Calme comme un nourrisson

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Dans le monde frénétique, agité, qui est le nôtre, dans un quotidien trop souvent surchargé (pour les actifs multi-actifs, les étudiants, mais aussi les enfants, les ados, les retraités…), le calme et la tranquillité nous semblent être un trésor tellement précieux et si peu accessible. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ceux qui s’ennuient ou qui se sentent désœuvrés ne sont pas forcément dans le calme et la tranquillité : il peut y avoir l’inquiétude, la tristesse, le manque… Ainsi, pour ceux qui sont dans le trop-plein comme pour ceux qui sont dans le vide, le vrai repos paisible est une denrée rare, l’ombre d’un rêve qu’on poursuit sans le saisir vraiment.

Alors je vous invite à entrer dans un deuxième psaume, une deuxième prière juive du recueil du roi David, à partir de son expérience du repos – et de ses conséquences. Ce psaume est tiré d’un sous-recueil dans les psaumes, un ensemble de prières chantées lorsque les Israélites allaient en pèlerinage jusqu’à Jérusalem – essentiellement des chants qui invitent à faire confiance à Dieu. Représentez-vous la foule de pèlerins, qui monte vers Jérusalem, vers le Temple, quelques siècles avant Jésus-Christ :

Lecture biblique Psaume 131

1 Cantique des montées. De David.

O Eternel, mon cœur ne s’enfle pas d’orgueil, mes yeux n’ont pas visé trop haut,

je ne me suis pas engagé dans des projets trop grands, trop élevés pour moi

 2 Bien au contraire : j’ai conduit mon âme au silence et au calme.

Comme un nourrisson rassasié dans les bras de sa mère,

comme un nourrisson rassasié, mon âme en moi.

 3 Israël, mets ton espérance en l’Eternel, dès maintenant et pour toujours !

          Cette prière est un peu étrange.

Déjà, David, puis ceux qui reprennent sa prière année après année, affirme son humilité. Ca paraît paradoxal, de se poser devant Dieu comme quelqu’un de humble : est-ce que ce n’est pas un peu orgueilleux ? 

Ensuite, celui qui dit cette prière prend Dieu à témoin mais ne lui demande rien, ne lui dit rien, ne le remercie pas – on a l’impression que cette prière, même elle si s’adresse officiellement à Dieu, reste centrée sur « je, je, je ». Sauf à la fin où le priant se tourne vers ceux qui l’entourent en les encourageant à faire confiance à Dieu – du coup c’est plus une exhortation qu’une prière, non ?

Et puis, il y a cette image, surprenante, du nourrisson dans les bras de sa mère. Je ne sais pas comment vous vous représentez David ou les chantres qui avancent devant la foule en récitant les psaumes… Si on prend juste David, guerrier, roi, poète, un homme d’envergure qui en impose : on ne s’attend pas à ce qu’il compare son intériorité, son âme, à ce nourrisson vulnérable dans les bras de sa mère – ça fait un peu barre chocolatée au cœur fondant, au cœur tendre, incongru dans un monde où il faut être résistant, fort, sur ses gardes. David assume son côté sensible !

L’image du nourrisson

          Que nous dit cette image, essentiellement ? C’est l’image-même du contentement : l’enfant vient d’être nourri, il est repu, détendu, rien ne lui manque. Et ce n’est pas seulement parce qu’il a mangé : il est dans les bras de sa mère (bonne fête aux mamans), ce qui évoque la sécurité, la proximité, l’intimité. Il est repu et entouré, accompagné, soutenu. Je tiens quand même à éviter les stéréotypes : il n’y a pas que les mamans qui soutiennent leur enfant, et qui savent se rendre proches des petits. En fait, il y a des mamans très dures, sèches et distantes, et des papas très tendres : mais l’image est parlante.

Pour David, cette image du contentement exprime le calme, la sécurité intérieure, la satisfaction qu’il a recherchés (et trouvés) pour son âme.

Alors il ne dit pas d’où vient ce calme, quelle est la source de son assurance, de son repos intérieur, il se compare uniquement au nourrisson, laissant notre imagination faire le dernier lien : celui qui nous nourrit, qui nous tient tout proche de lui, celui qui nous protège et nous soutient – c’est Dieu ! Dieu en qui tous sont appelés à placer leur espérance (v.3).

On est habitués à voir Dieu comme un Père, parce que c’est l’image parentale la plus courante dans la Bible, mais Dieu n’est pas sexué ! Et la Bible, pourtant écrite dans un monde d’hommes, donne quelques traces d’un côté maternel de Dieu, doux, nourricier, accueillant et réconfortant. Dieu est à la fois le Dieu tout-puissant, souverain, plein d’autorité, impressionnant, à la voix grave comme un grondement d’orage, et le Dieu tendre, proche, consolateur, qui tient dans ses bras ses enfants. Dieu a toutes les caractéristiques de parents équilibrés.

Avec ce Dieu-là David se sait en sécurité, à sa place, rassasié – cette image du nourrisson s’appuie pour l’instant sur l’expérience de la fidélité de Dieu, mais elle annonce la mission de Jésus : tout faire pour nous ramener dans les bras du Père maternel, pour que nous retrouvions notre identité d’enfants de Dieu. L’apôtre Jean présente ainsi Jésus : (Jean 1.10) La Parole [créatrice, divine] était dans le monde et le monde est venu à l’existence par elle, et pourtant le monde ne l’a pas reconnue. 

11 Elle est venue dans son propre pays, mais les siens ne l’ont pas accueillie. 

12 Cependant, à tous ceux qui l’ont reçue et qui croient en elle, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. 13 Ils ne sont pas devenus enfants de Dieu par une naissance naturelle, par une volonté humaine ; c’est Dieu qui leur a donné une nouvelle vie.

