parole du Seigneur fut adressée à Élie, de Tichebé : 

29« Regarde comment Achab s’est humilié devant moi, dit-il. Dans ces conditions, je n’enverrai pas le malheur sur sa famille pendant son règne, mais pendant celui de son fils.»

Dans un premier temps, la parole de Dieu met Achab en face de ses responsabilités. C’est Achab qui a tué Naboth, c’est lui qui a volé sa vigne, il ne pourra pas se cacher derrière Jézabel. Car même si c’est Jézabel qui a organisé le complot, c’est Achab, le roi, c’est lui qui porte la responsabilité de ce qui se fait sous son autorité. Sa passivité dans le complot renforcerait même sa culpabilité, d’autant qu’Achab sait pertinemment que Naboth est mort lorsqu’il prend possession de la vigne. Au verset 26, le narrateur nous rappelle l’origine de ces crimes : tout a commencé le jour où Achab a épousé une païenne, qui servait d’autres dieux, alors que le Seigneur, le Dieu unique, réclame l’exclusivité. En s’alliant intimement avec une païenne, en l’associant à son règne, il a commencé à s’écarter du chemin de la relation avec Dieu, à choisir d’autres dieux pour gouverner sa vie – comme les Amorites, comme les païens qui habitaient Canaan avant l’arrivée du peuple d’Israel, ces peuples dont les pratiques dégoûtaient Dieu au point qu’il avait fini par sévir.

Achab a adoré Baal, le dieu de Jézabel, mais aussi des idoles sans statue : la réussite politique, que permettait l’alliance avec le roi syrien, la réussite avec son luxe et son pouvoir, la réputation d’être un grand roi. Ces désirs de femme, d’autorité, de terres l’ont conduit Achab à violer les règles de base que Dieu avait données. Il s’est pris pour le seul maître, et en a oublié les autres : Dieu… et son prochain. Le prophète démasque les vraies racines du scandale : il y a un lien étroit entre idolâtrie et crimes sociaux. Oublier Dieu conduit à oublier les autres.

Le meurtre de Naboth représente l’apogée des crimes d’Achab, qui laisse tout pouvoir à une païenne, pour commettre un assassinat à cause d’un caprice. Ce méfait déclenche la condamnation, symétrique au mal commis. La mort de Naboth conduira à la mort de son assassin, avec une correspondance exacte. Jézabel reçoit aussi le châtiment qu’elle mérite pour avoir organisé le complot. Par ailleurs, Achab a oublié d’où il tirait son pouvoir comme il a oublié son rôle : se prenant pour son propre maître, il opprime le peuple au lieu d’en prendre soin. Dieu enlève donc à Achab et à sa famille le pouvoir de régner, puisqu’ils n’en ont pas été dignes. La justice existe, que nous l’attendions avec soulagement ou que nous la craignions. La justice existe, et Dieu y veille.

À l’annonce de ces châtiments, Achab prend le deuil. Même s’il lui ressemble, ce n’est plus le deuil capricieux que nous avons vu tout à l’heure : c’est la prise de conscience d’une vie menée de travers. Et devant sa repentance, Dieu maintient le châtiment, car justice doit être faite, mais il fait grâce à Achab en atténuant sa peine. Cela paraît dur par rapport à son fils, qui écope de la peine, mais en réalité il était déjà concerné (puisque la dynastie allait disparaître) et puis, de lui-même, il ne fera pas mieux que son père, et il méritera amplement la peine encourue.

Dans notre histoire, Achab avait un but : posséder un jardin de plus. Quand Dieu prend la parole, nous découvrons qu’Il a deux mobiles : réparer le mal commis et redresser le coupable. La grâce finale – qui n’est pas une amnistie – montre que le Dieu juge est aussi un Dieu d’amour, qui se préoccupe des victimes et des coupables.

Quelques enseignements pour aujourd’hui

À travers ce récit des crimes d’Achab, la Bible met l’accent sur 3 éléments qui gardent toute leur actualité.

D’abord, le meurtre de Naboth met en évidence le renversement qui dirige la vie d’Achab : loin de protéger son peuple, il l’opprime pour satisfaire ses envies. L’égoïsme et l’orgueil l’ont conduit à négliger la volonté de Dieu, son rôle et le respect de l’autre. Notre monde, aussi marqué par le mal et le rejet de Dieu, vit dans le même renversement, qui se cristallise souvent autour des questions de possession. La jalousie, l’orgueil et la consommation effrénée prennent souvent le pas dans nos vies, quand des familles se déchirent pour un héritage, quand la vie d’un enfant dépend de son utilité sociale ou quand des problèmes réels et urgents suscitent des solutions cyniques (mais rentables !) (les questions d’environnement sont évidemment en plein dans ces dysfonctionnements).

Ensuite, bien avant la Déclaration des droits de l’homme, le châtiment d’Achab rétablit l’égalité de tous les êtres humains. La place de roi ne donne pas tous les droits. Dieu accorde la même valeur au chef du peuple et au citoyen lambda, et oserais-je sortir du contexte des Rois pour dire que la même valeur est accordée au riche et au pauvre, au bien-portant comme au malade, au citoyen comme au sans-papier… la liste est longue, car Dieu considère chaque individu qu’il a créé, comme précieux, et le châtiment d’Achab nous encourage à croire avec assurance que Dieu est présent et qu’Il veille avec justice, même si nous n’en sommes pas toujours conscients.

Le dernier élément que j’aimerais souligner ce matin, c’est la grâce que Dieu offre aux coupables. Quelle que soit la distance que nous avons parcourue loin de Lui, petite ou grande, il est toujours possible de reconnaître que nous vivons de travers, il est toujours possible de revenir vers Lui, avec humilité. Le Seigneur lui-même nous assure qu’il n’y a pas de point de non-retour qui nous empêcherait de revenir auprès de Lui.

Conclusion

En somme, l’histoire d’Achab et Naboth avec les principes qui en ressortent : le renversement qui déforme notre existence, l’égalité de toute vie et la nécessité de la justice, et puis la grâce qui accueille le pécheur repentant, ces principes annoncent en creux la venue d’un autre roi, quelques siècles plus tard. À la différence d’Achab, ce roi qui tue pour prendre, Dieu le Fils, Jésus-Christ, a subi le châtiment de la mort, à notre place, pour donner la vie et réconcilier Dieu avec nous. Il est mort pour donner. Justice est faite.

Bien plus, par sa résurrection et le don du Saint-Esprit, Jésus nous offre la possibilité de recommencer à vivre à l’endroit. Ferions-nous comme Achab, ce roi à la mémoire courte, qui trois ans après notre épisode se détourne à nouveau de Dieu ? Ou tenterons-nous plutôt de relever le défi : vivre chaque jour un peu plus à l’endroit, suivre l’exemple de ce Dieu qui nous a pardonné et, avec l’aide du Saint-Esprit, apprendre à aimer comme lui nous a aimés ? Que Dieu nous fasse la grâce de témoigner dans nos vies de sa justice et de son amour.