Non à l’esprit de comparaison !

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Ce n’est pas vraiment un secret : la pression de la performance règne autour de nous. Dans les études ou le travail, bien sûr : il faut réussir ! Faire plus, mieux, plus vite ! C’est visible aussi dans le sport, avec les dérives qui s’ensuivent. Cette pression, on la retrouve même en famille : on connaît tous (voire on l’expérimente) ces cas où l’un est le bon fils qui répond aux attentes parentales, tandis que l’autre est un raté.

Pour répondre à cette pression de la performance, nous avons différentes stratégies, parmi elles : se rassurer en se comparant aux autres. On compare la taille de nos maisons, de nos voitures, de nos comptes en banque… Ou, plus subtil, on regarde à qui est le plus écolo, le plus sain, le plus connecté… A qui est le plus occupé, celui au week-end exotique et bien rempli ! En particulier quand on manque d’estime de soi ou d’assurance, se comparer (à quelqu’un de moins fort bien sûr) permet de se rebooster rapidement, même si ça ne dure pas longtemps et que ça s’écroule dès qu’on rencontre quelqu’un de plus fort.

Cette stratégie a même fait son chemin dans le domaine spirituel : chacun sait qu’il n’est pas parfait… Mais nous sommes peut-être moins imparfaits que d’autres ! Et cela nous rassure. Je me souviens d’une amie qui se justifiait ainsi : oui, je suis un peu légère dans ma vie de couple, mais au moins je ne suis pas comme Untel qui est opportuniste et colérique.

La question de la performance (et de la comparaison, puisqu’elles vont souvent ensemble) fait ainsi partie des préoccupations hautement spirituelles de Jésus. Il l’aborde dans une parabole que j’aimerais méditer avec vous ce matin. Luc 18.9-14.

La parabole du pharisien & du collecteur d’impôts

9 Jésus dit la parabole suivante à l’intention de ceux qui croyaient faire la volonté de Dieu et méprisaient les autres :

Jésus est entouré de ses disciples et d’une petite foule de gens venus l’écouter. Par sa parabole, il vise ceux qui se persuadent d’être justes aux yeux de Dieu, d’être des gens bien, plus particulièrement en utilisant la stratégie de comparaison… Certains ont l’impression de ne pas en faire assez et se rassurent en se comparant. D’autres se réjouissent de leurs réussites, et cette satisfaction les conduit à regarder de haut les autres, comme s’il y avait des vrais croyants et des demis.

10 « Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était pharisien, l’autre collecteur d’impôts.

Comme dans un début d’une histoire drôle : un Belge et un Français sont en bateau… Jésus ici utilise des types, des stéréotypes, même, pour planter le décor. La scène : un moment de prière en public. Ca pourrait être le culte, pour nous.

Les personnages : un pharisien et un collecteur d’impôts. Les pharisiens sont ces Juifs très pieux qui représentent à l’époque les bons croyants, zélés, intègres, sans compromis ! des purs, des vrais ! Jésus les intéresse, mais trop souvent, sa vision des choses les rebute. Pas étonnant que Jésus les choisisse pour son histoire.

Quant au collecteur d’impôts, même si c’est un travail à peu près honnête (il y a des relents de collaboration avec le pouvoir ennemi quand même), beaucoup d’entre eux baignent dans la corruption, le vol, les pots-de-vin etc. Ils ont la réputation d’être malhonnêtes, débauchés, loin de Dieu.

Qui Jésus mettrait-il dans son histoire aujourd’hui ? Un pasteur et un gérant de boîte de nuit ? Un bon évangélique, membre du conseil, cadre supérieur dans sa boîte, marié, père de famille, sportif… Et un trader, ou un patron de club de foot à la réputation sulfureuse ?  Quels que soient nos stéréotypes, ce  serait en tout cas un bon croyant et quelqu’un qu’on imaginerait pas dans une église…

11 Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “Mon Dieu, je te remercie de ce que je ne suis pas comme tous les autres, qui sont voleurs, mauvais et adultères ; je te remercie de ce que je ne suis pas comme ce collecteur d’impôts. 12 Je jeûne deux jours par semaine et je te donne le dixième de tous mes revenus.”

Là où la loi religieuse juive ne demande que quelques jours de jeûne par an, en signe d’humilité et de repentance, ce pharisien se démène et se prive de nourriture deux fois par semaine : il profite de sauter ces repas pour prier pour son pays. Il donne la dîme de tout, et pas seulement de ce qui est obligatoire. Comme si vous donniez à l’église non seulement 10% de votre salaire, ce qui est déjà beau, mais aussi de la valeur de tous vos biens…

Mais vous voyez le problème, non ? je, je, je… Il a beau commencer sa prière par « ô Dieu, merci pour… », sa prière est centrée sur lui-même ! Pour quelle action divine est-il reconnaissant ? Il ne fait que se flatter lui-même ! Dieu ressemble au miroir de la reine dans Blanche-Neige : Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus juste dans ce royaume ! Dieu a disparu de l’échange, tant le pharisien est obnubilé par sa performance, par l’objectif qu’il a réussi à atteindre. Est-ce qu’il espère une prime ?

Et puis, son piédestal repose sur la supposée noirceur des autres qu’il oppose à sa propre réussite. Si son regard était honnête, il verrait bien que tout n’est pas noir chez les autres, ni tout blanc chez lui… Mais alors s’envolerait sa position favorable !

Lorsque que nos jugements sur d’autres – mouvements, personnes, catégories de population… – deviennent caricaturaux, qu’est-ce que ça cache ?

