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Florence VANCOILLIE

A propos Florence VANCOILLIE

Pasteur de l'Eglise évangélique libre de Toulouse depuis 2013, membre de la Commission synodale de l'UEEL.

Non à l’esprit de comparaison !

Ce n’est pas vraiment un secret : la pression de la performance règne autour de nous. Dans les études ou le travail, bien sûr : il faut réussir ! Faire plus, mieux, plus vite ! C’est visible aussi dans le sport, avec les dérives qui s’ensuivent. Cette pression, on la retrouve même en famille : on connaît tous (voire on l’expérimente) ces cas où l’un est le bon fils qui répond aux attentes parentales, tandis que l’autre est un raté.

Pour répondre à cette pression de la performance, nous avons différentes stratégies, parmi elles : se rassurer en se comparant aux autres. On compare la taille de nos maisons, de nos voitures, de nos comptes en banque… Ou, plus subtil, on regarde à qui est le plus écolo, le plus sain, le plus connecté… A qui est le plus occupé, celui au week-end exotique et bien rempli ! En particulier quand on manque d’estime de soi ou d’assurance, se comparer (à quelqu’un de moins fort bien sûr) permet de se rebooster rapidement, même si ça ne dure pas longtemps et que ça s’écroule dès qu’on rencontre quelqu’un de plus fort.

Cette stratégie a même fait son chemin dans le domaine spirituel : chacun sait qu’il n’est pas parfait… Mais nous sommes peut-être moins imparfaits que d’autres ! Et cela nous rassure. Je me souviens d’une amie qui se justifiait ainsi : oui, je suis un peu légère dans ma vie de couple, mais au moins je ne suis pas comme Untel qui est opportuniste et colérique.

La question de la performance (et de la comparaison, puisqu’elles vont souvent ensemble) fait ainsi partie des préoccupations hautement spirituelles de Jésus. Il l’aborde dans une parabole que j’aimerais méditer avec vous ce matin. Luc 18.9-14.

La parabole du pharisien & du collecteur d’impôts

9 Jésus dit la parabole suivante à l’intention de ceux qui croyaient faire la volonté de Dieu et méprisaient les autres :

Jésus est entouré de ses disciples et d’une petite foule de gens venus l’écouter. Par sa parabole, il vise ceux qui se persuadent d’être justes aux yeux de Dieu, d’être des gens bien, plus particulièrement en utilisant la stratégie de comparaison… Certains ont l’impression de ne pas en faire assez et se rassurent en se comparant. D’autres se réjouissent de leurs réussites, et cette satisfaction les conduit à regarder de haut les autres, comme s’il y avait des vrais croyants et des demis.

10 « Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était pharisien, l’autre collecteur d’impôts.

Comme dans un début d’une histoire drôle : un Belge et un Français sont en bateau… Jésus ici utilise des types, des stéréotypes, même, pour planter le décor. La scène : un moment de prière en public. Ca pourrait être le culte, pour nous.

Les personnages : un pharisien et un collecteur d’impôts. Les pharisiens sont ces Juifs très pieux qui représentent à l’époque les bons croyants, zélés, intègres, sans compromis ! des purs, des vrais ! Jésus les intéresse, mais trop souvent, sa vision des choses les rebute. Pas étonnant que Jésus les choisisse pour son histoire.

Quant au collecteur d’impôts, même si c’est un travail à peu près honnête (il y a des relents de collaboration avec le pouvoir ennemi quand même), beaucoup d’entre eux baignent dans la corruption, le vol, les pots-de-vin etc. Ils ont la réputation d’être malhonnêtes, débauchés, loin de Dieu.

Qui Jésus mettrait-il dans son histoire aujourd’hui ? Un pasteur et un gérant de boîte de nuit ? Un bon évangélique, membre du conseil, cadre supérieur dans sa boîte, marié, père de famille, sportif… Et un trader, ou un patron de club de foot à la réputation sulfureuse ?  Quels que soient nos stéréotypes, ce  serait en tout cas un bon croyant et quelqu’un qu’on imaginerait pas dans une église…

11 Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “Mon Dieu, je te remercie de ce que je ne suis pas comme tous les autres, qui sont voleurs, mauvais et adultères ; je te remercie de ce que je ne suis pas comme ce collecteur d’impôts. 12 Je jeûne deux jours par semaine et je te donne le dixième de tous mes revenus.”

Là où la loi religieuse juive ne demande que quelques jours de jeûne par an, en signe d’humilité et de repentance, ce pharisien se démène et se prive de nourriture deux fois par semaine : il profite de sauter ces repas pour prier pour son pays. Il donne la dîme de tout, et pas seulement de ce qui est obligatoire. Comme si vous donniez à l’église non seulement 10% de votre salaire, ce qui est déjà beau, mais aussi de la valeur de tous vos biens…

Mais vous voyez le problème, non ? je, je, je… Il a beau commencer sa prière par « ô Dieu, merci pour… », sa prière est centrée sur lui-même ! Pour quelle action divine est-il reconnaissant ? Il ne fait que se flatter lui-même ! Dieu ressemble au miroir de la reine dans Blanche-Neige : Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus juste dans ce royaume ! Dieu a disparu de l’échange, tant le pharisien est obnubilé par sa performance, par l’objectif qu’il a réussi à atteindre. Est-ce qu’il espère une prime ?

Et puis, son piédestal repose sur la supposée noirceur des autres qu’il oppose à sa propre réussite. Si son regard était honnête, il verrait bien que tout n’est pas noir chez les autres, ni tout blanc chez lui… Mais alors s’envolerait sa position favorable !

Lorsque que nos jugements sur d’autres – mouvements, personnes, catégories de population… – deviennent caricaturaux, qu’est-ce que ça cache ?

13 Le collecteur d’impôts, lui, se tenait à distance et n’osait pas même lever les yeux vers le ciel, mais il se frappait la poitrine et disait : “Mon Dieu, prends pitié de moi, qui suis un pécheur.”

L’attitude est radicalement différente. Il reste au fond, il baisse les yeux, se moque du regard des autres mais implore Dieu, par ses mots et ses gestes. Au cœur de sa prière, la demande de pardon. Il renonce à se justifier, à se chercher des excuses. Il a une vision de la justice de Dieu trop haute pour cela. Il mesure l’écart entre Dieu et la réalité de ce qu’il vit. Même s’il fait mieux qu’un autre, il sait qu’il ne sera jamais à la hauteur de Dieu.

Notre pharisien a sûrement rejeté de sa vie les « gros » péchés, ceux qui choquent. Bien sûr, il n’est pas parfait, et il y a toujours des choses pour lesquelles il faut demander pardon à Dieu. Mais globalement, par rapport à avant, ou par rapport à d’autres, ça va ! Ca va ?! En fait, il baisse les exigences de Dieu à sa mesure… Croit-il vraiment que la sainteté à laquelle Dieu nous appelle se résume à jeûner plus et à donner plus ? Qu’elle se monnaie à coup de repas et d’oboles, en heures de prière ou de présence au culte ?

Au lieu de prétendre quoi que ce soit, le collecteur d’impôt renonce à se justifier et en appelle simplement, seulement, à l’amour de Dieu. « Prends pitié de moi Seigneur ! Ecoute l’amour qui es dans tes entrailles, ô Dieu, et accueille-moi dans ta présence… par amour seul, puisque moi je ne mérite rien ! »

14 Je vous le dis, ajouta Jésus, cet homme était reconnu juste aux yeux de Dieu quand il retourna chez lui, mais pas le pharisien. En effet, celui qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »

Dieu accède à la requête du malfrat, il lui pardonne et le déclare juste. L’écart entre Dieu et nous reste désespérément infranchissable. Pourtant, en Jésus, Dieu le franchit : il devient un homme, parfaitement juste, qui ne nous regarde pas du haut de sa sainteté mais vient prendre la place des méchants et des « bons » qui ne sont pas si bons… Plus besoin de nous justifier, c’est sa propre justice que le fils de Dieu nous offre, si nous le croyons. Dieu regarde au cœur, à la foi de ceux qui se tournent vers lui. Il prend chacun pour ce qu’il est, dans sa dynamique et ses problématiques – qui que nous soyons, ce qui compte pour Dieu, c’est de savoir si notre cœur est ouvert ou fermé à lui.

