Je vous invite ce matin à ouvrir la Parole de Dieu dans le livre des Juges, livre qui est proposé à la lecture en ce moment par le guide de lecture de la Bible. Les juges se situent dans les siècles entre Moise et le roi David. Après l’exode, le peuple d’Israël, libéré d’Egypte, atteint le pays promis par Dieu et s’y installe. Seulement, les peuples païens qui habitent ce pays oppriment régulièrement Israël, et Dieu appelle des libérateurs, que la Bible nomme « juges », pour délivrer son peuple de cette oppression. Le texte que je vous propose de méditer ce matin est un épisode de Jephté, un des derniers juges : c’est peut-être le texte le plus troublant, choquant même. Lisons dans le livre des Juges, 11.29-40. Lecture
Ce texte est étonnant : nous avons affaire à un des rares cas de sacrifice humain dans la Bible. Le sacrifice est la mise en œuvre d’un vœu au Seigneur qui semble garantir la victoire. L’épisode s’appesantit sur le drame, sur la tragédie, et on a l’impression que l’auteur insiste sur le fait que la fille de Jephté était fille unique, vierge, et pourrait-on dire innocente. Pour le croyant, cette situation quasiment inacceptable est empirée par l’absence de tout commentaire ou remarque. Est-ce que Jephté a eu raison ? pourquoi Dieu l’a-t-il fait gagner s’il savait que la fille serait sacrifiée ?
1) Jephté : le libérateur victorieux
Pour bien comprendre ce texte, je pense qu’il faut d’abord se rappeler la dynamique du livre des juges. Après leur installation dans le pays promis, Canaan, les Israélites se retrouvent à cohabiter avec les peuples autochtones, qui sont païens : ils croient en plusieurs dieux et pratiquent des rites abominables aux yeux de Dieu. Or, le peuple d’Israël commence à se laisser influencer par ses voisins, et se détourne de Dieu – Dieu qui les a quand même libérés d’Égypte et leur a donné un pays à habiter ! – Israël se détourne de la loi, qui exprime la volonté de Dieu, et adopte les pratiques et les croyances païennes. Devant cette rébellion, Dieu arrête de les protéger des attaques militaires, et Israël est battu par un peuple païen. Quand l’oppression devient insupportable, le peuple crie à Dieu et demande son aide : Dieu écoute et envoie un libérateur, un « juge ». Celui-ci triomphe sur les ennemis, libère Israël et pendant quelques décennies, le peuple revient vers Dieu. Le problème, c’est qu’à chaque fois, ça recommence, et un cercle vicieux s’installe : le peuple se détourne, il est opprimé, il se plaint à Dieu, Dieu envoie un libérateur, il y a la paix quelques années, puis Israël se détourne à nouveau, est opprimé etc. etc.
L’histoire de Jephté commence au début du chap.11 et décrit comment Jephté devient un libérateur, un chef militaire pour les tribus du NE, Manassé et Galaad. Ces deux tribus sont opprimées par leurs voisins, les Ammonites. Notre texte arrive à la fin du cycle, au moment où Jephté va affronter les Ammonites et libérer Israël. Souvent, avant la victoire militaire, les libérateurs choisis reçoivent une puissance particulière qui vient de Dieu, et qui leur assure la réussite. Ici, c’est au v.29
29 Alors le souffle du Seigneur fut sur Jephté.
Cela montre que Jephté est bien un juge soutenu par Dieu. Jephté gagne donc la bataille sur vingt villes, essentiellement à la frontière entre les tribus d’Israël et le pays d’Ammon. [pause] Le fait que Dieu lui-même guide Jephté et lui livre ses ennemis confirme la présence de l’Esprit de Dieu. Cette victoire militaire, permise par Dieu, marque donc, normalement, la fin du cycle habituel dans le livre des juges, puisqu’Israël est maintenant délivré.
