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L’étrange cas du jeune Eutyque

 

https://soundcloud.com/eel-toulouse/letrange-cas-du-jeune-eutyque

L’histoire de ce matin se déroule pendant le troisième voyage missionnaire de l’apôtre Paul. Après avoir traversé l’Asie Mineure et avoir séjourné en Macédoine et en Grèce, il est sur le chemin du retour. Certains de ses compagnons de route ont pris un peu d’avance et attendent l’apôtre et le reste de la troupe, dont Luc, l’auteur du livre des Actes, à Troas, une cité portuaire au nord-ouest de l’Asie Mineure. Paul les rejoint mais il ne va pas y rester trop longtemps. Il compte arriver à Jérusalem pour la fête de la Pentecôte et le voyage est encore long. Il est donc plutôt pressé mais il a encore beaucoup de choses qu’il veut transmettre aux chrétiens de la ville.

Nous sommes la veille du départ de Paul de la ville, quelque part à Troas, un samedi soir, dans une grande maison où les chrétiens avaient sans doute l’habitude de se retrouver. On dirait aujourd’hui que l’Eglise de Troas est réunie pour le culte, avec un prédicateur de passage exceptionnel : l’apôtre Paul !

Actes 20.7-12
7 Le samedi soir, nous sommes réunis pour partager le pain. Paul prend la parole devant les frères et les sœurs chrétiens. Puisqu’il doit partir le jour suivant, il continue à parler jusqu’à minuit. 8 Nous sommes réunis dans la pièce qui est en haut de la maison. Là, il y a beaucoup de lampes allumées. 9 Un jeune homme, appelé Eutyque, est assis sur le bord de la fenêtre. Paul continue à parler longtemps. Eutyque s’endort profondément. Pris par le sommeil, il tombe du troisième étage et, quand on veut le relever, il est déjà mort. 10 Alors Paul descend, il se penche sur lui et le prend dans ses bras en disant : « Ne soyez pas inquiets, il est vivant ! »
11 Ensuite Paul remonte, il partage le pain et mange. Il parle encore longtemps jusqu’au lever du soleil, puis il s’en va. 12 Après cela, on emmène le garçon bien vivant, et tous sont vraiment consolés.

On pourrait se contenter d’une lecture de cette histoire au premier degré. Au cours d’une réunion des chrétiens de Troas survient une tragédie. Mais Dieu vient au secours de son Eglise et rétablit le jeune homme après sa chute mortelle.

La question qu’on est en droit de se poser est la suivante : pourquoi ce récit justifie-t-il sa place dans le livre des Actes ? Il y a, certes, un miracle. Mais il y en a eu d’autres… pourquoi raconte-t-on celui-ci ? Faut-il juste voir dans ce récit une invitation à sécuriser les lieux de culte ? Ou une mise en garde contre les prédications trop longues, qui peuvent se révéler plus dangereuses qu’on ne le pense ? Parce qu’on remarquera tout de même, au passage, que l’histoire n’est pas trop à l’avantage de l’apôtre Paul… Certes, la réunion se prolonge tard dans la nuit mais visiblement sa prédication n’était pas assez passionnante pour tenir éveillé ses auditeurs ! Eutyque est tombé de la fenêtre mais qui nous dit qu’il était le seul à s’être endormi ?

Un récit bien étrange…

La question de la place de ce récit dans le livre des Actes est aussi pertinente quand on considère la façon dont il est raconté. Car, quand on y regarde de plus près, le récit autour de ce jeune homme tombé de la fenêtre est bien étrange. On pourrait même se demander ce qui s’est vraiment passé…

En effet, le texte nous dit que le jeune homme tombe du troisième étage de la maison et que lorsqu’on veut le relever, on se rend compte qu’il est mort. C’est une terrible tragédie et on imagine sans peine l’émoi que ça a pu susciter, peut-être un vent de panique, une terreur qui s’empare de tout le monde. Imaginez qu’un événement similaire arrive ce matin, au cours de notre culte ! Pourtant, tout semble se passer dans un calme olympien. Le texte biblique dit simplement que Paul descend, il prend le jeune homme dans ses bras et il dit qu’il ne faut pas s’inquiéter : il est vivant. On ne dit pas qu’il ait fait quelque chose de particulier, qu’il ait imposé les mains au jeune homme ou au moins qu’il ait prié pour sa résurrection. Même Jésus l’aurait fait ! Rien de tout ça… Il dit juste qu’il ne faut pas s’inquiéter et qu’il est vivant.

Et puis, surtout… il remonte à l’étage, comme si de rien n’était ! Et il reprend là où il s’était arrêté : il partage le pain avec les disciples réunis, qui semblent eux aussi être passé à autre chose, et il prêche toute la nuit ! Bref, le culte continue… Après quoi, il s’en va. Et ce n’est qu’à la toute fin du récit, au petit matin, alors que Paul est parti, qu’on nous confirme que le garçon est bien vivant, et que tout le monde est vraiment consolé. C’est comme s’il était resté toute la nuit au pied de la maison, continuant le sommeil qu’il a avait commencé pendant la prédication de l’apôtre ! Son réveil a dû être un peu spécial…

Vous ne trouvez pas ça assez étrange ? Et comme si ça ne suffisait pas, il y a encore d’autres éléments incongrus, ou des questions sans réponse.

Par exemple, pourquoi le jeune homme est-il assis sur le bord de la fenêtre ? Parce que la chambre était pleine ? Parce qu’il avait chaud et qu’il cherchait un peu d’air ? Parce qu’il n’était pas passionné par le discours de Paul et jetait un coup d’oeil de temps en temps à l’extérieur ? On n’en sait rien. En fait, on ne sait rien de ce jeune homme. Il ne parle jamais, le texte n’émet aucun jugement sur son attitude, ne commente pas ce qui lui arrive…

Tout ce qu’on sait de lui, c’est son nom. On peut d’ailleurs se demander pourquoi il est mentionné ! Est-ce si important de le savoir ? Sauf que, savez-vous ce que signifie Eutyque ? Ça veut dire : « chanceux » ! C’est quand même étonnant, vu ce qui lui arrive !

Autre élément étonnant : la mention du partage du pain, à cette heure tardive. Il ne s’agit pas ici de casser la croûte mais de partager le repas du Seigneur, la Cène. Certes, elle se vivait au cours d’un véritable repas chez les premiers chrétiens, mais normalement pas à minuit… et encore moins dans ces circonstances !

Une portée symbolique ?

