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Florence VANCOILLIE

A propos Florence VANCOILLIE

Pasteur de l'Eglise évangélique libre de Toulouse depuis 2013, membre de la Commission synodale de l'UEEL.

Un bon caractère en témoignage

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Christ est Roi ! Lorsque nous affirmons que Christ est notre roi, notre seigneur, nous disons bien que nous voulons le suivre…Pour l’apôtre Pierre, suivre le Christ, c’est se soumettre à son autorité, pour faire sa volonté.

Mais à quoi ça ressemble de faire la volonté du Christ dans une société souvent loin de notre idéal spirituel ? Pierre s’exprime à une époque où la société gréco-romaine est complètement païenne, injuste, déséquilibrée, avec un ordre social contraignant et peu équitable. Et Pierre donne 3 exemples de l’impact de la soumission au Christ, qui conduit globalement à respecter les structures sociales, à nous y soumettre, mais volontairement, en témoins du Christ et pas en petits pions sans caractère. Dans la vie citoyenne, Pierre nous appelle à être irréprochables ; dans la vie professionnelle, à rester intègres quoi qu’il en coûte, et maintenant… la soumission dans la vie de couple !

On entre ici sur un terrain miné : le sujet est délicat, et Pierre ne correspond pas au discours politiquement correct du 21e siècle.

Quelques mots de contexte avant de lire le passage. Dans l’antiquité, l’homme est le chef de famille, avec quasiment tous les droits. C’est lui le boss ! Il donne les orientations du foyer, prend quasiment toutes les décisions, et a autorité sur sa maisonnée (famille et domestiques). Ensuite ça dépend de l’homme, mais voilà son statut. Lorsqu’un homme se convertit, sa famille entière le suit dans l’église. Mais lorsqu’une femme se convertit, la famille ne suit pas forcément ! souvent, la femme se retrouve en porte-à-faux avec son époux, et cela peut introduire un énorme décalage avec son mari, d’autant plus difficile à vivre que la relation est très hiérarchique.

Lecture biblique : 1 Pierre 3.1-7

1 Vous, de même, femmes, soyez soumises à votre mari, afin que, même si quelques-uns refusent de croire à la Parole, ils soient gagnés, sans parole, par la conduite de leurs femmes, 2 en considérant votre conduite pure, respectueuse. 

3 Que votre parure ne soit pas extérieure : cheveux tressés, bijoux d’or, toilettes élégantes ; 4 mais qu’elle soit la disposition cachée du cœur, parure incorruptible d’un esprit doux et paisible, qui est d’un grand prix devant Dieu. 

5 C’est ainsi qu’autrefois se paraient les saintes femmes qui espéraient en Dieu, étant soumises à leurs maris : 6 telle Sara, qui obéissait à Abraham, l’appelant son seigneur, elle dont vous êtes devenues les filles en faisant le bien, et en ne vous laissant troubler par aucune crainte.

7 Vous les maris, de même, menez la vie commune en tenant compte de la nature plus délicate de vos femmes ; montrez-leur du respect, puisqu’elles doivent hériter avec vous la grâce de la vie, afin que rien n’entrave vos prières.

Respecter son conjoint

Les femmes

Lorsque Pierre commence à parler des facettes de la soumission au Christ, il rappelle que l’objectif, c’est de témoigner de notre vie avec Dieu, notamment par nos actions et notre comportement: Ayez une bonne conduite parmi les païens ; ainsi, même s’ils vous calomnient en vous traitant de malfaiteurs, ils seront obligés de reconnaître le bien que vous faites (1 Pierre 2.12).

Pour l’épouse, l’objectif est le même : rester témoin de ce qui est juste et bon, même avec un mari indifférent ou hostile à notre foi. On ne parle pas ici des cas où le conjoint (homme ou femme d’ailleurs) devient dangereux pour notre vie ! Mais d’un décalage spirituel. Même quand ce n’est pas possible de parler de sa foi, il est toujours possible de témoigner par nos actes et notre attitude – c’est la conduite « pure » et respectueuse : respectueuse envers son mari, oui, mais surtout respectueuse envers Dieu (c’est encore la « crainte » du Seigneur qui est évoquée ici).

Ce caractère vertueux place la croyante dans la lignée des femmes de foi qui apparaissent dans l’Ancien Testament. Pierre cite en particulier Sara, qui appelle Abraham son Seigneur (Gn 18.12) C’est la façon de parler de son mari à l’époque – autres temps, autres conventions: mesdames, vous n’êtes pas obligées d’appeler votre mari “Seigneur”!

Même si Sara avait du caractère et prenait des initiatives, elle a respecté et soutenu son mari dans leur grande aventure de foi. Et ce respect est d’une authentique beauté. Pierre ne dénonce pas vraiment la coquetterie quand il oppose la beauté cosmétique et la belle conduite: il souligne plutôt la valeur d’un comportement qui témoigne du Christ, plus précieux que l’or ou le diamant. Ca n’empêche pas de porter des bijoux ou de bien s’habiller, mais le plus beau n’est pas là.

C’est vrai que l’apparence peut devenir une obsession qui nous détourne de l’essentiel. La vraie beauté, ce n’est pas ce qui s’affiche sur Instagram avec une bonne posture, la bonne tenue ou le maquillage (d’ailleurs les hommes ne sont pas toujours épargnés par cette obsession des muscles, des tatouages, du style vestimentaire: la vanité n’a pas de genre!) – la vraie beauté, c’est la beauté du caractère.

J’hésite à parler de “beauté intérieure”, parce que le caractère se voit, concrètement, au quotidien, dans nos actes et notre attitude du lever au coucher. Jusque sur les traits du visage : une chipie se repère assez vite!

Cette beauté, c’est la douceur, la tranquillité, la force intérieure (“en ne vous laissant troubler par rien” v.6). Devant l’incompréhension ou la difficulté, même si on ne part pas, on peut vite tomber dans la récrimination, le reproche, la critique incessante, ou alors des petites vengeances passives-agressives, ou encore se fermer à l’autre pour se protéger. Mais au lieu des disputes et de la froideur, la douceur invite à chercher le bien de l’autre, à nous soucier de lui, à voir les choses de son point de vue, et à oser lâcher prise pour faciliter la vie de couple. C’est difficile, surtout quand nos efforts ne sont pas récompensés – d’où l’importance de s’enraciner dans la paix de Dieu, pour tenir avec force sur ce chemin de bienveillance et de respect. La douceur n’est pas de la mollesse, elle demande de la force de caractère pour aimer quoi qu’il en coûte.

Les hommes

 

Aux hommes, maintenant! Le croyant doit lui aussi respecter son épouse, en prenant notamment en compte sa fragilité. Cet argument peut nous faire tiquer aujourd’hui, car il renvoie à des stéréotypes un peu crispants. Cela dit, à l’époque, la femme est de toute façon en infériorité: dans une société où le travail manuel est à la base de l’économie, la musculature plus légère des femmes est considérée comme une faiblesse. Et puis, les femmes antiques ont de toute façon un statut inférieur au niveau social, juridique… C’est variable selon les milieux sociaux, mais une femme est généralement sous l’autorité d’un homme.

Mais sous ses aspects conservateurs, Pierre est en train de dire aux maris – et c’est ça le plus révolutionnaire! – que eux aussi ont des devoirs envers leur épouse, que eux aussi doivent faire des efforts dans leur comportement, et montrer du respect et de la bienveillance à leur moitié.

Quand un homme se convertit, la famille suit, donc Pierre n’évoque pas la question du décalage spirituel, il part du principe que le couple est converti. Et dans ce cadre-là, ils sont égaux devant Dieu, appelés au même héritage et à une vie de communion. Ce n’est pas parce que la société permet au mari de dominer sa femme qu’il doit le faire! Non! Disciple du Christ, lui aussi est appelé au respect et à la bonté.

