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Florence VANCOILLIE

A propos Florence VANCOILLIE

Pasteur de l'Eglise évangélique libre de Toulouse depuis 2013, membre de la Commission synodale de l'UEEL.

La Croix: une folie!

Regarder la prédication en vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=JuaASAonr1Q

Il n’est pas toujours facile d’assumer sa foi devant les autres. Même dans un cadre privé et relativement bienveillant, avec des amis par exemple, notre foi paraît tellement décalée que nous pouvons être dans l’embarras pour décrire, expliquer, notre foi. On est gênés !

Il y a du surnaturel dans ce que nous croyons, qui s’entrechoque avec un discours ambiant censé être logique. Je dis « censé » parce que nombre de nos contemporains, sous un vernis rationnel, ont en réalité des convictions non rationnelles – le nombre de personnes qui consultent des voyants, qui croient dans les lois de l’attraction ou dans le karma, qui croient aux esprits… est impressionnant !

Cela dit, quand j’étais jeune , étudiante, le nombre de fois qu’on m’a dit : « je ne crois pas en Dieu, je suis trop cartésien ! » ce qui sous-entendait quoi ? Qu’il fallait être stupide pour croire ? Accessoirement, on fait difficilement plus cartésien que Descartes lui-même – et Descartes était profondément croyant !

D’autres me disaient : « ah non, moi je n’ai pas besoin de cette béquille, je m’en sors tout seul » là encore, c’est agréable à entendre : celui qui croit est un faible ? un nul, quoi !

Alors devant ces réactions, et toute leur déclinaison, on peut être tenté de simplement taire notre foi, pour éviter les problèmes, ou de rendre notre foi acceptable, de relativiser ce qui choque et d’interpréter autrement.

Cet embarras, et les tentations qui vont avec, nous ne sommes pas les premiers à le ressentir. Déjà les premières générations de chrétiens, très vite après la mort de Jésus (au 1er s.), se sentent en décalage avec le discours ambiant. C’est le cas dans l’église de Corinthe, ville grecque et cosmopolite, où l’Evangile s’écarte à la fois du discours juif, et de la mentalité grecque, très marquée par la philosophie et la recherche du rationnel.

L’apôtre Paul, au début de sa première lettre aux Corinthiens, prend le temps d’aborder le côté embarrassant de l’Evangile.

Lecture biblique : 1 Corinthiens 1.18-25 (TOB)

18 La parole de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu.

19 Car il est écrit (chez le prophète Esaïe) :

Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents.

20 Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ?

21 En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication [de la croix] que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient.

22 Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; 23 mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, 24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.

25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

 

Un non-sens      

Dans l’église de Corinthe, on apprend par la lettre que beaucoup sont en prise avec l’orgueil, et cherchent toujours à faire mieux, à avoir plus d’influence, à aller plus loin ! Ca pose un certain nombre de problèmes dans l’église, que Paul va aborder, mais le principe de toutes ses réponses est ici : il faut revenir à la base, à la Croix, toujours à la Croix.

La Croix est non négociable, pour le chrétien, même si elle est embarrassante. Paul insiste, presque avec délectation : la Croix est une folie.

[v.18-20] Il commence par affirmer que la Croix va à contre-courant de la sagesse humaine. La Croix, ici, c’est bien sûr l’événement de la mort du Christ mis en croix par les Romains, mais c’est aussi toute la démarche de l’abaissement du Fils de Dieu qui se fait homme, plus bas que les hommes, pour relever l’humanité. Dès Noël, Dieu s’abaisse pour nous rejoindre.

En gros, le moyen pour accepter la Croix, c’est la foi. Si on en reste seulement à la spéculation intellectuelle, cette « théorie » est trop choquante pour être acceptée.

[v.22-23] La Croix est choquante parce qu’elle va à contre-courant de ce que nous attendons. Paul mentionne alors les deux grandes catégories de gens qu’il connaît bien : les Juifs, et les non-Juifs qui sont de mentalité grecque. Ces deux mentalités correspondent assez bien à deux systèmes de valeur courants.

D’un côté, les Juifs, qui réclament des signes miraculeux – on le voit à plusieurs reprises dans les Evangiles. Ils veulent de la puissance ! Du pouvoir ! Des gestes forts, quelqu’un qui impressionne ! Un leader ! Leur Dieu, créateur, tout-puissant, saint, est un Dieu majestueux ! Pour croire en Jésus, il leur faut cette puissance. Même aujourd’hui, on retrouve cette attente de l’homme fort, celui qui impressionne, celui qui fascine et fait vibrer, qui nous fait vivre des expériences… parfois jusqu’au gourou !

De l’autre côté, les Grecs réclament logique, sagesse, rigueur et esprit mathématique. On veut du rationnel ! Là aussi, c’est aujourd’hui très prégnant !

Or l’événement de la Croix évite toutes ces attentes.

Même si Jésus a fait des miracles, il meurt comme le dernier des perdants. Pour nous, la croix c’est un bijou ou un signe plus ou moins esthétique, mais il y a 2000 ans, la croix c’est une guillotine, c’est la honte totale. Pour un Juif de l’époque, mourir sur le bois, c’est le signe de la condamnation divine – comment un Sauveur pourrait-il être maudit ?

Pour les Grecs aussi, la croix, c’est le châtiment qu’on n’infligerait jamais aux citoyens, le plus humiliant, comme si on avait jeté Jésus dans une déchèterie. Comment un Dieu qui se respecte pourrait-il, non seulement devenir créature, mais en plus accepter cette humiliation ? Ca n’a aucun sens !! C’est fou ! La source de vie qui endure la mort ! Non, c’est inacceptable !

Entre parenthèses, les difficultés à adhérer à la folie de la Croix chez les Juifs et les Grecs, attestent que l’Evangile n’est pas un message plaisant pour l’être humain. Si c’était une invention humaine, pourquoi aller inventer quelque chose qui choque autant ? Et on n’a pas parlé de la résurrection, du rejet du racisme ou de la fraternité entre maîtres & esclaves… L’Evangile n’a pas les ingrédients pour être populaire à son époque.

La folie de Dieu

[24-25] Et Paul n’essaie pas de justifier. Il accepte. Oui, c’est fou ! C’est incompréhensible ! La Croix va à l’encontre de tous nos réflexes, de toutes nos théories, de tous nos systèmes. Nous éprouvons, durement, notre nullité personnelle, nos hontes, et tout ce qui nous déforme : la réponse de Dieu n’est pas de donner des clefs pour nous optimiser ou nous améliorer, dans le but que nous devenions une bonne personne – il devient un homme comme nous, en Jésus, pour les porter, et il en meurt, de nos hontes et de nos nullités.

Alors ça n’a pas de sens, ou plutôt ça dépasse nos sens, mais c’est la seule chose qui marche. Que Dieu fait homme, vienne prendre nos travers sur ses épaules, pour nous en délivrer.

D’ailleurs, quand est-ce que la loi de plus fort nous a libérés du mal ? de la mort ? quand est-ce que l’intensité d’une expérience nous a fait devenir meilleurs ? Malgré nos bonnes résolutions, nous retombons dans nos travers… Quand est-ce que les théories et les philosophies ont changé le réel – pas notre point de vue ! le réel ? Paul souligne même que nos théories ne nous ont pas permis de comprendre Dieu, de le rejoindre (au v.21), ce qui est un signe de sagesse divine, car on se serait encore enorgueilli d’avoir trouvé Dieu – comme si c’était possible d’atteindre le Tout-Puissant, avec nos petits bras et nos petites idées, si celui-ci ne se révélait pas à nous !

