Lecture biblique: Exode 20.8-11
C’est les vacances ! Certes, pas pour tout le monde, mais le pays entier change de rythme pendant ces deux mois de vacances scolaires. J’ai saisi cette occasion pour commencer une petite série sur le thème du repos, pendant le mois de juillet.
On croit qu’on sait se reposer, parce qu’on le fait plus ou moins, chacun, parce qu’on sait dormir et que personne n’œuvre 24/7. Cela étant, la Bible aborde à plusieurs reprises le thème du repos, dans l’AT comme dans le NT. Et en général, quand Dieu choisit d’aborder un sujet dans la Bible, c’est que nous avons besoin d’apprendre, d’entendre un autre pdv sur ce sujet, et de nous laisser transformer sur ce point. Pour le repos, c’est pareil, surtout que dans nos sociétés, tout le monde ou presque est épuisé : ceux qui travaillent beaucoup ou pas, les enfants, les retraités… Même si souvent nous ne nous dépensons pas beaucoup physiquement, nous sommes en proie à une grande fatigue, essentiellement nerveuse. Dans ce contexte où le repos n’est pas vraiment reposant, j’espère que ces textes bibliques nous aideront à mieux profiter du repos dans la perspective de Dieu.
C’est évident, pour commencer cette série, il fallait parler du sabbat, jour de repos hebdomadaire demandé par Dieu au peuple d’Israël. Il figure dans les 10 commandements, dix paroles que Dieu adresse à son peuple fraîchement délivré d’Egypte, au temps de Moïse, dix paroles pour apprendre à bien vivre, à vivre selon les principes de Dieu.
Notre mode de vie actuel pousse à en demander toujours plus, à faire toujours plus, à bien remplir nos agendas sans laisser aucun trou. On peut se dire que c’était mieux avant : c’était sûrement différent. Pour Israël, respecter le sabbat n’a jamais été facile, et Dieu rappelle régulièrement, avec différentes explications, pourquoi il faut respecter le sabbat. La première explication, c’est celle de notre texte : vivre ce 7e jour comme un jour de repos, à l’image du 7e jour de la création. En effet, le premier chapitre de la Genèse décrit Dieu créant le monde entier en une « semaine », créant ainsi un parallèle entre l’action humaine et l’action divine. Il y a plusieurs manières de comprendre ces jours de création, mais ce qui est essentiel dans notre texte, c’est que le peuple est appelé à se reposer le 7e jour parce que Dieu s’est reposé, en suivant le rythme de Dieu, toutes proportions gardées.
Creusons un peu le sens du sabbat pour voir s’il peut nous éclairer sur une manière de vivre conforme à ce que Dieu attend de nous.
1) Un temps pour souffler
Ce qui saute aux yeux, et sans vouloir faire de lapalissade, c’est que le jour de repos est un temps pour souffler, un temps pour reprendre haleine, pour se ressourcer.
Le jour n’existe pas sans la nuit, l’inspiration sans l’expiration, la musique sans le silence… Le récit de la création, étonnamment, nous montre que la création n’est vraiment achevée que lorsque Dieu s’est mis en repos : son œuvre, c’est à la fois l’activité pure, directe, et le repos qui le suit. On pourrait avoir l’impression que la pause est un vide, un vide un peu effrayant qu’il faut vite combler, mais vivre prend en compte ces deux pôles, et le balancement qui fait passer de l’un à l’autre avec régularité, c’est comme la marche, ce qui nous permet d’avancer. N’avoir que le repos ou que l’activité, c’est vivre à cloche-pied.