Voilà la beauté de la grâce ! relever celui qui s’est abaissé… Mais la grâce de Dieu va plus loin : celui qui se la jouait, lui, n’obtient rien. Il faut dire qu’il n’a rien demandé, finalement… Puisqu’il tient tant à se justifier, Dieu prend au sérieux ses maigres accomplissements… mais ils ne font pas le poids !

Non à l’esprit de comparaison

Tous les dimanches ou presque, nous chantons la grâce de Dieu en Christ. C’est bien ! Le vivons-nous ? Je vous propose un critère, d’après la parabole : est-ce que notre pharisien intérieur nous a fait glisser vers la comparaison ? est-ce que nous nous rassurons en lorgnant l’herbe moins verte qui est chez le voisin ? Qu’est-ce qui nous aide à tenir debout dans la présence de Dieu ? Nos œuvres, nos réussites, les échecs des autres… ou notre confiance en Christ ?

La comparaison « rassurante » se fraie parfois un chemin dans les églises. On compare le degré d’engagement dans les activités, l’adhésion à une norme, l’intensité des prières ou l’exactitude des connaissances. Ce sont de bonnes choses, mais ce qui nous rend membres de ce corps, c’est la foi, la foi seule en Christ.

Cela arrive aussi, tristement, entre églises: certains ont la vérité (en langage évangéliquement correct : ils défendent la bonne doctrine), sous-entendu : pas les autres. En bons protestants, nous sommes prompts à déclarer « hérétiques » ceux qui comprennent la Bible autrement. Je ne dis pas qu’il n’y a jamais d’erreurs, elles foisonnent au contraire, mais quand nous commençons à nous déclarer « purs », « saints », au détriment des autres, alors nous avons raté la grâce. Nous ne sommes pas sauvés par l’exactitude de notre doctrine ou la pureté de nos comportements (même si j’en conviens, ce sont de belles & bonnes choses à rechercher). Ni parce que nous sommes meilleurs que d’autres. Nous sommes sauvés parce que nous crions au Christ, avec humilité.

Quel regard portons-nous sur les autres ? ce regard est un indicateur de notre attitude envers Dieu. Une fois n’est pas coutume, je vous propose un remède : reprenons conscience de la grandeur de Dieu, de l’écart qui existe entre lui et nous. Reprenons conscience qu’il est le Roi, le Créateur de l’Univers, la Lumière pure et sainte dont le soleil n’est qu’une pâle indication… Reprenons conscience de qui nous sommes : devant celui qui trône avec majesté, bien plus haut que la lune ou le soleil, nous sommes toujours sur terre… Plus ou moins hauts, mais tous, tous, nous avons besoin de la grâce de Dieu. C’est seulement avec cette humilité que nous pourrons recevoir son pardon et que nous pourrons aimer ceux qui nous entourent, sans jugement, librement.

Envoyés par le Christ (Christ est ma vie 4/4)

Nous arrivons au terme de notre campagne de rentrée « Christ est ma vie ». Avec Vincent, nous avons exploré ce que nous sommes en Christ : disciples, en cours de transformation, enracinés par la foi dans la vie d’un Dieu puissant et victorieux. Pour compléter ce tableau des fondements de notre vie, explorons la mission que le Christ nous confie : être ses témoins dans le monde.

Pour cela, je vous invite à nous plonger dans la prière de Jésus avant son arrestation. Après avoir prié pour lui-même, pour avoir la force d’aller au bout de sa mission et d’accomplir la volonté de Dieu, Jésus confie maintenant à Dieu les disciples qu’il laisse derrière lui.

Lecture biblique : Jean 17.9-23 

9 Je te prie pour eux. Je ne prie pas pour le monde [en tout cas, pas maintenant], mais pour ceux que tu m’as confiés, car ils t’appartiennent.

10 Tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi ; et ma gloire se manifeste en eux.

11Je ne suis plus dans le monde, mais eux sont dans le monde ; moi je vais à toi. Père saint, garde-les unis à toi, toi qui es uni à moi, afin qu’ils soient un comme toi et moi nous sommes un.

12Pendant que j’étais avec eux, je les gardais unis à toi, toi qui es uni à moi. Je les ai protégés et aucun d’eux ne s’est perdu, à part celui qui s’en va à sa perte, afin que l’Écriture s’accomplisse. [Jésus fait allusion à Judas, qui l’a trahi et par qui les adversaires de Jésus ont eu les informations pour l’arrêter]

13Mais maintenant je viens à toi et je dis ces choses pendant que je suis encore dans le monde, afin qu’ils aient en eux ma joie, une joie complète.

14Je leur ai donné ta parole, et le monde a de la haine pour eux parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, comme moi je n’appartiens pas au monde.

15Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais.

16Ils n’appartiennent pas au monde, comme moi je n’appartiens pas au monde.

17Fais qu’ils soient entièrement à toi, par le moyen de la vérité ; ta parole est la vérité.

18Comme toi tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde.

19Je m’offre entièrement à toi pour eux, afin qu’eux aussi soient entièrement à toi.

20Je ne prie pas seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui croiront en moi grâce à ce qu’ils diront de moi. [c’est nous !]

21Je prie pour que tous soient un. Père, qu’ils soient unis à nous, comme toi tu es uni à moi et moi à toi. Qu’ils soient un pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé.

22Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un comme toi et moi nous sommes un.

23Je vis en eux, tu vis en moi ; c’est ainsi qu’ils deviendront parfaitement un, afin que le monde reconnaisse que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.

 

La part de Dieu

La prière de Jésus ne s’adresse pas directement à nous, mais elle ouvre une fenêtre sur ce qui se joue du côté de Dieu dans notre vie : le Christ (v.19) se donne entièrement, il donne sa vie, sa justice, son innocence, pour prendre en échange, sur ses épaules, ce qui nous sépare de Dieu. En mourant sur la croix et en ressuscitant, Jésus supprime définitivement tout obstacle entre nous et Dieu. Ainsi, nous appartenons à Dieu, nous faisons partie de ses enfants, de son clan. Et c’est à Dieu le Père, qui devient notre père, que Jésus demande de nous protéger, de nous fortifier, de nous remplir de sa vie/ de son Esprit/ de sa sainteté. Remarquez que nous sommes, nous, concernés par cette prière, couverts par cette prière, une prière qui ne s’est pas arrêtée ce soir-là à Gethsémané mais qui continue, je le crois, dans le ciel aujourd’hui où le Christ vivant continue de nous confier à Dieu.

Cette prière nous révèle que Dieu s’engage pour nous, par l’œuvre du Christ en notre faveur, par le Saint Esprit qui nous inspire de l’intérieur, par le Père qui intervient pour nous conduire et nous protéger. Nous croyons parfois être seuls ? Le Dieu éternel, dans toute sa richesse, s’engage pour nous dans toute sa richesse, à 300%.

Cette prière nous invite aussi à des prises de conscience, et j’aimerais m’arrêter sur certains aspects de la prière du Christ qui touchent à notre mission de témoins.

Envoyés !

Quelles différences voyez-vous entre une balade à vélo et une livraison ? Dans la balade on prend son temps, on explore les chemins de traverse, on fait des pauses… Alors qu’un livreur est concentré sur la tâche à accomplir, il choisit le chemin le plus court, pour arriver à son but. Il est déterminé, orienté. Et il répond à quelqu’un : celui qui l’envoie ! Les cyclistes, tout motivés soient-ils, ne répondent qu’à eux-mêmes. Le livreur, lui, est envoyé, il a une mission à accomplir. C’est ce que dit Jésus : nous sommes envoyés. Nous ne sommes pas des randonneurs qui déposent des cadeaux en passant, comme des petits bouquets ou des jolies montagnes de galets, pour égayer le chemin. Nous sommes des livreurs, les bras chargés de belles et bonnes choses que nous vivons avec Dieu, envoyés pour les offrir à ceux qui nous entourent.