Dieu vient à nous dans la folie de la Croix parce que nous sommes dans une situation insensée : les enfants que Dieu a créés ont fugué ! Ils vivent sans penser à lui, dilapidant des biens sans se demander d’où ils viennent, étourdis par un tourbillon d’activités, par l’illusion d’une vie réussie sans connexion à celui qui les fait vivre, enclins à blesser ceux qui les entourent, par égoïsme ou par ignorance. Il faut un acte fou pour renverser la folie de nos situations, pour rétablir la connexion avec Dieu.

Pour déchirer la mort et la vaincre, il fallait que le Vivant lutte avec elle. Pour anéantir le mal sans anéantir ceux qui le commettent (c’est nous !), pour pardonner tout en restant juste, seul le Sage qui déborde nos petits cadres logiques pouvait trouver une solution efficace. Pour payer les dommages & intérêts aux victimes sans faire payer le coupable, le Juge a préféré endurer lui-même la peine de mort, même si c’est la pire des humiliations et la pire des souffrances.

Oui, la Croix paraît faible et folle, mais c’est un acte de victoire – le Christ a triomphé du mal – et la meilleure solution à nos problèmes humains : Dieu plonge dans la boue pour nous rejoindre et nous en sortir. Par la foi, peu importe l’arrière-plan spirituel ou philosophique (juifs et grecs), par la foi nous pouvons saisir cette réalité.

 Un amour fou

Derrière la folie de la Croix, ce qui émerge, c’est la folie de l’amour de Dieu pour nous. Oui, Dieu éprouve pour nous un amour fou.

Le Dieu qui s’abaisse pour nous rejoindre est un Dieu qui nous choque parce qu’il agit avec passion. On est prêts à entendre que Dieu est amour, même dans la société, oui, mais on imagine plutôt un Dieu qui aime poliment, un Dieu convenable, bien élevé, un Dieu serein qui nous regarde avec bienveillance depuis son trône, avec un petit sourire qui n’engage à rien. Un Dieu raisonnable ! Mais ce Dieu-là ne nous donne pas d’espoir… Il nous sourit mais ne nous tend pas la main.

Or nous avons besoin d’un Dieu « fou », peut-être pas souriant ou paisible, mais qui descend de son trône pour nous rejoindre dans la boue. Imaginez un père dont l’enfant n’est pas rentré cette nuit : il n’est pas beau, ni souriant, ni paisible. Il a des cernes, les traits tirés, mal au ventre, il fait le tour du quartier, il harcèle les amis de son enfant pour en savoir plus. La croix nous dit que Dieu ressemble à ce père-là, qui nous aime à la folie.

Assumer le scandale de la Croix

Pour les Corinthiens ou pour nos contemporains, tentés par des systèmes de sagesse sophistiquée ou par la recherche de démonstrations impressionnantes, la démarche de Dieu en Christ, sur la croix, est difficile à assumer. Mais notre embarras, il faut le supporter ! Nous n’avons pas d’autre solution – si nous arrangeons la Croix pour la rendre plus acceptable, pour faire de Jésus un simple témoin persécuté de la justice par exemple, ce n’est plus Dieu qui nous sauve, c’est un prophète admirable, mais en rien la preuve de l’amour de Dieu pour nous.

Ne nous laissons pas impressionner par les réactions parfois méprisantes et qui se veulent plus « logiques »… Ce qui serait fou, c’est de croire que l’être humain a tout compris  et que Dieu devrait se conformer à nos critères, rentrer dans nos systèmes… Mais Dieu est tellement plus grand ! sa logique dépasse, déborde, parfois dérange la nôtre : Il n’est pas « comme nous mais en plus grand », il est autre. Heureusement, sinon d’où viendrait l’aide pour sauver notre monde ?

Alors, oui, il faut faire des efforts pour expliquer le plus clairement possible notre foi, faire des efforts pour viser la cohérence et la crédibilité – et Paul l’a fait ! – mais le cœur de la Croix restera toujours une folie qu’on ne peut pas complètement justifier, expliquer, rationaliser, et qui oblige chacun à se positionner : est-ce une folie / un non-sens ? Ou est-ce une folie qui sauve ? Est-ce une folie qu’on rejette, ou une folie qu’on accueille comme on accueille une déclaration d’amour passionnée ?

Nourrir notre espérance

Dans cette période de crise, une des difficultés, c’est le manque – de différentes choses ! Pour certains un manque financier dû à une perte d’emploi, pour d’autres le manque de relations sociales, pour d’autres encore le manque d’activités ressourçantes (sport, culture). Ou encore le manque de projets pour dessiner l’avenir. Même ceux qui sont très occupés manquent – de relations informelles avec les collègues, de liberté de déplacement (18h c’est tôt !), de voir la famille ou les amis sans crainte. Et on en souffre aussi en église : les petits groupes, les repas d’église, l’hospitalité, et au-delà, la chaleur et la fluidité des relations nous manquent ! tout comme la possibilité de nous projeter, la clarté sur la ligne à suivre, nous manquent !

Dans ce contexte de privation et de frustration, j’aimerais vous parler ce matin… du jeûne ! oui, oui, le jeûne !  cette privation supplémentaire… mais volontaire ! Le jeûne, c’est la privation volontaire de nourriture – partielle (comme p. ex. ce qu’on appelle le jeûne de Daniel où on ne mange que du végétal) ou totale (sans nourriture, pendant une partie de la journée, une journée ou plusieurs). Par extension, certains pratiquent des jeûnes électroniques, de réseaux sociaux, de télé… Le jeûne, comme la prière et l’aumône, fait partie des pratiques spirituelles courantes dans la plupart des religions, et aussi chez les chrétiens.

Alors chez les évangéliques, on trouve plusieurs positions. Certains sont très assidus dans le jeûne comme soutien de la prière, avec des soirées jeûne et prière en communauté p. ex. ou des jeûnes individuels. D’autres sont indifférents ou allergiques à cette pratique, qui paraît peut-être trop rituelle, ou dont on ne saisit pas bien l’objectif.

On sait que Jésus a pratiqué le jeûne, notamment juste après son baptême, pendant 40 jours, comme pour se préparer à sa mission qui allait aboutir à un renoncement total : le don de sa vie sur la Croix. Il ne s’est pas privé de nourriture : il s’est privé de sa vie, pour que nous soyons pardonnés et réconciliés avec Dieu !

Sinon, Jésus parle rarement du jeûne : comme ça fait partie des pratiques spirituelles juives, on part du principe que Jésus et ses auditeurs le pratiquaient mais Jésus ne le met pas particulièrement en avant.  Il en donne l’explication dans un échange avec les disciples de Jean-Baptiste, qui nous est transmis dans l’évangile de Matthieu ch.9.

Lecture biblique : Matthieu 9.14-17

14 Les disciples de Jean le baptiste s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous souvent, tandis que tes disciples ne jeûnent pas ? » 

15 Jésus leur répondit : « Pensez-vous que les invités à un mariage pourraient pleurer pendant que le marié est avec eux ? Mais des jours viendront où le marié leur sera enlevé ; alors ils jeûneront.

16 Personne ne répare un vieux vêtement avec un morceau de tissu neuf ; car ce morceau tirerait sur le vieux vêtement et la déchirure s’agrandirait encore. 