Pourtant vous avez remarqué que notre histoire rebondit, qu’il y a comme un décrochage par rapport au schéma attendu. En fait, la victoire militaire, qui devrait être le point final à notre récit, relance le suspense et crée un nouveau problème : Jephté va-t-il accomplir son vœu ? C’est ce problème qui attire maintenant notre attention.
2) Le sacrifice humain : un scandale
Voici le vœu que Jephté a fait avant de commencer la bataille :
Jephté fit un vœu au Seigneur; il dit : Si vraiment tu me livres les Ammonites, 31 quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai sera pour le Seigneur, et je l’offrirai en sacrifice.
Or, quand Jephté revient, c’est sa fille qui sort en premier. Le vœu est accompli : la fille de Jephté est sacrifiée v.39
Au bout des deux mois, elle revint vers son père, et il s’acquitta sur elle du vœu qu’il avait fait
On ne peut pas éviter le côté scandaleux de cette histoire. C’est quand même un sacrifice humain ! Dans la Bible ! La mort d’une jeune fille innocente tuée par les mains de son père ! Et personne ne semble s’y opposer, ni le peuple, ni Dieu, ni même l’auteur du texte qui ne fait aucun commentaire, comme si tout était normal. Ce silence ne doit pas nous égarer : précédemment, dans le désert, quand Dieu a dicté à Israël la loi, Dieu a formellement interdit tout sacrifice humain, et surtout celui des enfants ! Dieu déteste ces sacrifices au point que plus tard, par la bouche du prophète Jérémie, il menace Israël de les déporter justement parce qu’ils ont fait des sacrifices d’enfants, comme dans la religion païenne.
Petite parenthèse : L’épisode du sacrifice d’Isaac vous est peut-être venu à l’esprit. C’est vrai qu’il y a quelques ressemblances. Cependant, la différence avec Abraham, c’est que Dieu lui avait demandé de sacrifier son fils unique, Isaac, et au moment fatal, Dieu l’a remplacé par un bélier. Dieu n’a jamais prévu qu’Isaac soit tué, mais il voulait entre autres tester la foi d’Abraham et sa reconnaissance : Abraham était-il capable d’avoir confiance et de rendre à Dieu ce que Dieu lui avait donné ?
Jamais Dieu ne demande de sacrifier un être humain : ce sont des pratiques païennes, perverties, éloignées de la volonté du Dieu vivant. Là, Jephté propose presque naturellement d’offrir quelqu’un en sacrifice, comme si c’était normal, et même ce qu’il pouvait offrir de mieux. Il ne promettait pas n’importe qui : il faut se rappeler qu’au retour du guerrier vainqueur, ce n’était ni la cuisinière ni le gardien de bœufs qui venait l’accueillir, mais ses proches : sa femme, sa mère, ses filles… Jephté savait donc, quelque part, que son vœu allait toucher qqn qui lui était cher !
Alors pourquoi ce vœu qui ne peut que déplaire à Dieu ? Je crois que le libérateur d’Israël était plus influencé par le monde païen qu’il ne le pensait… il ignorait la loi, et pensait honorer Dieu avec des pratiques abominables ! il prenait le Dieu vivant, Yhwh, pour un dieu païen ! c’est comme si nous, chrétiens, nous dansions autour d’un totem pour honorer Dieu ou, plus occidental, que nous laissions la loi du plus fort l’emporter dans les relations fraternelles, que le plus important dans l’église c’est l’argent ou le pouvoir…
Cette confusion entre les valeurs ambiantes et ce que Dieu demande nous concerne tout autant que Jephté ! Nous sommes inévitablement influencés par notre culture, et ce texte attire notre attention sur le danger d’appeler bien ce qui est mal. C’est en consultant, en méditant, en cherchant à comprendre la volonté de Dieu que nous connaîtrons ce qui est bien et que nous saurons de faire le tri.
