Jésus, au cœur de notre humanité

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Je ne sais pas quel type d’écolier vous êtes/ étiez… Personnellement, jusqu’à mes derniers examens écrits, dans ma trousse trônait royalement… le tipex ! Ce liquide blanc qui permet d’effacer les erreurs d’inattention, les ratures, les fautes, etc. sans tout recommencer depuis le début. Essentiel, même quand on a fait 3 brouillons avant !

Dans la vie courante, combien de fois aimerait-on avoir un tipex symbolique, une gomme qui permette d’effacer ce qui ne va pas : nos conflits, nos blessures, nos incohérences, ce qui est déchiré, nos erreurs et nos fautes… Car même quand on sait ce qu’il faut faire, ou qu’on veut bien faire, on atteint rarement la cible du premier coup, et il faut se rattraper, gommer… Sauf que, comme sur nos feuilles d’écolier, le résultat est rarement propre : il y a des couches de blanco, ou du grisâtre si vous avez gommé, du papier froissé…  Alors qu’on aspirerait à un nouveau départ, bien propre, bien net !

A l’époque de Jésus, le peuple juif, attendait lui aussi quelqu’un pour les débarrasser de tout ce qui n’allait pas : les souffrances dues à l’oppression romaine, les compromis spirituels, les errances morales et sociales…

Matthieu, comme les autres disciples de Jésus, reconnaît en Jésus ce sauveur espéré. Quand il écrit son Evangile, la biographie de Jésus, il introduit sa naissance en jetant un regard sur le passé, avec une forme qui nous paraît assez rébarbative aujourd’hui, mais qui était classique à l’époque : la généalogie – comme on dessinerait un arbre généalogique pour montrer tout ce qui précède la personne qui nous intéresse.

Lecture biblique : Evangile de Matthieu, 1.1-17

1 Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham.

2 Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob ; Jacob engendra Juda et ses frères ; 3 Juda, avec Tamar, engendra Pharès et Zara ; Pharès engendra Hesrom ; Hesrom engendra Aram ; 4 Aram engendra Aminadab ; Aminadab engendra Naassôn ; Naassôn engendra Salmôn ; 5 Salmôn, avec Rahab, engendra Booz ; Booz, avec Ruth, engendra Yobed ; 6 Yobed engendra Jessé ; Jessé engendra le roi David. 

David, avec la femme d’Urie, engendra Salomon ; 7 Salomon engendra Roboam ; Roboam engendra Abiya ; Abiya engendra Asaph ; 8 Asaph engendra Josaphat ; Josaphat engendra Joram ; Joram engendra Ozias ; 9 Ozias engendra Joatham ; Joatham engendra Achaz ; Achaz engendra Ezéchias ; 10 Ezéchias engendra Manassé ; Manassé engendra Amos ; Amos engendra Josias ; 11 Josias engendra Jékonia et ses frères au temps de l’exil à Babylone.

12 Après l’exil à Babylone, Jékonia engendra Salathiel ; Salathiel engendra Zorobabel ; 13 Zorobabel engendra Abioud ; Abioud engendra Eliakim ; Eliakim engendra Azor ; 14 Azor engendra Sadok ; Sadok engendra Akhim ; Akhim engendra Elioud ; 15 Elioud engendra Eléazar ; Eléazar engendra Matthan ; Matthan engendra Jacob ; 16 Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, celui qu’on appelle le Christ.

17 Il y a donc en tout quatorze générations depuis Abraham jusqu’à David, quatorze générations depuis David jusqu’à l’exil à Babylone, et quatorze générations depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ.

L’Espoir des hommes

Comme avec un arbre généalogique, mais en partant du haut, Matthieu retrace les ancêtres de Jésus – en insistant sur la filiation paternelle. C’est un procédé classique de la culture antique, surtout juive, qu’on retrouve dans la Genèse, ou les Chroniques royales de l’AT, et même dans l’Evangile de Luc (ch.3).

Par ce moyen, Matthieu met l’accent sur l’enracinement historique et humain de Jésus, homme parmi les hommes. Il y a une petite allusion, à la fin (v.16), sur le fait que Joseph est le père légal, adoptif, de Jésus, mais pas son père naturel… Jésus est d’origine divine – tous ses disciples l’ont vu, ils l’ont expérimenté, et c’est ce qui les a poussés à transmettre avec autant d’audace leur joie de voir Dieu venir parmi les hommes. Pour autant, lorsque Matthieu écrit sa biographie de Jésus, il insiste en premier sur son humanité – pour ne pas qu’on l’oublie ! Ce qui impressionne les disciples, ce n’est pas que Dieu se manifeste dans le monde (il l’a déjà fait ! plein de fois !) mais qu’il entre pleinement dans l’humanité.