17 On ne met pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. On verse au contraire le vin nouveau dans des outres neuves et ainsi le tout se conserve bien. »

[verset 14] A l’époque de Jésus, il y a une diversité spirituelle. Les pharisiens et les disciples de Jean-Baptiste ne sont franchement pas pareils, mais les deux mouvements regroupent des personnes consacrées, engagées, qui essaient de suivre Dieu dans tout ce qu’ils font. Et ces personnes pratiquent le jeûne. Tous les Juifs sont censés pratiquer le jeûne, une fois par an au moins, lors du Jour des Expiations (Yom Kippour), en signe de repentance devant Dieu. D’autres jeûnes existent, dont on retrouve des exemples dans l’Ancien Testament : jeûne spontané pour se repentir d’une faute collective ou individuelle, jeûne qui exprime la lamentation, le deuil, devant des tragédies, et parfois des jeûnes pour se consacrer à la prière et chercher la volonté de Dieu. Certains pharisiens jeûnaient volontiers 2 jours par semaine. Les disciples de Jean-Baptiste, dans ce mouvement de renouveau centré sur la repentance et la recherche de la volonté de Dieu, intégraient manifestement eux aussi le jeûne à leur pratique régulière.

Leur question vient du fait qu’ils reconnaissent en Jésus, et en ses disciples, des croyants engagés, consacrés, sincères, entiers. Pourtant, ils ont un mode de vie plutôt festif, léger, et on ne les voit guère jeûner. Dans l’épisode qui précède, les pharisiens étaient choqués de voir Jésus participer à une fête avec des gens peu recommandables… Nul doute que Jésus est attaché à Dieu, mais pourquoi se démarque-t-il autant du bon ton spirituel ?

[v.15] Jésus répond avec 3 images qui soulignent la radicalité du changement. Avec son arrivée à lui, sous l’image du marié, la situation a changé si profondément, qu’il faut changer la façon de voir les choses, et la façon de vivre – on ne peut pas bricoler en intégrant quelques nouveautés à un état d’esprit ancien, ça ne va pas ensemble : d’où les images du tissu qui se déchire ou de l’outre de vin qui éclate. Le changement de fond va avec un changement de forme !

Et qu’est-ce qui change avec l’arrivée de Jésus ? C’est la fête ! La fête de l’amour de Dieu qui se révèle à travers Jésus ! Dieu qui pardonne à ceux qui se repentent, et qui offre un nouveau départ. Dieu qui communique sa vie – vivifiante, restauratrice – à tous ceux qui sont blessés ou moribonds. Dieu qui donne la joie à ceux qui pleurent, et la paix à ceux qui ont peur. Dieu qui montre le chemin à ceux qui cherchent sa volonté. Tout ce que le jeûne exprime comme attente reçoit une réponse en Christ.

Pourquoi s’humilier, se lamenter, se frustrer, alors que la paix, la vie, la vérité sont présentes là, physiquement, en Christ ? On ne cherche plus, on reçoit ! Jésus n’est pas un prophète comme Jean-Baptiste ou un enseignant doué, dans le genre des maîtres rabbiniques – c’est là que ses interlocuteurs se trompent – il est Dieu lui-même qui ouvre ses bras avec amour. C’est la fête ! Et rien de mieux que l’image du mariage pour exprimer cette joie exubérante de voir Dieu nous rejoindre à travers Jésus…

Mais dans notre lecture, on s’arrête trop souvent là ! Car Jésus ajoute une précision : tant qu’il est là, pas besoin de jeûner ou de se lamenter… mais le jour viendra où il sera enlevé, et la tristesse du deuil sera à nouveau appropriée.

A quoi Jésus fait-il référence ? Sûrement à sa mort violente. Les disciples, sonnés de voir Jésus disparaître, sombreront dans l’incompréhension, la peur, le découragement. En annonçant ce moment, Jésus montre qu’il y a encore des ombres au tableau.

Déjà et pas encore, la fête et le jeûne

Où nous situer, nous, aujourd’hui ? Sommes-nous dans la fête de la présence du Christ ? Ou dans la tristesse de son absence ?

Les deux !

Jésus est mort, c’est vrai, mais il est ressuscité. Il a rejoint Dieu, aux côtés de qui il règne aujourd’hui. A ses disciples, et à nous, il fait cette promesse extraordinaire : « Toute autorité m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. […] sachez-le : je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » ( Matthieu 28.18, 20). C’est la fête ! En Christ, nous avons accès à Dieu, librement, joyeusement, abondamment… Notre vie a changé !

Cependant, il reste des ombres au tableau. Le mal demeure, avec son lot de tragédies, d’injustices, de souffrances et de larmes. Et même à titre personnel, intérieur : même si nous sommes pardonnés, nous subissons encore les tentacules du péché, de ce mal en nous qui nous déforme de l’intérieur. Nous sommes enfants de Dieu, mais trop souvent encore alourdis de pensées, réflexes, comportements, qui ne sont pas en accord avec cette vie nouvelle. Nous vivons avec Dieu, mais pas encore dans la plénitude.

Nous sommes donc dans le « déjà », et dans le « pas encore ». C’est comme si Jésus avait acheté une maison, elle lui appartient, son nom est sur la porte, mais il n’a pas encore emménagé… Nous nous réjouissons que notre monde ait été racheté par Dieu, mais ô combien nous attendons son emménagement ! Il y a encore trop de moments d’ombre, de vide et de froid. Il nous manque la chaleur et la présence, la pleine lumière de notre Dieu.

Oui, la rencontre avec le Christ nous rassasie comme une fête, mais elle attise aussi en nous la faim de plus – plus de sainteté, dans notre cœur ; plus de justice, dans notre vie et notre monde. Et cette faim s’exprime dans cette prière qui crie à Dieu : que ton règne vienne ! Une prière d’espérance qui modifie peu à peu nos priorités et nos comportements.

Que pourrait bien apporter le jeûne dans cette démarche d’espérance ?

Nourrir notre espérance

Au niveau du jeûne alimentaire, ou même des autres (électronique p. ex.) il y a bien des avantages : le temps libéré pour prier ou lire la Bible, ou bien l’économie, par exemple d’un repas qui peut se transformer en don équivalent – à une association, à un proche dans le besoin… Et c’est vrai, le jeûne donne du temps et change notre rapport à ceux qui sont vraiment dans le manque (matériellement et spirituellement).

Mais le jeûne est aussi intéressant en lui-même, en tant qu’exercice spirituel du « pas encore ».

1/ l’expérience. Parfois notre spiritualité est un peu désincarnée : tout se passe dans la réflexion, les intentions… Le jeûne est une façon concrète d’exprimer, de ressentir, la faim réelle que Dieu se révèle.

C’est comme sourire pour accueillir, prendre dans ses bras pour réconforter,… Tous ces gestes qui nous manquent, et qui appuient, soutiennent, la parole ! Ces gestes qui nous impliquent autrement. Je ne crois pas que le jeûne change la valeur ou l’intensité de la prière, mais d’une certaine façon, notre corps entre à son tour dans cette démarche d’attente, d’espérance – et ça nous implique autrement. Un ami jeûneur me disait même que son corps l’incitait à prier. Quand son ventre gargouille, première pensée : j’ai faim ! Mais il le réoriente : non, Seigneur, c’est de ta présence que j’ai vraiment faim.

2/ l’exercice. Le jeûne est aussi un exercice de la frustration. Alors, dit comme ça, ça ne fait pas rêver ! La frustration, aujourd’hui, c’est presque une insulte – quelqu’un de frustré, c’est l’inverse de quelqu’un d’épanoui. Le jeûne alimentaire, comme frustration volontaire, est une façon de prendre position, et d’affirmer (à soi-même d’abord !) que le bonheur, l’épanouissement, le repos et la satisfaction ultimes nous manquent. Que la vie aujourd’hui nous frustre, oui, qu’elle ne correspond pas à ce que nous désirons vraiment au fond de nous. Vous pouvez avoir une famille, un super travail, une maison, de quoi vivre au large… le mal est toujours là ! peu importe sous quelle forme – nous ne sommes pas au paradis.

