La souffrance: au coeur de la mission du Christ

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Lecture biblique : Esaïe 52.13-52.12

Un enfant naît. Une étoile paraît. Adulte, il se met à parcourir son pays. On dit qu’il fait des miracles, qu’il est plein de sagesse, on dit qu’il parle à tous – il est mis à mort, condamné par les responsables religieux, condamné par les autorités politiques. Quelques jours plus tard, ses proches disent qu’ils l’ont vu, vivant à nouveau.  Cet homme, c’est Jésus : comment le comprendre, comprendre sa vie, son œuvre ? Jésus lui-même a souvent été énigmatique pour se décrire, et ses proches ont souvent été perdus, que ce soit sa famille ou ses disciples.

Un élément nous aide en particulier : Juif, Jésus fait référence aux textes sacrés de son peuple, aux prophéties anciennes, pour donner un éclairage sur sa vie et sa mission. Parmi ces textes, il y a les poèmes sur le Serviteur, écrits par le prophète Esaïe, 700 ans av. J.C. Ils annoncent la venue d’un homme, envoyé de Dieu, choisi par Dieu, pour établir la justice et la paix dans le monde – c’est ce que nous avons vu la semaine dernière. Aujourd’hui nous en lirons un autre, quelques chapitres plus loin, qui décrit comment ce Serviteur de Dieu va agir, comment il va établir la justice et la paix.

Ce qui frappe à première lecture, c’est la place de la souffrance – au point que ce poème est souvent désigné comme celui du « Serviteur souffrant ».

1)   Une souffrance totale

Quelle souffrance dans ce texte ! Esaïe la décrit en utilisant différentes images : le Serviteur est frappé, écrasé, blessé ; il est jugé, accusé, condamné ; il est malade, défiguré, agonisant ; il est seul, abandonné, méprisé ; il est même puni par Dieu. Que lui restera-t-il ? Il est privé de relations, privé de santé, privé de respect et de sécurité. Personne ne prend sa défense, personne n’a même compassion de lui – au contraire, il souffre dans le mépris et l’indifférence.

Au bout du compte, c’est vers la mort qu’il avance, une mort où là encore l’infamie est au rendez-vous : il est enterré avec les gens mauvais, avec les riches. Ici comme souvent dans la prophétie biblique, le « riche » ce n’est pas celui que Dieu a béni dans ses récoltes ou ses affaires, mais celui qui s’enrichit injustement, le corrompu, le requin prêt à tout pour l’argent et le pouvoir, qui écrase les autres et transgresse les lois.

La situation est d’autant plus terrible qu’elle est parfaitement injuste. Cet homme est rejeté, sans être coupable de quoi que ce soit : il n’a jamais rien fait de mal ni trompé personne (qui de nous pourrait l’affirmer ?). Il est pur comme un agneau, blanc comme neige – il ne proteste même pas devant ce qui lui arrive. A la violence, il répond par la paix.

Quand on lit le récit de la vie de Jésus, cette dimension de la souffrance à la fois physique, morale, relationnelle, spirituelle est très forte. Jésus, dès le début de ses enseignements, est rejeté par les autorités, incompris – même par les foules qui accourent à lui, même par ses plus proches. Ce qu’on appelle la Passion du Christ, c’est-à-dire sa souffrance des derniers jours conduisant à sa mort, montre bien la solitude grandissante, la cruauté des soldats, la haine des foules versatiles – et l’injustice : les juges se refilent le cas, sans avoir de preuve formelle pour le condamner à mort (mais ils finissent par en trouver une). Jésus lui, refuse de se débattre (il guérit même l’oreille du soldat qui l’arrête), il ne se défend pas, il garde le silence devant le gouverneur romain Pilate – comme un agneau qu’on mène à l’abattoir, comme une brebis silencieuse.

2)    Sacrifié pour nous

S’il est innocent, pourquoi souffre-t-il autant ? Il n’y a pas de fumée sans feu : pourquoi s’acharner sur cet homme sans raison ? Parce qu’il paye – certes, pas pour ses fautes, mais il paye. Il subit la punition que mérite son peuple – il se substitue à eux pour prendre leur châtiment : le texte est on ne peut plus clair ! « Ce sont nos maladies qu’il portait » (v.4), « il a été blessé à cause de nos fautes, il était écrasé à cause de nos péchés, la punition qui nous donne la paix est tombée sur lui, et c’est par ses blessures que nous sommes guéris » (v.5). Le Serviteur n’est pas seulement solidaire de la souffrance de son peuple – il prend sur lui la punition douloureuse que mérite le peuple !