Matthieu divise cette histoire du peuple juif en trois grandes périodes : d’Abraham au roi David (le temps des patriarches, de la promesse, des premiers pas) ; du roi David à l’exil du peuple à Babylone (le temps des rois, une période avec gloires et corruptions, ces dernières étant si fortes qu’elles conduisent à la défaite du pays) ; puis, de l’exil jusqu’à Jésus, le temps de la reconstruction timide du pays, et l’attente d’une vraie restauration.

Dans cette grande galerie, deux figures sont mises en avant : Abraham, qui a tout quitté pour suivre Dieu, et David, le premier roi fidèle, qui a structuré le pays. Héritier d’Abraham, le grand croyant, et de David, le grand roi, Jésus a toutes les caractéristiques pour être l’Espoir du peuple juif.

          Un nouveau commencement

Quelques mots sur les remarques de Matthieu qui encadrent cette généalogie (v.1, v.17).

Pour une fois, on va jouer avec les nombres ( !) :  3 x 14, c’est 3 x (2 x 7). Or dans la spiritualité juive, le 7 est le chiffre de la plénitude, de la totalité – avec p. ex. la semaine de 7 jours, composée de 6 jours de labeur et 1 jour de repos, le sabbat, le temps où l’on se repose dans la présence de Dieu. Donc là, c’est comme si on avait 6 périodes de 7 générations, et qu’on entrait dans la 7e… Ramené à une semaine, c’est comme si on entrait dans le 7e jour, le jour du repos… C’est une nouvelle étape, qui tranche fortement avec les étapes précédentes, tout comme les jours de congé tranchent sur la semaine de travail. Le repos arrive, le vrai repos, dans la présence de Dieu !

Et pour insister encore sur cette notion de nouveau départ, Matthieu utilise une expression étrange : « généalogie de Jésus-Christ », qui en grec fait référence au récit de la création du monde en Genèse 2.4 « Voilà la généalogie du ciel et de la terre, quand ils furent créés. Au jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel,… » L’arrivée de Jésus est tellement un nouveau départ que c’est presque une nouvelle création, un deuxième Big Bang ! Cet homme bien humain, bien enraciné dans son peuple, apporte quelque chose de tout à fait inédit.

Une humanité pleinement assumée, avec ses promesses et ses drames

Penchons-nous maintenant sur les portraits qui figurent dans l’arbre généalogique de Jésus. Si vous deviez parler de vos ancêtres, qui voudriez-vous mentionner ? Quel héritage viendriez-vous revendiquer, assumer, devant tous ?

Les patriarches cités évoquent des chemins de fois, mais aussi des conflits entre frères, des difficultés de couple, de jalousie, de problèmes d’héritage, de stérilité… Quant aux rois cités, il n’y a pas que les bons qui apparaissent ici ! Matthieu cite autant les rois fidèles (Yotam, Ezechias, Josias p. ex.) que les rois corrompus (Ahaz, Amôn…). Comme pour dire que Jésus assume son héritage, l’histoire, l’historique de son peuple, typique de notre humanité avec ses gloires et ses déboires, ses raccourcis et ses travers.

Ce qui étonne, dans cette généalogie, c’est quand même la mention des femmes. Normalement, les généalogies ne citent que les pères, dont on hérite, mais Matthieu ici pointe 4 femmes – qui nous préparent à la spécificité de Marie, mère de Jésus, croyante disponible à l’action du Saint Esprit pour créer ce sauveur espéré.

Que dire de ces femmes ?

Tamar est la belle-fille de Juda (Gn 38), deux fois veuve: sans héritier, elle réclame un troisième époux pour perpétuer la lignée, mais Juda craint de perdre d’autres fils. Sous un subterfuge douteux, elle manipule Juda pour enfanter un héritier et recevoir son dû.

Rahab, prostituée en terre païenne (Jéricho) (Josué 2, 6) reconnaît de loin la grandeur du Dieu qui a délivré Israël d’Egypte et elle risque tout pour favoriser leur victoire – à cause de sa foi, malgré ses origines, elle entre dans le peuple.