Pourquoi appuyer sur ce qui nous manque ? N’est-ce pas masochiste ? Parce que notre société nous invite sans relâche à combler nos manques – nos envies, nos désirs, nos révoltes – par des succédanés temporaires et parfois monnayés. Mais ces satisfactions sont rarement justes et équitables, rarement durables, rarement profondes. Le jeûne, en nous forçant à expérimenter un manque ponctuel, nous rappelle que le seul qui puisse vraiment nous satisfaire au plus profond de nous, c’est Dieu ! Par son pardon, son amour, sa vie, sa justice, sa vérité, sa paix… Dieu seul comble notre faim, à travers le Christ.

 

Conclusion

Alors, en réalité, peu importe que vous jeûniez ou pas… Le jeûne est une discipline vraiment intéressante, facile à essayer (vous pouvez trouver des conseils pratiques sur internet) et sans danger si vous n’êtes pas enceinte ou malade. Peu importe que vous jeûniez, parce que ce qui compte vraiment, et c’est ce que Jésus interrogeait, c’est le sens. Au-delà de la pratique, quelle faim avez-vous de Dieu ? Avez-vous soif de le voir se révéler, dans votre vie et dans le monde ? Comment cette espérance se manifeste-t-elle dans votre vie, qu’est-ce qu’elle vient transformer ?

« Heureux ceux qui ont faim et soif d’un monde juste, disait Jésus, car ils seront rassasiés » (Matthieu 5.6)

Aimer son prochain 2/2: relancer le dialogue

https://www.youtube.com/watch?v=0dkVeF7JTvc   (La prédication commence à 5’30)

Qu’est-ce qui peut entraver, ternir notre joie, et même notre joie devant Dieu ? les soucis, les souffrances, les craintes… et les conflits. La semaine dernière, j’ai commencé une prédication en deux parties sur un texte de loi de l’Ancien Testament, dans le livre du Lévitique, au ch. 19, qui affirme ce grand principe : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, repris par Jésus et ses disciples comme principe fondamental de notre attitude vis-à-vis de l’autre. Dans la première partie du texte de la semaine dernière, 3 éléments ressortaient pour expliquer ce que signifie « aimer son prochain » : lui montrer du respect, être équitable, et même généreux dans les occasions du quotidien. Il nous restait deux versets qui parlent plutôt des conflits dans nos relations. Ce texte ne parle pas forcément des grands affronts, des scandales comme on peut en rencontrer quelques uns dans une vie, mais plutôt des petites / moyennes difficultés récurrentes, ces déchirures issues de malentendus et maladresses, des égoïsmes et indifférences banales et ordinaires…

Lecture biblique : Lévitique 19.17-18

17 Tu ne détesteras pas ton frère dans ton cœur ; tu avertiras ton compatriote, mais tu ne te chargeras pas d’un péché à cause de lui. 

18 Tu ne te vengeras pas ; tu ne garderas pas de rancune envers les gens de ton peuple ; tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le SEIGNEUR.

 

Quand vous vous sentez offensé, votre première réaction est de…

A/ tendre un doigt accusateur, et piquer une colère

B/ serrer le poing, et chercher à vous venger (plus ou moins frontalement)

C/ croiser les bras, et vous refermer sur vous

Le texte propose une 4e réponse : avertir l’autre, lui tendre la main. Prendre l’initiative de lancer le dialogue sur ce sujet – dans le but implicite de résoudre la situation.

Dans un conflit, « aimer son prochain » équivaut à s’abstenir d’un certain nombre de réactions (ici, la haine, la rancune et la vengeance) et à en adopter une autre (relancer le dialogue). Creusons un peu…

1/ Veiller sur son cœur

Loin de se cantonner aux actes extérieurs, Dieu s’intéresse à notre attitude intérieure. Nos actes comptent, et aussi nos intentions, nos motivations, nos réactions intérieures… Jésus tire le fil en disant plus tard que celui qui insulte son frère, même en pensée, est sur la même pente que le meurtrier… A partir de petits commencements et de petites pensées inoffensives, nos pires comportements se préparent. On passe rarement du vide au trop-plein : c’est goutte à goutte que le vase proverbial se remplit. Dieu s’y intéresse, parce qu’il le voit, il connaît, il pèse ce qui se passe en nous, ce qui se trame dans notre âme.

Ainsi, en particulier dans le conflit, Dieu nous invite à veiller d’abord sur notre cœur, sur ces mouvements intérieurs qui vont faire germer tel ou tel comportement. Aimer, c’est d’abord refuser de détester, de se laisser aller à la rancune, à l’amertume, au mépris – c’est jeter le pinceau noir qui viendrait gribouiller la vision que nous avons de l’autre. Même si nos réactions sont intuitives et involontaires, Dieu nous invite à ne pas en rester là, à ne pas les laisser nous ballotter ou nous pousser sur une pente glissante, mais il nous appelle à choisir le chemin que nous voulons emprunter.

On connaît les dégâts de l’amertume, du mépris ou de la vengeance… Dans votre existence, avez-vous déjà vu quelque chose de bon sortir de la rancune, de la haine ou même, de l’indifférence, chez vous ou chez quelqu’un d’autre ? Alors pour vider le vase avant qu’il ne déborde, Dieu conseille d’avertir l’autre de ce qui ne va pas. Et ce faisant, on change de dynamique, on rechoisit son chemin – et on évite par là-même la pente glissante du péché, déjà pour nous, parce que notre vocation est d’être bienfaisants, non pas nocifs !

2/ ton prochain comme toi-même

J’aimerais parler du contenu de cet « avertir » auquel Dieu nous appelle. Mais je dois aussi parler de cette formule « aime ton prochain, comme toi-même ».

De quel prochain parle-t-on ? Ici, le texte mentionne le compatriote : Dieu vient de délivrer un peuple entier pour l’inviter à vivre dans sa présence et à montrer au monde à quoi ressemble la vie avec Dieu. Si ce peuple se déchire de l’intérieur, ça montrera autre chose que l’amour de Dieu, et puis ça gâchera les bénédictions que Dieu accorde. Il y a des similitudes avec le projet de Dieu pour l’Eglise au sens large, qui rassemble ceux que Dieu appelle à vivre en sa présence et à témoigner de sa grâce. Les conflits dans nos communautés, entre nos communautés, témoignent d’autre chose que de l’amour de Dieu…

Mais le prochain ne se rencontre pas que dans l’église ! C’est celui que je rencontre sur ma route quotidienne, avec plus ou moins d’affection : dans ma famille, mon réseau d’amis, dans mon voisinage, sur mon lieu de travail… C’est ma belle-mère, mon neveu, une collègue, un patron, un ami, ou une connaissance qui sort ponctuellement de l’anonymat pour prendre visage devant moi à cette étape du chemin.

Et le « comme toi-même » ? L’apport de la psychologie et de ses dérivés nous permet d’apprécier l’importance de ce « comme toi-même ». Dans une époque où nous sommes nombreux à être blessés de l’intérieur et à douter de notre valeur, cette invitation à recevoir l’amour pour soi sonne juste ! La bonne nouvelle de l’Evangile, c’est que Dieu nous aime, après tout ! Par peur de l’égoïsme et de l’orgueil, on l’a peut-être trop souvent oublié…

Cela dit, je ne suis pas convaincue que c’était l’intention du Lévitique ou de Jésus lorsqu’ils utilisent cette formule « comme toi-même ». Dans ce contexte, l’accent porte très clairement sur « ton prochain », en partant du principe qu’en général, nous nous traitons mieux que nous ne traitons les autres : avec plus d’indulgence, de protection, de réflexion. Nous prenons le temps de manger, dormir, nous laver, nous vêtir, de nous soigner etc. Et s’il y a  des exceptions qui ne le font pas, ce sont des exceptions ! Mais le principe général, c’est que spontanément, instinctivement, nous veillons sur nous-mêmes. Et l’appel qui résonne, en particulier dans le conflit, c’est d’accorder à l’autre les mêmes chances, le même bénéfice du doute, comme le dit Jésus, de faire à l’autre ce qu’on aimerait qu’il nous fasse (Matthieu 7.12).