Autant d’éléments surprenants doivent nous interpeller. Ce sont peut-être des indicateurs pour nous dire qu’il ne faut pas passer trop vite sur un tel récit, qu’une lecture seulement au premier degré ne suffit pas…

Et si ce récit, et la façon bien étrange dont il est raconté, avait une autre portée ? N’aurait-il pas une valeur de symbole ? Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a pas eu de miracle. Luc, l’auteur du livre des Actes, en parle en tant que témoin oculaire : le récit est à la première personne du pluriel. Il y a sans doute bien eu un jeune homme qui s’est endormi, qui est tombé de la fenêtre, et qui en est miraculeusement sorti indemne.

Mais ne doit-on pas aller plus loin que cette lecture au premier degré ? On a déjà mentionné le nom d’Eutyque (chanceux), le calme étonnant dans lequel les choses se passent, le culte qui se poursuit comme si de rien n’était… Qu’y a-t-il d’autre ?

Le récit nous parle quand même d’une mort et d’une résurrection. Et en plus on est dans la nuit de samedi à dimanche ! Et c’est au petit matin du dimanche que la résurrection est constatée… Et c’est à ce moment-là seulement que tout le monde est soulagé. Le texte l’exprime avec emphase : « tous sont vraiment consolés ». Littéralement, on pourrait traduire : « et ce ne fut pas une petite consolation ! »

Ca ne vous rappelle rien ? Une expérience de mort et de résurrection, constatée au petit matin, et qui est une source de consolation sans mesure ! D’une certaine manière, ce récit à Troas nous parle de l’expérience de mort et de résurrection que le croyant est appelé à vivre, à la suite de Jésus-Christ. Une expérience partagée dans la communauté chrétienne et source d’une profonde consolation.

Quelques applications

Une expérience de mort et de résurrection

C’est le cœur de l’Evangile, et le cœur de l’expérience chrétienne. Peut-on aller jusqu’à dire que l’expérience de la mort et la résurrection du Christ devrait être la réalité de la vie chrétienne normale, comme la résurrection du jeune Eutyque semble évidente et naturelle dans ce récit ?

Et pourtant, nous nous contentons facilement d’une vie chrétienne morne où on n’est pas vraiment mort et ressuscité mais entre les deux, juste assoupis…

Demandons au Seigneur de permettre que notre vie chrétienne soit encore et toujours l’expérience d’une vie nouvelle !

Partagée dans la communauté chrétienne

Tout se passe dans ce récit lorsque l’Eglise est réunie, alors que l’Evangile est prêché et la Cène est célébrée !

Il faut souligner l’importance de l’Eglise dans la vie du chrétien. Je ne parle pas des institutions et des différentes chapelles. Je parle de la communauté chrétienne. La mort et la résurrection en Christ est une expérience à partager. Et la Parole de Dieu prêchée et étudiée en communauté permet de l’appréhender. Tout comme la participation à la Cène, ce sacrement donné par Jésus à son Eglise, pour proclamer et vivre sa mort et sa résurrection.

Source d’une profonde consolation

Il n’y a pas de plus grande consolation, pas de plus grand encouragement que la réalité de la mort et de la résurrection du Christ. Dans l’histoire bien-sûr, parce que c’est par ce double événement que le salut de Dieu pour les humains s’est accompli. Mais aussi dans notre vie chrétienne évidemment !

Face à la mort, la maladie, la souffrance : nous sommes ressuscités en Christ, c’est notre consolation et notre espérance au-delà de toute épreuve !

Contre les forces de mort qui nous entourent et nous pressent, ou les pulsions mortifères qui peuvent nous habiter : nous sommes ressuscités en Christ, c’est notre encouragement dans la lutte, notre victoire par la foi.
L’étrange cas du jeune Eutyque nous invite donc à expérimenter, dans notre “vie chrétienne normale”, la réalité et la puissance de la mort et de la résurrection du Christ !

Balaam et son ânesse

Pour ce dimanche estival, je propose que nous nous arrêtions sur une histoire, un récit parmi les plus étonnants de l’Ancien Testament.

Nous sommes avec le peuple Hébreux. Après être sorti d’Egypte sous la conduite de Moïse, et après avoir traversé le désert pendant 40 ans, les voilà proches de la terre promise par Dieu à leur ancêtre Abraham. Ils campent dans les plaines arides de Moab, à l’est du Jourdain, en face de Jéricho. Mais les autochtones ne voient pas leur arrivée d’un très bon œil…

Balac, le roi de Moab, décide alors de se tourner vers un prophète puissant du nom de Balaam. Il lui demande de jeter une malédiction contre ce peuple venu d’Egypte, pour qu’il ait une chance de le vaincre. Mais Dieu parle au prophète et lui dit de ne pas aller avec Balac et de ne pas maudire ce peuple qu’il a béni. Mais Balac insiste, promettant au prophète de le combler d’honneurs s’il vient avec lui… Alors Balaam attend, pour une seconde nuit, ce que Dieu va lui dire.

Nombres 22.20-35
20 Pendant la nuit, Dieu vient dire à Balaam : « Si ces hommes sont venus t’appeler, pars avec eux. Mais tu feras seulement ce que je te dirai. » 21 Le matin suivant, Balaam se lève, il prépare son ânesse et il part avec les chefs de Moab.
22 Quand Dieu voit Balaam partir, il se met en colère. Balaam avance sur la route, monté sur son ânesse. Deux serviteurs sont avec lui. Alors un ange du SEIGNEUR se place sur la route pour l’empêcher de passer. 23 L’ânesse voit l’ange debout au milieu de la route. Il tient une épée à la main. L’ânesse quitte la route et elle passe à travers les champs. Balaam se met à la frapper pour la ramener sur la route. 24 L’ange va se placer plus loin dans un chemin étroit qui traverse des vignes entre deux murs. 25 L’ânesse voit l’ange du SEIGNEUR, elle se serre contre le mur et ainsi, elle blesse le pied de Balaam. Celui-ci la frappe de nouveau. 26 L’ange du SEIGNEUR les dépasse encore une fois. Il va se placer dans un passage très étroit. Là, on ne peut passer ni à sa droite ni à sa gauche. 27 Quand l’ânesse voit l’ange, elle se couche sous Balaam. Celui-ci se met en colère et les coups de bâton pleuvent.
28 Alors le SEIGNEUR fait parler l’ânesse, et elle dit à son maître : « Qu’est-ce que je t’ai fait, pour que tu me frappes trois fois ? » 29 Balaam lui répond : « Tu te moques de moi ! Si j’avais une épée à la main, je te tuerais tout de suite ! » 30 L’ânesse lui dit : « Est-ce que je ne suis pas ton ânesse ? C’est moi que tu montes depuis toujours ! Est-ce que j’ai l’habitude d’agir ainsi avec toi ? » Balaam répond : « Non ! »
31 Alors le SEIGNEUR ouvre les yeux de Balaam. Balaam voit l’ange du SEIGNEUR debout sur le chemin, une épée à la main. Il se met à genoux, le front contre le sol. 32 L’ange du SEIGNEUR lui dit : « Tu as frappé ton ânesse trois fois. Pourquoi donc ? Je suis venu t’empêcher de passer. En effet, ce voyage me paraît dangereux. 33 Ton ânesse m’a vu, et trois fois, elle s’est écartée de moi. Si elle n’avait pas fait cela, je t’aurais tué, mais elle, je l’aurais laissée en vie. » 34 Balaam dit à l’ange : « J’ai commis une faute ! En effet, je n’ai pas vu que tu étais devant moi sur la route. Mais maintenant, si ce voyage te déplaît, je suis prêt à faire demi-tour. » 35 L’ange du SEIGNEUR répond : « Non ! Va avec ces hommes. Mais tu prononceras seulement les paroles que je te dirai. » Alors Balaam continue la route avec les chefs de Balac.