Nous ne sommes pas les premiers à être envoyés (verset) : Jésus nous a précédés. Il a été envoyé sur terre pour proclamer et offrir le pardon de Dieu, sa joie, son amour et sa justice. Il est venu proclamer et offrir la vérité de Dieu dans laquelle nous trouvons notre paix. Jésus a rempli sa mission, mais la mission ne s’arrête pas là. Nous sommes appelés nous aussi à proclamer et offrir la joie, l’amour, la vérité de Dieu, autant que nous le pouvons. Nous ne sommes pas sauveurs du monde comme lui ! Mais nous pouvons être porteurs d’espoir, d’amour, de pardon et de vérité libératrice.

Nous sommes envoyés, c’est-à-dire que nous avons un but, une orientation. Mais où ? Dans le monde ! Dans le monde, au sens du monde qui nous entoure, et qui ne connaît pas forcément le Christ. Jésus ne nous envoie pas dans l’église ! Il ne prie pas pour nos cultes ou nos groupes de partage ! Il nous envoie dehors.

Comprenez-moi bien : l’église est au cœur de la prière de Jésus, l’église est essentielle ! Mais l’église n’est pas une destination. L’église est le peuple qui reprend le flambeau de la mission du Christ : proclamer et offrir l’amour de Dieu, en paroles et en actes.

Cela nous interroge sur notre vision de l’église. Parfois j’entends cette expression : le culte m’a nourri (ou pas !). Que disons-nous ? A quoi sert l’église ? Est-ce que l’église est là pour me nourrir, me réconforter, me faire du bien ? OUI ! mais pas seulement. Pas seulement. La vie d’église, nos cultes, nos temps passés ensemble à nous recentrer sur Dieu, à mieux le connaître et le comprendre, tout cela a pour but de nous équiper pour notre mission dans le monde !

Lorsque nous voyons l’église seulement pour le bien qu’elle nous fait à l’instant T, nous perdons de vue la mission de Dieu, pour laquelle le Christ a donné sa vie. Ce qui compte c’est moi, comment je me sens… Mais quand l’église tourne autour de moi et de mes besoins (seulement), alors nous perdons de vue ceux auprès de qui Jésus nous envoie. Bien plus, nous perdons de vue Dieu lui-même : car le désir profond de Dieu c’est de nous envoyer. Le fruit d’une adoration profonde qui contemple Dieu dans sa gloire éternelle et qui cherche à s’aligner sur sa volonté, ce fruit, c’est de proclamer & offrir la bonne nouvelle de l’amour de Dieu.

J’aime ce mot que les catholiques utilisent pour leur culte : la messe. Je ne suis pas d’accord avec tout, mais le mot est bon : la messe, c’est se ressourcer auprès de Dieu avant de repartir en mission – messe, mission, c’est de la même famille, ça veut dire qu’on est envoyés !

Alors où sommes-nous envoyés, concrètement ? Dans le quotidien ! Dans l’ordinaire de notre vie. Dans notre monde à nous. Tous les lieux, les moments, les relations qui tissent notre quotidien sont des lieux/ des moments/ des relations où nous pouvons proclamer et offrir la bonne nouvelle de l’amour de Dieu par nos paroles et nos actes. Sans rentrer dans le détail, est-ce que vous voyez votre vie comme une chance ? Une chance de bénir les autres au nom de Dieu ? Une chance d’être un encouragement, un exemple, une présence lumineuse et bienfaisante là où vous êtes ?

Si nous sommes envoyés, alors nos amitiés, nos familles, nos lieux de travail et d’engagement, nos voisinages – peu importe que nous les ayons choisis, que nous les trouvions plus ou moins agréables et faciles – ces endroits qui tissent notre monde quotidien sont autant de lieux où la mission du Christ se poursuit à travers nous. Investissons ces lieux ! Prenons du temps pour ceux qui nous entourent, prenons nos tâches à cœur, afin de proclamer et d’offrir, en actes et en paroles, cet extraordinaire amour de Dieu.

Pour notre mission, Jésus insiste sur 2 aspects fondamentaux.

Ressource 1 : l’unité dans l’église

D’une part, l’unité dans l’église. Jésus prie pour que nous soyons un. Ca paraît cohérent ! Comment annoncer un Dieu d’amour si nous nous chamaillons (ou pire) ? Que ce soit des divisions historiques de l’église ou des conflits actuels, nos divisions contredisent notre message. Si l’amour de Dieu que nous proclamons est réel, alors les fruits doivent en être visibles  entre nous, déjà !

Il a pu y avoir de bonnes raisons de se séparer dans l’Eglise historique, mais ces divorces spirituels ne correspondent pas au désir profond de Dieu. Ils témoignent plutôt de notre obstination et de nos dérives, en somme, de notre péché. Qu’il ait fallu le vivre parfois montre cruellement notre incapacité à chercher ensemble ce que Dieu désire, à mettre de côté nos partis pris, nos idées, pour chercher ensemble avec humilité ce que l’Esprit voulait dire.

Ainsi, nos divisions, à portée mondiale ou locale, historiques ou présentes, nos divisions font plus que décrédibiliser notre message. Je me demande si elles n’indiquent pas aussi notre égocentrisme foncier. Notre incapacité, ou refus, de mettre Dieu et ses projets en premier. Car si le Christ, et sa mission, sont si essentiels pour nous, pourquoi irions-nous nous battre sur la durée du culte, le type de chants, l’heure de la réunion de prière ou telle ligne de budget ? Que nous ayons des avis différents, bien sûr, c’est sain ! Mais quand nous acceptons de nous diviser sur des points secondaires, c’est peut-être que malgré nous, nous avons perdu de vue l’essentiel.

Alors nous courons tous le risque de l’égocentrisme foncier, et c’est pour cela que Jésus prend le temps de prier pour notre communion, pour que nous restions unis à lui d’abord, centrés sur lui, et unis à ceux qu’il aime.

Ressource 2 : la Parole mise en pratique 

L’autre point, c’est notre consécration. Que nous soyons enracinés dans la parole divine, façonnés par elle, transformés et orientés par les pensées de Dieu. Ce que nous proclamons et offrons, il est logique de le vivre ! Sinon ça manque de cohérence, le fameux « faites ce que je dis mais pas ce que je fais » ! Mais au-delà de la crédibilité et de la cohérence, il faut aussi que nous ayons vraiment quelque chose à proclamer et à offrir ! De quoi nous remplissons-nous ? Dans le cadre de notre projet d’église, nous avons décidé de mettre l’accent sur notre lecture personnelle de la Bible parce que plus nous connaissons Dieu, plus il nous transforme, plus nous sommes une bénédiction pour notre monde !

Jésus, dans un autre Evangile, utilise l’image du sel, qui assaisonne si bien nos plats : mais si le sel perd sa saveur, à quoi sert-il ? (Mt 5.13-16) Nous sommes appelés à avoir du goût, un goût céleste, un goût qui indique une autre vie possible avec Dieu par Jésus – « nous ne sommes pas du monde ». Mais nous sommes dans le monde, pas dans la salière ! De même que l’adoration de Dieu nous pousse à aimer ceux qui nous entourent, de même la recherche de la sainteté, de la pureté, de la bonté (dans le sens « être bons ») nous pousse à être bénédiction pour ceux qui nous entourent. Nous n’avons pas à opposer la sainteté et la mission : si nous appartenons à Dieu nous accomplirons sa mission ! Mais comment accomplir sa mission si nous ne nous alignons pas sur lui ? Dieu nous appelle à chercher la sainteté, pas pour nous glorifier nous-mêmes ou pour nous extraire de tous les travers de notre monde (et il y en a !), mais pour le glorifier lui ! Et Dieu se glorifie, se réjouit, lorsque nous partons proclamer et offrir son amour et sa vérité, à la suite du Christ. Cette mission comporte de risques, elle est riche de joies et de difficultés aussi, mais c’est pour cela que Jésus prie particulièrement pour que Dieu nous protège. Nous pouvons répondre à son appel avec confiance : Dieu nous accompagne et nous protège.