3/ Avertir avec amour

Avertir et aimer : les deux mots s’éclairent l’un l’autre. Aimer l’autre, ce n’est pas toujours le brosser dans le sens du poil, mais parfois porter à  son attention ce qui ne va pas… et ainsi, on se décharge d’une complicité silencieuse avec son comportement. Mais avertir, dans le sens de l’amour, ce n’est pas seulement pour vider son sac ou son vase, pour lancer l’alerte, faire son devoir et retrouver une certaine tranquillité, mais pour le bien de l’autre aussi. Aimer l’autre, sans parler des émotions, c’est se comporter en ami, agir pour son bien. C’est contribuer à une solution qui soit juste et bonne pour chacun, avec respect, équité, générosité. Aimer le prochain, c’est chercher un chemin de solidarité vers l’autre, se rappeler qu’on est de la même pâte, relancer une passerelle là où le fossé menace de s’élargir. C’est refuser de réduire l’autre à l’offense, et chercher dans son visage la personne qu’il est, dans toute son humanité, sa beauté, sa fragilité, son ambiguïté ! Comme moi-même…

Alors, avertir c’est un premier pas, qui attend la réaction de l’autre. Même si notre intention désire une solution, notre responsabilité n’inclut pas la réaction de l’autre. S’il refuse d’entendre, on peut persévérer, mais pas le forcer. Ma responsabilité est de parler, même si l’autre n’écoute pas. Mais c’est bien une responsabilité conférée à chacun : tu aimeras, dit Dieu, toi… pas vous, ou on, ou l’autre… toi !

Et rien que ce premier pas, c’est tellement difficile de le faire ! parce qu’on est troublé par ce qu’on ressent ; parce qu’on a peur de la réaction de l’autre (sera-t-il agressif ? méprisant ? indifférent ?) ; et peut-être aussi parce que c’est plus facile de s’en tenir à notre version des choses – dialoguer, c’est parler mais aussi écouter, et prendre le risque d’être à son tour averti…

Ajoutons que nous sommes bien maladroits pour nous exprimer avec clarté et respect. Il y a d’excellents livres sur la communication[1], et vu l’importance du sujet dans nos vies quotidiennes, je ne peux que fortement conseiller de se former là-dessus pour de meilleures relations. Mais quand même quelques pistes, qui valent en toutes situations :

  • Prendre du recul. Respirer, faire une pause, laisser passer le flot de l’émotion, en parler à quelqu’un… se placer devant Dieu ! déjà pour voir si notre agacement est légitime avant de foncer tête baissée. Il y a bien des choses qui peuvent nous déplaire sans qu’elles ne soient mauvaises moralement.
  • Faire le tri entre les faits et mon interprétation des faits… Les malentendus sont tellement répandus ! Et souvent, l’autre n’a pas agi par rapport à moi, mais dans une logique qui lui est propre. Ce tri se fait au préalable, mais aussi dans la discussion : on essaiera d’être curieux, de demander pourquoi, d’accorder le bénéfice du doute à l’autre. Comme on aimerait qu’il évite de nous enfermer, nous, dans une de nos maladresses.
  • Choisir un cadre favorable. Commencer en privé, si possible en présentiel… faire baisser la pression. Déverser ses griefs sur les réseaux sociaux n’est pas très constructif; de même que les mails qui sont trop impersonnels pour pouvoir vraiment dialoguer avec nuance.
  • Avec humilité et bienveillance. Humilité pour être prêt à écouter vraiment l’autre, et accepter de réviser mon point de vue. Et bienveillance, car je cherche pour nous une issue positive. Le mot « aimer » n’est pas anodin !

4/ Un chemin

Le chemin que nous propose Lévitique 19 est un chemin… C’est en appliquant ces principes qu’on apprend à aimer, c’est en prenant ces habitudes, en adoptant ces postures, que l’on transmet de plus en plus d’amour et de bonté. Parfois, nous chrétiens avons l’impression (décourageante, culpabilisante !) que nous devrions déjà aimer notre prochain comme nous-mêmes, et qu’ainsi, à partir de cet amour idéal, nous aurions toujours la bonne attitude. Mais aimer notre prochain, comme aimer Dieu d’un cœur pur et entier, ce n’est pas automatique ! cela s’apprend ! proooogressivement ! L’amour ce n’est pas un examen que nous réussissons ou ratons, c’est un muscle que nous musclons exercice après exercice, entraînement après entraînement. Alors ne nous décourageons pas ! Mais utilisons chaque occasion, chaque situation comme une opportunité pour essayer de sortir de nos ornières et d’aimer un peu mieux…

Et sur ce chemin d’entraînement, nous avons un modèle – le Christ, qui ne nous a pas considérés comme des ennemis dans notre révolte, mais qui s’est fait notre frère ! ; nous avons un entraîneur, Dieu le Père, qui nous encourage par sa Parole et qui nous accompagne pas après pas ; et nous avons une boisson énergétique extrêmement puissante : l’Esprit de Dieu, qui œuvre en nous de l’intérieur… le chemin pour apprendre à aimer est contre-intuitif et déstabilisant, mais si nous le suivons, Dieu nous assure de sa présence, de sa triple présence, et de sa puissance… Oui, sa puissance, car Dieu accompagne de sa grâce nos tentatives maladroites et partielles, pour les transformer en bénédictions…

 

 

[1] Je comme unique, Jeanne Farmer, Empreinte Temps présent, 2014.

Les mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs, Marshall Rosenberg, plusieurs éditions (fondateur de la méthode de Communication Non Violente, dite CNV).

Aimer son prochain 1/2: Respect et générosité

https://www.youtube.com/watch?v=LxoOckQHdgg

Alors qu’on lui demande de désigner le commandement le plus important, Jésus répond : « Aime ton Dieu de toutes tes forces », et il ajoute : « aime ton prochain comme toi-même. Toute la loi se résume dans ces deux commandements. » (Matthieu 22.34-40)

Aimer son prochain comme soi-même… C’est un principe libérateur, qui donne du sens à la vie de foi, au-delà des règles religieuses. En même temps, c’est un principe qui met beaucoup de pression… Comment être sûr d’aimer son prochain ? Quand sait-on qu’on a atteint notre objectif ? Il n’y a pas de case à cocher, ni de protocole à suivre… Selon les situations, l’amour sera parfois indulgent, parfois exigeant… Et puis que veut vraiment dire « aimer » ? Entre : aimer le chocolat (ou la moto), aimer son épouse ou son mari, aimer ses enfants… quel type d’amour sommes-nous invités à vivre envers notre prochain ?

Notre difficulté vient sûrement en partie du fait qu’on connaît moins bien les lois du peuple juif que Jésus et ses compatriotes. Pour Jésus, les lois montrent concrètement à quoi ressemblent l’amour du prochain : elles illustrent dans un contexte donné ce grand principe universel que Dieu nous a créés pour vivre – aimer l’autre comme nous-mêmes. D’ailleurs, ce grand principe d’amour vient directement de la loi juive. Je vous propose ce matin de nous tourner vers quelques uns ( !) de ces exemples, pour voir comment ils peuvent nous aider concrètement à aimer notre prochain.