C’est tellement important, que la vie de prière en dépend! Heureusement, Dieu nous écoute même quand on ne se conduit pas bien (sinon, on ne pourrait plus prier!). L’idée, derrière, je crois, c’est que la proximité avec Dieu se nourrit de nos efforts à devenir plus saints, dans nos relations horizontales. Aimer Dieu se nourrit de nos efforts à aimer l’autre. Et négliger son “plus proche prochain” (comme dit mon mari), c’est négliger sa vie avec Dieu.

Donc, que notre conjoint partage notre foi ou pas, dans tous les cas, au minimum, nous sommes appelés à témoigner par notre caractère et par notre attitude, en veillant à le respecter et à lui montrer de la bonté, en hommage au Christ.

Seul dans sa famille 

Le focus de Pierre concerne la vie de couple, mais on peut facilement élargir à la vie de famille, en particulier lorsqu’il y a des tensions ou des décalages: des parents qui ne comprennent pas notre démarche, des enfants qui se sont éloignés de la foi, des petits-enfants indifférents, des frères et sœurs qui se moquent, des discussions à Noël qui sont à mille lieues de notre vie avec Dieu. Parfois, dans ces contextes-là, on ne peut pas ou plus parler de notre foi – et pour certains, c’est une tristesse, voire un échec. Mais nous pouvons toujours témoigner de Jésus, tout simplement parce que nous pouvons toujours nous efforcer de lui ressembler.

C’est exigeant, cela dit, parce que nos proches ont souvent le privilège (!) de voir la face cachée de notre personne: nos pics de colère, nos impatiences, nos jalousies, nos obstinations, nos intolérances, nos égoïsmes! etc.

C’est aussi en famille que les enjeux les plus sensibles ressortent: des conflits anciens, des vieux malentendus… ressembler au Christ dans ce contexte, c’est apprendre à rompre avec nos réflexes, nos mécanismes automatiques, avec notre historique. C’est affirmer: je suis une nouvelle créature, j’appartiens à Dieu, c’est sa vie qui coule en moi…

Et c’est une vraie bonne nouvelle, parce que c’est toujours possible : on peut être en difficulté dans sa vie de couple ou de famille/ incompris/ frustré, affaibli par l’âge, la maladie ou le handicap – Dieu parle à travers notre caractère et notre conduite. Dieu se révèle dans nos paroles, nos silences, notre douceur et notre tranquillité, notre respect de l’autre.

Sans accepter tout et n’importe quoi, respecter et aimer c’est viser ce qu’il y a de mieux pour l’autre, quitte à prendre sur nous pour rester tranquilles et bons. Notre choix est déterminant, même si le vrai travail de transformation, c’est Dieu qui le fait par son Esprit. Mais le Saint Esprit aura moins de liberté d’action si nous ne nous orientons pas résolument vers la sainteté et si nous ne prions pas Dieu de nous conformer à son Fils.

 

 

Finalement, chacun à sa façon est appelé à se mettre au service de l’autre, à s’investir du mieux possible dans la vie de couple ou de famille, à nourrir la confiance, le respect, l’amour, en signe de notre appartenance au Dieu d’amour. Et ça reste vrai, même quand il y a un décalage spirituel. La foi en Christ n’est pas un permis de saboter ou de négliger son mariage ou sa famille : comme en société ou au travail, le Christ nous invite à faire tous nos efforts pour lui ressembler, pour grandir en sainteté et en amour, même dans les situations inconfortables, même quand l’autre s’y oppose. C’est là que Dieu parle fort: quand la bonté que nous manifestons n’est pas naturelle, attendue, logique, mais qu’elle prend clairement sa source ailleurs.

Appelés à l’intégrité, coûte que coûte

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Comment testez-vous les compétences de quelqu’un, un étudiant, un cuisinier, une musicienne, une scientifique, un mécanicien ? Il me semble qu’il faut au moins deux éléments : mettre au défi et observer. Mettre au défi en donnant des exercices, une étude de cas, un projet, une période d’essai. Si c’est trop facile, vous ne pourrez pas mesurer l’étendue des compétences. Et bien sûr, il faut en être témoin, l’observer, pour pouvoir l’évaluer. Si l’étudiant fait son devoir maison, mais que le prof ne corrige pas, c’est utile mais incomplet !

Pierre a commencé sa lettre aux chrétiens dispersés d’Asie mineure en rappelant tout ce qu’ils ont reçu en Christ – c’est si énorme qu’on peut carrément dire que c’est une nouvelle vie. Et cette vie nouvelle s’exerce, se prouve, dans les défis de la vie quotidienne, et aux yeux de tous. L’analogie avec les examens s’arrête là ! La vie chrétienne n’est pas seulement un cheminement intérieur, spirituel, fait de convictions : elle se met en pratique publiquement dans notre vie de tous les jours. Pour parler de cette mise en pratique, Pierre évoque trois situations difficiles : la vie dans une société dont le gouvernement n’est pas toujours irréprochable, la souffrance au travail, et la solitude dans le couple.

Vincent a prêché la semaine dernière sur l’appel à être des citoyens exemplaires, et je vous invite à lire la suite.

Lecture biblique : 1 Pierre 2.18-25

17 Honorez tous les hommes, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi.

18 Serviteurs, soyez soumis avec une profonde crainte à vos maîtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux acariâtres. 19 Car c’est une grâce de supporter, par respect pour Dieu, des peines que l’on souffre injustement. 20 Quelle gloire y a-t-il, en effet, à supporter les coups si vous avez commis une faute ? Mais si, après avoir fait le bien, vous souffrez avec patience, c’est là une grâce aux yeux de Dieu.           

21 Or c’est à cela que vous avez été appelés, car le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces :

22 Lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de tromperie ; 23 lui qui, insulté, ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance, ne menaçait pas, mais s’en remettait au juste Juge ; 24 lui qui, dans son propre corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont les meurtrissures vous ont guéris. 25 Car vous étiez égarés comme des brebis, mais maintenant vous vous êtes tournés vers le berger et le gardien de vos âmes.

1/ le contexte de l’esclavage

Esclaves, soyez soumis! Même lorsque votre maître est injuste et cruel.

C’est difficile à entendre, les mots sont forts, choquants, et paraissent loin de notre vision de l’Evangile. Le texte était déjà choquant à l’époque de Pierre, mais pas pour les mêmes raisons…

Pierre n’emploie directement le mot “esclave”, mais serviteur. Mais les serviteurs étaient en général des esclaves. Quelques mots sur l’esclavage qui évoque pour nous différentes réalités, marquées par l’injustice, l’hypocrisie, et la violence, à différentes périodes de l’Histoire.

Dans l’Antiquité, le modèle “patron-salarié” existe assez peu : la plupart des “employés” sont des esclaves. Sont esclaves les ouvriers dans les mines, les gens de maison, les fonctionnaires, les employés de PME… On compte, selon les époques, et selon les chercheurs, entre 25 et 90% d’esclaves dans la société. C’est le modèle du travail, avec des conditions de vie et de travail très variables : entre un premier ministre sous l’ordre du roi ou de l’empereur qui vit confortablement au palais, et un ouvrier du bâtiment qui travaille sans sécurité, logé dans un baraquement de fortune, soumis aux coups d’un contremaître indifférent, il y a tout un monde, qui reflète la diversité des conditions de travail qu’on pourrait retrouver aujourd’hui.