L’ordre de Dieu surprend par le fait qu’il inclut toute la maison : ni toi, ni tes enfants, ni tes serviteurs juifs, ni tes bêtes, ni l’étranger qui travaille chez toi. Tous doivent faire la pause : les parents et les enfants, les juifs et les non-juifs, les patrons et les employés, les humains et les bêtes. On connaît l’expression « il n’y a pas de repos pour les braves » : eh bien si ! Même les braves doivent se reposer. Le repos n’est pas pour les faibles, pour les gens de constitution fragile, pour les chétifs : tous, même les plus forts. Le repos, à l’inverse, n’est pas le privilège des nantis, des maîtres, qui ont le pouvoir de faire ce qu’ils veulent alors que d’autres travaillent pour eux, ou d’anciens qui ont bien mérité le droit de se reposer aujourd’hui. Le repos, c’est pour tout le monde ! C’est une nécessité pour toutes les créatures, c’est le rythme qui est le nôtre.
Le repos n’est pas pour autant un mal nécessaire, dû à nos limites de créatures, un temps où on ronge son frein en attendant que la machine reparte : Dieu lui-même s’est reposé ! Dieu tout-puissant, infatigable, qui a tout créé par sa parole seulement, Dieu s’est reposé et a repris son souffle. Etonnant ! Dieu lui-même considère que le repos est un moment à part entière, un moment de valeur, dont il veut que nous profitions pleinement nous aussi.
La limite entre le 7e jour et les 6 autres paraît tranchée : tu dois faire tout ton ouvrage en 6 jours (l’ouvrage comprenant le travail payé et les tâches de la vie quotidienne : passer sa journée de repos à faire le ménage, la lessive, les courses la compta, ce n’est pas le but !). Bien sûr, le repos ce n’est pas un arrêt total ou une hibernation : il faut bien se nourrir, il faut traire les bêtes, il faut se laver – de même, si Dieu s’est mis en repos après avoir posé les grandes bases de la création, Dieu continue de soutenir le monde, de le faire vivre. Ce qui est clair, c’est le changement de modalité : la production, le rendement, l’activité ne sont pas l’objectif du jour de repos, qui invite à un changement de rythme et d’orientation.
2) Un temps pour prendre du recul
En effet, au-delà du répit, le repos a aussi pour but de nous pousser à prendre du recul, à relever la tête de notre guidon pour voir où on en est, pour adopter une perspective plus large que le métro-boulot-dodo. En particulier, le repos régulier nous pousse à avoir une vie autre que le travail, même non rémunéré. Régulièrement, par le repos, je me souviens que je ne suis pas ce que je fais, je suis plus, et ce « plus » a la possibilité de s’exprimer dans ce temps où je ne travaille pas. Le travail, l’activité, ce n’est le tout de notre vie, et prendre du repos c’est relativiser cette activité. Dieu lui-même, créateur merveilleux, refuse de se réduire à son activité de créateur, il ne se rend pas esclave de sa puissance, de ses œuvres, de sa performance.
L’exhortation à nous reposer nous aide à poser une limite à notre ouvrage, de sorte qu’il ne nous dévore pas, qu’il ne nous étouffe pas, qu’il ne devienne pas notre maître qui pense à notre place et définit nos priorités pour nous. Se reposer, c’est se rappeler qui on est, pourquoi on va dans telle direction, pourquoi par ce moyen-là, c’est refuser d’être emporté dans un torrent qui nous submerge.
Petite parenthèse : un des problèmes de notre société, c’est que nous sommes tentés de remplacer la frénésie du travail par la frénésie des loisirs et divertissements, connaissances, médias, réseaux sociaux etc. – vous savez, quand on commence la semaine plus fatigué qu’on ne l’a terminée, quand on aimerait un deuxième week-end, mais un vrai, cette fois. Les propositions de la société nous envahissent : sans même parler de la pression au travail (répondre aux mails urgents la nuit ou le week-end, être toujours disponible, etc.), les loisirs sont devenus une occupation à part entière qui remplace le guidon du travail par le guidon des loisirs – autant chez les adultes que chez les enfants d’ailleurs. Et c’est pour beaucoup difficile de mettre une limite à toutes ces propositions, notamment parce qu’on risque de paraître, selon les cas, dépassé, paresseux, casanier. Je ferme la parenthèse.