Lecture biblique : Lévitique 19. 9-18

9 Quand tu moissonnes, ne coupe pas les épis qui ont poussé en bordure de tes champs, et ne retourne pas ramasser les épis oubliés ; 10 ne repasse pas non plus dans tes vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre. Laisse-les pour les pauvres et pour les immigrés. Je suis le Seigneur votre Dieu.

11 Ne commets pas de vol, ne mens pas. Ne trompe pas les autres Israélites. 

12 Ne prononce pas de faux serments en te servant de mon nom ; en faisant cela, tu déshonorerais qui je suis : je suis le Seigneur ton Dieu.

13 N’exploite personne et ne détourne rien ; ne garde pas jusqu’au lendemain le salaire dû à un ouvrier. 

14 N’insulte pas un sourd, et ne mets pas d’obstacle devant un aveugle. Montre par ton comportement que tu me respectes. Je suis le Seigneur.

15 Ne commets pas d’injustice dans tes jugements : n’avantage pas un faible, ne favorise pas un puissant, mais rends la justice de façon équitable envers les autres Israélites. 

16 Ne répands pas de calomnies sur les membres de ton peuple. Ne porte pas contre ton prochain des accusations qui le fassent condamner à mort. Je suis le Seigneur.

17 N’aie aucune pensée de haine contre un autre Israélite, mais n’hésite pas à le réprimander, afin de ne pas te charger d’un péché à son égard. 

18 Ne te venge pas et ne garde pas de rancune contre les membres de ton peuple. Chacun de vous aimera son prochain comme lui-même. Je suis le Seigneur.

Ces versets touchent à beaucoup de domaines différents, mais chaque précepte, à sa façon, est une façon d’aimer son prochain au quotidien. Je vais garder les deux derniers versets pour la semaine prochaine, car ils touchent plus aux relations privées, alors que les autres touchent à la vie en société en général.

Une diversité de situations

Récapitulons les situations citées : le travail au champ, les relations (tordues par le vol ou le mensonge), les droits des plus faibles, le domaine judiciaire. Le vol, on comprend bien, de même que l’interdiction d’abuser de la faiblesse d’un sourd ou d’un aveugle.

Côté champ, l’idée c’est que les employés, parfois très pauvres, engagés à la journée, puissent avoir un avantage en nature, en plus de leur salaire : que le propriétaire du champ laisse de manière informelle une sorte de prime de précarité. Le livre de Ruth raconte comment ce principe a permis à une famille de se reconstruire. Sur la même ligne, l’ouvrier journalier qui est payé le soir pour sa journée de travail vit vraiment au jour le jour : tarder à le payer, c’est ajouter à ses difficultés, comme si aujourd’hui un employeur payait ses salariés le 15 du mois au lieu du 2.

Côté juridique, il ne faut pas imaginer des tribunaux, des juges, des avocats etc. En général, ce sont les anciens du village qui arbitrent les conflits, sur la base de témoignages. D’où l’importance de ne pas être parjure : il n’y aura pas d’expert pour contester le faux témoignage, et ce mensonge peut complètement ruiner quelqu’un. En règle générale, dans un univers sans écrit, la parole vaut de l’or et on doit pouvoir compter sur ce que l’autre dit.

Globalement, Dieu exige du respect et de l’équité. Respecter l’autre dans ce qu’il est, et être juste, mais pas tâtillon : avec équité, on prendra en compte les circonstances (aggravantes ou atténuantes) de la situation. Respect et équité. Un respect qui n’est pas : chacun chez soi, on ne fait rien de mal et chacun se débrouille. Non, dans le respect biblique, il y a de la bienveillance et de la générosité, en particulier envers ceux qui sont dans le besoin – pauvres et immigrés. Aimer, c’est d’abord respecter et soutenir. Plus qu’un sentiment, c’est une attitude que Dieu demande – quelles que soient les émotions, ou la situation, avoir du respect, de l’équité, de la bienveillance vis-à-vis de mon prochain.

Justement, qui est ce prochain à aimer ? A notre époque mondialisée, où les drames des confins de la terre nous sont relayés parfois avec fracas, on peut se sentir écrasé et responsable du monde entier, quitte à changer d’indignation au gré des actualités !

Ici, le prochain, c’est le compatriote, le concitoyen, mais aussi celui qui est vulnérable, celui qui est pauvre ou immigré… En fait, celui qui se trouve sur ma route, aujourd’hui, quel qu’il soit – un inconnu, un collègue, un voisin, un membre de ma famille. Pas forcément celui dont je me sens proche, mais celui qui se trouve près de moi aujourd’hui.

Ca n’empêche de soutenir aussi des lointains ! Mais le premier cercle, c’est ceux qui m’entourent.

Pourquoi aimer son prochain ? car Dieu est Dieu. Le peuple juif, rescapé d’Egypte, sauvé par un Dieu fidèle et puissant, invité dans un nouveau pays à construire une nouvelle vie, est appelé à vivre avec Dieu, pour Dieu, par Dieu. A lui ressembler – au début du chapitre, Dieu dit : Vous serez saints car je suis saint (Lévitique 19.2). Vous serez comme moi ! Or Dieu est un Dieu qui respecte et qui soutient, un Dieu qui cherche notre bien et qui y travaille avec générosité.

Les chrétiens sont eux aussi, par le Christ, rachetés, sauvés, invités à une vie nouvelle – pour toujours ! Ils sont en plus habités par Dieu lui-même en Esprit, inspirés de l’intérieur pour vivre cet amour fondamental qui nous est pourtant si laborieux.

Pourquoi aimer son prochain ? parce qu’on a été créé pour ça, pour ressembler à Dieu ! Parce que l’être humain ne peut pas s’épanouir durablement en opprimant l’autre, ou même en vivant dans l’indifférence : il peut donner l’impression d’aller bien, d’être prospère, mais en réalité notre âme ne peut grandir que si elle s’élargit.

          3 domaines où vivre le respect et la générosité

Les commandements de l’Ancien Testament étaient destinés à aider le peuple juif à vivre cet amour du prochain. Même si notre société a changé, ces règles donnent quand même des idées concrètes et je voudrais finir avec 3 domaines où vivre le respect et la générosité. C’est varié, comme dans le texte, parce qu’il y a toujours un domaine dans lequel c’est plus difficile…

Dans nos paroles.

Tout-petits, on a appris que mentir, c’est mal ! Pour fonctionner, la société et les relations ont besoin d’une parole honnête, sinon on ne peut plus se faire confiance. Même dans notre société plus encadrée que dans l’Antiquité, les paroles tortueuses ou les contrats véreux peuvent mener à la catastrophe ! Mentir, c’est hors de question. S’arranger avec la vérité ?… aussi ! Et par honte, on est bien tenté de le faire…

Mais le texte va plus loin : colporter des rumeurs, des ragots, calomnier quelqu’un d’autre, c’est aussi avoir une parole irrespectueuse. Et si on pousse encore : il arrive que le prochain nous agace  ou nous agresse – respect et générosité nous exhortent à ne pas rentrer dans ce jeu, mais à garder une parole irréprochable. La maîtrise de soi, et donc de sa parole, fait partie des fruits de l’Esprit de Dieu en nous – c’est difficile, mais c’est notre vocation. Parfois il faudra prendre le temps de se taire et de laisser retomber pour pouvoir répondre avec respect.

* Avec plus faible que soi.

Dans toute la Bible, Dieu se présente comme un Dieu juste et qui protège la veuve et l’orphelin, le pauvre, le petit. Profiter de la faiblesse de l’autre, abuser de sa position ou de son pouvoir, ça le dégoûte ! Même s’il n’y a pas de conséquence visible, Dieu est dégoûté par l’abus de pouvoir.

Mais la pensée de Dieu va plus loin : pas de misérabilisme. Soutenir l’autre, oui, mais pas aux dépens de la justice. On n’abuse des gens vulnérables, mais on ne leur donne pas tous les droits non plus. Chacun a ses responsabilités éthiques !