Il y a cependant une spécificité à l’esclavage: l’esclave ne s’appartient pas, il appartient à son maître. Il fait partie de ses propriétés, voire de ses outils, et il est entièrement soumis à son autorité : le maître a quasiment tout pouvoir sur lui.

On peut comparer l’esclavage à la caste des Intouchables en Inde, cette caste en-dessous de tout, qui n’a aucun statut dans la société. En Inde, beaucoup de chrétiens viennent de la caste des intouchables : ces “moins-que-rien” découvrent avec émerveillement que Jésus les aime et les élève au rang d’enfants de Dieu. De la même façon, dans l’Antiquité, beaucoup d’esclaves se tournent vers le Christ et composent une grosse partie des églises.

Pour nous qui vivons avec les Droits de l’Homme, dans une société d’émancipation qui recherche la liberté et qui affirme l’égalité de tous, le message de Pierre paraît d’un conformisme décevant. Il faut bien se dire que ce n’est pas le même monde : là où nous avons certains recours quand la situation dégénère, en particulier au travail, à l’époque il n’y a ni police, ni syndicat, ni prud’hommes… Un esclave qui se rebelle ou qui est rattrapé après s’être enfui a de fortes chances d’être frappé, mutilé, voire tué en réponse.

Pierre ne s’exprimerait pas tout à fait de la même façon aujourd’hui. Quoique ! Même si les conditions de travail se sont nettement améliorées, et qu’un employé en théorie peut toujours démissionner, il y a bien des situations d’injustice dans lesquelles on peut se sentir coincé: quand l’adversaire est trop important, quand le système dysfonctionne, quand il y a de la corruption, etc.

En s’adressant aux esclaves, Pierre ne se prononce pas sur ce que devrait être la situation : il ne cautionne pas l’esclavage en tant que tel ! Son exhortation ne nous empêche de lutter pour plus de justice en milieu professionnel. Mais en attendant l’évolution de la société, que fait-on demain matin ? A quoi est appelé le chrétien dans une situation injuste, difficile, qui ne se résoudra peut-être jamais ou en tout cas pas tout de suite?

2/ un appel à la soumission?

L’appel de Pierre est a priori simple à comprendre : esclaves, soyez soumis à votre maître, pas seulement quand c’est facile, mais aussi quand c’est difficile.

Qu’implique cette soumission ? Là aussi c’est connoté ! Il faut regarder ce que dit le texte: ici, se soumettre à son maître, quoi qu’il arrive, c’est supporter des punitions injustes, contrairement au fait d’être puni parce qu’on a mal agi. Être puni parce qu’on a volé ou menti, c’est normal, ce n’est pas de la persécution! Mais il arrive qu’on soit puni alors qu’on a bien agi: soit parce que le chef montre de la méchanceté gratuite, soit parce qu’on a refusé de se compromettre et de mal agir malgré les ordres. La sanction tombe, alors qu’on n’a rien à se reprocher.

Pierre n’exhorte pas à rechercher la souffrance! Mais à rester intègre, quoi qu’il arrive, quel que soit l’interlocuteur ou l’adversaire.

Pierre passe du temps sur cette situation de l’esclave maltraité: déjà parce que c’est le lot de beaucoup de chrétiens à son époque, mais aussi parce qu’il y voit un parallèle particulier avec la figure du Christ. Pierre s’inspire de cette vieille prophétie d’Esaïe 53, qui compare le Messie à un serviteur souffrant, à un homme injustement maltraité, à une brebis muette sur le chemin de l’abattoir… Christ, bien qu’innocent et juste, nous a obtenu en subissant sur la croix les sanctions que nous méritions. Il s’est humilié, soumis, mis en-dessous de tout, pour nous relever. Mais la croix, ce n’est pas seulement la porte qui s’ouvre sur notre salut, un point de passage qu’on peut laisser derrière soi : c’est un style de vie. Pierre insiste: Jésus a souffert pour vous, pour vous obtenir le pardon ET pour vous donner un modèle.

Alors, on n’est pas Jésus, le Sauveur de l’humanité, et on n’est pas appelés à mourir sur la croix pour sauver les autres: un seul pouvait le faire, et sa mort a suffi. Par contre, le fait que Jésus soit toujours resté innocent, intègre, irréprochable, exemplaire, dans tout ce qu’il a fait, quel que soit son adversaire, ça nous sommes appelés à l’imiter, quitte à en souffrir. A la croix, nous sommes acquittés de nos injustices, pour vivre dans la justice de Dieu.

Cette intégrité mise à l’épreuve, dit Pierre, est une grâce, un honneur, et même une vocation, parce qu’elle nous permet de prouver qu’on ressemble au Christ, comme les défis, les exercices, dont je parlais au début. Une épreuve, dans les deux sens du terme, qui révèle la nature de notre vie nouvelle. Prenez l’exemple du mouvement non-violent conduit par MLK: c’est facile d’être non-violent avec un mari qui vous aime, un enseignant respectueux, un supérieur plein d’humilité. Mais là où la non-violence a une chance de se révéler, et de marquer les esprits, c’est lorsqu’elle s’oppose à la violence et à l’injustice. Aimer ceux qui nous aiment et qui nous font du bien, c’est facile, disait Jésus, mais aimer ceux qui nous font mal, c’est là que réside l’originalité de la vie nouvelle marquée par l’amour de Dieu. Un amour d’un autre monde, qui s’est démontré pour nous alors que nous étions ses ennemis, un amour qui s’éprouve avec ceux qui nous font du mal.

Ca ne veut pas forcément dire qu’on accepte tout et qu’on ne met aucune limite, qu’on glorifie la souffrance ou qu’on aime la douleur. L’exemple du Christ nous appelle plutôt à une vie juste, quoi qu’il en coûte.

C’est refuser de répondre à la violence par la violence, à l’injustice par le sabotage ou la vengeance, c’est s’abstenir des magouilles, des calomnies, des tactiques d’intimidation, des insultes, c’est respecter les règles du jeu même quand l’autre ne le fait pas. Imiter le Christ, c’est faire de son mieux, toujours, même avec le pire.

3/ Responsables de notre chemin

Le maître apparemment y gagne. Les carcans de la société semblent se renforcer. Et soi-même, on passe pour quoi? Refuser d’utiliser les armes à notre disposition, même si elles sont injustes, c’est passer pour un faible, un lâche, “trop bon trop… bête”. Socialement, on est perdant, incompris, en plus de toutes les difficultés inhérentes à la situation.

L’exhortation de Pierre apporte un autre regard, le regard de Dieu. Déjà, il s’adresse directement aux esclaves: en dehors du NT, aucun écrit ne fait ça. On ne parle pas à des outils, sauf pour leur donner des ordres! Mais Pierre, au nom de Jésus, interpelle ces esclaves, et plus largement ceux qui se sentent écrasés, impuissants, humiliés, incompris, coincés, en leur disant qu’ils ont le choix. Oui, ils ont le choix, dans cette impasse. Pas forcément le pouvoir de changer les choses, mais le choix de supporter l’injustice d’une manière intègre et droite. Le choix de courber le dos, non parce qu’ils sont faibles, mais parce qu’ils suivent l’exemple du Christ, le Juste, et prennent leur croix. Oui, ils ont le choix de résister au mal et de ne pas se laisser embarquer à leur tour dans l’injustice. La crainte dont parle Pierre, c’est la crainte de Dieu, la foi, le désir de servir le Maître, le juste Maître qui s’est donné pour les racheter et les appeler à la liberté.

Ce ne sont pas des moins-que-rien, ce sont des imitateurs du Christ, le Fils de Dieu lui-même, qui a enduré l’injustice par amour pour nous, pour nous rendre justes aux yeux de Dieu. Le suivre, prendre sa croix, imiter Jésus, c’est faire de son mieux, toujours faire de son mieux et choisir la justice.