Conclusion

Christ est notre vie ! Notre vie, c’est le Christ ! Croire en Jésus, devenir disciple, c’est oser le laisser réorienter notre vie, selon sa perspective éternelle d’amour et de vérité. Notre relation avec lui change la donne : par son Esprit, Dieu nous transforme – mais pas pour nous-mêmes ! Pour la gloire de Dieu. Et qu’est-ce qui glorifie Dieu ? C’est de nous voir l’aimer et aimer ceux qu’il aime et veut aimer. C’est de nous voir rechercher ce qui est bon, agréable et parfait, pour nous et pour les autres. Et si nous osons emprunter ce chemin-là, Dieu s’engage, à 300% !

Etre vainqueurs en Christ

« J’ai gagné ! » voilà le cri de victoire qu’on peut entendre à la fin d’une partie de jeu de société ou de pétanque, à la fin d’un match ou d’une course. Tout le monde aime gagner, non ? A tel point que la jubilation qui en ressort paraît souvent disproportionnée par rapport aux enjeux, et on le mesure particulièrement avec ceux qu’on appelle les « mauvais joueurs », qui, eux, s’effondrent à chaque défaite, comme si c’était la fin du monde. Notre soif de victoire se manifeste dans le jeu, le sport, et plus généralement dans la vie. Je ne parle pas de réclamer une coupe chaque soir après une journée bien remplie. Mais nous avons soif, besoin, désir, d’une vie marquée par la réussite : la réussite de nos projets, la capacité à surmonter les obstacles et relever les défis, la certitude d’avoir couru la bonne course/ d’avoir suivi le bon chemin/ d’avoir la bonne place. A quoi ressemblent vos victoires ? Qu’est-ce qui vous fait dire au moment de vous coucher : « oui, aujourd’hui, c’était une bonne journée : j’ai accompli ma tâche, j’ai relevé mes défis, je finis la journée la tête haute » ? Nos victoires, c’est parfois d’avoir été au bout d’une action, d’avoir su éviter des attaques d’autrui, d’avoir persévéré malgré la lassitude et les difficultés, d’avoir triomphé de mauvaises pensées ou de tentations malsaines qui nous entraîneraient, nous le savons, sur une pente glissante. Jour après jour, après mois, après année, quelles sont ces victoires qui conduisent à une vie réussie ?

Dans la Bible, on trouve bien des passages qui nous parlent de victoire. J’en ai choisi un, dans la première lettre de Jean, destinée aux églises.

Lecture biblique : 1 Jean 5.5-13

5Qui donc est vainqueur du monde ? [Précisons le sens de « monde » : le monde, ce n’est pas ici l’espace inter-galactique, mais le monde en tant qu’il est abîmé, détruit, coupé de Dieu ; le monde autour de nous mais aussi en nous : ce qui nous porte au mal, ce qui nous abîme, nous détruit, nous fait perdre et nous coupe de la vie]

5Qui donc est vainqueur du monde ?

C’est seulement celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu.

6C’est lui, Jésus Christ, qui est venu grâce à l’eau et grâce au sang. Il est venu non pas avec l’eau seulement, mais avec l’eau et avec le sang. Et c’est l’Esprit saint qui en témoigne, car l’Esprit est la vérité. 

7Il y a donc trois témoins : 

8l’Esprit saint, l’eau et le sang, et tous les trois sont d’accord. 

9Nous acceptons le témoignage humain ; or, le témoignage de Dieu a bien plus de poids, et son témoignage concernait son Fils.                          

10Ainsi, celui qui croit au Fils de Dieu a accueilli ce témoignage ; mais celui qui ne croit pas Dieu fait de lui un menteur, puisqu’il ne croit pas au témoignage de Dieu concernant son Fils. 

11Et voici ce témoignage : Dieu nous a donné la vie éternelle et cette vie nous est accordée grâce à son Fils. 

12Celui qui a le Fils a cette vie ; celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie.

13Je vous ai écrit cela afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu.

 

Vainqueur par la foi

Jean pose les enjeux : Qui est vainqueur du monde ? qui a remporté la victoire ultime ? Qui a réussi complètement sa vie ? Qui remporte la victoire, la coupe resplendissante qui lui offre joie, sécurité, assurance dans la vie ? Qui se tient droit, quels que soient les obstacles ?

C’est celui qui croit en Jésus. J’explique le raisonnement de Jean, et je reviendrai sur la foi.

A l’époque de Jean, on commence à voir apparaître des personnes qu’on appellera plus tard gnostiques. Ces personnes accordent beaucoup d’importance au ciel, au spirituel, aux idées, mais elles dévalorisent ce qui est matériel. Certains se disent chrétiens et reconnaissent que Jésus est l’envoyé de Dieu, qu’il est Dieu révélé sur terre. Mais elles ne croient pas que Jésus soit vraiment un homme : il serait plutôt un genre d’apparition, ou comme un homme « possédé » par Dieu. Quand les événements deviennent trop chaotiques et indignes (comme la mort sur la croix !), Dieu se retire et reste indemne de ces horreurs bien humaines, bien charnelles. Jésus, vrai Dieu, presque homme.

Jean, qui a bien connu Jésus, argumente au contraire que Jésus était vraiment un homme, et vraiment Dieu. C’est incroyable, impensable, mais c’est ce dont il a été témoin. Et il affirme que c’est bien le même Jésus qui était rempli de Dieu lors de son baptême (dans l’eau) et qui était rempli de Dieu lorsqu’il est mort sur la croix (dans le sang).

Aujourd’hui, on aurait tendance à dire l’inverse : Jésus était un homme, un vrai, apprécié de Dieu, mais pas Dieu lui-même ! Quand même, ça n’a pas de sens, un Créateur qui se fait créature, qui se limite lui-même, qui s’enferme dans une vie humaine et qui endure la mort ? Dans sa biographie de Jésus, Jean, encore une fois, un ami très proche de Jésus, montre comment lui et les disciples ont compris que Jésus était bien les deux : un vrai homme, un humain comme nous, mais aussi Dieu, rempli de sagesse, de pureté, d’amour et de puissance.

Si Jésus n’est pas vraiment un homme, il n’est pas solidaire de nous. Si Jésus n’est pas vraiment Dieu incarné, alors sa mort n’est plus un don, c’est un martyre.

Croire que Jésus est bien le Fils de Dieu, c’est croire que Dieu a porté le poids du monde sur ces épaules, sur cette croix où il est mort : le poids de nos fautes, de nos doutes, de nos dérèglements. Et toutes les biographies de Jésus insistent : il n’est pas resté dans la mort, il n’a pas été écrasé par le poids du monde, mais il en est ressorti vainqueur. Comme un haltérophile de compétition, il a pris le poids le plus lourd, a vacillé sous la charge, mais il a réussi à soulever ce poids pour nous en libérer. Sa victoire, c’est la résurrection : la mort n’a pas pu le retenir, il a été plus juste que nos injustices, plus droit que nos dérèglements, plus fort que nos entraves.