Le texte attire notre attention sur les risques du favoritisme, d’un côté ou de l’autre – le favoritisme, ce n’est pas juste ! Ces derniers siècles, décennies, ont révélé et continuent de révéler les abus de pouvoir faits à d’autres peuples, aux femmes, aux personnes en difficulté. Mais quand la roue tourne, et que l’injustice première est dénoncée, le risque est grand, et on le voit parfois, de basculer dans l’autre excès, de se venger, de faire payer. Nourris de peine et d’indignation, les opprimés peuvent faire de très bons oppresseurs…

Dans un cercle plus restreint, face à un conflit d’équipe au travail, ou en famille, on peut être tenté de se ranger du côté de celui qui a notre sympathie ou qui a été trop souvent lésé. Mais Dieu nous invite à garder la tête froide, à lui laisser le jugement du passé et à nous concentrer sur la situation présente pour être le plus équitable possible.

Laisser de quoi glaner : le rapport à l’argent et au gain

Je termine par le début, et l’invitation à laisser de quoi glaner… Vous n’avez pas forcément de champ sous la main ! Mais je crois qu’en fait, Dieu nous interpelle sur notre rapport au gain et à l’argent. Dans la Bible, il n’y a pas de jugement sur les pauvres. L’histoire et la vie font que certains se retrouvent dans la précarité. Et la Bible ne cherche pas à mettre tout le monde exactement au même niveau, avec le même revenu : elle reconnaît qu’il y a des différences, parfois justes parfois non. Mais elle relève toujours une responsabilité des plus riches envers les plus pauvres : respecter, bien sûr, et soutenir quand c’est possible.

Laisser de quoi glaner, c’est petit, peu coûteux, et ça ne règlera pas le problème de l’autre. Mais petit pas par petit pas, ça peut lui donner un répit et qui sait, une chance de se retourner. C’est un petit débordement, qui peut apaiser l’autre sans nous mettre à sec. Aujourd’hui, sans forcément laisser notre sac à main ouvert pour les glaneurs de portefeuille, on peut, quand on en a les moyens, acheter un produit issu du commerce équitable ou solidaire, choisir une entreprise locale un peu plus chère mais plus juste dans la rémunération de ses employés, acheter au supermarché quelques conserves en surplus pour l’armoire solidaire, ou encore se choisir un prochain « au loin » avec un parrainage d’enfant ou un don pour des repas.

Conclusion

Par l’argent, comme par nos paroles ou nos prises de position, nous pouvons mettre en œuvre le respect et la générosité qui caractérisent l’amour du prochain tel que Dieu l’imagine. Aimer l’autre ne passe pas forcément par de grandes effusions, des gestes spectaculaires ou de lourds sacrifices, c’est aussi des petits choix, des petits moments, où l’on manifeste respect et générosité envers celui qui se trouve sur sa route.

Et surtout la santé!

https://www.youtube.com/watch?v=Rkig00Y8eNY

Comme chaque année, c’est la période où l’on reçoit (par courrier ou par moyen virtuel) les traditionnelles cartes de vœux… Et lorsqu’on croise une connaissance, même un vague voisin, les traditionnels souhaits reviennent : bonne année ! meilleurs vœux… et surtout la santé ! en particulier après ces longs mois de crise sanitaire… Bonne année – et bonne santé !

La santé, cette richesse qu’on valorise surtout quand on la perd… Un médecin philosophe disait que la santé, c’est de vivre sans entendre son corps, sans douleur, comme dans un silence (« la vie dans le silence des organes », Georges Canguilhem, Le normal & le pathologique), sans se rendre compte de la mécanique du corps. C’est quand on commence à se réveiller le matin avec des raideurs, ou à sentir ses genoux après avoir marché, ou à sentir l’air sortir difficilement de nos poumons, quand on se rend compte des processus de notre corps que c’est mauvais signe !

La santé ! On se la souhaite, et on prie aussi les uns pour les autres, pour notre santé, parce qu’il y a tellement de choses qui en découlent…

Au premier siècle après JC, l’apôtre Jean écrit une lettre personnelle qu’on a gardé, une lettre à son ami Gaïus, un des responsables d’une église que Jean connaît bien. Même si ce sont surtout les souhaits autour de la santé qui m’ont interpellée, la lettre est courte, alors je vais la lire en entier. Jean réagit aux nouvelles qu’il a reçues de Gaïus, et il aborde le problème que pose un certain Diotrèphe.

Lecture biblique : 3e lettre de Jean 

1 De la part de l’ancien (Jean lui-même), à mon très cher ami Gaïus que j’aime vraiment.

2 Très cher ami, je souhaite que tout aille bien pour toi et que tu sois en aussi bonne santé physiquement que tu l’es spirituellement.

3 J’ai éprouvé une grande joie quand des frères et sœurs sont arrivés et qu’ils ont déclaré que tu vis vraiment en accord avec la vérité. 4 Ma plus grande joie, c’est d’apprendre que mes enfants (spirituels) vivent en accord avec la vérité. ///

5 Très cher ami, tu es fidèle dans tout ce que tu fais pour les frères, même étrangers. 6 Ils ont témoigné de ton amour devant notre Église. Aide-les, je t’en prie, à financer la suite de leur voyage, d’une manière digne de Dieu.    ///

7 En effet, ils se sont mis en route pour le servir sans rien accepter des païens. (c’est-à-dire de ceux qui ne connaissent pas Jésus & à qui ils annoncent l’Evangile) 8 Nous avons donc le devoir de soutenir de telles personnes, et ainsi être des collaborateurs de la vérité.

9 Je l’ai écrit à votre Église ; mais Diotrèphe, qui aime tout diriger, ne s’occupe pas de nous. 10 C’est pourquoi, quand je viendrai, je dénoncerai ce qu’il fait : il répand contre nous des propos malveillants. Mais ce n’est pas tout : il refuse de s’occuper des frères de passage, et ceux qui voudraient les recevoir, il les en empêche et les chasse de l’Église.

11 Très cher ami, n’imite pas le mal, mais imite le bien. Celui qui pratique le bien appartient à Dieu ; celui qui commet le mal ne connaît pas Dieu.

12 Tous disent du bien de Démétrius (sûrement celui qui porte la lettre de Jean à Gaïus), et la vérité elle-même témoigne en sa faveur. Nous aussi, nous témoignons en sa faveur, et tu sais que nous disons la vérité.

13 J’aurais encore beaucoup de choses à te dire, mais je ne veux pas les écrire avec une plume et de l’encre. 14 J’espère te voir bientôt et nous parlerons alors de vive voix.

15 Que la paix soit avec toi ! Tes amis te saluent. Salue nos amis, chacun en particulier.

 

Je trouve cette lettre très intéressante sur le sujet de la santé, mais quelques mots d’abord sur le contenu général.

Est-ce que vous sentez toute l’affection que Jean éprouve pour son ami, son frère dans la foi ? Il ne peut pas attendre de le voir, il a hâte de le retrouver pour lui parler de vive voix – quelque chose de si naturel qui, pour nous aussi, est passé de l’évidence au luxe !

Jean se réjouit de voir que Gaïus suit un bon chemin, et notamment qu’il se comporte bien envers les missionnaires, les évangélistes itinérants, qui passent par son église. Ces missionnaires ont fait le choix de ne pas recevoir d’argent de la part de ceux à qui ils parlent de Jésus – l’apôtre Paul était dans la même démarche : permettre à ceux qui découvrent le Christ de le faire sans pression financière, gratuitement. On ne vend pas l’Evangile ! Si quelqu’un se tourne vers le Christ, il faut que ce soit sans pression.