Alors c’est extrêmement difficile, quasiment infaisable à vue humaine, et c’est seulement en se rapprochant du Christ, en s’imprégnant de son style, en lui demandant l’aide de son Esprit, que nous avons une chance de grandir dans cette intégrité. Et Pierre ajoute une remarque, qui fait écho au début de notre culte: le Christ s’est confié au juste Juge. Même dans le pire des cas, face à la pire des incompréhensions, Dieu voit, et il mesure, et il prend en compte ce que nous faisons. Lui, il rendra justice, en son temps. C’est en gardant les yeux fixés sur cet horizon de justice, cet héritage impérissable dont Pierre parlait au début, que nous pouvons traverser les vallées sombres: la lumière de la justice de Dieu ne tardera pas à se manifester – conduisons-nous donc, comme dit Paul, quoi qu’il arrive, en enfants de lumière, en personnes lumineuses et justes, pour la gloire de Dieu.

Une espérance à vivre!

Regarder la vidéo de la prédication ici

Stéphanie, convertie il y a quelques années, est mariée à un homme qui ne fait aucun effort pour comprendre sa démarche spirituelle. Frédéric enseigne l’économie et souffre, régulièrement, d’entendre en salle des profs ses collègues dénigrer la foi chrétienne. Elodie se sent de plus en plus mal à l’aise dans les repas de famille, où les discussions autour de l’astrologie et de la voyance heurtent ses convictions. Lucas a été choqué, hier, de voir des tags anti-chrétiens en passant devant une église. Ca lui a rappelé les derniers articles lus dans le journal qui caricaturaient la foi évangélique. A la fac, les amis d’Alexa lui mettent la pression pour qu’elle les suive dans leurs aventures, qu’elle se « libère » un petit peu ! Olivier suit de près l’actualité politique, et s’inquiète depuis plusieurs années de ce qui passe pour de la laïcité. Quant à Sophie, elle est confrontée aux dysfonctionnements de son travail, parfois aux limites de l’illégalité, et elle se demande comment suivre Jésus dans ce contexte.

Ils sont chrétiens, et comme nous, il leur arrive de ressentir ce sentiment d’étrangeté, de décalage, voire de rejet, de la part d’individus ou de la société ambiante. Oui, il y a bien pire ailleurs, beaucoup sont persécutés pour leur foi, mais il n’empêche que cette situation est inconfortable. Ils se sentent parfois comme étrangers dans leur propre pays. Dans ces moments-là, on est tenté de céder, de faire comme les autres pour avoir la paix. Ou alors de se protéger en s’enfermant dans une bulle chrétienne.

Les chrétiens d’Asie mineure (Turquie) à qui écrit l’apôtre Pierre, quelques décennies après Jésus-Christ, ressentent aussi ces tensions de l’exil  (1 Pierre 1.1):

De la part de Pierre, apôtre de Jésus Christ.

À ceux que Dieu a choisis et qui vivent en immigrés/ étrangers/ exilés, dispersés dans les provinces du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bithynie. 

Dans des contextes différents, les difficultés se ressemblent. Pierre veut encourager à tenir bon dans cet exil. Et il commence, Vincent l’a prêché dimanche dernier, avec le rappel de l’espérance puissante, vivante, qui nous est donnée en Christ. Et Pierre insiste sur l’impact de cette espérance sur la vie quotidienne, concrète, de ceux qui croient. Il précisera plus tard à quoi ça peut ressembler dans tel ou tel contexte de vie, mais il affirme, ici, de manière générale, le principe : l’espérance vivante reçue en Christ est une espérance à vivre !

Lecture biblique : 1 Pierre 1.13-2.3

13 C’est pourquoi tenez-vous prêts à agir, gardez votre intelligence en éveil. Mettez votre espérance tout entière dans le don qui vous sera accordé quand Jésus Christ se révélera. 

14 Obéissez à Dieu et ne vous conformez pas aux mauvais désirs que vous aviez autrefois, quand vous étiez encore ignorants. 15 Mais soyez saints dans toute votre conduite, tout comme Dieu qui vous a appelés est saint. 16 En effet, l’Écriture déclare : « Vous serez saints, car je suis saint. » (Lévitique 19.2)         

17 Dans vos prières, vous donnez le nom de Père à Dieu qui juge de manière équitable, selon ce que chaque personne a fait ; c’est pourquoi, durant le temps qu’il vous reste à séjourner sur la terre [littéralement: de votre exil], que votre conduite témoigne du respect [crainte] que vous avez pour lui. 18 Vous savez, en effet, à quel prix vous avez été délivrés de la manière de vivre que vos ancêtres vous avaient transmise et qui ne menait à rien. Ce ne fut pas au moyen de choses périssables, comme l’argent ou l’or ; 19 non, vous avez été délivrés par le sang précieux du Christ, comme celui d’un agneau sans défaut et sans tache. 

20 Dieu l’avait désigné pour cela, avant même la création du monde, et c’est pour vous qu’il l’a manifesté dans ces temps qui sont les derniers. 21 Par lui, vous croyez en Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous pouvez placer votre foi et votre espérance en Dieu.

22 Vous vous êtes purifiés en obéissant à la vérité, pour vous aimer sans hypocrisie comme des frères et des sœurs. Aimez-vous donc ardemment les uns les autres, d’un cœur pur.  23 En effet, vous êtes nés de nouveau, non d’une semence périssable, mais grâce à une semence impérissable, grâce à la parole de Dieu qui est vivante et qui demeure à jamais. 24 Car il est écrit : « Tout être humain est comme l’herbe, et toute sa gloire comme la fleur des champs ; l‘herbe sèche et la fleur tombe, 25 mais la parole du Seigneur demeure pour toujours. » (Esaïe 40.6-8)

Or, cette parole est celle de la bonne nouvelle qui vous a été annoncée.   

2.1 Rejetez donc toute forme de méchanceté, toute ruse, ainsi que l’hypocrisie, la jalousie et les calomnies. 

2 Comme des enfants nouveau-nés, désirez avec ardeur le lait pur de la parole de Dieu, afin qu’en le buvant vous grandissiez jusqu’au salut. 3 En effet, « vous avez goûté combien le Seigneur est bon. » (cf. Psaume 34.9)

L’œuvre fondamentale de Dieu

Pierre est passé du constat à l’exhortation, de l’indicatif : vous êtes, à l’impératif : faites ! Après la description de l’espérance vient l’invitation à vivre totalement cette espérance. Et c’est très important que ce soit dans ce sens-là ! C’est parce qu’on a reçu énormément en Christ, qu’on a une responsabilité. Mais l’initiative, la base, la source – c’est l’œuvre de Dieu. C’est en réponse à son œuvre que nous sommes invités à œuvrer.

Ces indicatifs de la foi sont tellement importants que Pierre les rappelle au milieu de ses exhortations :

1.15 Dieu qui vous a appelés

1.19 vous avez été délivrés par le sang précieux du Christ, comme celui d’un agneau sans défaut et sans tache. 

1.20 Dieu avait désigné [Jésus] pour cela avant même la création du monde

1.21 Dieu qui a ressuscité [Jésus]

1.22 Vous vous êtes purifiés en obéissant à la vérité

2.1 vous êtes nés de nouveau

2.3 puisque « vous avez goûté combien le Seigneur est bon. »

C’est Dieu qui a appelé, qui a pris l’initiative, c’est lui qui a œuvré à travers Christ, mort et ressuscité, pour que nous soyons délivrés, purifiés, de nos schémas stériles et destructeurs. Pierre parle d’un prix qui a été payé, par la mort de Jésus, comme une rançon versée pour nous faire sortir de ces dysfonctionnements internes et externes qui nous tenaient en otages. Mais l’image évoque aussi les anciens sacrifices juifs, qui montraient le besoin de couvrir les fautes, de purifier les taches de notre vie.

