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Noël est une fête de joie et de paix, même au-delà de nos églises, et on y espère affection, réconciliation, meilleures résolutions… Ce qui n’arrive pas toujours ! Mais les cantiques et les récits de la Naissance du Christ nous plongent dans la bonne nouvelle que Dieu nous aime et nous rejoint, pour nous donner sa paix.
Il y a pourtant un épisode autour de la naissance de Jésus qui tranche avec nos images d’Epinal, et que nous lisons peu : la fuite des parents de Jésus en Egypte. La naissance du Christ n’est pas que gloire et chorale d’anges, elle est assombrie par des crises qui font écho aux nôtres – et, paradoxalement, même si ce n’est pas très joyeux, cet épisode tragique appartient lui aussi à la Bonne Nouvelle de Noël.
Quelques mots de contexte. Alors que les mages venus d’Orient viennent rendre hommage au Roi qui vient de naître, ils se présentent chez le roi des Juifs, Hérode. Celui-ci n’est au courant de rien – et ça se comprend, puisque la royauté de Jésus dépasse la sphère politique. Les conseillers juifs finissent par trouver dans les prophéties des indications de l’endroit où le Messie devrait naître, les mages sont prêts à partir voir Jésus, mais Hérode, ivre de pouvoir et paranoïaque devant ce rival naissant, entre dans un double jeu : il tente de les manipuler pour trouver l’enfant et s’en débarrasser. Après avoir adoré l’enfant, les mages doivent revenir au palais – mais, avertis en rêve, ils rentrent chez eux sans rien dire à Hérode.
Lecture biblique : Matthieu 2.13-23
13 Quand les savants furent partis, un ange du Seigneur apparut à Joseph dans un rêve et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère et fuis en Égypte ; restes-y jusqu’à ce que je te dise de revenir. Car Hérode recherchera l’enfant pour le faire mourir. »
14 Joseph se leva donc, prit avec lui l’enfant et sa mère, en pleine nuit, et se réfugia en Égypte. 15 Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode. Cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : « J’ai appelé mon fils à sortir d’Égypte. »
16 Quand Hérode se rendit compte que les savants s’étaient moqués de lui, il entra dans une grande colère. Il donna l’ordre de tuer, à Bethléem et dans les environs, tous les garçons de deux ans et moins, selon les indications de temps données par les savants.
17 Ainsi s’accomplit ce qu’avait déclaré le prophète Jérémie :
18 « On a entendu une voix à Rama, des pleurs et de grandes lamentations. C’est Rachel qui pleure ses enfants, elle ne veut pas être consolée, car ils sont morts. »
19 Après la mort d’Hérode, un ange du Seigneur apparut dans un rêve à Joseph, en Égypte.
20 Il lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère et retourne au pays d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant sont morts. »
21 Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère et retourna au pays d’Israël.
22 Mais il apprit qu’Archélaos était devenu roi de la Judée à la suite d’Hérode et il eut peur de s’y rendre. Il fut averti dans un rêve, et il partit pour la région de la Galilée.
23 Il habita dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplisse cette parole des prophètes : « Il sera appelé Nazaréen. »
Le parcours du Messie
Matthieu nous raconte cet épisode difficile pour différentes raisons. D’abord, cela permet de comprendre, tout simplement, pourquoi Jésus, qui est né à Bethlehem en Judée, grandira à Nazareth en Galilée. Pour nous, ça ne paraît pas être un enjeu de taille, mais imaginez un homme célèbre, dont la famille serait du Tarn, mais qui serait connu sous le surnom « l’Alsacien ». Matthieu prend le temps d’expliquer pourquoi Jésus le Galiléen est aussi l’enfant né à Bethlehem, annoncé par le prophète Michée.
C’est un enjeu important pour Matthieu : montrer que Jésus est l’authentique Messie, en faisant régulièrement le lien entre sa vie et les prophéties. Par exemple, il cite le prophète Osée : « d’Egypte, j’ai appelé mon fils » (Osée 11.1 // Matthieu 2.15) : Jésus repasse par les étapes du peuple d’Israel, lui aussi il sort d’Egypte pour revenir en terre d’Israel. La citation autour du Nazaréen est plus confuse, on ne trouve pas cette phrase chez les prophètes, et il s’agirait peut-être d’un jeu de mot qui fait écho au Messie comme rameau, pousse, nouvel espoir pour Israel (rameau : netser, Esaïe 11.1)
Cet épisode met aussi en lumière la foi de Joseph. Matthieu a déjà raconté comment Joseph a décidé d’épouser Marie malgré sa grossesse inexpliquée, suite à un rêve divin. Les rêves reviennent, et Joseph continue de faire confiance Dieu, malgré ce que ça lui coûte. Loin d’être un personnage secondaire, Joseph apparaît comme un modèle de foi – il déracine sa famille, d’abord en Egypte, puis quelque temps plus tard, pour retourner en Galilée. Même si Jésus n’est pas son fils biologique, Joseph fait tout pour le protéger.
Sa foi et son obéissance font évidemment contraste avec l’acharnement de Hérode qui se déchaîne contre Jésus, quitte à faire massacrer toute une génération d’enfants. Hérode entre dans la longue lignée des dirigeants cruels et violents. Si on remonte environ 1500 ans avant Jésus, à l’époque de Moïse, en Egypte, le Pharaon demande aux sage-femmes de tuer tous les nourrissons garçons chez les Juifs, pour limiter la force de ce peuple qu’il tient en esclavage. Moïse échappe à cette mesure, et il sera le libérateur du peuple d’Israel. Comme lui, Jésus sera le libérateur – du peuple d’Israel et des autres peuples !
