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La Bible est un livre extraordinaire, d’une diversité et d’une richesse formidables. Mais ce n’est pas toujours un livre facile à lire. Il nous résiste parfois… et cela même si nous la lisons depuis des années, même si nous avons fait de longues études de théologie et que nous pouvons la lire dans son texte original, en hébreu et en grec !
Bien-sûr, le message central de la Bible est clair. On comprend bien la révélation du Dieu Créateur, son projet de salut pour l’humanité rebelle, sa révélation progressive à travers un homme, Abraham, puis à travers un peuple issu de sa descendance, le peuple d’Israël. On comprend bien le message de la Bonne Nouvelle du salut de Dieu en Jésus-Christ, annoncé par les prophètes, accompli par le Fils de Dieu devenu homme, mort et ressuscité.
Mais reconnaissons que certains textes nous restent encore parfois obscures, difficiles à comprendre. Et la compréhension n’est pas la seule difficulté que nous rencontrons. Il y a aussi la difficulté à vivre et à mettre en pratique ce que nous comprenons…
Cette semaine, nous avons reçu un mail d’un membre de notre Eglise qui nous demandait justement notre avis sur deux textes difficiles de la Bible. Je me suis efforcé de lui donner quelques pistes possibles de réponse… Et puis je me suis pris au jeu et, en réfléchissant à ma prédication, je me suis dit que l’un de ces deux textes pouvait être intéressant pour nous ce matin. Un texte qui n’en a pas l’air au premier abord mais qui est plutôt difficile
Jacques 5.19-20
19 Mes frères et mes sœurs, parmi vous, quelqu’un peut se perdre loin de la vérité, et un frère ou une sœur peut le ramener. 20 Eh bien, vous devez savoir ceci : si une personne ramène un pécheur de la mauvaise route où il se trouve, il le sauve de la mort. Et à cause de cette action, Dieu va pardonner beaucoup de péchés.
Le dernier chapitre de l’épître de Jacques est constitué de différentes exhortations, assez disparates. Elles parlent du rapport aux richesses, de la patience, de la prière, en particulier pour les malades… Et puis il y a notre texte, qui est la conclusion, un peu abrupte, de la lettre. On ne trouve pas, comme à la fin de la plupart des épîtres du Nouveau Testament, une salutation ou une formule de bénédiction. S’est-elle perdue ? Ou est-ce intentionnel de la part de Jacques, pour nous laisser sur une exhortation ultime ? En tout cas, notre texte constitue le point final de l’épître de Jacques telle qu’elle nous est parvenue. Un point final quelque peu énigmatique.
Qu’est-ce qui est difficile dans ce texte ? J’identifie au moins deux difficultés, l’une est théologique, l’autre est pratique.
D’abord, la difficulté théologique. Nous voyons que Jacques parle à des frères et des sœurs. Il s’agit donc bien de chrétiens. Or il parle de personnes qui « se perdent loin de la vérité ». Plus encore, Jacques nous dit que si ces frères ou ces sœurs sont ramenés, ils sont « sauvés de la mort ». Ces expressions ne semblent pas convenir à des chrétiens… Comment un croyant, qui appartient au Seigneur, peut-il s’égarer loin de la vérité ? Et comment peut-il être « sauvé de la mort » ? N’est-il pas déjà sauvé en Jésus-Christ ?
L’autre difficulté, plus pratique cette fois, est dans la façon de vivre ce texte dans l’église. Comment peut-on « ramener un pécheur de la mauvaise route où il se trouve », spécialement si ce pécheur est mon frère ou ma sœur en Christ ? Et surtout comment le faire sans se positionner en juge, sans user d’un discours accusateur ou culpabilisateur ?
Un chrétien peut s’égarer de la vérité
Il faut d’abord comprendre ce que signifie exactement ici l’expression « sauver de la mort », littéralement « sauver son âme de la mort ».
On l’a dit, Jacques s’adresse à des chrétiens. Je ne pense donc pas que l’expression « sauver une âme de la mort » signifie ici simplement « être sauvé ». Quand on prend en compte l’ensemble de la révélation biblique, on comprend que Dieu ne reprend pas ce qu’il donne. J’aime bien dire qu’on ne peut pas « perdre » son salut parce qu’on ne peut pas non plus le « gagner » ! Il ne dépend d’aucun effort de notre part, d’aucun mérite. On le reçoit de Dieu, par grâce. Et Dieu ne reprend pas ce qu’il a donné !
Mais, même sauvé, le chrétien doit encore lutter contre la « mort » qui agit en lui, contre le péché encore présent dans son coeur, contre le « vieil homme » comme dirait l’apôtre Paul. Il ne faut pas croire qu’il suffit de devenir chrétien pour ne plus avoir de combat spirituel à mener dans sa vie. C’est même probablement le contraire ! Des luttes spécifiques commencent avec la conversion. C’est un combat qui accompagne le chrétien, parfois douloureusement, tout au long de sa vie.