Même sans être familier des sacrifices, la pureté nous parle ! C’est la désinfection que l’on cherche avec le sacro-saint gel hydroalcoolique ; c’est la garantie d’éliminer 100% des bactéries avec l’eau de javel ; c’est l’eau pure, potable, que l’on peut boire sans réserve une fois qu’elle a été traitée chimiquement ou de manière naturelle, avec des bactéries. Dieu nous a désinfectés, traités, assainis – et son œuvre est tellement radicale, que la recevoir c’est comme naître de nouveau !

Déterminés à être saints

Mais naître ne suffit pas : il faut grandir ! On naît pour grandir, pas pour rester nourrisson… Le projet de développement, d’éducation, de croissance, pour le chrétien se résume en un mot : la sainteté. Devenir saints, pour ressembler au Dieu qui est saint. Refléter à notre façon les couleurs qui rendent Dieu si unique et merveilleux : juste, joyeux, aimant, lumineux, fidèle, véridique, pacifique, courageux, généreux… Au lieu de chercher des influenceurs sur les réseaux sociaux, Pierre nous invite à regarder au meilleur des modèles : le Christ, image parfaite de Dieu.

Quelle pression ! Mais comme toute croissance, c’est un processus… un processus où Dieu œuvre, mais qui compte aussi sur notre détermination.

Au v.13, soyez vigilants, tenez-vous prêts à agir – littéralement, mettez une ceinture à votre intelligence : à l’époque, les vêtements étaient larges et amples, et on mettait une ceinture pour sortir. Aujourd’hui : mettez votre manteau, vos baskets, ne vous effondrez pas sur le canapé, n’allez pas vous cacher au fond du lit, mais tenez-vous prêts. Soyez prêts à faire des efforts, pour vivre à fond votre espérance. Car il y a des efforts à faire pour refléter la grâce : comme les musiciens, la plus délicate des danseuses a passé des heures, des mois, des années, à s’entraîner pour interpréter le rôle de sa vie. Nous sommes appelés à refléter Dieu – c’est notre rôle ! mais pour que la grâce se déploie, il faut que nous soyons déterminés.

L’effort fondamental et continu, c’est de se détacher des schémas anciens, des traditions surfaites, des fonctionnements vides qui conduisent à notre perte. C’est ne plus se conformer – sans pour autant vivre dans une société parallèle. Mais au milieu des autres, tenir la ligne de l’Evangile implique de faire le tri et de renoncer à certains comportements, modes de pensées, objectifs de vie, qui sont incohérents avec la grâce, qui ne sont pas sain(t)s pour nous.

Et pour nous motiver à tenir la barre en situation d’exil, Pierre rappelle que c’est sérieux ! Dieu, le grand Dieu qui nous appelle « fils » et « fille », est aussi le Juge. Pour nous les deux images ne vont pas forcément ensemble, mais dans l’Antiquité, et même jusqu’au 19e s. en France, le père de famille fonctionnait un peu comme un juge des affaires familiales. Vivre avec la crainte de Dieu, ce n’est pas avoir peur de Dieu, c’est se rappeler qu’il est passionné et exigeant, qu’il souhaite le meilleur et le plus juste en toutes circonstances, et qu’il a tout donné pour que nous vivions autrement – on ne peut pas prendre à la légère son investissement.

Vivre d’amour et de Parole 

Sur le parcours de la sainteté, deux balises aident à nous orienter : l’amour et la Parole. [clic] L’amour fraternel, dans l’église, et la Parole de Dieu, au travers des Ecritures.

L’amour de l’autre résume ce qu’est la sainteté. Mais dans ce vaste amour du prochain, que nous sommes appelés à cultiver envers tous, et Pierre y reviendra plus tard, l’amour fraternel dans l’église a une particularité : c’est une aide. L’amour fraternel n’est pas juste la convivialité (qui nous manque tant !), c’est le vis-à-vis dont nous avons besoin pour être encouragés ; c’est partager nos défis, nos questions, nos luttes, nos rêves… veiller les uns sur les autres, nous soutenir, nous conseiller. L’église, même à deux ou trois, peut nous remotiver à vivre dans l’exil qui est le nôtre quelle qu’en soit la forme. Et lorsque Pierre évoque ce qu’il faut rejeter en tant que chrétien, il prend l’exemple des mesquineries de la relation, des rumeurs, du mépris, de l’égoïsme… tout ce qui peut fragiliser les liens de la communauté et nous isoler un peu plus.

Dans cette période de distanciation physique, les relations s’étiolent aussi – alors qu’on en a besoin ! Même si on ne peut pas cultiver beaucoup de relations, peut-être choisir une ou deux personnes de confiance avec qui partager à distance pour s’entraider à tenir le cap.

Etre saint, aimer… le défi est immense ! Si nous comptons sur nos propres forces, nous retomberons dans nos travers… Nous avons besoin d’une sève nouvelle, différente, qui nous aide à vivre dans la bonté et la justice de Dieu. Cette sève, elle vient de la graine de la Parole de Dieu, plantée dans notre cœur, arrosée par le Saint Esprit. Une Parole qui nous fait voir les choses autrement, qui nous révèle les plans éternels de Dieu, son caractère, son œuvre, ses projets pour nous et avec nous… qui nourrit en nous de bonnes dynamiques, qui clarifie les objectifs, qui encourage ou qui rappelle à l’ordre pour nous garder sur le bon itinéraire. Cette parole est fiable : c’est celle de Dieu, le Dieu éternel, vrai, permanent – les principes qu’elle livre sont toujours valables, applicables différemment selon les contextes, mais toujours sensés et sûrs.

 

Puisque vous avez goûté à la bonté de Dieu, à l’extraordinaire générosité de son pardon, à la liberté qu’apporte son regard de vérité, à l’espoir que fait naître le Ressuscité, tenez bon ! Ôtez les cailloux, arrachez les mauvaises herbes, arrosez et mettez de l’engrais, bref, cultivez, auprès du Seigneur, cette plante d’espérance qui porte de si beaux fruits, même quand la météo se fait rude.

L’expérience de la résurrection

https://www.youtube.com/watch?v=MlhR9jQDGHo

La résurrection du Christ étire notre imagination au-delà de ce que nous connaissons : comment ça s’est passé ? A quoi Jésus ressemblait-il ? Comment la mort, ce point commun qui nous unit tous, peut-elle être vaincue ? Comment est-ce possible ? Par la foi, nous passons du comment ?? au comment ! Quelle victoire ! Comme il est grand !

Et notre émerveillement se nourrit de ces questions… Nous sommes émerveillés parce que nous sommes toujours un peu surpris par la résurrection, et que nous ne pouvons pas en faire le tour, en épuiser le sens, en expliquer le processus.

Or l’émerveillement n’est pas juste un instant fugace, une parenthèse annuelle ou hebdomadaire dans un quotidien ordinaire. L’impressionnante résurrection du Christ est aussi une invitation, une invitation à laisser cette réalité inimaginable s’imprimer durablement dans notre vie.

Comme Jean, Luc nous raconte la 1e rencontre entre Jésus et l’ensemble de ses disciples. C’est un texte qu’on lit finalement assez rarement… Pour remettre dans le contexte, nous en sommes à la 3e apparition du Christ ressuscité. Dimanche matin, il apparaît aux femmes venues au tombeau. Dimanche dans la journée, il va à la rencontre de deux disciples périphériques (hors des Onze, le cercle rapproché de Jésus) en route vers le village d’Emmaüs. Ceux-ci, bouleversés par leur rencontre avec Jésus, se dépêchent de revenir à Jérusalem pour tout raconter au cercle rapproché.