13 Le collecteur d’impôts, lui, se tenait à distance et n’osait pas même lever les yeux vers le ciel, mais il se frappait la poitrine et disait : “Mon Dieu, prends pitié de moi, qui suis un pécheur.”

L’attitude est radicalement différente. Il reste au fond, il baisse les yeux, se moque du regard des autres mais implore Dieu, par ses mots et ses gestes. Au cœur de sa prière, la demande de pardon. Il renonce à se justifier, à se chercher des excuses. Il a une vision de la justice de Dieu trop haute pour cela. Il mesure l’écart entre Dieu et la réalité de ce qu’il vit. Même s’il fait mieux qu’un autre, il sait qu’il ne sera jamais à la hauteur de Dieu.

Notre pharisien a sûrement rejeté de sa vie les « gros » péchés, ceux qui choquent. Bien sûr, il n’est pas parfait, et il y a toujours des choses pour lesquelles il faut demander pardon à Dieu. Mais globalement, par rapport à avant, ou par rapport à d’autres, ça va ! Ca va ?! En fait, il baisse les exigences de Dieu à sa mesure… Croit-il vraiment que la sainteté à laquelle Dieu nous appelle se résume à jeûner plus et à donner plus ? Qu’elle se monnaie à coup de repas et d’oboles, en heures de prière ou de présence au culte ?

Au lieu de prétendre quoi que ce soit, le collecteur d’impôt renonce à se justifier et en appelle simplement, seulement, à l’amour de Dieu. « Prends pitié de moi Seigneur ! Ecoute l’amour qui es dans tes entrailles, ô Dieu, et accueille-moi dans ta présence… par amour seul, puisque moi je ne mérite rien ! »

14 Je vous le dis, ajouta Jésus, cet homme était reconnu juste aux yeux de Dieu quand il retourna chez lui, mais pas le pharisien. En effet, celui qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »

Dieu accède à la requête du malfrat, il lui pardonne et le déclare juste. L’écart entre Dieu et nous reste désespérément infranchissable. Pourtant, en Jésus, Dieu le franchit : il devient un homme, parfaitement juste, qui ne nous regarde pas du haut de sa sainteté mais vient prendre la place des méchants et des « bons » qui ne sont pas si bons… Plus besoin de nous justifier, c’est sa propre justice que le fils de Dieu nous offre, si nous le croyons. Dieu regarde au cœur, à la foi de ceux qui se tournent vers lui. Il prend chacun pour ce qu’il est, dans sa dynamique et ses problématiques – qui que nous soyons, ce qui compte pour Dieu, c’est de savoir si notre cœur est ouvert ou fermé à lui.

Voilà la beauté de la grâce ! relever celui qui s’est abaissé… Mais la grâce de Dieu va plus loin : celui qui se la jouait, lui, n’obtient rien. Il faut dire qu’il n’a rien demandé, finalement… Puisqu’il tient tant à se justifier, Dieu prend au sérieux ses maigres accomplissements… mais ils ne font pas le poids !

Non à l’esprit de comparaison

Tous les dimanches ou presque, nous chantons la grâce de Dieu en Christ. C’est bien ! Le vivons-nous ? Je vous propose un critère, d’après la parabole : est-ce que notre pharisien intérieur nous a fait glisser vers la comparaison ? est-ce que nous nous rassurons en lorgnant l’herbe moins verte qui est chez le voisin ? Qu’est-ce qui nous aide à tenir debout dans la présence de Dieu ? Nos œuvres, nos réussites, les échecs des autres… ou notre confiance en Christ ?

La comparaison « rassurante » se fraie parfois un chemin dans les églises. On compare le degré d’engagement dans les activités, l’adhésion à une norme, l’intensité des prières ou l’exactitude des connaissances. Ce sont de bonnes choses, mais ce qui nous rend membres de ce corps, c’est la foi, la foi seule en Christ.

Cela arrive aussi, tristement, entre églises: certains ont la vérité (en langage évangéliquement correct : ils défendent la bonne doctrine), sous-entendu : pas les autres. En bons protestants, nous sommes prompts à déclarer « hérétiques » ceux qui comprennent la Bible autrement. Je ne dis pas qu’il n’y a jamais d’erreurs, elles foisonnent au contraire, mais quand nous commençons à nous déclarer « purs », « saints », au détriment des autres, alors nous avons raté la grâce. Nous ne sommes pas sauvés par l’exactitude de notre doctrine ou la pureté de nos comportements (même si j’en conviens, ce sont de belles & bonnes choses à rechercher). Ni parce que nous sommes meilleurs que d’autres. Nous sommes sauvés parce que nous crions au Christ, avec humilité.

Quel regard portons-nous sur les autres ? ce regard est un indicateur de notre attitude envers Dieu. Une fois n’est pas coutume, je vous propose un remède : reprenons conscience de la grandeur de Dieu, de l’écart qui existe entre lui et nous. Reprenons conscience qu’il est le Roi, le Créateur de l’Univers, la Lumière pure et sainte dont le soleil n’est qu’une pâle indication… Reprenons conscience de qui nous sommes : devant celui qui trône avec majesté, bien plus haut que la lune ou le soleil, nous sommes toujours sur terre… Plus ou moins hauts, mais tous, tous, nous avons besoin de la grâce de Dieu. C’est seulement avec cette humilité que nous pourrons recevoir son pardon et que nous pourrons aimer ceux qui nous entourent, sans jugement, librement.

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