Jacques lui-même l’a déjà évoqué, au début de sa lettre :
« Chacun est poussé au mal par son désir mauvais qui l’attire et l’entraîne. Et quand on laisse faire ce désir, il donne naissance au péché. Puis, quand le péché a grandi, il donne naissance à la mort. » (Jacques 1.14-15)
Il est donc tout à fait possible qu’un chrétien s’égare de la vérité, autrement dit qu’il s’éloigne de Dieu. Car il n’y a pas de vérité en dehors de Dieu. D’ailleurs la formulation utilisée par Jacques évoque de manière étonnante la célèbre parole de Jésus affirmant être « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14.6). Jacques aussi parle de vérité, de chemin (ou de route) et de vie (en étant sauvé de la mort).
Mais attention : s’égarer, ce n’est pas seulement commettre tel ou tel péché. Il ne s’agit pas de faire une liste de péchés à ne pas commettre et si on n’a coché aucune case, on est bon ! Commettre le péché, c’est aussi ne pas faire le bien, c’est aussi l’absence, voire le manque, d’amour. Jacques l’a déjà dit : « Celui qui sait faire le bien et ne le fait pas, se rend coupable d’un péché. » (Jacques 4.17)
Pour toutes ces raisons, nous pouvons dire qu’un chrétien peut s’égarer de la vérité. Ca ne veut pas dire qu’il est perdu, mort spirituellement. Mais par son égarement, quel qu’il soit, il laisse le péché agir en lui. Cela a forcément des conséquences spirituelles, ça l’éloigne de Dieu, la source de vie… c’est aussi cela, la mort.
Ramener de l’égarement…
Pour le chrétien, revenir de son égarement, c’est retrouver le chemin de la vie, de la communion avec Dieu. Mais dans notre texte, Jacques ne parle pas seulement des chrétiens qui se seraient égarés et qui reviennent d’eux-mêmes à Dieu. Il parle de chrétiens qui ramènent un de leurs frères ou de leurs sœurs de la mauvaise route où il se trouve. Ne pas le faire semble même s’apparenter à de la non assistance à un frère ou une soeur en danger !
Mais a-t-on le droit de dire à un frère ou une sœur qu’il s’égare ? Et comment être sûr que ce n’est pas nous qui nous égarons en le disant ? Et comment le faire sans que notre démarche soit perçue comme un jugement sur la personne ?
On ne veut pas tomber sous la condamnation de la mise en garde de Jésus, dans le Sermon sur la Montagne : « Ne jugez pas afin de ne pas être jugés ! » (Matthieu 7.1) Une parole à laquelle Jacques fait d’ailleurs référence dans sa lettre :
« Frères et sœurs chrétiens, ne dites pas de mal les uns des autres ! Celui qui dit du mal d’un frère ou d’une sœur, ou qui les juge, dit du mal de la loi et il juge la loi. Et si tu juges la loi, tu n’obéis plus à la loi, tu es son juge. C’est Dieu seul qui donne la loi et qui est juge, lui seul peut sauver et faire mourir. Mais toi qui juges ton prochain, pour qui te prends-tu ? » (Jacques 4.11-12)
Notons que Jacques ne dit rien de la manière de ramener son frère ou sa sœur de son égarement… Or, juste avant, il parlait de la prière. On peut sans doute se dire que la première façon d’accomplir l’exhortation de Jacques, c’est en priant pour notre frère ou notre soeur ! Prier les uns pour les autres, c’est se soucier les uns des autres !
Pour autant, la démarche suggérée par Jacques n’implique-t-elle pas autre chose que la prière seulement ? N’y a-t-il pas aussi quelque chose à dire explicitement parfois ? Nous pouvons penser aux prédicateurs et plus largement, à tous ceux qui se retrouvrent dans une situation où ils sont appelés à transmettre d’une manière ou d’une autre une parole du Seigneur… Quel est le message que nous prêchons ? Pour pouvoir ramener de l’égarement possible, il faut refuser un discours lénifiant, qui arrondit trop les angles, qui fait silence sur les exigences de Dieu et sa sainteté, qui refuse de parler du péché et du besoin, y compris pour le chrétien, de se repentir.
Mais Jacques nous invite sans doute aussi, parfois, à aller plus loin. A dire à notre frère, notre sœur, ce qui ne va pas, à les mettre en garde contre certaines pratiques qui les éloignent de Dieu. Mais attention : gardons toujours à l’esprit le risque de prendre la position du juge de son frère ou sa sœur. C’est à proscrire absolument ! L’Eglise est une communauté de pécheurs pardonnés. Personne ne peut se placer en juge d’autrui. Et si une démarche est entreprise envers un frère ou une sœur, il faut l’accompagner de prière, et faire de preuve de prudence, d’amour, de respect et d’humilité. Il suffit de relire la développement de la lettre de Jacques sur la langue et les dégâts que peuvent provoquer certaines paroles pour s’en convaincre…
Conclusion
Si cette parole de la lettre de Jacques est difficile, autant théologiquement que pratiquement, c’est peut-être parce qu’elle touche à nos luttes intimes, nos combats personnels contre le péché, nos risques de nous égarer loin de Dieu. Aucun chrétien n’y échappe !
Mais la bonne nouvelle, c’est que Dieu est toujours prêt à pardonner. Il nous accueille sans cesse, il ne rejette jamais celui qui revient à lui. C’est aussi ce qui doit nous motiver dans nos prières les uns pour les autres, et dans nos relations.
Finalement, nous avons toujours besoin d’être sauvés de la mort, par Celui qui a vaincu la mort, le Christ ressuscité !