Lecture biblique : Luc 24.36-49

36 Ils parlaient encore, quand Jésus lui-même se présenta au milieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous ! » 

37 Ils furent saisis de crainte, et même de terreur, car ils croyaient voir un fantôme. 

38 Mais Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous troublés ? Pourquoi avez-vous ces doutes dans vos cœurs ? 39 Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, contrairement à moi, comme vous le constatez. » 

40 Il dit ces mots et leur montra ses mains et ses pieds. 

41 Comme ils n’arrivaient pas encore à croire, tellement ils étaient remplis de joie et d’étonnement, il leur demanda : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » 

42 Ils lui donnèrent un morceau de poisson grillé. 43 Il le prit et le mangea devant eux. 

44 Puis il leur dit : « Quand j’étais encore avec vous, voici ce que je vous ai déclaré : ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les livres des Prophètes et dans les Psaumes, tout cela devait s’accomplir. » 

45 Alors il leur ouvrit l’intelligence pour qu’ils comprennent les Écritures, 46 et il leur dit : « Voici ce qui est écrit : le Christ souffrira, et ressuscitera d’entre les morts le troisième jour, 47 et l’on proclamera son nom devant toutes les populations, en commençant par Jérusalem ; on appellera chacun à changer de vie et à recevoir le pardon des péchés. 48 Vous êtes témoins de tout cela. 49 Et j’enverrai moi-même sur vous ce que mon Père a promis. Et vous, restez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez remplis de la puissance d’en haut. »

 

La résurrection : une expérience concrète

La première partie du récit se concentre sur la rencontre entre Jésus et ses disciples.

Même s’ils savent que Jésus est ressuscité, entre l’entendre et le voir, entre l’idée de la résurrection et la réalité concrète, il y a un gouffre ! Ils croient voir un fantôme ! Tout se mélange : d’abord la peur, la terreur même, les doutes, la confusion… qui ne s’effacent pas tout de suite. Il ne suffit pas d’y croire pour avoir digéré la nouvelle ! Jésus insiste par deux fois : en montrant son corps, puis en mangeant un morceau. Il prend le temps de leur montrer que c’est vrai, oui c’est bien vrai, il est vivant !

Jésus insiste : ce n’est pas une fake news ! Il est vraiment ressuscité !

On l’éprouve (dans les deux sens !) depuis plus d’un an : la présence physique est le plus haut degré de réalité. C’est ce qui fait que les visio-conférences ou les appels téléphoniques sont bien, mais… moins que d’être ensemble. Ce sont des ersatz – dont on est reconnaissants, mais qui ne remplacent pas l’intensité de ce que l’on peut vivre ensemble, physiquement.

Jésus prend la peine d’insister sur la réalité concrète de la résurrection (touchez-moi, palpez-moi, regardez-moi mâcher ce poisson grillé) : la résurrection est complètement réelle – pas seulement sur le plan spirituel (comme si l’âme seule était concernée), ni sur le plan symbolique (comme une belle idée, l’image d’un nouveau départ). Touchez votre chaise (ou votre canapé !), touchez vos mains… Le Christ ressuscité est tout aussi réel.

Comme l’herbe au printemps perce le sol durci par l’hiver, le Christ a percé la mort pour en faire surgir une vie concrète, durable, appelée à fleurir et à porter du fruit.

 Une expérience à interpréter

Mais Jésus ne s’arrête pas à l’expérience : comme avec les disciples sur le chemin d’Emmaüs, il va « ouvrir leur intelligence » et leur montrer combien ce qu’il a vécu est en accord avec les prophéties juives. Les disciples sont perturbés par la surprise de voir Jésus vivant à nouveau, d’autant plus que sa crucufixion ressemblait un échec : condamné dans des conditions injustes, déshonoré et humilié, mis à mort comme la pire des ordures.

Jésus n’explique pas « comment », mais il rappelle pourquoi, il rappelle le sens de ce qui s’est passé. Tout ce qui est indigne de Dieu, tout ce qui est indigne de la vie pleine et entière que nous désirons au plus profond de nous, tout ce qui contrarie / tord / dévie / contredit ce que nous sommes appelés à vivre et à être – des bénédictions remplies de la bénédiction de Dieu – tout ce qui nous fait honte, nous vide, nous désoriente : la Bible appelle cela le péché, le nôtre individuellement, inscrit dans la distorsion de notre monde, qui ne tourne pas rond. Et le cœur de l’Evangile, la Bonne Nouvelle que Jésus annonce : Dieu ne nous a pas laissés écrasés par la souffrance, empêtrés dans nos travers, mais il est venu parmi les humains en plein milieu de ces situations de mort, jusque dans la mort elle-même, pour les porter à notre place. Lui, qui est digne de toute gloire, absorbe et couvre nos indignités. Par sa résurrection, il prouve qu’il a encaissé tous les coups de l’accusation, et qu’il se tient maintenant debout, victorieux. Qui d’autre pourrait nous relever et nous remettre en marche ?

La main bien réelle qu’il nous invite à toucher est une main tendue.

Mais il faut la saisir ! C’est le changement dont parle Jésus, parfois traduit « repentance », la « metanoia » / conversion/ demi-tour qui nous fait revenir vers Dieu, pour chercher auprès de lui notre salut, et non en nous ou autour de nous. Pour chercher celui qui est en haut, debout, et qui seul peut nous relever.

Dans ce mouvement, on renonce – à nos illusions, à notre orgueil mal placé, à nos pratiques toxiques – et on adopte : le Christ, sa perfection qu’il partage avec nous, sa connexion avec Dieu. La Bonne Nouvelle qu’incarne Jésus, c’est qu’il suffit de nous tourner vers Dieu pour qu’une nouvelle vie soit possible – ici-bas, et pour toujours, dans la présence et la paix de Dieu. Si nous avons la foi, la confiance en Christ, il percera tout ce qui est mortifère comme il a percé la mort au matin de Pâques. Aujourd’hui, demain, autant de fois qu’il le faut, pour que nous soyons reconnectés avec Dieu, comblés par son amour et sa paix.

Cette bonne nouvelle ne peut pas s’arrêter aux quelques disciples qui sont là ! L’humanité entière est empêtrée, écrasée, d’une façon ou d’une autre, plus ou moins, mais où que l’on regarde, aujourd’hui comme dans l’Antiquité, il y a besoin du secours de Dieu en Christ, d’un nouveau départ pour une vie nouvelle, façonnée par la justice, la vérité et l’amour (rien que ça ! mais c’est ce que Dieu promet, puisque c’est ce qu’il est !).

Alors que les disciples sont encore en train de raccorder les wagons, de digérer l’expérience et d’en saisir le sens, Jésus leur confie une mission : partager ce qu’ils ont reçu, cette promesse et cette invitation. Et pour porter ce message, il leur promet l’aide de Dieu lui-même, par son Esprit, qui leur donnera de l’intérieur sagesse et force, intuition et compassion.

Témoins ordinaires d’un Christ extraordinaire

C’est la spécificité de ce texte : Jésus envoie ses disciples comme témoins.

Qui est témoin ? Les disciples… ceux qu’on appellera apôtres, « envoyés », qui proclameront les premiers le message du Christ mort et ressuscité, celui qui accomplit les prophéties juives, celui qui répond aux besoins de tous.