Etre vainqueur en Christ, c’est simplement croire qu’il a vaincu. Cette conviction s’enracine dans les témoignages historiques de ce que Jésus a fait (c’est-à-dire les Evangiles, ces biographies de Jésus) mais elle résulte aussi de l’œuvre du Saint Esprit dans notre cœur qui nous aide à reconnaître que c’est vrai. Jean insiste : c’est une vérité profonde, fondamentale, sur laquelle on peut s’appuyer – aussi bien que 2 et 2 font 4, Dieu a envoyé son Fils pour nous offrir le salut, la victoire, la vie !

Nous sommes vainqueurs par la foi : vainqueurs car Jésus a porté et annulé toutes nos défaites, et nous a associés à sa victoire sur le mal et la mort. Simplement en croyant, nous aussi nous portons cette coupe de victoire. Pour nous, c’est une victoire à mains nues, à mains vides, une victoire sans autre effort que de reconnaître en Jésus notre champion pour pouvoir être intégré dans son équipe.

Vincent parlait la semaine dernière de performance, notre tentation de grandir à la force de nos bras, de pouvoir nous vanter de nos prouesses qui nous accorderaient une place particulière. Mais la victoire, ou le salut, éternelle et ultime, nous ne pouvons pas la réclamer avec nos bras musclés : seul le Christ, dans sa justice et sa sainteté, a pu compenser ce qui déraille dans notre cœur et notre monde. Par la foi seule, nous recevons la victoire, le statut d’enfants de Dieu, l’assurance de vivre auprès de lui pour toujours.

Au quotidien

Cette victoire remportée par Jésus, a été remportée dans sa mort et sa résurrection, mais elle n’est pas encore pleinement visible. Entre la fin de la course et la remise officielle du trophée, il faut attendre un peu. Que se passe-t-il en attendant ?

Celui qui s’associe par la foi au Christ vainqueur, qui se laisse remplir de l’Esprit même de Dieu, cet Esprit de puissance et de résurrection, celui-là voit dans sa vie se manifester dès maintenant la victoire du Christ, comme un témoignage de sa victoire réalisée et un signe de sa victoire à venir. Et on s’imagine que le bon chrétien, celui qui a vraiment la foi, celui qui est vraiment rempli de l’Esprit, ce bon chrétien a tout compris, tout résolu, les bénédictions pleuvent sur lui et ses prières s’exaucent sans délai : rien ne le fait trébucher, rien ne le ralentit. La foi serait comme un laissez-passer.

En réalité, on n’a pas toujours l’impression d’être un gagnant, quand on est chrétien. Nos vies restent remplies de difficultés, de souffrances, de luttes, de péché… Nous ne sommes pas encore complètement à la fin de la course : même si notre champion a déjà remporté la course avec un score imbattable, nous devons continuer à courir, et c’est dur. Regarder au Christ victorieux qui attend le trophée, nous encourage à persévérer. C’est l’espérance : si la mort et la résurrection de Jésus n’ont pas d’impact sur notre monde, à quoi bon ? Si ce n’est pas une promesse pour un monde renouvelé, où enfin la justice et la bonté triompheront, à quoi bon s’acharner ? Non, nous croyons et nous attendons, et nous poursuivons, ce monde où la victoire du Christ sera manifeste et apportera le repos et la joie à ceux qui se reposent sur lui.

Cette assurance nous invite à la persévérance : avancer quoi qu’il arrive. Et cette persévérance est rarement triomphaliste, elle suit plutôt un chemin en forme de croix. Proclamer, et vivre, la victoire du Christ, dans notre vie aujourd’hui, c’est aussi porter sa croix. Les deux vont ensemble : la croix et la résurrection. Dans nos spiritualités, nous allons souvent vers un côté seulement : soit la résurrection (et alors, tout va bien, on est dans Taxi), soit la croix (et rien ne change aujourd’hui, tout est à attendre. Marx, en critiquant la religion comme opium du peuple, avait sûrement raison de dénoncer cette attitude qui justifie les horreurs du présent au nom du bonheur à venir). La croix et la résurrection. La victoire en forme de croix.

Nos victoires ne sont pas de celles qui écrasent, mais qui élèvent. Des victoires qui cherchent à être partagées avec les autres. Des victoires où l’on donne plutôt que d’exiger. A quoi cela peut-il ressembler ? Dans un conflit, nous pouvons prendre exemple sur le Christ qui a tout donné par amour, pour oser ravaler notre orgueil ou descendre de nos grands chevaux : est-ce que l’amour triomphe dans notre vie, dans nos relations ? Ou est-ce que nous restons sur nos vexations, nos principes, notre rang ?

C’est parce qu’on croit au Christ vraiment mort et ressuscité qu’on peut voir sa vie sous un autre angle, dans la lumière d’une victoire assurée. La victoire du Christ encourage le couple qui bat de l’aile à se battre pour se retrouver, même si ça coûte (en temps, en énergie, en compromis voire en argent s’il faut voir un conseiller conjugal). Sa victoire pour la réconciliation et la paix nous pousse à regarder nos ennemis, ceux qui nous blessent, avec moins de peur et plus de respect : celui-là, aussi, Dieu veut l’aimer. Sa victoire pour le bien nous pousse à regarder nos tentations aguicheuses pour ce qu’elles sont vraiment : des pentes glissantes qui nous vident de vie. Les non, les efforts que nous posons, cette croix que nous portons, c’est le chemin qui nous permet de découvrir, vraiment, les fruits de la victoire : alors que nous pensons perdre sur le moment, nous faisons de la place pour que l’amour et la justice du Christ se manifestent dans notre vie.

C’est dans la victoire du Christ crucifié que nous pouvons puiser la force de lui obéir alors que cela nous coûte, l’audace d’emprunter un chemin contre-intuitif, la confiance que nos défaillances ne nous disqualifient pas mais que nous pouvons appuyer sur lui pour reprendre la route. Nous sommes vainqueurs en Christ, simplement par la foi, mais cela nous demande l’humilité, la persévérance et la confiance de savoir que lui nous a déjà tracé un chemin.

Jésus en premier

crcoix chemin

J’entends parfois l’expression : « ah c’est bien qu’il y ait des personnes à temps plein pour le Seigneur » – signifiant : qui soient pasteurs, missionnaires, évangélistes etc. Plus précisément, qui n’ont pas d’autre « métier ». Même si la vocation et l’engagement de ces personnes sont réels, que penser des autres chrétiens ? Les gens normaux : sont-ils à temps partiel pour le Seigneur ? En chacun d’entre nous (les chants le prouvent), il y a le désir de se consacrer pleinement à Dieu, de tout lui donner.

Voyons un peu ce qu’est la position de Jésus à ce sujet.

Lecture biblique : Evangile de Luc, 14.25-33.

25 Une foule de gens faisait route avec Jésus. Il se retourna et dit à tous: 

26 «Celui qui vient à moi doit [haïr] me faire passer avant son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre personne. Sinon, il ne peut pas être mon disciple. 27 Celui qui ne porte pas sa croix pour me suivre ne peut pas être mon disciple. 

28 Si l’un de vous veut construire une tour, il s’assied d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a assez d’argent pour achever le travail. 29 Autrement, s’il pose les fondations sans être en mesure d’achever la tour, tous ceux qui verront cela se mettront à rire de lui 30 en disant: “En voilà un qui a commencé de construire mais qui a été incapable d’achever le travail!”               

31 De même, si un roi veut partir en guerre contre un autre roi, il s’assied d’abord pour examiner s’il peut, avec 10 000 soldats, affronter son adversaire qui marche contre lui avec 20 000 soldats. 32 S’il ne le peut pas, il envoie des messagers à l’autre roi, pendant qu’il est encore loin, pour lui demander ses conditions de paix. 