Revenons à Jephté : il a fait son vœu, vaincu les ennemis, et rentre. Quand sa fille sort, le temps s’arrête ! La victoire se transforme en deuil ! C’est d’autant plus affreux que Jephté n’a pas d’autre enfant, ce que le texte met en valeur : sa famille s’éteindrait toute entière avec la mort de sa fille vierge. Un dilemme se présente : accomplir ou pas le vœu ! Jephté trahira soit Dieu soit sa propre chair. Jephté choisit de tenir sa promesse, et accomplit son vœu, ce qui semble être à son honneur, puisqu’il a mis Dieu au premier plan. Après tout, les vœux dans la Bible ne peuvent quasiment jamais être annulés. D’ailleurs, vous voyez que la fille de Jephté se soumet courageusement à son destin, justement parce que le vœu est impératif : il ne lui vient pas à l’esprit qu’on puisse reprendre la parole donnée ! On ne se parjure pas devant Dieu. Jephté semble donc faire le bon choix.
Mais, il y a un mais. Les sacrifices humains déplaisent à Dieu : en réalité c’est un autre dilemme qui se pose : faut-il respecter l’engagement, le vœu, ou l’interdiction de sacrifices humains ? Il me semble que le cas de Jephté nous présente un problème de discernement, de sagesse. Toute la loi est bonne et reflète la volonté de Dieu : rien dans la loi ne doit être transgressé. Cependant, dans une situation compliquée avec des conflits d’intérêts, nous sommes appelés à discerner les priorités. Ce n’est pas pour rien que les 10 commandements sont à part du reste de la loi, ce n’est pas pour rien que Jésus affirme que le commandement le plus important, c’est aimer Dieu, et son prochain. L’essentiel se distingue du secondaire, et tout n’est pas au même niveau. Bien sûr, il ne faut pas négliger les détails pour autant, mais il est bon, dans une situation difficile, de se demander quelle est la priorité. Dans un conflit au travail ou en famille : faut-il avoir raison, avoir le dernier mot, quitte à blesser l’autre ou à mettre en péril notre relation ? pareil dans un conflit d’église : est-ce que je dois marquer des points dans le débat, OU chercher le mieux pour l’autre et pour moi ? Parfois se posent des problèmes éthiques : admettons qu’un nouveau venu arrive, mais que ce soit un dealer par exemple, devrions-nous le rejeter au nom de son péché ou l’accueillir et essayer de l’aider à cheminer ? Quand Paul nous exhorte, en 1 Co 13, à mettre l’amour au premier plan de notre vie, je crois qu’il nous montre lui aussi qu’il y a des priorités dans la volonté de Dieu. Il me semble qu’ici Jephté a respecté la charte du vœu, c’était bien, mais il a transgressé le cœur de la loi en sacrifiant sa fille. Il s’est trompé de priorité.
3) Le vœu : un marchandage
J’aimerais encore méditer avec vous sur une des arêtes du récit. Cette histoire nous interpelle sur le plan moral : elle nous avertit du danger de confondre les valeurs du monde avec celles de Dieu, et elle nous encourage à mieux connaître Dieu et ce qu’il aime pour prendre les meilleures décisions. Mais cette histoire nous enseigne aussi sur le plan spirituel, sur le plan de notre relation avec Dieu. L’auteur attire notre attention sur le vœu en lui-même : v.39, à la conclusion de l’histoire, ce n’est pas le sacrifice, mais le vœu accompli qui est mis au 1er plan. Le vœu lui-même nous interpelle. Jephté, juste avant la bataille, a rassemblé ses troupes, et il est devant la zone de combat. Il prend peur, ou alors il doute, et pour se rassurer, il fait un vœu. C’est la première fois depuis qu’il a été présenté dans la Bible qu’il s’adresse directement à Dieu. Par ce vœu, il cherche une garantie supplémentaire pour gagner. Pourtant, nous, nous savons que l’Esprit est sur lui, et que victoire il y aura : Jephté est sur les bons rails pour réussir sa mission. Cependant il doute, d’un doute universel : vais-je y arriver ? que me réserve l’avenir ? Comment me sortir de mes problèmes ? Est-ce que Dieu est là au moins, quand ma vie est en jeu ?