Comment nous situer, nous, à leur suite ? Est-ce que seuls les pasteurs, missionnaires, évangélistes, sont témoins ? Même si les personnes qui ont ces ministères ont un rôle spécifique à jouer, tous les disciples sont appelés à être témoins. Le texte de ce matin nous donne plusieurs encouragements dans ce sens :

  • D’abord, les disciples sont normaux. Ordinaires. Sujets à la peur, au doute, à l’ambiguïté d’une joie qui se mélange aux questions. Les disciples sont des gens normaux, comme nous…
  • Et puis le champ de mission reste le même… Partout où nous allons, partout où nous vivons, nous côtoyons des personnes qui ont besoin de Dieu, et que Dieu appelle, qu’elles s’en rendent compte ou non.
  • Ce qui va nourrir leur témoignage, c’est l’expérience de la rencontre avec le Christ vivant. Même si nous n’avons pas touché Jésus ce fameux dimanche, peut-être que nous l’avons vu dans une vision ou un rêve, peut-être que nous avons été rempli de son amour immense, peut-être que nous avons été délivrés d’un poids qui écrasait nos épaules, peut-être que nous avons enfin trouvé un sens à notre vie… La façon dont Dieu communique avec nous aujourd’hui n’est peut-être pas visible, mais elle est forte et réelle.

Parfois nous hésitons à parler de notre foi, parce que nous avons peur des questions auxquelles nous n’aurions pas de réponse. Mais les premiers disciples n’ont pas réponse à tout, ils ont encore des doutes !… C’est de ce qu’ils connaissent, de ce qu’ils vivent avec Dieu grâce au Christ, qu’ils sont appelés à rendre témoignage.

  • A côté de notre expérience, deux éléments forment le trio gagnant : la Bible, qui consigne les Ecritures – les disciples seront convaincus par les Ecritures qui éclairent et donnent sens à leur expérience. On peut se méprendre sur un sentiment, un événement, une expérience : c’est la Bible qui nous aide à déchiffrer ce qui arrive.

Et puis le Saint Esprit, en nous, qui oriente, éclaire, convainc, soutient… Ce n’est pas notre force ou notre intelligence qui va bouleverser ceux qui nous entourent : c’est Dieu dans la puissance de son amour qui touchera les cœurs tourmentés…

Mais nous, nous pouvons être témoins de ce que nous avons vécu, de ce que nous avons compris grâce à la Parole de Dieu, confiants que Dieu lui-même par son Esprit nous souffle les paroles et les gestes par lesquels il veut rejoindre nos proches.

La résurrection du Christ est impressionnante… elle nous émerveille, bien plus, elle a vocation à s’imprimer en nous, sur nous, comme un tatouage lumineux qui recouvrirait peu à peu notre vie. Le support, c’est juste nous, ce que nous vivons avec Dieu – l’encre, Dieu la fournit, et le message aussi.

Et Jésus pleura.

Voir la vidéo ici: https://www.youtube.com/watch?v=42DoVie49YM

Imaginez ce que vivent Marthe & Marie. Elles ont perdu leur frère, encore jeune, d’une maladie foudroyante, en quelques jours seulement. Quand un jeune meurt, si vite, si brutalement, la question qui surgit, c’est « pourquoi ? » « Pourquoi lui ? pourquoi comme ça ? C’est injuste ! » Peut-être même : « Si Dieu est là… pourquoi ? » La mort de Lazare est une tragédie.

Comme les tragédies qui nous touchent, nous, aujourd’hui. Au niveau mondial ou personnel : la mort d’un proche, un accident, une rupture, une injustice, quoi que ce soit qui soudain nous enlève la joie.

En lisant l’ensemble du chapitre 11 de l’évangile de Jean, nous comprenons que Jésus a volontairement retardé sa visite à Lazare : lui le faiseur de miracles retarde son intervention, pas par cruauté, mais pour que le miracle soit plus grand. Pour montrer matériellement que par lui, Jésus, la vie va vaincre la mort. Il va ressusciter Lazare, et ce miracle, à quelques jours de son arrestation, de sa propre mort, annonce sa résurrection à lui, et la résurrection qu’il promet à toute personne qui a foi en lui.

Dans l’histoire, les pleurs se changent en joie, la lamentation en allégresse – comme un prototype de ce que Jésus nous promet : Dieu ajoute un chapitre à nos tragédies, un chapitre d’espérance et de joie.

Mais Jean ralentit son témoignage pour nous faire observer les réactions personnelles de Jésus.

Lecture biblique : Jean 11.28-39

28 Après avoir [parlé avec lui], Marthe s’en alla. Puis elle appela Marie, sa sœur, et lui dit en secret : « Le maître est arrivé, il t’appelle. » 29 Dès qu’elle entendit cela, celle-ci se leva vite pour venir à lui ; 30 car Jésus n’était pas encore entré dans le village ; il était encore au lieu où Marthe était venue au-devant de lui. 

31 Les Juifs qui étaient dans la maison avec Marie pour la réconforter la virent se lever vite et sortir ; ils la suivirent, pensant qu’elle allait pleurer au tombeau. 32 Lorsque Marie fut arrivée là où était Jésus et qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! »

33 Quand Jésus la vit pleurer, et qu’il vit pleurer aussi les Juifs qui étaient venus avec elle, son esprit s’emporta et il se troubla. 34 Il dit : Où l’avez-vous mis ? — Seigneur, lui répondirent-ils, viens voir ! 

35 Jésus fondit en larmes. 

36 Les Juifs disaient donc : C’était vraiment son ami ! 37 Mais quelques-uns d’entre eux dirent : Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas aussi faire en sorte que cet homme ne meure pas ?

38 Jésus, s’emportant de nouveau, vint au tombeau. C’était une grotte, et une pierre était placée devant. 39 Jésus dit : Enlevez la pierre.

    [v.31-33a] On est loin d’une scène intimiste : il y a tout un cortège de visiteurs, et de professionnels du deuil. A l’époque, même une famille pauvre était censée engager deux joueurs de flûte et une pleureuse pour honorer la personne défunte. Or la famille de Marthe, Marie et Lazare est sûrement une famille de notables, connus jusqu’à Jérusalem. Donc il y a du monde, et du bruit, et de l’agitation ! D’une manière très différente de la pudeur occidentale – il y a des rituels, des manifestations physiques, des cris…

Au milieu de tout cela, Marie accourt vers Jésus. Elle lui dit la même chose que Marthe : « si tu avais été là… » et elle s’effondre à ses pieds. Avec Marthe, Jésus avait parlé foi, doctrine, il avait raisonné. Mais ici, devant l’émotion nue de Marie, Jésus réagit différemment : l’émotion le saisit alors même qu’il part faire le miracle. Revenons sur les expressions utilisées :

  • v.33b et v.38: Jésus s’emporte, dans son esprit. Littéralement, c’est le mouvement du cheval qui se rebiffe, un mouvement d’irritation. On peut y lire de l’indignation, du rejet. Il aura la même réaction devant le tombeau de Lazare.
  • v. 33b: et il se trouble en lui-même. Dans le reste des évangiles, ce trouble on le trouve chez ceux qui voient Jésus faire des miracles. Devant l’impensable, le surnaturel, ils sont bouleversés. Mais ici, et dans tout son chemin vers la Croix, c’est Jésus qui est bouleversé, comme devant quelque chose d’impensable.
  • v.35 : en route vers le tombeau, Jésus verse des larmes. Ce n’est pas le même mot que les pleurs bruyants des autres (klaiô). Ce verbe (dakruô) n’est utilisé qu’une seule fois dans tout le Nouveau Testament – les larmes coulent. Il ne rejoint pas les autres dans leur lamentation funèbre, mais il est rattrapé par l’émotion. Et ça se voit ! Puisque ceux qui sont présents s’interrogent : est-ce qu’il pleure son ami Lazare ?