Et si on revient à l’époque de Jésus, quelques décennies après sa naissance, on retrouve à nouveau des dirigeants assoiffés de pouvoir, paniqués par Jésus, en qui ils voient un rival spirituel et une menace pour leur autorité. Ils complotent à leur tour, mais cette fois, Jésus ne se défend plus, au contraire, il se laisse volontairement entraîner dans la spirale de leur violence et finit sur une croix.
Jésus au cœur de la violence
La violence fait partie de la vie de Jésus – sa mort injuste sur la croix est son signe distinctif. Cette violence de la crucifixion nous choque, mais le Christ assume volontairement cette mort, comme un sacrifice, sachant que la mort est le prix à payer pour que Dieu puisse librement effacer nos ardoises et nous donner une nouvelle vie. Nous sommes au bénéfice de la croix, et nous sommes reconnaissants pour la mort du Christ, car elle démontre à quel point Dieu nous aime, jusqu’où il est capable d’aller pour nous sauver.
Mais le massacre des enfants, c’est une autre violence : une violence gratuite, subie, envers des êtres fragiles et innocents. On plonge dans le scandale du mégalomane au pouvoir cruel. Et c’est stérile, rien n’en sort à part les lamentations et la désolation.
Pour Matthieu, cette tragédie ressemble aux horreurs de la chute de Jérusalem et de son royaume, à l’époque du prophète Jérémie, qui imagine la matriarche Rachel se lamenter sur ses enfants, le peuple d’Israel, soit massacré soit emmené en exil (Jérémie 31.15). Dès le début, Jésus est solidaire de la souffrance de son peuple, il la subit. Ici, il en réchappe, mais comme une victime de guerre, comme un survivant – on n’a pas besoin d’être détruit par la violence pour en être atteint.
Ces violences aveugles défigurent encore aujourd’hui notre vie. Celle qui s’abat sur un enfant, sur les victimes d’abus ou de harcèlement, sur ceux qui sont méprisés pour la couleur de leur peau ou pour leur origine, sur ceux qui doivent fuir leur pays pour survivre. C’est la violence impersonnelle qui sans explication bouleverse la trajectoire de la vie : un accident, un handicap, une maladie grave, une catastrophe naturelle… Ces violences aveugles qui font qu’on en ressort à jamais différent, avec un traumatisme peut-être bien caché mais présent, avec une mentalité de rescapé, de survivant.
En devenant un homme en Jésus, Dieu s’est rendu solidaire de nos culpabilités, pour nous en délivrer… Mais il a aussi assumé la souffrance et les lamentations des victimes ! Sur la croix, il porte le poids de la cruauté de Hérode, et des enfants sacrifiés – il meurt pour les coupables et pour les victimes.
Dieu avec nous, jusqu’au bout
Alors j’ai dit tout à l’heure que cette tragédie appartient à part entière à la Bonne Nouvelle de Noël… Oui, car Jésus sait. Il connaît tout de nos souffrances, il les a lui-même expérimentées. Ce récit est violent comme un témoignage peut être violent, comme la vie peut être violente – il nous met peut-être mal à l’aise, mais il dit la profondeur de la tendresse de Dieu pour nous, qui nous rejoint dans ce qu’il y a de pire. Il n’est pas devenu un homme dans les conditions idéales – on met souvent en avant la pauvreté et la précarité, mais la violence est présente elle aussi.
Dans l’épreuve, on se sent souvent isolé, incompris, seul pour porter nos fardeaux et nos peines. Mais à travers Jésus, Dieu l’a vécu et il nous dit : « je te comprends. » Nous ne sommes plus seuls à porter nos peines : il les porte avec nous. Nous pouvons nous appuyer sur lui, lui confier nos questions et nos cris – il les comprend, il les accueille ! Sa présence ne supprime pas les cicatrices ou les obstacles à surmonter, mais c’est un tel réconfort, de savoir que Dieu traverse, avec nous, ces épreuves-là.
Et puis, en demi-teinte, ce récit nous redonne de l’espoir : Jésus a survécu. Jésus a survécu : au massacre des enfants, mais aussi à la violence de la croix. Il a survécu à la mort, il est ressuscité. Il règne aujourd’hui aux côtés de Dieu, partageant sa vie avec ceux qui croient en lui. La vie que Jésus nous promet, par la foi, c’est la vie au-delà de la mort et du mal, la vie dans l’éternité de Dieu. Tout calvaire aura une fin… et la justice et la paix de Dieu triompheront.
Cette paix divine n’est pas réservée à la vie d’après : par son Esprit, Dieu nous l’offre déjà aujourd’hui. Déjà aujourd’hui, dans des situations qui semblent insurmontables, sur des blessures insupportables, Dieu insère sa vie et sa paix, la chaleur et le réconfort de son amour. Tout n’est pas réglé, mais Dieu nous redonne la force de tenir et d’avancer vers l’avenir qu’il nous réserve. Dans certains milieux, on appelle ça la résilience, la capacité à rebondir, mais je crois que Dieu, dans sa grâce, participe à nos relèvements : en nous appuyant sur sa main tendue, nous trouvons la force de nous remettre en route.
Conclusion
En ce début d’année se succèdent les vœux et les souhaits. L’année 2020, et son lot de tragédies, nous pousse peut-être à plus de prudence que d’habitude – nous ne savons pas ce qui nous attend. Les épreuves seront là, sûrement, plus pour certains que pour d’autres, et nous devrons trouver comment être solidaires et nous entraider – mais au cœur de ces épreuves, une lueur de réconfort et d’espoir brillera quoi qu’il arrive : en Jésus, par son Esprit, Dieu est avec nous, et il nous promet sa paix et sa vie.