Se mettre en retrait, en recul, par rapport à son activité, je me demande si ce n’est pas un signe de confiance et d’humilité. D’humilité parce que si Dieu s’est reposé sans que le monde arrête de tourner, alors, le monde peut continuer aussi même si je prends un jour de congé. Bien sûr, on va nous dire que non, mais la réalité, c’est que tout ne repose pas sur nos épaules, loin de là. Humilité, et confiance, parce qu’en s’arrêtant – raisonnablement – on reconnaît que c’est Dieu qui agit pour nous, qu’il prend soin de nous, pendant notre travail et pendant notre repos. C’est croire que Dieu veille sur nous jour et nuit, qu’il précède, accompagne et suit tous nos projets. Le repos nous rappelle que jamais les choses n’adviennent par nous seuls, mais toujours avec Dieu.
3) Un temps pour l’essentiel
Alors le repos, c’est un temps libre : libre de souci, libre de performance, libre de pression, on pourrait dire, un temps gratuit. Mais le temps libre, ce n’est pas un temps vide ! le temps gratuit n’est pas sans valeur ! Une place se libère dans notre vie pour que nous reprenions notre souffle, relevions la tête et regardions à l’essentiel.
Que fait Dieu quand il se repose ? Bonne question ! Je crois qu’une des réponses, c’est qu’il se réjouit de sa création : il a posé les bases, et maintenant, comme un jardinier, il regarde ses plantes pousser, il arrose, il taille… Dieu savoure la relation qu’il développe avec sa création. En effet, le but de la création, ce n’est pas seulement l’émergence d’une autre forme de vie, c’est la possibilité d’avoir une relation avec les créatures. Dieu nous a créés, en 6 jours, pour vivre une relation d’amour avec nous, le 7e jour qui dure depuis longtemps. De même, notre repos a pour vocation d’être consacré à Dieu, un temps orienté vers la relation fondamentale, essentielle, vitale de notre existence, celle que nous avons avec notre créateur, père, sauveur, seigneur, Dieu.
Se consacrer à Dieu, ça peut paraître sec et austère. En réalité, nous tourner vers Dieu, c’est savourer sa présence, son amour, sa fidélité, sa sagesse, mais c’est aussi se réjouir de ses dons, en se rappelant que tout ce qui est bon nous vient de notre Père : la famille, les amis, la santé, la nature, le travail aussi, et tant d’autres sujets de reconnaissance. Selon les personnalités, on peut savourer la bonté de Dieu en famille, en solitaire, pendant une randonnée ou une lecture, on peut prier ou chanter, jardiner ou bricoler, mais ce temps de repos, c’est le temps d’ouvrir grand les yeux sur la relation que nous avons avec Dieu.
Conclusion
Pour Israël, le sabbat était incontournable : moment régulier de repos, de recul, d’adoration. Le sabbat avait encore une autre dimension : il symbolisait le repos à venir, le repos de la foi, la bonne nouvelle que Dieu nous sauve en Jésus-Christ et que ce n’est pas par notre travail ou nos œuvres, mais que c’est un don gratuit, une grâce, que nous sommes appelés à recevoir jour après jour.
Le sabbat est-il dépassé ? oui, dans sa forme. Non, dans ses principes. Bien sûr, on est appelé à prendre conscience chaque jour de la présence de Dieu, à savourer ses dons à chaque instant, à nous rendre disponibles à chaque minute. Sauf que souvent, le toujours devient jamais, car la vie quotidienne prend le pas sur le repos avec Dieu. Prendre des temps réguliers – quotidiens, hebdomadaires, annuels – pour volontairement se ressourcer, s’extraire des excès du quotidien et revenir à l’essentiel, ça fait partie de notre rythme. Je crois que les principes du sabbat sont toujours pertinents, aujourd’hui comme hier. Que Dieu nous aide à trouver comment nous pouvons, chacun, trouver ces temps de vrai repos.