33 Ainsi donc, ajouta Jésus, aucun de vous ne peut être mon disciple s’il ne renonce pas à tout ce qu’il possède.

 

Jésus avant tout

Les paroles de Jésus ici sont assez dures à entendre. « Celui qui veut me suivre doit me faire passer avant tout : avant ses possessions, avant ses proches, avant lui-même. » Dans certaines traductions plus littérales, on retrouve l’expression provocatrice que Jésus a employée à l’époque : « si quelqu’un vient à moi et ne déteste pas [ses proches], il ne peut pas être mon disciple. » Je vous rassure de suite, c’est bien le même Jésus qui nous invite à aimer les autres ou à prendre soin de nos parents. Il choisit une formule choc pour provoquer, mais derrière la provocation le sens demeure : Jésus veut la première place. Il veut des disciples  à temps plein, qui lui donnent tout – de A à Z.

Pour mieux comprendre ces paroles, Luc nous donne deux indices en introduction : 1) Jésus parle aux foules. Il ne s’adresse pas à ses disciples qui ont déjà fait des choix parfois drastiques pour le suivre, mais il se tourne vers la foule de ceux qui s’intéressent à lui, à ses messages et ses réflexions. Et il clarifie la situation : pour faire partie des proches de Jésus, des disciples, il faut faire un choix. Prendre une décision et se positionner clairement. Jésus ne veut pas de demi-mesure, de « like » façon facebook qui montre l’intérêt mais qui n’engage personne. Il ne veut pas de personnes qui achètent ses bouquins ou  écoutent ses conférences : il veut de l’engagement.

Les exemples qu’il donne viennent souligner le sérieux de la décision à prendre. Si vous voulez refaire votre cuisine, vous prévoyez un budget, vous comparez des devis, vous vérifiez que vous pourrez aller au bout de votre démarche – sinon vous vous retrouvez avec une demi-cuisine ?! Ici c’est pareil pour l’homme qui veut construire une tour. Pour le roi qui part en guerre, c’est la même prudence qui joue : il ne peut pas partir en guerre s’il n’a pas au moins une chance de gagner. Si les chances sont trop faibles, il vaut mieux suivre un plan B. Dans ces exemples, le manque de sérieux conduit à l’absurde ou à la mort.

Si on veut être disciple de Jésus – en d’autres mots, chrétien ! – il faut être sûr de sa décision. Comprendre ce qu’elle implique, la façon dont on va être engagé. Si c’est pour faire les choses à moitié, ce n’est pas la peine.

Vous allez me dire : on n’est jamais aussi sérieux et engagé avec Dieu qu’on le souhaiterait. Oui, c’est vrai ! Mais Jésus ne parle pas ici de nos erreurs de parcours, mais de notre motivation profonde : en invitant Jésus dans notre vie, est-ce qu’on est prêt à lui donner la place qu’il mérite ?

Mais comment Jésus peut-il demander la 1e place dans notre vie ? 2e indice : Jésus est en route. Nous savons qu’il va vers Jérusalem, où l’attendent ses opposants qui ont déjà essayé plusieurs fois de le tuer. Jésus sait qu’il va vers la mort. Il y va avec détermination, parce qu’il sait que quelqu’un doit payer pour ce qui tourne mal dans ce monde. Et devant Dieu, il est prêt à se sacrifier, pour nous. Par amour pour nous.

En fait, son chemin de renoncement remonte à plus loin : selon la Bible, Jésus n’est pas un homme ordinaire qui va mourir en martyr. C’est Dieu en personne, qui devient homme, solidaire des humains, pour porter le poids de nos culpabilités et de nos dérèglements. Pour cela, il renonce à sa position divine pour un temps : il renonce à son pouvoir (il se retrouve limité dans le corps d’un homme, certes plus fort que les autres, mais sans comparaison avec Dieu !), il renonce à sa dignité/ à sa gloire (en passant pour un homme ordinaire, puis, plus tard, en se faisant arrêter comme un malpropre, insulter, torturer, mettre à mort), et il renonce à sa justice (condamné à notre place). En mourant sur la croix, il renoncera même – brièvement mais avec une intensité qui a dû sembler éternelle – il renoncera même à sa communion avec Dieu, avec son Père, pour que nous n’ayons pas à subir les conséquences de notre séparation d’avec Dieu.

Je ne m’appesantis pas sur le fait de porter sa croix : Vincent en parlera la semaine prochaine.

Jésus, Dieu fait homme, fait passer Dieu avant tout, et l’amour de Dieu pour les hommes, avant tout : avant sa puissance, sa dignité, sa justice, sa joie. Et il demande que ses disciples le suivent sur le même chemin, avec le même état d’esprit : faire passer Dieu avant tout. Faire passer celui qui nous révèle Dieu et ne fait qu’un avec lui, avant tout.

Jésus en premier

A la foule indécise, Jésus demande de prendre clairement position par rapport à lui. Rappelons-nous que dans les premiers temps de l’Eglise, ceux qui s’associent à Jésus perdent leur travail, sont désavoués par leur famille, voire persécutés par l’Etat parce qu’ils ont changé de religion. Jésus est conscient des risques. Il ne nous prend pas en traître !

Dans de nombreux pays, encore aujourd’hui, les chrétiens sont persécutés : ils rencontrent mépris, rejet social, désaveu de leur famille, jusqu’à l’arrestation ou la mise à mort (par attentat ou par condamnation). S’engager en connaissance de cause permet de persévérer dans la foi malgré l’opposition.

Mais même sans persécution, suivre Jésus implique des choix parfois drastiques : changer de pratiques, de réseaux, de valeurs… pour être cohérent avec le projet de Dieu.

Est-ce que ça en vaut la peine ? Suivre le Christ a des répercussions extraordinaires sur notre vie : par lui, nous entrons en relation avec Dieu, dans la joie, la paix, la liberté. Nous recevons l’amour débordant de Dieu. Notre vie prend du sens, nous pouvons nous investir dans un projet éternel. Et puis nous vivons avec l’Etre le plus extraordinaire qui soit : certains amoureux sont prêts à tout donner (argent, changer de pays, changer de vie) pour leur bien-aimé(e), et ce n’est qu’un être humain. Quand il s’agit d’avoir Dieu dans sa vie, un Être au caractère incroyable et surprenant, créatif, plein d’amour, vraiment juste et bienfaisant, un Dieu magnifique qui ne cesse de nous émerveiller, le reste pâlit. Jésus sait qu’il nous conduit vers Dieu, qu’il nous conduit vers un trésor inégalé.

Mais ce trésor a un coût : pour Jésus, et pour nous. Lui a tout donné. Nous devons faire de la place pour recevoir ce trésor de la vie avec Dieu. Si vous avez un appartement avec la 2e chambre encombrée de cartons et de vieux meubles, le jour où vous attendez un enfant, vous videz tout pour lui faire de la place, non ? Vous refaites la chambre à neuf ! Vous faites de la place et des efforts, bien petits par rapport à l’enfant qui arrive.

Le coût est visible et élevé dans les contextes où les chrétiens sont rejetés. Mais même nous, qui n’encourons pas forcément les mêmes risques, Jésus nous remet en question. Même nous, disciples de longue date, qui est notre priorité ? Qui a la première place ? Est-ce que c’est Dieu, à travers Jésus, ou est-ce que c’est autre chose ? C’est une question qu’il faut se poser au début de la vie chrétienne, mais aussi, régulièrement, pour faire le point.

Nos biens, nos proches, et même nous, nous ne sommes pas censés avoir la première place dans notre vie. Mais faire passer Dieu avant ses biens paraît puéril et déraisonnable ; avant ses proches, cruel ; et avant soi – suicidaire. Certes, ces choses, ces relations, ces soucis, sont bons en soi. Mais pas pour être au centre. Une image de construction encore : pour construire une maison, vous devez poser des fondations. Si vous n’en mettez pas, la maison sera bancale. Nous avons tous quelque chose en fondation, la question c’est : quoi ? Est-ce qu’on met une porte ? Un mur de placo ? un tableau ? un lit ? Une baignoire ? Toutes ces choses sont importantes et bonnes, juste, elles ne sont pas faites pour être au fondement de notre maison.