Voilà un récit pour le moins surprenant ! Il y a d’abord, bien sûr, l’ânesse de Balaam : elle voit l’ange du Seigneur sur la route, alors que le prophète qui la monte ne le voit pas… Et ça, trois fois de suite ! Ensuite, la même ânesse se met à parler… A la rigueur, pourquoi pas ? Dieu est tout-puissant ! Mais le plus étonnant, ce n’est pas tellement que l’ânesse parle, c’est que Balaam semble trouver ça tout à fait normal puisqu’il discute avec elle ! Franchement, à la place de Balaam, comment auriez-vous réagi ? Imaginez-vous en train de promener votre chien, comme tous les jours, et tout à coup il s’arrête, vous regarde et se met à vous parler. Vous tapez la discute avec lui, sans broncher ? C’est pourtant ce que semble faire Balaam avec son ânesse !

C’est cet élément qui me laisse penser que ce récit n’est probablement pas à prendre au pied de la lettre… Mais ce n’est pas ce qui m’importe pour ce matin. Prenons, simplement, le récit tel qu’il nous apparaît, avec ses péripéties et ses dialogues étonnants, avec son humour aussi… et demandons-nous quel en est le message, pour le peuple Hébreux à ce moment de son histoire, et quel prolongement nous pouvons discerner pour nous aujourd’hui.

D’autant que la discussion entre Balaam et son ânesse n’est pas le seul élément étonnant de ce récit. L’attitude de Dieu aussi est surprenante. On le voit se mettre en colère quand Balam se met en route… alors qu’il vient juste de lui dire de partir ! Et puis ensuite, il empêche Balaam de passer, affirmant même qu’il l’aurait tué si l’ânesse ne s’était pas arrêtée… et finalement il lui dit de continuer son chemin, en lui redisant, en gros, ce qu’il lui avait dit avant qu’il parte ! Vous y comprenez quelque chose, vous ?

Pourquoi Dieu se met-il en colère ?

Rappelons-nous que lorsque le roi Barac était venu demander de l’aide à Balaam, Dieu avait dit clairement à ce dernier : « Non, tu n’iras pas avec eux ! Tu ne maudiras pas le peuple d’Israël, parce que je l’ai béni. » (Nb 22.12)

Mais Balac était revenu à la charge. Et je me demande si la deuxième réponse de Balaam était si honnête que cela… Balac avait insisté, en promettant de le couvrir d’honneurs mais sans vraiment préciser les choses. Et Balaam, lui, est explicite et même en rajoute un peu : « Même si Balac me donne tout l’argent et tout l’or qui remplissent sa maison, je ne peux pas faire une chose, petite ou grande, contre l’ordre du SEIGNEUR mon Dieu. » (Nb 22.18) Et il dit, quand même, aux émissaire du roi de rester pour la nuit, au cas où Dieu lui dirait quelque chose…

Mais la première réponse de Dieu n’était pas assez claire ? Et pourquoi est-ce qu’il changerait d’avis ? Pourtant, c’est ce qu’il semble faire puisqu’il lui dit : « Si ces hommes sont venus t’appeler, pars avec eux. » Ah bon ? Dieu n’était pas au courant qu’ils étaient déjà venus l’appeler avant ? En fait, j’ai l’impression que Dieu connaît le cœur de Balaam et qu’il le laisse aller. Se disant que de toute façon, il veut y aller… alors qu’il yaille ! Mais attention, il lui précise : « Tu feras seulement ce que je te dirai. »

L’empressement dont le prophète fait preuve ensuite semble bien confirmer cela. Il ne se fait pas prier. Dès le lendemain matin, il selle son ânesse et prend la route ! Et ensuite il sera incapable de voir l’ange qui lui barrera le chemin…

La « colère » de Dieu ne trahit donc pas un brusque changement d’humeur de sa part. Ce n’est pas un caprice… Probablement que le Seigneur veut plutôt donner une leçon au prophète. Il s’obstine à vouloir contourner la réponse négative de Dieu ? Dieu, à son tour, s’obstinera à bloquer Balaam sur son chemin…

Pourquoi le prophète est-il moins clairvoyant que son ânesse ?

C’est toute l’ironie de l’histoire. Alors que le prophète ne comprend pas ce qui se passe, l’ânesse voit, elle, l’ange du Seigneur ! La première fois, elle peut l’éviter en passant par les champs. La deuxième fois, elle doit raser les murs, blessant au passage le pied de Balaam. Mais la troisième fois, le passage est trop étroit et l’ânesse ne peut que s’arrêter. Et le prophète, lui, ne comprend rien, il ne voit rien et tout ce qu’il trouve à faire, c’est se mettre en colère contre son ânesse et la rouer de coups.

Balaam semblait pourtant jusque là capable d’entendre clairement la voix de Dieu… Mais là, il ne voit rien. Il devait être trop concentré sur l’objectif de son voyage, aveuglé par la perspective de la récompense promise par le roi de Moab… Il a obtenu le feu vert de Dieu pour répondre à l’offre de Balac, alors il y va. Il ne se pose plus de question. C’est comme s’il était déjà arrivé au bout de son chemin… et du coup, il n’est plus prêt à rencontrer Dieu sur sa route. Pourtant il aurait quand même dû se douter qu’il y avait quelque chose qui clochait quand Dieu lui a dit d’aller vers Barac alors qu’il venait de le lui interdire formellement.

