Lorsque j’ai pris connaissance des textes bibliques proposés pour ce dimanche, j’avoue que je n’étais pas trop inspiré pour ma prédication… Mais il y a aussi, dans la liste de lecture de la Bible en 6 ans, un psaume qui est proposé pour chaque jour. Alors j’ai commencé à lire celui de ce dimanche, le Psaume 145 :
1 Chant de louange de David.
Mon Dieu, toi le roi, je veux proclamer ta grandeur,
et bénir ton nom pour toujours.
2 Je te bénirai chaque jour,
je t’acclamerai sans fin !
3 Le Seigneur est grand, infiniment digne d’être loué ;
sa grandeur est sans limite.
4 Que chaque génération annonce à la suivante ce que tu as fait
et lui raconte tes exploits !
5 Je veux parler de ta majesté, de ta gloire, de ta splendeur.
Moi je veux méditer tes merveilles.
6 Ils parleront de ta puissance redoutable.
Moi, je raconterai ta grandeur.
7 Que l’on rappelle tes grands bienfaits,
et que l’on proclame avec joie ta justice !
8 Le Seigneur est bienveillant et plein de tendresse,
il est lent à la colère et riche en bonté.
Et je me suis arrêté là… Le psaume continue (je l’ai quand même relu ensuite), largement dominé par une tonalité de louange, mais pour la prédication, je ne suis pas allé plus loin que le verset 8, avec cette expression qu’on retrouve à plusieurs reprises dans tout l’Ancien Testament, à propos de Dieu : “il est lent à la colère et riche en bonté”. La première fois, c’était avec Moïse, dans un moment d’intimité inédite avec le Seigneur, alors que Moïse était sur le Mont Sinaï, recevant de Dieu les tablettes de la Loi :
Exode 34.5-6
5 Le Seigneur descendit dans la colonne de nuée et se tint là, à côté de Moïse. Il proclama son nom : « Le Seigneur ». 6 Puis il passa devant Moïse en proclamant encore : « Je suis le Seigneur ! Je suis un Dieu plein de tendresse et de bienveillance, lent à la colère, riche en bonté et en vérité… »
On retrouvera la même formule dans le livre des Nombres (Nb 14.18), dans celui de Néhémie (Né 9.17), dans trois Psaumes (Ps 86.15, Ps 103.8, Ps 145.8), chez le prophète Joël (Jl 2.13) et dans le livre de Jonas (Jon 4.2). Sans compter d’autres formules proches, comme celles parlant d’un Dieu “qui ne garde pas sa colère pour toujours”.
C’est donc une formule biblique importante pour décrire la nature du Seigneur. On pourrait simplement dire (et certaines versions traduisent ainsi) : “Dieu est patient et bon”. Et ça serait correct, même théologiquement… mais c’est tellement moins évocateur que de dire qu’il est “lent à la colère et riche en bonté” !
En réalité, cette formule dit quelque chose de la réalité intime de Dieu, elle est sans doute la meilleure façon d’exprimer l’articulation complexe entre la sainteté de Dieu et son amour.
Lent à la colère
Qu’est-ce qui vous met en colère ? Moi, j’ai plein de choses qui me mettent en colère : l’injustice, la bêtise, l’hypocrisie, les jugements à l’emporte-pièce, toute forme de haine ou de violence… Et ça me semble légitime. Alors franchement, en regardant notre monde, et en regardant notre coeur, ne croyez-vous pas que Dieu a de bonnes raisons d’être en colère ?
Bien-sûr qu’il y a quelque chose d’anthropomorphique (faute de mieux, on projette sur Dieu des comportements humains) dans le fait de parler de la colère de Dieu. Toutefois, le terme dit bien quelque chose de la nature de Dieu. Mais Dieu n’est pas colérique… Quelqu’un de colérique ne maîtrise pas sa colère, et il s’emporte pour un rien. Dieu est tout le contraire d’un colérique puisqu’il est “lent à la colère”.
La colère de Dieu, c’est sa réaction viscérale face au mal : c’est insupportable pour lui qui est parfaitement et infiniment bon, lui qui est pure lumière et en qui il n’y a pas le moindre soupçon d’obscurité.