Mais du coup, il faut bien qu’ils vivent, quand même, ces missionnaires ! Les églises par lesquelles ils passent non seulement les accueillent sur le moment, mais prennent aussi en charge les frais de déplacement etc. On sait que Paul a aussi reçu des dons d’autres églises, à certaines périodes. C’est une façon pour les communautés locales de participer au travail missionnaire.

Diotrèphe, sûrement un autre responsable de l’église, a l’attitude opposée : il refuse d’accueillir les missionnaires, de les soutenir, mais en plus, il empêche les autres de le faire, voire il les excommunie ! Et ça met du coup en péril le travail des missionnaires, et donc l’avancée de l’Evangile. Cette attitude indique qu’il y a un problème, manifestement pas nouveau, puisque Jean dénonce son côté tyrannique : Diotrèphe a un problème avec le pouvoir. Il en vient même à refuser de lire les lettres de Jean à l’église… Mais j’y reviendrai !

Une santé équilibrée

Dans notre contexte de 2021, ce qui m’a d’abord interpellée, c’est le début de la lettre (diapo v.2-4). Jean se réjouit de la bonne santé spirituelle de son ami, et il lui souhaite une santé physique à la hauteur. La santé spirituelle de son frère est une priorité, a priori bien présente chez son ami, plein d’une vitalité spirituelle réjouissante : il marche dans la vérité, ce qui signifie qu’il se comporte en cohérence avec sa foi, et cela se voit, jusque dans son accueil des missionnaires. Son comportement, ses actions, indiquent qu’il connaît Dieu et que c’est Dieu qui le nourrit. Ces signes sont aussi clairs que la tension ou la glycémie pour la santé physique… Gaïus a une bonne hygiène de vie spirituelle, et ça se voit !

La santé n’est pas seulement physique… même si c’est elle qui fait la une des magazines santé. Elle touche aussi à notre vie intérieure : mentale, émotionnelle (et relationnelle), et spirituelle – et cette santé-là doit faire partie de nos priorités. Paul, dans ses lettres, souhaite régulièrement aux chrétiens une bonne croissance spirituelle, avec des os solides et des muscles toniques (ça ce sont mes mots) ! Nos habitudes spirituelles, individuelles et communautaires, ne sont pas une fin en soi, mais elles servent à nous faire grandir en santé, en vitalité, spirituelle : lire la Bible pour se nourrir des pensées de Dieu, prier pour s’abreuver à la présence de Dieu, être avec les autres (échanger, soutenir, exhorter) pour se muscler !

A la différence de la santé physique, cette santé-là, spirituelle, ne peut pas diminuer : « nous ne perdons pas courage, dira Paul aux Corinthiens. Même si notre être physique se détruit peu à peu, notre être spirituel se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4.16). L’âme continue de grandit là où le corps peut s’abîmer – et c’est un tel encouragement lorsque nous voyons nos frères et sœurs, malgré la vieillesse ou la maladie, avoir une foi solide ! Ca mérite d’investir sur notre santé spirituelle !

Mais même si la santé spirituelle est une priorité, pour Jean, la santé physique reste importante. C’est vrai que le chrétien voit au-delà du corps, mais nous sommes aussi dotés d’un corps, et on ne peut pas l’ignorer non plus. Il y a les excès du « trop physique », avec l’idolâtrie actuelle du corps comme si le corps concentrait toutes nos espérances et nos ambitions, mais le « trop spirituel » existe aussi… Notre santé physique fait partie de notre vie, et de notre équilibre. Les problèmes de santé sont lourds – déjà à cause de la douleur, qui peut être insupportable, mais aussi à cause de leur impact sur le reste de notre vie, sur ce que nous pouvons faire ou pas, sur la fatigue et la motivation, sur les relations, et même sur notre vie avec Dieu lorsque la douleur ou les limites handicapantes de ce que nous vivons sont trop fortes.

Donc ne vivons pas que pour le corps – notre vie est bien plus large – mais n’oublions pas notre corps… et prenons-en soin !

La santé… pour servir !

Pourquoi la santé, globale, est-elle si importante ? La santé n’est pas une fin en soi… La santé physique nous permet de marcher et d’agir, d’interagir avec les autres… – si vous ne sortez jamais de votre lit, la santé ne sert pas à grand-chose à part éviter la douleur ; de même, la santé spirituelle nous permet d’écouter Dieu et de marcher à sa suite, de vivre ses projets. Etre en santé nous permet de marcher, de fonctionner, physiquement et spirituellement. « Je me réjouis, dit Jean, que tu marches dans la vérité ! »

Le reste de la lettre nous pousse à aller un petit peu plus loin : comment se manifeste la bonne marche spirituelle de Gaïus ? Par son accueil des missionnaires. Par son hospitalité, sa générosité. Par son service. Connaître Dieu, avoir une relation saine avec lui, l’aimer, nous invite à une vie généreuse, tournée vers l’autre. La bonne santé, même spirituelle, n’est pas une santé égocentrée : on ne grandit pas spirituellement pour se regarder dans la glace et admirer ses muscles spirituels – comme un culturisme de l’âme ! La santé nous permet de nous tourner librement vers l’autre, et d’agir avec amour. Et ces actions sollicitent souvent notre santé physique : pour accueillir chez soi lors d’un repas, pour aider à un déménagement, rester debout dans une action bénévole… Mais même quand le corps diminue, il est toujours possible de nous mettre au service de l’autre – par notre écoute, nos prières, une petite carte d’encouragement, des conseils…

Par son attitude étroite et tyrannique, Diotrèphe nous alerte : peut-être connaissait-il les discours de Jésus par cœur, mais s’il n’applique pas l’Evangile en aimant son prochain, Jean est en droit de se demander s’il connaît vraiment Dieu…

Si vous êtes de ceux qui ne pensent qu’aux autres, ce texte vous invite à prendre soin de vous, pour renouveler vos forces afin d’aimer durablement ceux qui vous entourent… Et si vous êtes plutôt à tendance égocentrée, cette lettre vous invite à élargir vos perspectives et à faire place à l’autre dans vos priorités…

La santé est un capital, un potentiel, que Dieu nous invite à préserver ou à faire grandir – pas pour notre bénéfice seulement, mais aussi pour celui des autres. La santé, physique mais aussi spirituelle, nous permet d’être généreux, d’aimer ceux qui nous entourent – et c’est ça l’objectif de Dieu ! Que nous l’aimions lui, et que nous aimions ceux qui nous entourent, en pensées, en paroles et en actes ! Que nous recevions sa grâce et que nous la partagions, là où nous sommes…

Comme toujours, l’exemple parfait nous est donné en Christ : lui qui avait tout, qui était l’égal de Dieu, Dieu le fils, n’a pas gardé pour lui ses privilèges, mais il a tout utilisé pour notre bénéfice (Philippiens 2.5-11) – sa justice, pour réparer nos torts ; sa puissance, pour élargir nos horizons ; sa sagesse, pour réorienter nos chemins ; sa vie, pour vaincre notre mort. Il s’est mis à notre service, avec grâce et générosité, par amour pour nous.

Conclusion

Alors en ces temps d’incertitude qui nous pèsent, avec les difficultés et les crises que nous traversons, avec les contraintes qui restreignent nos quotidiens, avec les pressions de la société ambiante, laissons Dieu orienter nos regards et nous rappeler ses priorités à lui, des priorités éternelles.

Prenons soin de notre santé, travaillons à notre santé, spirituelle et physique, et rappelons-nous l’objectif de Dieu : que nous puissions joyeusement vivre avec lui et participer à son œuvre, que nous puissions l’aimer et partager cet amour avec notre prochain…