Il faudra, pour que le prophète sorte de sa torpeur, que le Seigneur lui ouvre les yeux, comme il le ferait pour un aveugle. Alors seulement il verra l’ange du Seigneur et reconnaîtra sa faute.

Quelles leçons pour nous ?

Le première leçon que nous pouvons tirer de cet épisode, c’est que Dieu nous laisse parfois aller jusqu’au bout de nos obstinations… Parce qu’il faut parfois faire l’expérience de l’échec, se retrouver face à un mur, pour comprendre. Ça peut être douloureux… mais nécessaire.

Car Balaam n’est pas un cas isolé, loin de là ! Dans la Bible, il y a une expression qui revient à de nombreuses reprises pour qualifier l’obstination du peuple de Dieu : « avoir la nuque raide », c’est-à-dire refuser de courber la tête, n’en faire qu’à sa tête. Aujourd’hui on dirait avoir la tête dure… Vous ne vous sentez pas concernés ? Vraiment ?

La deuxième leçon est une mise en garde : il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir… ni plus sourd que celui qui pense avoir tout compris. Enfermés dans nos certitudes, nous ne sommes plus capables de voir Dieu sur notre chemin.

Même un prophète est moins clairvoyant qu’un âne quand il s’enferme dans son obstination. L’exemple tragi-comique de Balaam doit nous inviter à l’humilité. Méfions-nous de nos certitudes.

Ici, je fais une différence entre les convictions et les certitudes. C’est important de se forger des convictions solides, d’affermir sa foi, d’approfondir sa connaissance de Dieu. On peut s’appuyer sur ses convictions, on peut les partager, on peut même les défendre. Mais gardons nous de faire de nos convictions des certitudes. Par certitude, je veux dire des vérités absolues, définitives, qu’on ne discute pas. On pourrait dire qu’une certitude a le cou raide… alors qu’une conviction est prête à se laisser encore modeler. Les fanatiques ont des certitudes. Les croyants ont des convictions.

Nos certitudes nous rendent aveugles, elles nous empêchent de voir le Seigneur sur notre chemin. Nos convictions nous gardent les yeux ouverts, elles s’affermissent dans la rencontre avec Dieu.

Epilogue

L’histoire de Balaam ne s’arrête pas là. Il semble bien avoir retenu la leçon parce que les deux chapitres suivants nous racontent comment, par trois fois, le prophète prononcera des bénédictions pour le peuple d’Israël au lieu des malédictions qui lui étaient demandées. Il rappellera au passage les promesses de Dieu envers son peuple, concernant son alliance et la terre qui lui est promise. Si bien que le roi de Moab finira par lui dire : “OK, tu ne peux pas les maudire, mais au moins arrête de les bénir !”

Ce récit étonnant de Balaam a toute son importance dans le récit du livre des Nombres. En marche vers la terre promise, au milieu de peuples pas toujours bienveillants à leur égard, le peuple d’Israël peut être rassuré : Dieu restera toujours fidèle à son alliance et à ses promesses.

N’est-ce pas là aussi une belle leçon pour nous ? Car si nous devons nous méfier de nos certitudes, il y a bien une assurance sur laquelle nous appuyer : Dieu est toujours fidèle à ses promesses, quels que soient les obstacles, quels que soient les adversaires qui nous mettent des bâtons dans les roues… et quelle que soit notre propre obstination !

Qu’est-ce qui compte vraiment ?

 

https://soundcloud.com/eel-toulouse/quest-ce-qui-compte-vraiment

Qu’est-ce qui compte vraiment ? C’est ce qui est au cœur de ma vie, ce sans quoi ma vie perdrait toute saveur, toute valeur. Est-ce que c’est ma famille, mes amis, mes proches ? Est-ce que c’est ma situation professionnelle, mon statut social ? Est-ce que c’est ce que j’ai construit de mes mains, ce que j’ai acquis à la sueur de mon front ?

Qu’est-ce qui compte vraiment ? C’est ce à quoi je consacre le plus de temps. C’est là où je mets mon argent. C’est ce qui occupe mes réflexions, mes projets, mes prières. C’est ce qui me fait vibrer, m’enthousiasme, me rend fier.

Qu’est-ce qui compte vraiment ? L’apôtre Paul répond à cette question ainsi : « ce qui compte c’est d’être une nouvelle créature. » (Galates 6.15).

Pour bien comprendre ce qu’il veut dire par là, je vous propose de commencer la lecture quelques versets auparavant :

Galates 6.11-18
11 Regardez ces grosses lettres : je vous écris de ma main ! 12 Ceux qui vous obligent à être circoncis, ces gens-là veulent se faire bien voir pour des raisons humaines. Leur seul but est d’éviter de souffrir à cause de la croix du Christ. 13 Ces hommes qui se font circoncire n’obéissent pas à la loi ! Et pourtant, ils veulent que vous soyez circoncis pour se vanter de votre circoncision. 14 Moi, je veux me vanter d’une seule chose : c’est de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. Par la croix, le monde est mort pour moi, et moi aussi, je suis mort pour le monde. 15 Être circoncis ou ne pas être circoncis, cela n’a pas d’importance ! Ce qui compte, c’est que Dieu nous crée à nouveau.

Quand il écrit aux chrétiens de Galatie, l’apôtre Paul est assez frontal. Ainsi, dès le tout début de sa lettre, juste après les formules de politesse d’usage, il écrit (version TOB) : « J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un évangile différent. » (Galates 1.6) Et le reste de l’épître est du même acabit, jusqu’à cette conclusion que nous venons de lire.

Être fier du Christ

Il faut dire que Paul en veut vraiment à ceux qu’il nomme ici « ceux qui vous obligent à être circoncis ». Il s’agissait de croyants d’origine juive qui estimaient nécessaire pour les chrétiens d’origine païenne de se faire circoncire. La circoncision, c’est le rite que Dieu a donné à Abraham comme signe de l’alliance. C’est un marqueur identitaire Juif. Autrement dit, pour ces croyants, pour devenir chrétien, il fallait aussi devenir Juif. Pour Paul, c’est intolérable : c’est même une trahison de l’Evangile… La Bonne Nouvelle, c’est que tout être humain, quel qu’il soit, reçoit le salut de Dieu par la foi seule. Exiger des croyants d’origine païenne de se faire circoncire, c’est nier cette donnée fondamentale et dire que la foi ne suffit pas.

Or Paul lui-même était Juif et il était profondément attaché à l’héritage reçu de ses pères. Pourtant il peut dire, sans ambiguïté : « Être circoncis ou ne pas être circoncis, cela n’a pas d’importance ! » Car désormais il n’est fier que d’une chose : la croix du Christ. La formule a de quoi surprendre : comment peut-on se vanter de quelque chose dont on n’est pour rien ? La croix du Christ ? Je n’y suis pour rien. Vous non plus… Et l’apôtre Paul non plus !