Alors ce vœu tente de rajouter une garantie. Et on peut y voir une manière un peu perverse de manipuler Dieu, de négocier avec lui. Vous voyez, Dieu n’a pas besoin de sacrifices, il n’a pas besoin de nos prières, de jeûne ou d’argent. Nous ne pouvons rien lui offrir dont il ait besoin ! Pas de troc avec lui, pas de marchandage ! Si Dieu nous bénit, c’est par amour, et non par intérêt ! La signification de la grâce divine, c’est justement que son amour est gratuit : nous ne le méritons, nous ne l’achetons pas ! Attention, Dieu accepte avec plaisir l’expression de notre amour, de notre service, de notre obéissance mais comme un remerciement et pas comme un paiement ou un pot-de-vin !
Sachant cela, pourquoi marchander avec Dieu ? Par désir de garantie mais aussi par désir de maîtriser l’avenir. Submergé par l’anxiété dans une situation qui met en jeu sa vie, Jephté ne choisit pas la confiance en un Dieu tout-puissant, fidèle et bienveillant, mais au contraire il essaie de faire entrer Dieu dans son jeu, d’en faire un atout, un joker. Et en faisant ça, il perd tout : sa fille, l’espoir d’une famille. Ça va rarement aussi loin pour nous, je l’espère en tout cas, mais quand nous choisissons de devenir les maîtres à la place de Dieu et de le tordre pour le faire entrer dans nos plans, quand nous choisissons de traiter Dieu comme un outil, comme un génie dans sa lampe, eh bien nous nous privons d’une relation vivante avec lui, nous l’empêchons de nous transformer profondément, de nous libérer du mal.
Dieu est un Dieu qui délivre, et non pas un tyran : choisissons, par la foi, de le suivre sur ce chemin de vie.
Je vous invite ce matin à ouvrir la Parole de Dieu dans le livre des Juges, livre qui est proposé à la lecture en ce moment par le guide de lecture de la Bible. Les juges se situent dans les siècles entre Moise et le roi David, pour simplifier. Après l’exode, le peuple d’Israël, libéré d’Egypte, atteint le pays promis par Dieu et s’y installe. Seulement, les peuples païens qui habitent ce pays oppriment régulièrement Israël, et Dieu appelle des libérateurs, que la Bible nomme « juges », pour délivrer son peuple de cette oppression. Le texte que je vous propose de méditer ce matin est un épisode de Jephté, un des derniers juges : c’est peut-être le texte le plus troublant, choquant même. Lisons dans le livre des Juges, 11.29-40. Lecture
Ce texte est étonnant : nous avons affaire à un des rares cas de sacrifice humain dans la Bible. Le sacrifice est la mise en œuvre d’un vœu au Seigneur qui semble garantir la victoire. L’épisode s’appesantit sur le drame, sur la tragédie, et on a l’impression que l’auteur insiste sur le fait que la fille de Jephté était fille unique, vierge, et pourrait-on dire innocente. Pour le croyant, cette situation quasiment inacceptable est empirée par l’absence de tout commentaire ou remarque. Est-ce que Jephté a eu raison ? pourquoi Dieu l’a-t-il fait gagner s’il savait que la fille serait sacrifiée ?