Mais parce que Dieu est amour, on devrait oublier qu’il est aussi sainteté et justice ? Franchement, qui voudrait d’un “bon Dieu” naïf et mou ? C’est justement parce que Dieu est saint que son amour est si grand ! Ce que nous dit la formule “lent à la colère”, appliquée à Dieu, c’est que, au nom de son amour, Dieu renonce à sa colère. Mais ça n’enlève rien à sa sainteté !
Dieu est saint, par nature. Il est parfaitement bon, pur de tout mal. De toute éternité. Et pour l’éternité. Mais il choisit de retenir sa colère… parce qu’il nous aime.
Riche en bonté
Le mot hébreu (hesed), traduit ici par bonté, est couramment utilisé dans la Bible : près de 250 fois. Il est utilisé parfois pour évoquer les comportements des êtres humains entre eux mais la plupart du temps il décrit l’action bienveillante et bienfaisante de Dieu envers les croyants ou l’humanité en général. Les différentes versions françaises traduisent ce terme, ici ou ailleurs, par fidélité, loyauté, bienveillance, miséricorde…
La bonté dont il est question dans la formule “lent à la colère et riche en bonté” évoque donc l’amour de Dieu en action, la façon dont Dieu exprime son amour. On est loin du “bon Dieu” lointain et gentil…
Le texte biblique ne dit pas seulement que Dieu fait preuve de bonté mais qu’il est “riche en bonté”. La nuance est de taille. Dieu ne se contente pas d’être bon, il manifeste sa bonté avec abondance. Alors que Dieu retient sa colère, il abonde dans l’expression de son amour. Là, il ne se retient pas !
Si vous lisez l’ensemble du Psaume 145, vous verrez combien cette abondance de la bonté de Dieu est évoquée. Ce qui pousse Dieu à l’action, c’est son amour. Il a tout créé par amour. Ensuite, dans son projet de salut, il a tout mis en oeuvre pour renouer le contact avec les humains qui se sont détournés de lui, par amour. Et son amour abondant s’est manifesté à son paroxysme lorsqu’il a envoyé son Fils mourir pour nous sur la croix.
Voilà comment Dieu s’est montré riche en bonté !
Sainteté et amour
Dieu retient sa colère et laisse libre cours à son amour. Quelles sont les implications pour nous de cette double affirmation, dans notre relation à Dieu, et dans notre relation aux autres ?
En ce qui concerne notre relation à Dieu, nous devons reconnaître que le Seigneur a aujourd’hui encore toutes les raisons d’être en colère contre nous… mais il nous accueille par grâce. Une démarche de repentance, comme nous l’avons vécue au début de ce culte, exprime cette double réalité. C’est justement parce que Dieu retient sa colère et laisse libre cours à son amour que nous pouvons entrer dans une démarche de repentance en toute confiance. Et ça n’a rien de morbide. La repentance n’est pas mortifère, elle est au contraire source de vie. C’est la façon la plus authentique de se tenir devant Dieu, en tenant compte à la fois de sa sainteté et de son amour. Parce que Dieu retient sa colère, je n’ai pas à craindre de me présenter devant lui tel que je suis, avec mes failles et mes faiblesses. Et parce qu’il est riche en bonté, je sais qu’en retour je recevrai le pardon, l’assurance de son amour, la grâce de sa présence.
Quant à notre relation aux autres, l’exemple du Seigneur doit nous inspirer. D’ailleurs, dans les Proverbes, quatre fois l’expression “lent à la colère” est appliquée aux être humains, comme une exhortation à vivre (Pr 14.29, 15.18, 16.32, 19.11). Et nous pourrions aussi, évidemment, évoquer les nombreux passages de la Bible qui nous invitent être bon envers tous, à commencer par le commandement “tu aimeras ton prochain comme toi-même”.
Bien-sûr qu’il y a des choses qui nous mettent en colère, parfois même de la part de nos proches. On ne choisit pas d’être en colère… mais on peut choisir de retenir sa colère. On peut choisir de faire preuve de patience, de bienveillance, de grâce, comme on aimerait que les autres le fassent à notre égard. Retenir sa colère est ainsi la première étape nécessaire pour pouvoir faire preuve de bonté, de façon généreuse et gratuite. Bref, c’est en étant lent à la colère que l’on peut être riche en bonté !
Au bénéfice d’un Dieu qui retient sa colère et donne libre cours à son amour, nous sommes appelés à notre tour à retenir notre colère et à donner libre cours à notre amour !