L’expression « la croix du Christ » désigne, par une formule condensée, tout ce qui a conduit Jésus-Christ jusqu’à la mort sur la croix et tout ce qui découle de cette mort sur la croix.

  • La croix est l’aboutissement de l’incarnation : le Fils de Dieu est devenu homme, il nous a rejoint dans notre humanité, jusqu’à la mort.
  • La croix est la fin d’un monde et l’aube d’un nouveau monde. Après la croix vient le tombeau vide, le Christ est mort mais il est aussi ressuscité. D’ailleurs Paul y fait référence en évoquant une création nouvelle : « Ce qui compte, c’est que Dieu nous crée à nouveau. »
  • La croix du Christ dans ma vie est l’expérience de ce changement de monde : « Par la croix, le monde est mort pour moi, et moi aussi, je suis mort pour le monde. » Plus rien n’est comme avant.

Alors oui, il y a de quoi être fier du Christ dans notre vie !

Se centrer sur le Christ

Connaître Jésus-Christ, faire l’expérience du changement de monde qui s’est joué à la croix, voilà ce qui est vraiment important. Et ne laissons pas d’autres marqueurs identitaires l’occulter.

Aujourd’hui, ce n’est plus la question de la circoncision qui pose problème parmi les chrétiens. Mais ne met-on pas en avant d’autres critères, d’autres marqueurs identitaires qui risquent d’occulter ce qui compte vraiment ? Par exemple lorsqu’on sous-entend qu’être « vraiment » chrétien, c’est être ceci ou cela, c’est faire et dire ceci ou cela… Être vraiment chrétien, ça serait appartenir à telle confession chrétienne plutôt qu’une autre, adopter telle culture évangélico-compatible, souscrire à telles valeurs, assumer telle posture éthique (surtout en matière sexuelle et familiale), etc ?

Je ne dis pas que ces choses ne sont pas à prendre en considération. Je dis simplement que ce n’est pas ça qui est vraiment important… Reprenons l’affirmation de l’apôtre Paul : « Être circoncis ou ne pas être circoncis, » – et vous pouvez mettre ici à la place tous les marqueurs identitaires que vous voulez – « cela n’a pas d’importance ! Ce qui compte, c’est que Dieu nous crée à nouveau. »

Être disciple du Christ

Oui, pour nous comme pour l’apôtre Paul, ce qui compte vraiment, c’est la croix du Christ et la vie nouvelle qu’il nous donne. Et on le dit sans doute ! Mais on le dit peut-être avec hésitation : « Ce qui compte vraiment, pour moi, c’est le Christ. Enfin, surtout le dimanche, et même surtout le dimanche matin… Mais du lundi au samedi, c’est moins évident »

On peut facilement cloisonner ces deux dimensions et être deux personnes différentes le dimanche et les autres jours de la semaine. Ou alors, on peut avoir l’impression d’être en apnée spirituelle toute la semaine en attendant de reprendre notre souffle le dimanche, et avant de retourner en apnée. Et c’est épuisant…

La bonne posture à adopter est celle de se voir à la fois comme pleinement disciple du Christ le dimanche, dans l’Eglise rassemblée, avec mes frères et sœurs dans la foi, et comme pleinement disciple du Christ chaque jour de la semaine, à la maison, dans ma famille, avec mes amis, dans mon travail.

Ici, il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle il y aurait dans l’Eglise des chrétiens à plein temps pour Dieu et les autres. Comme s’il n’y avait que les pasteurs ou les missionnaires qui étaient à plein temps pour Dieu ! En réalité, tous les croyants sont à plein temps pour le Seigneur ! Du lundi au dimanche.

Evidemment, si on ne voit dans le fait d’être disciple du Christ que le seul fait de témoigner explicitement de l’Evangile, alors personne n’est à plein temps pour lui. Pas même les pasteurs !

Ce qui compte vraiment, c’est le Christ dans notre vie. Et on pourrait le reformuler en disant que ce qui compte vraiment ; c’est d’être disciple du Christ. C’est de voir toute notre vie comme une occasion de vivre en disciple du Christ : dans notre travail professionnel au quotidien, dans notre engagement associatif, dans nos relations à la maison et avec nos amis…

Conclusion

Qu’est-ce qui compte vraiment ? Chacun répondra pour lui-même, en fonction de la réalité de son cœur. Mais prenons en compte l’exhortation de l’apôtre Paul. Envisageons la croix du Christ et la vie nouvelle qui en découle comme ce qui doit compter vraiment dans notre vie.

Et cela se concrétise, notamment, selon ces trois axes :
Être fier du Christ : c’est ce qui nous anime, ce qui nous motive et nous fait vibrer. C’est le Christ dans notre vie, qui nous ouvre sur un monde nouveau.
Se centrer sur le Christ : il s’agit de ne pas se disperser. Donner trop d’importance à des choses secondaires c’est oublier l’essentiel !
Être disciple du Christ : c’est la façon concrète de vivre et de mettre en pratique ce qu’il y a dans notre cœur. Et c’est une job à plein temps ! Du lundi au dimanche !

Sur une mauvaise voie…

https://soundcloud.com/eel-toulouse/sur-une-mauvaise-voie

La Bible est un livre extraordinaire, d’une diversité et d’une richesse formidables. Mais ce n’est pas toujours un livre facile à lire. Il nous résiste parfois… et cela même si nous la lisons depuis des années, même si nous avons fait de longues études de théologie et que nous pouvons la lire dans son texte original, en hébreu et en grec !

Bien-sûr, le message central de la Bible est clair. On comprend bien la révélation du Dieu Créateur, son projet de salut pour l’humanité rebelle, sa révélation progressive à travers un homme, Abraham, puis à travers un peuple issu de sa descendance, le peuple d’Israël. On comprend bien le message de la Bonne Nouvelle du salut de Dieu en Jésus-Christ, annoncé par les prophètes, accompli par le Fils de Dieu devenu homme, mort et ressuscité.