Deux images s’opposent ici : le troupeau de moutons perdus qu’est devenu Israël, et l’agneau allant à l’abattoir. Les moutons sont perdus, non parce que Dieu leur berger les aurait abandonnés dans un endroit inconnu au milieu de la nuit, non, ils sont perdus parce qu’ils se sont perdus, ils ont refusé d’écouter la voix du berger, choisi d’autres chemins, des routes de perdition sur lesquelles ils se sont entêtés. Rebelle, orgueilleux, sourd et aveugle, fermé au bien et prompts à l’injustice – voilà ce qu’était devenu le peuple que Dieu avait appelé, sorti de l’esclavage, installé dans un joli pays, aimé et béni. Ce peuple est une parfaite image de la noirceur de notre cœur à tous, de l’indécrottable corruption de l’humanité, car même dans les meilleures conditions, avec privilèges et avantages extraordinaires, même là, l’homme est rebelle à Dieu, obstiné dans ce chemin de perdition emprunté à l’aube de l’humanité.

Oui, le Serviteur paye les fautes de son peuple. Et même des autres – les nations, les nombreux, les rois étrangers sont rendus justes parce que leur culpabilité est assumée par le Messie. Comment un homme pourrait-il expier les fautes de tous ? Parce qu’il nous représente : comme le premier homme a péché et entraîné l’humanité entière dans le mal, de même cet homme innocent et juste peut entraîner dans la justice ceux qui s’attachent à lui par la foi.

Petite remarque : injuste, accablante, totale, la souffrance du Serviteur n’en est pas moins choisie. Il accepte librement de mourir, il n’essaie pas de s’échapper ou de se défendre : c’est son rôle, le cœur de sa mission, c’est le moyen par lequel il apporte la délivrance que Dieu promet à l’homme esclave du mal.

Il prend sur lui volontairement ce que nous méritons – le jugement de Dieu sur nos fautes, qui sont loin d’être aussi mignonnes qu’on se plaît à le penser, mais qui nous pourrissent – pour nous offrir ce que nous ne méritons pas, comme l’a dit Didier la semaine dernière : la guérison de notre cœur, la chance d’une vie nouvelle, la paix avec Dieu. Il se charge de ce qui empêche le Dieu juste et aimant de nous aimer : notre noirceur. Une fois justice faite, Dieu peut donner libre cours à son amour pour nous. En choisissant de mourir à notre place la mort que nous méritons, il permet à Dieu d’exercer la justice tout en justifiant, en pardonnant les coupables que nous sommes – le mal est si terrible qu’il ne peut pas rester en suspens, mais il doit être expié, couvert, effacé.

Sans la souffrance du Christ, pas de salut… Ce n’est pas son message ou ses miracles, sa sagesse ou son exemple qui nous sauvent en nous inspirant : c’est le don qu’il fait de lui-même pour subir la colère de Dieu et nous permettre une vie nouvelle. C’est par sa mort que nous recevons la vie.

3)    Le chemin étroit du salut        

Ce texte ne brille pas par sa légèreté ou son triomphalisme ! Et pourtant. On y trouve des indices de victoire : le serviteur réussira, il verra la lumière, il sera rempli de bonheur, haut placé, exalté, il partagera ses richesses avec ceux qui l’ont rejoint. Le mal n’a pas le dernier mot. Au bout du chemin de la vallée de l’ombre de la mort, au bout du tunnel, il sort victorieux. La prophétie n’en dit pas plus, mais ce qu’elle évoque de loin, c’est la résurrection du Christ. Mort sur la Croix, Jésus le serviteur a été accepté par Dieu comme un sacrifice valable et suffisant, assez juste pour compenser toutes nos fautes, toutes ! passées, présentes, futures ! toutes ! Son retour à la vie, son élévation au ciel, son retour auprès de Dieu, le partage de ses richesses avec ceux qui croient, aujourd’hui par l’Esprit demain physiquement, marquent le triomphe de l’amour, de la justice et de la puissance de Dieu.

Avant de conclure, juste un mot : celui qu’on considérait comme un loser, un nul, est en fait le puissant qui sauve de la mort. Toutefois, Dieu n’a pas choisi, pour effacer le mal, le chemin du triomphalisme – il aurait pu faire un 2e Big Bang ! Loin de là, choisissant lui-même, en la personne divine du Fils, de devenir homme, de passer par nos tunnels et nos chemins, il a donné la paix sans commettre de violence – il l’a même subie à notre place. Parfois, dans nos milieux, on voit la résurrection, la victoire, la gloire, et on oublie l’étroitesse du chemin que le Christ a suivi : sa souffrance, son humiliation, sa patience. Lui qui aurait pu nous mettre au pas s’est fait serviteur, il s’est abaissé pour nous pousser vers le haut. Nous ne sommes pas appelés à nous sacrifier pour sauver les autres – c’est fait ! En Christ ! Cela dit, en donnant le salut dans l’humilité et l’amour, le Christ donne un exemple de ce qu’est la mentalité de Dieu, de la manière dont il fonctionne et vit – si nous voulons vivre avec lui, c’est dans l’humilité et l’amour, comme le Christ.

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