Qu’est-ce qui arrive quand on fonde notre vie/ notre identité sur de mauvais fondements ? Imaginez…

  • l’argent à la première place conduit à l’avarice, corruption, vol, tromperie…
  • l’addiction au travail ou aux études : on en arrive parfois à négliger santé, famille, équilibre
  • les loisirs à tout prix (aujourd’hui) : difficile de se reposer, de garder du temps pour l’essentiel, entre netflix et week-ends par-ci par-là
  • soi-même : égoïsme et égocentrisme sont au rendez-vous
  • quand les parents gardent la première place : difficile de créer un nouveau foyer, de se lancer dans une famille, une nouvelle aventure
  • quand le conjoint est au centre : rien d’autre n’existe, les relations autres en pâtissent, on peut se perdre soi-même
  • et les enfants… auront peut-être du mal à perdre leur envol si leurs parents n’ont vécu que pour eux. ils sentiront une culpabilité à vivre leur vie. ou on voit des enfants surprotégés incapables de s’aventurer dans el monde par eux-mêmes, ou encore des enfants qui toute leur vie chercheront à prouver quelque chose à leurs parents.

On sent bien que dans tous ces cas, la priorité est mal placée et conduit à des déséquilibres, même avec de bonnes intentions !

Suivre Jésus nous permet d’entrer en relation avec Dieu. Et cela va bousculer notre relation à nous-mêmes et au monde qui nous entoure. Suivre Jésus, c’est définir son identité autrement : je ne suis plus… fille, épouse, pasteur, passionnée de lecture, méditerranéenne – je suis fille de Dieu ! Le reste demeure, mais ce n’est plus le fondement de ma vie. La maison retrouve son équilibre : le fondement, c’est notre relation avec ce Dieu extraordinaire. Et tout le reste de la maison tient mieux quand les fondations sont les bonnes. Plus nous sommes bien équilibrés, posés sur un fondement solide, plus il sera facile de se lancer dans des choses nouvelles, de prendre des risques, de donner/ s’investir librement & généreusement. Au contraire, quand vous posez votre fondement sur quelque chose d’instable, au moindre mouvement, c’est la chute.

Certes, l’équilibre n’est jamais acquis, mais le chemin vers cet équilibre, Jésus l’indique.

C’est contre-intuitif, mais renverser la perspective en mettant Jésus au centre est le seul moyen pour vivre pleinement la vie de Dieu. Et même, pour vivre pleinement ces bonnes choses qui font la matière de notre quotidien. Car alors nous ne faisons plus porter le poids du sens de notre vie sur telle personne ou telle activité – que se passera-t-il quand cette personne partira, nous décevra, mourra ? quand nous perdrons cette activité ?… – Le seul fondement éternel, c’est Dieu, et c’est sur lui que Jésus nous appelle à fonder notre vie.

Juste l’exemple d’une amie : elle a récemment assumé sa foi alors que sa famille ne croit pas, et son jeune ado lui a demandé : «  Maman, qui tu aimes le plus maintenant, Jésus ou moi ? » Difficile de répondre…:/ En panique, elle a trouvé une réponse qui révèle une vérité qu’elle n’imaginait pas à ce moment-là : « Mon chéri, plus j’aime Jésus, et mieux je t’aime. »

Quand nous mettons Jésus, Dieu, ses projets, au centre de notre vie, ça ressemble à un renoncement et ça peut l’être dans certains cas. Mais c’est aussi la voie pour une vie vraiment abondante. Jésus réclame pour lui, pour Dieu, la première place : parce qu’il sait que nous avons été créés d’abord pour être en relation avec ce Dieu qui nous aime et nous désire dans sa vie.

 

Prière : seigneur tu sais à quoi nous sommes attachés. trop attachés. Tu sais sur quoi nous fondons notre identité, par quels désirs nous orientons notre vie. Mais nous avons soif de la vraie vie, la tienne. Viens nous aider à te mettre au centre.

[Pour aller plus loin : Le Grand Divorce, de C. S. Lewis].

Pourquoi choisir la sagesse?

Rappelez-vous… Dès notre plus jeune âge, on nous a demandé d’être sages. Et c’est ce qu’on continue de demander aux enfants ! Là où l’instinct nous donnait envie de courir, il fallait rester assis pendant 4h. Là où on avait très envie d’une glace, on s’entendait répondre : il est 19h, il ne faut pas gâter ton appétit. Et même en grandissant, nos rêves, nos projets, rencontrent trop souvent la mine dubitative de notre interlocuteur : « oui, ce que tu dis est intéressant, mais… est-ce réaliste ? est-ce approprié vu la situation ? est-ce bien sage ? » Au final, d’expérience, la sagesse semble s’opposer à ce qui nous donne joie, espoir, plaisir.

Pourtant, nous désirons la sagesse. Peut-être pas avec ce mot-là, précisément, mais nous avons soif d’une vie équilibrée, assurée, bonne. Il n’y a qu’à voir le succès des livres de développement personnel sur tous les domaines de la vie, les blogs, et toutes ces belles petites phrases qu’on affiche sur les réseaux sociaux. Certains ont même un désir ardent de trouver le principe de vie qui fera que « ça marche » (pour soi, et/ou pour les autres). On voit par exemple l’engouement pour l’écologie ou la justice sociale notamment chez les jeunes.

Pour beaucoup, la relation à la sagesse est ambivalente, un « je t’aime moi non plus » : oui, on la désire, car une vie sans principe nous laisse vides et blessés. Pourtant, au moment de choisir la sagesse, il y a ce mouvement de recul, comme si dire « oui » à la sagesse, c’était dire « non » à nos intuitions, notre plaisir, nos rêves. C’est même un des ressorts de la tentation : on sait que telle option est mauvaise, mais sur le moment, la bonne voie paraît terne, insipide, frustrante. Ou simplement impossible.

Dans la Bible résonne largement l’appel à être sage, à choisir la sagesse. Notamment dans le livre des Proverbes, qui regorge de conseils pour vivre une bonne vie. Mais avant d’en venir aux conseils, le livre contient une longue introduction qui encourage le lecteur à préférer la sagesse à la folie, en les présentant comme deux femmes entre lesquelles il faut choisir. C’est une image bien sûr ! Je vous propose de lire la description que la Sagesse fait d’elle-même, qui répond entre autres à notre ambivalence.

Lecture biblique Pr 8.22-32 – Bible du Semeur

22 L’Eternel m’a donné naissance |tout au début de son activité

et avant d’entreprendre |les plus anciennes de ses œuvres.

23 Oui j’ai été formée |dès les temps éternels,

bien avant que la terre fût créée.

24 J’ai été enfantée |avant que l’océan existe

et avant que les sources |aient fait jaillir |leurs eaux surabondantes.

25 Avant que les montagnes |aient été établies,

avant que les collines |soient apparues, |j’ai été enfantée.

26 Dieu n’avait pas encore |formé la terre et les campagnes

ni le premier grain de poussière |de l’univers.

27 Moi, j’étais déjà là |quand il fixa le ciel

et qu’il traça un cercle |autour de la surface |du grand abîme.        

28 Et quand il condensa |les nuages d’en haut,

quand il fit jaillir avec force |les sources de l’abîme,

29 et quand il assigna |à la mer des limites

pour que ses eaux |ne les franchissent pas,

quand il détermina |les fondements du monde,

30 je me tenais |bien fermement à ses côtés, me livrant sans cesse aux délices,

et jouant en tout temps | en sa présence.

31 Je jouais sur sa terre |dans le monde habité,

et trouvais mes délices |dans les êtres humains.

32 Maintenant donc, mes fils, |écoutez-moi :

heureux tous ceux qui suivent |les voies que je prescris !

1/ Une autre vision de la sagesse

a/ Une sagesse qui vient de Dieu.