Mais reconnaissons que certains textes nous restent encore parfois obscures, difficiles à comprendre. Et la compréhension n’est pas la seule difficulté que nous rencontrons. Il y a aussi la difficulté à vivre et à mettre en pratique ce que nous comprenons…

Cette semaine, nous avons reçu un mail d’un membre de notre Eglise qui nous demandait justement notre avis sur deux textes difficiles de la Bible. Je me suis efforcé de lui donner quelques pistes possibles de réponse… Et puis je me suis pris au jeu et, en réfléchissant à ma prédication, je me suis dit que l’un de ces deux textes pouvait être intéressant pour nous ce matin. Un texte qui n’en a pas l’air au premier abord mais qui est plutôt difficile

Jacques 5.19-20

19 Mes frères et mes sœurs, parmi vous, quelqu’un peut se perdre loin de la vérité, et un frère ou une sœur peut le ramener. 20 Eh bien, vous devez savoir ceci : si une personne ramène un pécheur de la mauvaise route où il se trouve, il le sauve de la mort. Et à cause de cette action, Dieu va pardonner beaucoup de péchés.

Le dernier chapitre de l’épître de Jacques est constitué de différentes exhortations, assez disparates. Elles parlent du rapport aux richesses, de la patience, de la prière, en particulier pour les malades… Et puis il y a notre texte, qui est la conclusion, un peu abrupte, de la lettre. On ne trouve pas, comme à la fin de la plupart des épîtres du Nouveau Testament, une salutation ou une formule de bénédiction. S’est-elle perdue ? Ou est-ce intentionnel de la part de Jacques, pour nous laisser sur une exhortation ultime ? En tout cas, notre texte constitue le point final de l’épître de Jacques telle qu’elle nous est parvenue. Un point final quelque peu énigmatique.

Qu’est-ce qui est difficile dans ce texte ? J’identifie au moins deux difficultés, l’une est théologique, l’autre est pratique.

D’abord, la difficulté théologique. Nous voyons que Jacques parle à des frères et des sœurs. Il s’agit donc bien de chrétiens. Or il parle de personnes qui « se perdent loin de la vérité ». Plus encore, Jacques nous dit que si ces frères ou ces sœurs sont ramenés, ils sont « sauvés de la mort ». Ces expressions ne semblent pas convenir à des chrétiens… Comment un croyant, qui appartient au Seigneur, peut-il s’égarer loin de la vérité ? Et comment peut-il être « sauvé de la mort » ? N’est-il pas déjà sauvé en Jésus-Christ ?

L’autre difficulté, plus pratique cette fois, est dans la façon de vivre ce texte dans l’église. Comment peut-on « ramener un pécheur de la mauvaise route où il se trouve », spécialement si ce pécheur est mon frère ou ma sœur en Christ ? Et surtout comment le faire sans se positionner en juge, sans user d’un discours accusateur ou culpabilisateur ?

Un chrétien peut s’égarer de la vérité

Il faut d’abord comprendre ce que signifie exactement ici l’expression « sauver de la mort », littéralement « sauver son âme de la mort ».

On l’a dit, Jacques s’adresse à des chrétiens. Je ne pense donc pas que l’expression « sauver une âme de la mort » signifie ici simplement « être sauvé ». Quand on prend en compte l’ensemble de la révélation biblique, on comprend que Dieu ne reprend pas ce qu’il donne. J’aime bien dire qu’on ne peut pas « perdre » son salut parce qu’on ne peut pas non plus le « gagner » ! Il ne dépend d’aucun effort de notre part, d’aucun mérite. On le reçoit de Dieu, par grâce. Et Dieu ne reprend pas ce qu’il a donné !

Mais, même sauvé, le chrétien doit encore lutter contre la « mort » qui agit en lui, contre le péché encore présent dans son coeur, contre le « vieil homme » comme dirait l’apôtre Paul. Il ne faut pas croire qu’il suffit de devenir chrétien pour ne plus avoir de combat spirituel à mener dans sa vie. C’est même probablement le contraire ! Des luttes spécifiques commencent avec la conversion. C’est un combat qui accompagne le chrétien, parfois douloureusement, tout au long de sa vie.

Jacques lui-même l’a déjà évoqué, au début de sa lettre :

« Chacun est poussé au mal par son désir mauvais qui l’attire et l’entraîne. Et quand on laisse faire ce désir, il donne naissance au péché. Puis, quand le péché a grandi, il donne naissance à la mort. » (Jacques 1.14-15)

Il est donc tout à fait possible qu’un chrétien s’égare de la vérité, autrement dit qu’il s’éloigne de Dieu. Car il n’y a pas de vérité en dehors de Dieu. D’ailleurs la formulation utilisée par Jacques évoque de manière étonnante la célèbre parole de Jésus affirmant être « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14.6). Jacques aussi parle de vérité, de chemin (ou de route) et de vie (en étant sauvé de la mort).

Mais attention : s’égarer, ce n’est pas seulement commettre tel ou tel péché. Il ne s’agit pas de faire une liste de péchés à ne pas commettre et si on n’a coché aucune case, on est bon ! Commettre le péché, c’est aussi ne pas faire le bien, c’est aussi l’absence, voire le manque, d’amour. Jacques l’a déjà dit : « Celui qui sait faire le bien et ne le fait pas, se rend coupable d’un péché. » (Jacques 4.17)

Pour toutes ces raisons, nous pouvons dire qu’un chrétien peut s’égarer de la vérité. Ca ne veut pas dire qu’il est perdu, mort spirituellement. Mais par son égarement, quel qu’il soit, il laisse le péché agir en lui. Cela a forcément des conséquences spirituelles, ça l’éloigne de Dieu, la source de vie… c’est aussi cela, la mort.

Ramener de l’égarement…

Pour le chrétien, revenir de son égarement, c’est retrouver le chemin de la vie, de la communion avec Dieu. Mais dans notre texte, Jacques ne parle pas seulement des chrétiens qui se seraient égarés et qui reviennent d’eux-mêmes à Dieu. Il parle de chrétiens qui ramènent un de leurs frères ou de leurs sœurs de la mauvaise route où il se trouve. Ne pas le faire semble même s’apparenter à de la non assistance à un frère ou une soeur en danger !

Mais a-t-on le droit de dire à un frère ou une sœur qu’il s’égare ? Et comment être sûr que ce n’est pas nous qui nous égarons en le disant ? Et comment le faire sans que notre démarche soit perçue comme un jugement sur la personne ?

On ne veut pas tomber sous la condamnation de la mise en garde de Jésus, dans le Sermon sur la Montagne : « Ne jugez pas afin de ne pas être jugés ! » (Matthieu 7.1) Une parole à laquelle Jacques fait d’ailleurs référence dans sa lettre :

« Frères et sœurs chrétiens, ne dites pas de mal les uns des autres ! Celui qui dit du mal d’un frère ou d’une sœur, ou qui les juge, dit du mal de la loi et il juge la loi. Et si tu juges la loi, tu n’obéis plus à la loi, tu es son juge. C’est Dieu seul qui donne la loi et qui est juge, lui seul peut sauver et faire mourir. Mais toi qui juges ton prochain, pour qui te prends-tu ? » (Jacques 4.11-12)

Notons que Jacques ne dit rien de la manière de ramener son frère ou sa sœur de son égarement… Or, juste avant, il parlait de la prière. On peut sans doute se dire que la première façon d’accomplir l’exhortation de Jacques, c’est en priant pour notre frère ou notre soeur ! Prier les uns pour les autres, c’est se soucier les uns des autres !