Ruth, une autre étrangère, dans un contexte de famine, qui se dévoue à sa belle-mère juive dans un bel exemple de fidélité : par elle, Dieu apportera consolation et espérance à la famille.

La dernière, qui n’est même pas nommée, Bathsheba, épouse de l’étranger Urie, un soldat de grande valeur dans l’armée du roi David. Alors qu’Urie est au front, David réquisitionne Bathsheba pour son plaisir, et il fait assassiner Urie pour éviter sa jalousie (2 S 11).

Ces femmes sont différentes, mais on peut relever quelques thèmes dominants : l’inclusion d’étrangères dans le peuple, qui annonce la mission universelle de Jésus – il est l’Espoir des Juifs, mais ce qu’il apporte est tellement grand que ça touche le monde entier.

La prédominance de la foi pour entrer dans le peuple de Dieu, qui sera au cœur du message de Jésus.

Et puis cette histoire pleine de secrets, de ratures, dont Jésus se fait l’héritier. Il n’efface pas, comme avec du blanco, nos dossiers honteux : il les assume ! il s’en charge pour proposer un nouveau chemin à partir de là.

Sur son arbre généalogique, tout est assumé : gloires et déboires, raccourcis et travers, espoirs et hontes. Et si Jésus assume l’héritage de ses ancêtres, s’il s’en rend solidaire, il peut aussi le faire avec ses contemporains ou les générations suivantes, comme nous… Oui Jésus nous rejoint dans notre famille humaine pour nous montrer le chemin vers la famille de Dieu… Alors ce n’est peut-être plus un arbre généalogique, mais on peut se représenter cette famille comme une galerie de portraits sur le mur, comme il y a peut-être chez vous (?), une galerie de bien-aimés.

 

Entrer dans la galerie de portraits

Notre monde, notre société, notre vie personnelle, trouvent un écho cette généalogie de Jésus, et nous trouvons un espoir dans cette vérité : Dieu n’est pas effrayé par nos chaos. En Jésus, il montre qu’il se remonte les manches et plonge ses mains en plein dans le cambouis de notre vie… Rien n’est trop compliqué, tortueux ou sombre face à sa lumière…

Un monsieur avec qui j’ai covoituré une fois m’a demandé 4 fois pendant le trajet s’il pouvait venir à l’église : les bras croisés, presque prostré, il me redisait à chaque fois : « mais moi je ne suis pas parfait !… » Sous-entendu, je ne suis pas assez bien pour Dieu. Certes !… Qui l’est ?! La bonne nouvelle que vient porter Jésus, c’est que Dieu n’attend pas que nous soyons dignes de lui pour nous aimer : il nous rejoint aujourd’hui dans ce que nous vivons, dans ce que nous sommes.

Si vous êtes sortis du cadre, que vous vous sentez trop laids pour Dieu, peu présentables, ou que vous n’êtes pas comme vous aimeriez être, le message de Matthieu c’est que Jésus vous accueille comme vous êtes, et vous fait une place dans la galerie des bien-aimés de Dieu.

Oui, Jésus nous propose un nouveau départ. Mais ce n’est pas à nous d’effacer, maladroitement, avec de la gomme ou du tipex qui ajoutent encore des taches à notre feuille – c’est lui qui assume, qui absorbe, nos erreurs, nos ratures, nos fautes, pour que nous puissions avoir un portrait sans tache dans la galerie des bien-aimés de Dieu. Il assume nos « dossiers » en venant dans notre humanité, mais le moment définitif, qui scelle cet effacement, c’est la mort sur la croix, où il assume devant Dieu toutes nos taches. Parce qu’il subit les conséquences de nos fautes, parce qu’il les couvre de son innocence, parce qu’il nous offre en échange l’héritage de la vie avec Dieu, un vrai nouveau départ est possible, en communion avec Dieu.

A une condition : que nous fassions le pas de la foi. Pour reprendre l’image de la galerie de portraits : tout est prêt sur le mur de Dieu – l’emplacement, le clou, le cadre… Mais nous devons apporter notre photo. Simplement la donner, même si elle est laide, froissée, pliée, tachée : Jésus, le Sauveur, assume, absorbe, transforme notre portrait imparfait pour le faire trôner, dignement, dans la galerie des bien-aimés de Dieu.

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