Violence et grâce (Gn 4)

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Rivalité, jalousie, violence et meurtre… Voilà avec quoi je termine, aujourd’hui, notre série sur les débuts de la Bible, qui raconte les origines de l’humanité en termes imagés. La dernière fois, Vincent nous a parlé de la chute de l’homme et de la femme : cédant à la tentation du serpent, ils s’opposent à Dieu et se retrouvent hors du jardin d’Eden. Le mal a pénétré la condition humaine, tordu le monde, abîmé la relation avec Dieu – et avec l’autre. Dès la génération suivante, les enfants d’Adam et Eve vivent très concrètement les conséquences de cette déconnexion d’avec Dieu.

Juste une remarque : comme dans les chapitres précédents, la Bible décrit une période qui nous échappe, sans chercher à présenter les faits de manière exhaustive. Ne vous étonnez donc pas d’y voir des silences, des « trous », des informations manquantes : l’accent porte sur le sens, sur ce qui éclaire notre condition humaine.

Comme le texte progresse par épisodes, je vais lire en trois fois, et m’arrêter sur chaque partie.

  • Avant le meurtre
1 L’homme s’unit à Ève, sa femme. Elle devient enceinte et elle met au monde Caïn. Puis elle dit : « Avec l’aide du SEIGNEUR, j’ai donné la vie à un petit d’homme ! » 2 Elle met aussi au monde Abel, le frère de Caïn. Abel devient berger, et Caïn cultive la terre.
3 À la fin de l’année, Caïn apporte quelques récoltes du champ. Il les offre au SEIGNEUR. 
4 De son côté, Abel apporte les premiers agneaux de son troupeau. Et il offre au SEIGNEUR les meilleurs morceaux. Le SEIGNEUR reçoit avec plaisir Abel et son offrande. 
5 Mais il ne reçoit pas Caïn, ni son offrande. C’est pourquoi Caïn est très en colère. Son visage devient sombre de tristesse. 
6 Le SEIGNEUR dit à Caïn : « Tu es en colère et ton visage est triste. Pourquoi ? 7 Si tu agis bien, tu peux te remettre debout. Si tu n’agis pas bien, le péché est comme un animal couché à ta porte. Il t’attend en cachette, prêt à t’attraper. Mais toi, sois plus fort que lui. »

2 frères, 2 métiers, 2 offrandes. Caïn l’aîné, l’agriculteur, offre le fruit de sa récolte. Abel, le cadet, éleveur, offre des bêtes. Les offrandes sont liées au métier, elles expriment sûrement la reconnaissance pour la fertilité que Dieu a accordée à la terre et aux bêtes.

Pourtant, Dieu sème la zizanie entre les deux frères. C’est peu dire qu’il a une préférence : il refuse carrément l’offrande de Caïn, tandis qu’il accepte celle d’Abel. C’est vexant ! L’aîné est rejeté, alors que le petit frère passe devant aux yeux de Dieu. Et qu’on ne vienne pas dire que ce n’est pas personnel… C’est bien Caïn et son offrande que Dieu refuse, comme il a accepté Abel et son offrande. Évidemment, Caïn fait la tête : la colère, la tristesse, la honte ? l’envahissent.

A première vue, le choix paraît injuste, et donc Dieu aussi – pourtant le texte donne peut-être un indice qui explique l’attitude de Dieu. Le texte souligne qu’Abel apporte les premiers agneaux de son troupeau, et qu’il en offre les meilleurs morceaux. Caïn, lui, paraît beaucoup plus désinvolte : il offre des échantillons de sa récolte, mais pas spécialement les plus beaux ! Derrière le don, c’est l’attitude de cœur qui frappe : Abel donne ce qu’il a de meilleur, Caïn se garde le meilleur pour lui et fait un cadeau « moyen » à Dieu. C’est un signe de la place que Dieu a pour chacun : premier dans le cœur d’Abel, il passe en second aux yeux de Caïn. Caïn se prend lui-même pour son propre dieu, son propre chef, celui qui mérite les honneurs.

Dieu voit cela chez Caïn, et son refus sonne comme un avertissement, mais il ne se désintéresse pas de Caïn pour autant ! Au contraire, il le suit, ouvre le dialogue, lui donne une chance d’exprimer sa colère. Le texte va vite sur les faits, mais prend du temps pour montrer le dialogue initié par Dieu. Finalement, le choix, les raisons du choix… ce qui est fait est fait ! Ce n’est pas si important – ce qui compte, c’est comment on le vit, et comment on le vit avec Dieu.