1) Jephté : le libérateur victorieux
Pour bien comprendre ce texte, je pense qu’il faut d’abord se rappeler la dynamique du livre des juges. Après leur installation dans le pays promis, Canaan, les Israélites se retrouvent à cohabiter avec les peuples autochtones, qui sont païens : ils croient en plusieurs dieux et pratiquent des rites abominables aux yeux de Dieu. Or, le peuple d’Israël commence à se laisser influencer par ses voisins, et se détourne de Dieu – Dieu qui les a quand même libérés d’Égypte et leur a donné un pays à habiter ! – Israël se détourne de la loi, qui exprime la volonté de Dieu, et adopte les pratiques et les croyances païennes. Devant cette rébellion, Dieu arrête de les protéger des attaques militaires, et Israël est battu par un peuple païen. Quand l’oppression devient insupportable, le peuple crie à Dieu et demande son aide : Dieu écoute et envoie un libérateur, un « juge ». Celui-ci triomphe sur les ennemis, libère Israël et pendant quelques décennies, le peuple revient vers Dieu. Le problème, c’est qu’à chaque fois, ça recommence, et un cercle vicieux s’installe : le peuple se détourne, il est opprimé, il se plaint à Dieu, Dieu envoie un libérateur, il y a la paix quelques années, puis Israël se détourne à nouveau, est opprimé etc. etc.
L’histoire de Jephté commence au début du chap.11 et décrit comment Jephté devient un libérateur, un chef militaire pour les tribus du NE, Manassé et Galaad. Ces deux tribus sont opprimées par leurs voisins, les Ammonites. Notre texte arrive à la fin du cycle, au moment où Jephté va affronter les Ammonites et libérer Israël. Souvent, avant la victoire militaire, les libérateurs choisis reçoivent une puissance particulière qui vient de Dieu, et qui leur assure la réussite. Ici, c’est au v.29
29 Alors le souffle du Seigneur fut sur Jephté.
Cela montre que Jephté est bien un juge soutenu par Dieu. Jephté gagne donc la bataille sur vingt villes, essentiellement à la frontière entre les tribus d’Israël et le pays d’Ammon. [pause] Le fait que Dieu lui-même guide Jephté et lui livre ses ennemis confirme la présence de l’Esprit de Dieu. Cette victoire militaire, permise par Dieu, marque donc, normalement, la fin du cycle habituel dans le livre des juges, puisqu’Israël est maintenant délivré.
Pourtant vous avez remarqué que notre histoire rebondit, qu’il y a comme un décrochage par rapport au schéma attendu. En fait, la victoire militaire, qui devrait être le point final à notre récit, relance le suspense et crée un nouveau problème : Jephté va-t-il accomplir son vœu ? C’est ce problème qui attire maintenant notre attention.
2) Le sacrifice humain : un scandale
Voici le vœu que Jephté a fait avant de commencer la bataille :
Jephté fit un vœu au Seigneur; il dit : Si vraiment tu me livres les Ammonites, 31 quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai sera pour le Seigneur, et je l’offrirai en sacrifice.
Or, quand Jephté revient, c’est sa fille qui sort en premier. Le vœu est accompli : la fille de Jephté est sacrifiée v.39
Au bout des deux mois, elle revint vers son père, et il s’acquitta sur elle du vœu qu’il avait fait
On ne peut pas éviter le côté scandaleux de cette histoire. C’est quand même un sacrifice humain ! Dans la Bible ! La mort d’une jeune fille innocente tuée par les mains de son père ! Et personne ne semble s’y opposer, ni le peuple, ni Dieu, ni même l’auteur du texte qui ne fait aucun commentaire, comme si tout était normal. [pause] Ce silence ne doit pas nous égarer : précédemment, dans le désert, quand Dieu a dicté à Israël la loi, Dieu a formellement interdit tout sacrifice humain, et surtout celui des enfants ! Dieu déteste ces sacrifices au point que plus tard, par la bouche du prophète Jérémie, il menace Israël de les déporter justement parce qu’ils ont fait des sacrifices d’enfants, comme dans la religion païenne.
Petite parenthèse : L’épisode du sacrifice d’Isaac vous est peut-être venu à l’esprit. C’est vrai qu’il y a quelques ressemblances. Cependant, la différence avec Abraham, c’est que Dieu lui avait demandé de sacrifier son fils unique, Isaac, et au moment fatal, Dieu l’a remplacé par un bélier. Dieu n’a jamais prévu qu’Isaac soit tué, mais il voulait entre autres tester la foi d’Abraham et sa reconnaissance : Abraham était-il capable d’avoir confiance et de rendre à Dieu ce que Dieu lui avait donné ?