Pour autant, la démarche suggérée par Jacques n’implique-t-elle pas autre chose que la prière seulement ? N’y a-t-il pas aussi quelque chose à dire explicitement parfois ? Nous pouvons penser aux prédicateurs et plus largement, à tous ceux qui se retrouvrent dans une situation où ils sont appelés à transmettre d’une manière ou d’une autre une parole du Seigneur… Quel est le message que nous prêchons ? Pour pouvoir ramener de l’égarement possible, il faut refuser un discours lénifiant, qui arrondit trop les angles, qui fait silence sur les exigences de Dieu et sa sainteté, qui refuse de parler du péché et du besoin, y compris pour le chrétien, de se repentir.

Mais Jacques nous invite sans doute aussi, parfois, à aller plus loin. A dire à notre frère, notre sœur, ce qui ne va pas, à les mettre en garde contre certaines pratiques qui les éloignent de Dieu. Mais attention : gardons toujours à l’esprit le risque de prendre la position du juge de son frère ou sa sœur. C’est à proscrire absolument ! L’Eglise est une communauté de pécheurs pardonnés. Personne ne peut se placer en juge d’autrui. Et si une démarche est entreprise envers un frère ou une sœur, il faut l’accompagner de prière, et faire de preuve de prudence, d’amour, de respect et d’humilité. Il suffit de relire la développement de la lettre de Jacques sur la langue et les dégâts que peuvent provoquer certaines paroles pour s’en convaincre…

Conclusion

Si cette parole de la lettre de Jacques est difficile, autant théologiquement que pratiquement, c’est peut-être parce qu’elle touche à nos luttes intimes, nos combats personnels contre le péché, nos risques de nous égarer loin de Dieu. Aucun chrétien n’y échappe !

Mais la bonne nouvelle, c’est que Dieu est toujours prêt à pardonner. Il nous accueille sans cesse, il ne rejette jamais celui qui revient à lui. C’est aussi ce qui doit nous motiver dans nos prières les uns pour les autres, et dans nos relations.

Finalement, nous avons toujours besoin d’être sauvés de la mort, par Celui qui a vaincu la mort, le Christ ressuscité !

Aimer, se mettre en marche et recommencer

 

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Voici deux de mes posts récents sur Facebook… Quel est le point commun entre les deux ? Les risques de spoiler !

postsFB

Pour les fans d’Avengers et ceux de Game of Thrones, c’était la semaine de tous les dangers ! Il fallait à tout prix éviter les spoilers, pour profiter pleinement de la découverte et des surprises. Il n’y a rien de pire que d’apprendre, avant de voir un film ou une série, quel en sera le dénouement. En l’occurrence, qui meurt dans l’affrontement avec Thanos ou à la bataille de Winterfell !

D’ailleurs, pour éviter les fuites, les acteurs du dernier film Avengers ont tourné plusieurs fins différentes sans savoir laquelle était la bonne !

Mais parfois, on connaît la fin de l’histoire et le film reste passionnant. Par exemple, dans un épisode de Colombo, on sait presque toujours dès le début qui est le coupable mais tout l’intérêt réside dans la façon dont l’inspecteur va réussir à le coincer. Ou alors dans l’adaptation au cinéma d’un événement historique, on apprend des choses qu’on ne savait pas en pénétrant dans les coulisses de l’Histoire. Ou alors on se focalise sur un personnage, dont on ne connaît pas le destin personnel au cœur de cette grande Histoire.

Pourquoi je vous parle de tout cela ? Parce qu’on pourrait avoir l’impression que la Bible nous spoile la fin de l’histoire ! On sait déjà qui va gagner ! Jésus revient, Satan est vaincu, la mort elle-même est vaincue et tous ressuscitent pour être jugés, la création entière est renouvelée.

Mais même si on connaît les grandes lignes du dénouement, beaucoup de choses nous restent encore inconnues. Et puis on ne connaît pas le timing… et surtout on ne sait pas à l’avance quel rôle, même petit, nous sommes appelés à jouer personnellement. Nous ne savons pas comment notre histoire s’insérera dans l’Histoire.

L’espérance chrétienne n’est pas un spoiler qui gâche notre histoire. Mais notre histoire avec le Christ, aujourd’hui, est appelée à s’insérer dans la grande histoire du salut de Dieu. Et ça, c’est passionnant !

Dans les évangiles, nous trouvons quelques récits d’apparition de Jésus ressuscité à ses disciples. L’un d’eux nous est proposé pour ce matin. Et vous verrez que Jésus va spoiler la fin de l’histoire personnelle de l’apôtre Pierre… Mais c’est pour qu’il se concentre sur ce qu’il aura désormais à faire.

Jean 21.15-19
15 Après le repas, Jésus demande à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, est-ce que tu as plus d’amour pour moi que ceux-ci ? » Pierre lui répond : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes agneaux. » 16 Une deuxième fois, Jésus lui demande : « Simon, fils de Jean, est-ce que tu m’aimes ? » Pierre lui répond : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes moutons. » 17 Une troisième fois, Jésus lui demande : « Simon, fils de Jean, est-ce que tu m’aimes ? » Pierre est triste parce que Jésus lui demande une troisième fois : « Est-ce que tu m’aimes ? » Et il dit à Jésus : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes moutons. 18 Oui, je te le dis, c’est la vérité : quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais. Quand tu seras vieux, tu étendras les mains. Un autre te mettra ta ceinture et il te conduira là où tu ne veux pas. » 19 Par ces paroles, Jésus annonce de quelle façon Pierre va mourir et donner de la gloire à Dieu. Ensuite Jésus dit à Pierre : « Suis-moi ! »
Je vous avais averti : Jésus spoile la fin de son histoire à Pierre ! Et il ne lui annonce pas un happy end…. puisqu’il va mourir en martyr.

Pourquoi Jésus agit-il ainsi ? Et que signifie ce dialogue singulier entre Jésus et Pierre ?

D’abord, on remarque que par trois fois, Jésus pose la même question à Pierre, et ce dernier finit par s’en attrister… Avec quelques variantes, Jésus lui demande : « Pierre, m’aimes-tu ? » En fait, ces trois questions, et ce que Jésus dit à Pierre ensuite, font écho à l’expérience de Pierre en tant que disciple.