Et quand Caïn se mure dans le silence, Dieu lui donne conseil : attention ! Même si l’on ne choisit pas les sentiments qui montent en nous, on peut choisir de se laisser influencer ou d’y résister. Les sentiments débouchent sur des actions, mais il n’y a pas de fatalité : on peut choisir de ne pas céder à la colère, la jalousie, l’amertume… Il y a des situations qui nous blessent, nous vexent, voire nous paraissent injustes (mauvaise appréciation au travail, tensions, rivalités familiales), Dieu nous offre une chance de sortir de l’engrenage en choisissant le bien. Quand nous nous retrouvons à notre désavantage, que ce soit légitime ou pas, finalement, l’important c’est comment nous allons réagir. Et même si on ne peut pas toujours rectifier la situation, on peut choisir de ne pas s’y enfermer.

  • Le meurtre & ses conséquences
8 Caïn dit à son frère Abel : « Sortons ! » Dehors, dans les champs, Caïn se jette sur son frère Abel et il le tue. 
9 Alors le SEIGNEUR dit à Caïn : « Où est ton frère Abel ? »
Caïn répond : « Je ne sais pas. Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? » 
10 Le SEIGNEUR continue : « Qu’est-ce que tu as fait là ? J’entends la voix du sang de ton frère. Dans le sol, elle crie vers moi pour demander vengeance. 11 Le sol s’est ouvert pour recevoir le sang de ton frère que tu as tué. Eh bien, maintenant, ce sol te maudit. 12 Quand tu le cultiveras, il ne te donnera plus ses richesses. Tu iras toujours d’un endroit à un autre, et tu ne pourras jamais t’arrêter sur la terre. » 
13 Caïn dit au SEIGNEUR : « Ma punition est trop lourde à porter. 14 Aujourd’hui, tu me chasses de la bonne terre. Je vais être obligé de me cacher loin de toi. J’irai toujours d’un endroit à un autre, et je ne pourrai jamais m’arrêter sur la terre. Et celui qui me trouvera pourra me tuer. » 
15 Le SEIGNEUR répond à Caïn : « Mais non ! Si quelqu’un te tue, il faudra tuer sept personnes, pour que tu sois vengé. » Et le SEIGNEUR met une marque sur Caïn. Alors celui qui le rencontrera ne pourra pas le tuer.
16 Caïn part loin du SEIGNEUR. Il va habiter au pays de Nod, à l’est d’Éden.

Caïn s’endurcit et refuse le dialogue avec Dieu. Au lieu de maîtriser sa colère, il se laisse aveugler par la jalousie et tue son frère Abel, avec préméditation. Après la chute, Dieu avait averti les hommes qu’ils allaient devenir mortels – mais la première mort de l’humanité, ce n’est pas de vieillesse ! C’est un meurtre, volontaire, nourri de haine, un meurtre contre un frère, une mort caractérisée par le mal qui nous ronge. La rupture avec Dieu entraîne des ruptures multiples, notamment dans la famille : le prochain devient lointain, le frère/l’ami, un ennemi.

Encore une fois, Dieu suit Caïn ; encore une fois il le questionne, pas d’abord comme juge, mais comme conseiller : il invite au dialogue avant de prononcer son jugement (Dieu n’est pas caché derrière la porte à attendre que gens pèchent ou chutent/ surprendre & punir -> bien-veillant !). Mais à nouveau Caïn se ferme au dialogue, il prend Dieu pour un imbécile, refuse la main tendue – c’est là que le jugement tombe.

La dureté du jugement – Caïn privé de travail, de terre, de famille, exilé & errant – prouve à quel point Dieu est affecté par ce qui arrive aux hommes : le blasphème, ce n’est pas seulement l’insulte directe à Dieu ! Insulter un frère, tuer, voler, tromper, trahir… c’est aussi blasphémer !

La réaction de Caïn à sa sentence est presque drôle : « c’est trop dur ! » Oui, enfin, c’est un meurtre, quand même ! Caïn ne change pas, c’en est désespérant, il reste aveugle et immature. Et pourtant, Dieu ne s’énerve pas après lui, il répond même à ses « exigences » : voilà une protection, la promesse de veiller sur lui, de le venger 7 fois s’il était blessé. 7 fois : le chiffre de ce qui est complet – comme un rappel de l’amour de Dieu, complet. Oui, Caïn, malgré tout, malgré son immaturité, sa culpabilité, sa fermeture au dialogue et à Dieu, Caïn garde aux yeux de Dieu toute sa valeur d’enfant. Sans nier la culpabilité, sans excuser l’inexcusable, Dieu continue d’aimer le coupable – même quand celui-ci persiste à lui tourner le dos.