Jamais Dieu ne demande de sacrifier un être humain : ce sont des pratiques païennes, perverties, éloignées de la volonté du Dieu vivant. Là, Jephté propose presque naturellement d’offrir quelqu’un en sacrifice, comme si c’était normal, et même ce qu’il pouvait offrir de mieux. Il ne promettait pas n’importe qui : il faut se rappeler qu’au retour du guerrier vainqueur, ce n’était ni la cuisinière ni le gardien de bœufs qui venait l’accueillir, mais ses proches : sa femme, sa mère, ses filles… Jephté savait donc, quelque part, que son vœu allait toucher qqn qui lui était cher !
Alors pourquoi ce vœu qui ne peut que déplaire à Dieu ? Je crois que le libérateur d’Israël était plus influencé par le monde païen qu’il ne le pensait… il ignorait la loi, et pensait honorer Dieu avec des pratiques abominables ! il prenait le Dieu vivant, Yhwh, pour un dieu païen ! c’est comme si nous, chrétiens, nous dansions autour d’un totem pour honorer Dieu ou, plus occidental, que nous laissions la loi du plus fort l’emporter dans les relations fraternelles, que le plus important dans l’église c’est l’argent ou le pouvoir…
Cette confusion entre les valeurs ambiantes et ce que Dieu demande nous concerne tout autant que Jephté ! Nous sommes inévitablement influencés par notre culture, et ce texte attire notre attention sur le danger d’appeler bien ce qui est mal. C’est en consultant, en méditant, en cherchant à comprendre la volonté de Dieu que nous connaîtrons ce qui est bien et que nous saurons de faire le tri.
Revenons à Jephté : il a fait son vœu, vaincu les ennemis, et rentre. Quand sa fille sort, le temps s’arrête ! La victoire se transforme en deuil ! C’est d’autant plus affreux que Jephté n’a pas d’autre enfant, ce que le texte met en valeur : sa famille s’éteindrait toute entière avec la mort de sa fille vierge. Un dilemme se présente : accomplir ou pas le vœu ! Jephté trahira soit Dieu soit sa propre chair. Jephté choisit de tenir sa promesse, et accomplit son vœu, ce qui semble être à son honneur, puisqu’il a mis Dieu au premier plan. Après tout, les vœux dans la Bible ne peuvent quasiment jamais être annulés. D’ailleurs, vous voyez que la fille de Jephté se soumet courageusement à son destin, justement parce que le vœu est impératif : il ne lui vient pas à l’esprit qu’on puisse reprendre la parole donnée ! On ne se parjure pas devant Dieu. Jephté semble donc faire le bon choix.
Mais, il y a un mais. Les sacrifices humains déplaisent à Dieu : en réalité c’est un autre dilemme qui se pose : faut-il respecter l’engagement, le vœu, ou l’interdiction de sacrifices humains ? Il me semble que le cas de Jephté nous présente un problème de discernement, de sagesse. Toute la loi est bonne et reflète la volonté de Dieu : rien dans la loi ne doit être transgressé. Cependant, dans une situation compliquée avec des conflits d’intérêts, nous sommes appelés à discerner les priorités. Ce n’est pas pour rien que les 10 commandements sont à part du reste de la loi, ce n’est pas pour rien que Jésus affirme que le commandement le plus important, c’est aimer Dieu, et son prochain. L’essentiel se distingue du secondaire, et tout n’est pas au même niveau. Bien sûr, il ne faut pas négliger les détails pour autant, mais il est bon, dans une situation difficile, de se demander quelle est la priorité. Dans un conflit au travail ou en famille : faut-il avoir raison, avoir le dernier mot, quitte à blesser l’autre ou à mettre en péril notre relation ? pareil dans un conflit d’église : est-ce que je dois marquer des points dans le débat, OU chercher le mieux pour l’autre et pour moi ? Parfois se posent des problèmes éthiques : admettons qu’un nouveau venu arrive, mais que ce soit un dealer par exemple, devrions-nous le rejeter au nom de son péché ou l’accueillir et essayer de l’aider à cheminer ? Quand Paul nous exhorte, en 1 Co 13, à mettre l’amour au premier plan de notre vie, je crois qu’il nous montre lui aussi qu’il y a des priorités dans la volonté de Dieu. Il me semble qu’ici Jephté a respecté la charte du vœu, c’était bien, mais il a transgressé le cœur de la loi en sacrifiant sa fille. Il s’est trompé de priorité.