Il n’est pas forcément facile d’interpréter les émotions de quelqu’un, ici, des larmes, du trouble, de l’irritation. Essayons quand même de comprendre…

C’est peu probable que Jésus pleure l’absence de Lazare (comme c’est le cas pour nous quand un proche meurt et nous manque) : Jésus est en route pour le ressusciter !

Est-ce qu’il est troublé par la peine des proches de Lazare, en particulier en voyant Marie, sa disciple, pleurer ? Jésus n’en est pas à son premier miracle, ni à sa première résurrection… Mais là c’est différent : ce sont ses amis, qui souffrent. On ne vit pas les choses pareil quand la tragédie touche un proche : c’est autrement réel…

Jésus est aussi rattrapé par ce qui l’attend : dans quelques jours, c’est lui qui subira la rupture, la séparation, la mort – d’avec les autres, et d’avec Dieu : il endurera le poids total de la réprobation de Dieu devant le mal. C’est lui qui sera abandonné de tous, mis au tombeau, plongé dans l’affliction. La Croix se rapproche, et il le sait. C’est d’ailleurs après ce miracle que les religieux vont comploter pour faire condamner Jésus à la peine de mort.

Et peut-être qu’avec tout cela (parce que quand on pleure, qu’on s’indigne, il peut y avoir plusieurs raisons), Jésus se révolte simplement contre la mort elle-même. Derrière la mort, il y a le mal qui a séparé l’être humain de Dieu, qui l’a coupé du bien, de la justice, de la vérité, et de la vie. Jésus pleure peut-être sur ce poids qui pèse sur l’être humain. Sur la rupture d’avec Dieu, sur ce gâchis : que les êtres que Dieu a créés par amour puissent être brisés.

Jésus est en route vers un miracle et il pleure. Il est en route vers notre salut et il pleure. Même s’il sait que ça finira bien, le chemin à parcourir est lourd, douloureux, presque insupportable. C’est pareil pour nous : croire que Dieu nous fera vivre au-delà de la mort nous donne un espoir, mais ça n’empêche pas que la mort soit insupportable – celle des autres, dont nous subissons l’absence, ou la nôtre, dont nous parlons si peu mais qui nous terrifie, qui devient toujours plus réelle à mesure que notre corps se dégrade. Espérer dans le Dieu de la vie n’empêche pas de pleurer, de se révolter, face à la mort, et à tout ce qui est mortifère dans nos vies. En fait, ça montre la gravité du problème et l’urgence de notre besoin de vie. Si la mort n’est rien, pourquoi espérer la vie ? Notre révolte intérieure face à la mort, qui n’est jamais vraiment acceptable, révèle combien nous sommes faits pour la vie. Dans la vie de foi, l’espérance n’est pas qu’un sourire rayonnant et triomphant – c’est parfois un cri lancé à Dieu à travers les larmes, la colère, la tristesse.

Jésus, vrai homme et vrai Dieu 

Ce que Jésus montre de sa révolte et sa peine témoigne qu’il est bien humain. Il ne se contente pas de réfléchir, en décryptant la situation, ou d’agir, en apportant une solution, il en ressent l’impact émotionnel… C’est un homme, un vrai, dans toute sa sensibilité (pas la sensiblerie ! mais les tripes !). Il expérimente la vie jusqu’au bout. Par exemple, quand mon père est mort, c’est la colère qui est venue avant la tristesse – et c’est ce moment d’indignation de Jésus qui m’a soutenue. Jésus est vraiment humain, jusque dans ses tripes, il nous comprend dans notre plus profonde intimité.

Dans la Bible, il n’y a pas que les humains qui ont des entrailles et un cœur… Dieu aussi ! Dieu se présente à nous comme le sage, le vrai, le puissant, celui qui pense et qui agit, et celui qui ressent – qui aime, qui se réjouit, qui est jaloux quand on le trahit, qui se met en colère quand ceux qu’il aime souffrent… Jésus, vrai homme, est aussi l’image d’un Dieu sensible, proche, un Dieu qui est prêt à tout pour nous rejoindre, porter nos fardeaux avec nous et nous en délivrer. C’est le mystère de la Croix, où Dieu fait homme porte à la fois nos fautes et nos blessures – mais sa vie transperce la mort.

Quel réconfort ! Dieu (et Jésus l’incarne parfaitement), Dieu n’est pas insensible, mais il nous rejoint et il agit. Pas toujours par une résurrection, quoi qu’il y ait des miracles, mais en dénouant des situations, en ouvrant des perspectives, en accordant une aide inimaginée, ou tout simplement en accordant sa paix dans la confusion. En donnant la force de faire le prochain pas. Par son Esprit, il nous rejoint, de l’intérieur, pour traverser l’épreuve avec nous et nous conduire vers la vie.

Une inspiration : être des témoins compatissants

C’est un vrai réconfort, de savoir que rien n’est trop terrible pour Dieu : il nous rejoint. Parfois, nous recevons la réponse à nos « pourquoi » après coup ; parfois jamais. Mais quelle que soit la réponse, il y a la présence et l’espérance – présence de Dieu par son Esprit, proche, intime, espérance dans le Christ qui a vécu le pire comme nous et qui a fait surgir la vie malgré tout, au-delà de tout.

C’est un réconfort, et une inspiration : à l’image du Christ, nous sommes appelés à être des relais de la compassion de Dieu. Réconfortés par Dieu, appelés à devenir réconfortants, à rejoindre l’autre pour porter un peu de son fardeau. On ne remplace pas Dieu, mais on prend part à son activité réconfortante.

Alors c’est vrai qu’on est tous différents : certains préfèrent réfléchir, d’autres, agir !, et d’autres écouter. Il y a aussi des questions de culture et de tempérament… Alors on pourrait se partager les tâches ? Mais on a tous un peu des trois. Se priver de nos tripes, c’est comme se priver de notre tête ! Dieu nous invite à l’imiter, à aimer celui qui est à côté, avec tout ce que nous sommes, en 3 dimensions.

C’est difficile parce que l’émotion est inconfortable/ elle nous bouscule, rarement convenable ou polie, et elle paraît incontrôlable – chez soi ou chez l’autre. Jésus comme Dieu assume cette part émotionnelle. Ce n’est pas parce qu’on pleure ou qu’on s’indigne qu’on va rester bloqué et qu’on ne va pas réfléchir ou agir : mais accepter l’émotion, c’est accepter l’impact des choses, les laisser résonner pour mieux se mettre en route.

Dans notre monde, hors de l’Eglise mais pas que !, il faut toujours avancer, être efficient, c’est dangereux de baisser sa garde, et l’émotion… il y a des lieux pour ça ! on préfère la laisser aux professionnels ou à l’art. Aujourd’hui, participer à l’action de Dieu pour rejoindre ceux qui nous entourent, c’est dire les paroles de Dieu, c’est agir selon la volonté de Dieu, et, c’est peut-être aussi être présent, ouvrir un espace dans la relation pour l’accueil et l’écoute, où l’autre peut se sentir entendu et soutenu. En particulier dans une époque où on reste quand même rapide dans nos communications, où on est isolé, souvent démuni devant les grandes questions de la vie.

Il y a des conditions bien sûr : on ne se transforme pas en psy gratuit, on met des limites pour se protéger, et on donne ce qu’on a reçu (c’est le réconfort reçu en Christ que nous offrons un peu). Mais si nous pouvons transmettre, dans l’Eglise et en dehors, à un ami, une collègue, un patient, une élève, un peu de ce réconfort que Jésus nous apporte… quelle bénédiction !