Première affirmation : la sagesse vient de Dieu. La sagesse existe avant nous – le texte insiste suffisamment ! Dans son autoportrait, la sagesse n’hésite pas à évoquer le grand récit de la création qu’on trouve au début de la Bible (Genèse 1) : avant tout, avant la 1e poussière et la 1e étincelle, elle était là, près de Dieu, architecte du monde à venir.

La conséquence, c’est que la sagesse ne naît pas parmi les hommes : ce n’est pas un ensemble de règles culturelles à respecter, ni une éducation, et pas non plus le fruit d’une longue expérience. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’on est âgé qu’on est sage ! Dans sa première excursion de retraités, ma mère a eu l’impression de se retrouver en maternelle tant les gens se chamaillaient pour des bêtises ! On le sait, la sagesse ne vient pas automatiquement. Quant aux règles de notre enfance, toutes ne nous aident pas à avancer dans la vie.

La sagesse de Dieu préside à la création du monde, elle y laisse son empreinte (que les scientifiques par exemple nous aident à mieux voir). Du coup, ce n’est pas un concept flou, un mix des leçons tirées de l’expérience ou des petites phrases entendues ici et là, c’est plutôt une réalité, unique, à trouver, à accueillir, à s’approprier.

b/ Une sagesse joueuse

En passant, le texte en profite pour corriger notre vision de la sagesse. Loin du ton austère et sermonneur d’un vieux chef de clan, loin de la voix douce et égale d’une prof de yoga, la sagesse est aux pieds de Dieu, sur le sol du monde, en train de jouer [diapo]. En train de se régaler (je me livrais aux délices). Cette vision de la sagesse est tellement décalée, qu’elle ne peut qu’être inspirée par Dieu lui-même ! La sagesse joue, s’amuse, elle est délicieuse. Et si vous lisez la suite des Proverbes, vous verrez que la vérité est souvent assaisonnée d’humour. La sagesse ne frustre pas la vie, elle la crée ! Elle la porte ! Elle la fait pétiller !

Joueuse et joyeuse, vivante et vivifiante, dynamique, la sagesse a du caractère ! Et de l’amour : elle fait de l’humanité son plaisir, son projet, sa joie, et elle cherche activement une intimité avec les humains.

c/ Une sagesse à l’image de Dieu

Bien sûr, cette présentation de la Sagesse comme une personne est un artifice littéraire.  La sagesse, c’est d’abord une caractéristique de Dieu lui-même [diapo] : comme lui, elle est préexistante, ordonnée, elle fait vivre. Pourtant, le texte donne l’impression qu’il y a plus. Même certains commentateurs juifs de l’Antiquité disaient qu’il ne fallait pas mettre ce texte entre toutes les mains car on y trouvait des indices de l’intimité de Dieu, une intimité qui nous échappe.

Avec les développements du christianisme, la venue de Jésus parmi les hommes et le don de l’esprit aux croyants, la réflexion s’est précisée. Et plusieurs théologiens se sont demandé si cette sagesse ne pourrait pas évoquer de loin une des personnes de la Trinité : à côté de Dieu le Père, soit le Fils soit l’Esprit.

Si on regarde les textes du Nouveau Testament, on voit que les apôtres Jean et Paul ont très clairement identifié la Sagesse à Dieu le Fils devenu homme, appelé Jésus.

Au commencement, la Parole* existait déjà. La Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu. Au commencement, la Parole était avec Dieu. Par elle, Dieu a fait toutes choses et il n’a rien fait sans elle. En elle, il y a la vie, et la vie est la lumière des êtres humains. (Jean 1.1-4)

* Parole ici, traduit le mot Logos en grec (qui a donné « logique ») et qui évoque la parole qui sait, qui s’exprime avec intelligence et sens – c’est le mot grec que Jean trouvait le plus proche de l’idée de la Sagesse.

Le Christ est l’image du Dieu qu’on ne peut voir. Il est le Fils premier-né au-dessus de toutes les choses créées. En effet, c’est en lui que Dieu a tout créé dans les cieux et sur la terre. (Colossiens 1.15-16)

Dans ces deux textes, on sent que Proverbes 8 n’est pas très loin.

Évidemment, la sagesse est présente en Dieu tout entier, Père Fils et Saint Esprit. Mais c’est peut-être Jésus qui nous révèle davantage la sagesse divine. Pour faire une comparaison : quand des parents donnent à manger à leurs enfants, même un seul des deux a cuisiné, les deux ont œuvré pour que les enfants soient nourris (par leur travail, les courses, la cuisine, la vaisselle etc.). Mais celui des deux qui cuisine incarne pour les enfants celui qui nourrit.

Jésus, incarnation de la sagesse divine. J’ai rencontré l’an dernier un pasteur qui racontait sa conversion en deux temps. Vers 18 ans, pour décourager un collègue dont il trouvait la foi naïve, cet homme s’est mis à lire les Evangiles, la vie de Jésus. Il a été percuté par la sagesse du Christ, et – sans croire – il s’est plongé dans les Evangiles jusqu’à les connaître presque par cœur. Quand il y avait un souci à régler au travail, dans l’équipe, il se demandait : qu’est-ce qu’il ferait Jésus ? Et il cherchait dans les Evangiles. Plus d’un an après, il a pris conscience que si Jésus disait vrai sur l’homme, alors il disait sûrement aussi la vérité quand il parlait de lui-même comme sauveur, et il a fait le pas de la foi.

Au-delà de la sagesse reconnue de Jésus, le croyant voit en lui le comble de la sagesse de Dieu : une sagesse qui n’est pas de notre monde. Lorsque les humains peinent à se tourner vers Dieu, c’est Dieu lui-même qui devient un homme pour les rejoindre. Encore plus, il vient subir les conséquences de toutes les offenses, les injustices, les coups que nous avons portés à Dieu. C’est bien le Christ qui révèle un Dieu prêt à tout pour nous permettre de vivre avec lui, dans les délices de sa présence.

2/ Choisir la vie 

Il n’y a pas vraiment de suspense… Le but de ce texte, c’est de nous inviter à choisir la sagesse. Vous vous doutiez bien que je n’allais pas conclure le contraire ! Mais avec quelle représentation de la sagesse ? Et surtout, derrière cette représentation, quelle motivation ?

Fondamentalement, dans la Bible, il ne s’agit pas de se conformer à un code social pour ne pas faire de vagues (que ce soit à l’église, en famille, dans notre équipe, avec les copains du collège…). Ni pour faire plaisir à nos parents et obtenir leur approbation (qui sont peut-être eux-mêmes à l’église). Ni non plus par peur de Dieu et de son regard sur nous, comme s’il guettait notre prochaine chute pour pouvoir nous dire : [agiter index] « je te l’avais dit ! ». La sagesse n’est pas là pour nous brimer, nous frustrer, nous sermonner. Elle n’est pas là pour nous faire rentrer dans un conformisme.

Dans ce texte, la sagesse a les yeux qui pétillent de joie et de grâce. Les principes qu’elle propose, c’est le mode d’emploi du monde, celui qui permet de vivre vraiment. Avec un nouvel appareil d’électroménager par exemple, on a tous pesté de ne pas avoir le mode d’emploi dans un vrai français… Le mode d’emploi donne un cadre, oui, des principes, mais c’est pour optimiser l’utilisation, pas pour la rendre désagréable.

En cette rentrée, après la pause de l’été, alors que les activités et les défis reviennent, ce texte nous invite à rechercher toujours plus la sagesse de Dieu. Même quand la démarche de sagesse nous paraît difficile ou contre-intuitive, rappelons-nous que nous n’avons pas à nous en méfier : c’est la sagesse qu’incarne le Christ, une sagesse bonne et belle, réfléchie et joyeuse, une sagesse pleine de grâce qui n’a qu’un but – que nous puissions vivre vraiment, en partageant les délices de Dieu.

Prière : ta sagesse est la vérité, conduis-nous toujours dans la vérité de ta sagesse. Que ta parole donne sens à notre vie – aide-nous à la désirer et à nous en emparer.