3) Le vœu : un marchandage
J’aimerais encore méditer avec vous sur une des arêtes du récit. Cette histoire nous interpelle sur le plan moral : elle nous avertit du danger de confondre les valeurs du monde avec celles de Dieu, et elle nous encourage à mieux connaître Dieu et ce qu’il aime pour prendre les meilleures décisions. Mais cette histoire nous enseigne aussi sur le plan spirituel, sur le plan de notre relation avec Dieu. L’auteur attire notre attention sur le vœu en lui-même : v.39, à la conclusion de l’histoire, ce n’est pas le sacrifice, mais le vœu accompli qui est mis au 1er plan. Le vœu lui-même nous interpelle. Jephté, juste avant la bataille, a rassemblé ses troupes, et il est devant la zone de combat. Il prend peur, ou alors il doute, et pour se rassurer, il fait un vœu. C’est la première fois depuis qu’il a été présenté dans la Bible qu’il s’adresse directement à Dieu. Par ce vœu, il cherche une garantie supplémentaire pour gagner. Pourtant, nous, nous savons que l’Esprit est sur lui, et que victoire il y aura : Jephté est sur les bons rails pour réussir sa mission. Cependant il doute, d’un doute universel : vais-je y arriver ? que me réserve l’avenir ? Comment me sortir de mes problèmes ? Est-ce que Dieu est là au moins, quand ma vie est en jeu ?
Alors ce vœu tente de rajouter une garantie. Et on peut y voir une manière un peu perverse de manipuler Dieu, de négocier avec lui. Vous voyez, Dieu n’a pas besoin de sacrifices, il n’a pas besoin de nos prières, de jeûne ou d’argent. Nous ne pouvons rien lui offrir dont il ait besoin ! Pas de troc avec lui, pas de marchandage ! Si Dieu nous bénit, c’est par amour, et non par intérêt ! La signification de la grâce divine, c’est justement que son amour est gratuit : nous ne le méritons, nous ne l’achetons pas ! Attention, Dieu accepte avec plaisir l’expression de notre amour, de notre service, de notre obéissance mais comme un remerciement et pas comme un paiement ou un pot-de-vin !
Sachant cela, pourquoi marchander avec Dieu ? Par désir de garantie mais aussi par désir de maîtriser l’avenir. Submergé par l’anxiété dans une situation qui met en jeu sa vie, Jephté ne choisit pas la confiance en un Dieu tout-puissant, fidèle et bienveillant, mais au contraire il essaie de faire entrer Dieu dans son jeu, d’en faire un atout, un joker. Et en faisant ça, il perd tout : sa fille, l’espoir d’une famille. Ça va rarement aussi loin pour nous, je l’espère en tout cas, mais quand nous choisissons de devenir les maîtres à la place de Dieu et de le tordre pour le faire entrer dans nos plans, quand nous choisissons de traiter Dieu comme un outil, comme un génie dans sa lampe, eh bien nous nous privons d’une relation vivante avec lui, nous l’empêchons de nous transformer profondément, de nous libérer du mal.
Dieu est un Dieu qui délivre, et non pas un tyran : choisissons, par la foi, de le suivre sur ce chemin de vie.
pas mal merci pour la connaissance