Si Jésus demande à Pierre, trois fois, s’il l’aime, c’est probablement en référence aux trois fois où, pendant la Passion de Jésus, Pierre l’a renié. Il lui donne ici l’occasion d’effacer ces trois blessures profondes… L’annonce que Jésus fait ensuite de sa mort en martyr répond à ses paroles, avant que Jésus lui annonce son triple reniement : « Même si je dois mourir avec toi, je ne dirai jamais que je ne te connais pas ! » (Marc 14.31). « Même si je dois mourir avec toi… » C’est bien, finalement, ce qui va lui arriver ! Quant à la dernière parole de Jésus : « Suis-moi », elle fait écho au premier appel qu’il lui avait adressé, au début de son ministère, alors que Pierre était encore un simple pêcheur en Galilée.

Avec ce dialogue, c’est comme si Jésus lui disait : « Allez, on efface tout et on recommence ! »

D’ailleurs, Jésus en profite pour lui confier une mission : prendre soin de son troupeau. Jésus rétablit pleinement Pierre et lui renouvelle sa confiance. Quand le Seigneur pardonne, ce n’est pas sous condition. Il ne dit jamais, contrairement à nous parfois : « je te pardonne mais… »

Alors, certes, Jésus révèle à Pierre la façon dont il va mourir… Mais ça correspond à ce qu’il était prêt à vivre. Il l’avait dit à Jésus. En effaçant son ardoise, et en lui révélant la fin de son histoire, Jésus lui permet de se concentrer sur l’essentiel pour lui désormais : accomplir la mission qui lui est confiée.

Bien sûr, prendre soin du troupeau du Seigneur, c’est l’appel de Pierre. Mourir en martyr, c’est son destin. On ne peut pas sans autre se l’appliquer à soi-même : nous n’avons ni le ministère ni le destin de Pierre…

Mais ne pouvons-nous pas entendre derrière ces paroles de Jésus des principes qui nous concernent tous ? Il me semble qu’il y a bien trois éléments qui concernaient Pierre et qui nous concernent tout autant. Trois éléments clés pour nous aussi, disciples du Christ aujourd’hui, dans l’attente de l’accomplissement de notre espérance, quel que soit notre appel et quel que soit notre destin.

D’abord, aimer le Seigneur

C’est la clé fondamentale de toute vie de disciple de Jésus-Christ. Si je ne l’aime pas, je serai peut-être un adepte de la religion chrétienne, un sympathisant de la cause chrétienne, un partisan des valeurs chrétiennes… mais pas un disciple de Jésus-Christ.

Quel que soit notre cheminement, quoi que nous ayons fait, Jésus nous le demande sans cesse : « m’aimes-tu ? »

Et le véritable disciple du Christ répondra comme Pierre : « Tu sais que je t’aime ». Sans doute pas d’un amour parfait… comme Pierre, nous avons forcément des choses à nous reprocher. « Même si mon amour n’est pas parfait, même si ma vie de disciple n’est pas toujours exemplaire, même si j’ai fait des erreurs et que je ne me suis pas toujours montré fidèle… oui, tu sais que je t’aime. »

Si on se demande à quoi nous sommes appelés, quelle est notre tâche, notre responsabilité, rappelons-nous que tout commence et tout se termine pour nous dans l’amour pour le Seigneur.

Ensuite, se mettre en marche

Il est remarquable de noter que la dernière parole que Jésus adresse personnellement à Pierre est aussi celle qu’il lui a adressé en premier : « Suis-moi ».

Cet appel résume à lui seul le statut du disciple : le disciples de Jésus-Christ est celui qui avance à la suite de son maître. En réalité, c’est une concrétisation de l’amour qu’on lui porte !

Il s’agit donc de se mettre en marche. Si l’amour est le moteur et la repentance ou la conversion le volant qui permet de changer de direction, il faut la foi de lâcher le frein à main pour se mettre à avancer !

Parfois, c’est facile de suivre le Christ. Un peu comme si nous étions sur une pente descendante : il suffit de desserrer le frein et ça avance tout seul. Mais parfois, c’est plus difficile et ça s’apparente plutôt à un démarrage en côte… et ça nous arrive de caler !

Dans notre marche avec le Christ aussi, quand on fait une erreur, on recommence. C’est comme ça qu’on apprend !

Enfin, être prêt à recommencer

La voilà la dernière clé : être prêt à recommencer. On l’a dit, un des buts principaux des paroles de Jésus à Pierre est d’effacer son ardoise, de lui permettre de repartir à zéro.

C’est la démarche de la repentance ou de la conversion. On utilise parfois de façon réductrice ces deux termes. On a tendance à limiter la conversion à l’expérience initiale du chrétien, au moment où consciemment on choisit de devenir croyant. Et on a aussi tendance à comprendre la repentance seulement comme une démarche de contrition et de demande de pardon à Dieu pour tel ou tel péché commis.

En réalité, toute la vie chrétienne est repentance et conversion, du premier au dernier jour. Non pas pour vivre dans une contrition morbide mais pour vivre entièrement de la grâce de Dieu. Nous savons que nous avons toujours à nous laisser transformer par Dieu, que nous avons toujours des ajustements, petits ou grands, à faire dans notre vie pour nous conformer à ce que Dieu attend de nous.

Mais il n’y a rien de morbide là dedans. Bien au contraire. C’est la vie de Dieu qui innonde notre vie, sa grâce qui nous change en profondeur, son projet qui prend forme petit à petit en nous.

Être prêt à recommencer quand il le faut, quitte à repartir à zéro, à laisser notre ardoise être effacée, à corriger la trajectoire de notre vie, voilà une autre clé essentielle de la vie du disciple de Jésus-Christ !

Conclusion

Aimer, se mettre en marche et recommencer. Voilà la vie de disciple de Jésus-Christ. Voilà à quoi nous sommes appelés, quelle que soit notre vocation particulière ou le destin qui nous est promis.

D’abord, aimer le Seigneur. Tout commence et tout se termine pour nous dans l’amour pour le Seigneur.
Ensuite, se mettre en marche. Faire le pari de la foi, de la confiance, prendre le risque de l’espérance.
Enfin, être prêt à recommencer. Sans cesse, vivre de la grâce de Dieu et être prêt à changer de direction s’il le faut.

Comme Pierre avant nous, comme tous les croyants qui nous ont précédé, voilà ce que nous sommes appelés à faire, dans l’attente de l’accomplissement de notre espérance.