Par la foi en Christ, Dieu le Fils devenu homme pour nous réconcilier avec Dieu, nous devenons pleinement fils et filles de Dieu, nous entrons dans le cercle des intimes, pour toujours.

          Calme et simplicité

C’est à partir de cette expérience intérieure avec Dieu que David peut rester humble, modeste, ajusté, à la bonne place – et il le dit avec satisfaction, et reconnaissance. Ce n’est pas par ses propres moyens mais c’est parce qu’il connaît sa place auprès de Dieu, qu’il peut rester à la bonne place dans le monde.

David cite un comportement en particulier : le fait de ne pas se lancer dans des projets hors de portée, faramineux, vous savez, ce genre de projet grandiose qui peut précipiter dans la faillite parce que c’est démesuré.

Dans le regard qui peut se porter trop haut, dans l’orgueil qui peut enfler le cœur, il me semble qu’il n’y a pas seulement l’ambition excessive, mais que ça peut conduire (et c’est souvent le cas) à des regards hautains portés sur les autres. Parce que derrière cette ambition effrénée, il y a le besoin de se prouver, et souvent on se prouve soit par ce qu’on accomplit, soit par comparaison avec les autres. Trente siècles plus tard, on en est toujours là : beaucoup se prouvent par ce qu’ils font (pas forcément le faire comme production/par le travail, mais les activités, les voyages, les projets, les passions), ou par ce qu’ils ont (avec toute l’influence de la société de consommation), ou par ce qu’ils montrent.

S’il y en a un qui pouvait se laisser tenter par des projets ambitieux, c’était bien David, roi d’Israël ! S’il y en a qui pouvait regarder les autres de haut, c’était bien lui ! La posture de David est d’autant plus remarquable qu’il a des occasions d’être orgueilleux, imprudent, excessif, mais il ne fonde pas son identité sur ce qu’il fait, ou sur son statut, ou sur ce qu’il a : non, c’est sa proximité avec Dieu qui lui donne son assise, sa sécurité intérieure.

Et à plusieurs niveaux. D’abord parce que Dieu est fidèle et qu’il prend soin de lui : pas besoin de paniquer devant des défis, devant les pressions pour entreprendre tel projet ou face à quelqu’un de déstabilisant. David peut rester à sa place parce qu’il sait qu’il y a quelqu’un de bien plus grand qui agit, et qui maîtrise !

David est assuré, aussi, en profondeur, parce qu’il se sait précieux aux yeux de Dieu : il ne fonde pas son estime de lui sur le regard des autres, mais sur le regard de Dieu. Il peut accepter ainsi ses limites, ce qu’il est, les difficultés.

Et puis je crois que cette notion d’être rassasié auprès de Dieu en dit long : il n’y a pas besoin de toujours plus, contrairement à ce qu’on nous fait croire. La tranquillité du nourrisson rassasié s’oppose à la frénésie d’un monde qui nous propose toujours plus d’expériences, de nouveautés.

Alors je ne pense pas que David (et la Bible, et Dieu) condamne les curieux et les entreprenants – loin de là ! – mais plutôt nos motivations pour avancer sur ces chemins-là : est-ce qu’on y joue notre identité ? si oui, on risque de faire de ce qu’on trouve sur ces chemins une idole, alors que Dieu nous invite à fonder notre identité et notre vie sur lui, sur son amour pour nous, et sur ses projets avec nous.

          Une attitude à cultiver

Je conclus avec cette étrange formulation de David au début du verset 2 : j’ai conduit mon âme au silence et au calme. Même si le repos se trouve auprès de Dieu, David a sa responsabilité – d’y aller, au moins, auprès de Dieu ! On s’imagine souvent que la paix de Dieu nous vient comme ça, qu’elle doit couler comme une évidence, sans qu’on fasse d’effort. Derrière ce verset 2, on sent pourtant une intentionnalité, une discipline même, pour chercher (et trouver) le repos auprès de Dieu. Le quotidien d’un roi, même dans l’Antiquité, ne devait pas être si éloigné du nôtre en termes de tentations, sollicitations, pressions, agressions, charge mentale… Au milieu de ce quotidien frénétique et stressant, David conduit son âme au calme que Dieu donne. Il réajuste son orientation pour se réaligner sur Dieu, sa fidélité, sa grâce…

Comment ? vu le psaume, et les autres que David a écrits, par la prière et le chant qui recentrent sur Dieu, ce qu’il fait, ce qu’il est, ce qu’il fait de nous. La louange et la prière doivent d’abord nous tourner vers Dieu, c’est parce qu’il le mérite que nous lui disons notre admiration, notre confiance, notre désir de lui laisser la première place… Nous le louons pour Lui, pas pour en retirer des bienfaits ! Mais… lorsque nous donnons à Dieu cette première place, bénéfice secondaire, nous trouvons nous aussi notre place, nous nous recentrons, et cela nous permet de voir les choses autrement.

La prière peut passer par des images, par la visualisation : où suis-je devant Dieu là maintenant ? dans quelle position ? et lui ? comment est-il envers moi ? Ca peut être une habitude régulière, mais je trouve que dans les moments les plus stressants (avant une réunion compliquée, quand on doit parler avec quelqu’un qui nous déstabilise, devant un choix difficile), ce temps de recentrage par la parole ou par l’image peuvent nous conduire vers le calme et la paix que Dieu nous donnent.

Je parlais en introduction de frénésie ou de vide : nous recentrer sur Dieu nous rassasie et remet le reste à sa place – ça ne veut pas dire que plus rien d’autre ne compte, mais que nous avons trouvé notre ancrage, notre repos, notre force en Dieu – et qui pourra nous l’enlever ? En Christ, Dieu est pour nous, proche de nous – qui pourra nous ébranler ?

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