  • La descendance de Caïn & la naissance d’un autre frère, Seth
17 Caïn s’unit à sa femme. Elle devient enceinte et elle met au monde Hénok. Caïn se met à construire une ville. Il donne à cette ville le nom de son fils Hénok. 18 Hénok a un fils : Irad. Irad a un fils : Mehouyaël. Mehouyaël a un fils : Lémek. 19 Lémek prend deux femmes : la première s’appelle Ada, la deuxième s’appelle Silla. 20 Ada met au monde Yabal. C’est l’ancêtre de ceux qui habitent sous des tentes et élèvent des troupeaux. 21 Son frère s’appelle Youbal. C’est l’ancêtre de tous ceux qui jouent de la cithare et de la flûte. 22 Silla met au monde Toubal-Caïn. C’est le forgeron qui fabrique tous les outils en bronze et en fer. La sœur de Toubal-Caïn, c’est Naama.
23 Lémek dit à ses femmes :

« Ada et Silla, écoutez-moi ! Mes chères femmes, faites attention à ce que je vais dire. Si on me frappe, je tue un homme. Si on me blesse, je tue un enfant. 24 Pour venger Caïn, il faut tuer sept personnes. Pour me venger, il faudra en tuer 77. »

 

25 Adam s’unit encore à sa femme. Ève met au monde un fils. Elle l’appelle Seth, et elle dit : « Caïn a tué Abel, mais Dieu m’a donné un autre fils à sa place. » 26 Seth à son tour a un fils. Il l’appelle Énos. À ce moment-là, les gens commencent à prier Dieu en l’appelant SEIGNEUR.

Cette dernière partie présente deux descendances : celle de Caïn, et celle de Seth, fils n°3 qui remplace Abel dans el projet de Dieu.

En faisant naître Seth, Dieu reste fidèle à sa promesse : par la descendance d’Eve, un Sauveur viendra pour les hommes. Même si Abel est mort, le projet de salut de Dieu ne s’arrête pas pour autant – il crée un plan B. Ce qui nous paraîtrait fatal, au point d’enterrer le projet, ne détourne pas Dieu de ce qu’il veut faire au long cours – il crée, il recrée, des portes de sortie, des itinéraires bis, des passerelles, sans cesse, pour que le chemin continue ! Son amour pour nous est plus grand que les pires atrocités.

Mais la descendance de Caïn est elle aussi intéressante : on y trouve le bien et le mal, entremêlés. La culture, la technologie, la ville, l’élevage etc. – le progrès ! La culpabilité de Caïn ne disqualifie pas tout ce que lui ou ses descendants feront ! Le monde pécheur n’est pas entièrement noir : des étincelles y demeurent – protection de l’autre, amour du beau, développement… Des étincelles que Dieu accueille et valorise – l’espérance biblique, par exemple, n’est pas de retourner au jardin d’Eden, mais d’habiter la ville de Dieu. On aurait tort de croire que dans le monde déchu, tout est pourri, et qu’il faut tout jeter!

Mais en même temps, avec le progrès du bien, il y aussi progrès de la violence et du mal : Lémek en est un bon exemple. Polygame, alors qu’originellement Dieu choisit d’unir un homme et une femme, c’est aussi une brute, qui revendique avec vantardise l’héritage de Caïn – tuer pour une simple blessure, réclamer l’impunité. C’est l’escalade du mal : la revendication de Lémek (vengé 77 fois au lieu de 7) souligne l’emballement de la violence. Un simple acte de rupture avec Dieu a lancé tout un engrenage, en nous et autour de nous.

Avec l’apparence d’une histoire un peu imagée, la Bible offre ainsi une vision réaliste, nuancée, du monde et de l’homme. Dans le monde qui nous entoure, mais aussi dans notre être intérieur, rien n’est tout blanc ou tout noir. Même si le tableau est sombre, il reste de petites taches de couleur, insuffisantes pour nous sauver, mais signes que nous sommes encore images de Dieu.

Conclusion

Voilà un texte dur. Caïn annonce un avenir sombre pour l’humanité. On est si loin de la joie, de la générosité, de l’harmonie des premiers jours… Le décalage premier d’avec Dieu a entraîné des déchirures, pas seulement dans la relation avec Dieu, mais avec l’autre aussi. Pourtant, même dans ce texte difficile, des pointes d’espoir, des pointes de grâce demeurent car Dieu ne nous abandonne pas à notre triste sort, mais il continue de s’impliquer auprès des hommes, de leur parler, de leur indiquer un chemin. Bien plus, sur nous comme sur Caïn, il pose une marque, car nous sommes comme lui, pas meilleurs, même si ça ne se voit pas – Dieu pose sur nous la marque de son amour, la marque de son salut. Jésus meurt à notre place, à la croix il expie notre punition pour tout ce qui nous pollue : colère, haine, jalousie, crimes, égoïsme, blasphèmes, ruptures et déchirures, violence… Lorsque nous l’acceptons par la foi, Dieu nous considère innocents, il rétablit le dialogue avec nous, il nous transforme et nous guérit de l’intérieur, par son Esprit.

Alors même si le monde autour de nous paraît parfois bien sombre, en désespérons pas : Dieu veille et s’implique, il nous aime, coupables ET victimes, et il tend encore sa main aujourd’hui, pour nous sauver, du monde et de nous-mêmes.

 

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