Être sel & lumière du monde – Le témoignage (Partie I)

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Lecture biblique : Matthieu 5.13-16

Dans notre réflexion sur les éléments essentiels de l’Église, nous nous penchons maintenant sur le thème du témoignage, avec deux prédications complémentaires.

Si vous deviez changer le monde, comment vous y prendriez-vous ? Quel moyen vous semblerait le plus approprié pour apporter au monde joie, espérance, paix ? pour éradiquer guerres, pauvreté, orgueil ?

Nous croyons en un Dieu qui apporte le salut au monde, qui fait germer la liberté dans le désert de l’esclavage, qui fait fleurir l’espoir au milieu des détresses, qui fait jaillir la vie du sein de la mort. Ce Dieu nous a envoyé son Fils, Jésus-Christ, qui est le salut dont le monde a tant besoin. Pourtant, comme le message sur le baptême de Jésus nous l’a rappelé la semaine dernière, ce Messie n’arrive pas de manière triomphaliste, mais il vient en serviteur, cheminant parmi les hommes. Il est le changement que nous attendons, mais il vient humblement, discrètement, changeant les cœurs plutôt que plantant des drapeaux.

Ce Jésus-Christ se tourne maintenant vers ses disciples, dès le début de son ministère, et leur adresse quelques paroles, rassemblées dans le sermon sur la montagne, où il donne les caractéristiques du disciple : quelles sont ses valeurs, son attitude vis-à-vis des autres, vis-à-vis de Dieu. Parmi ces caractéristiques se trouve la vocation des disciples à être sel et lumière dans le monde, autrement dit, à être porteurs de cette bonne nouvelle qui consiste en ce que Dieu s’est approché des hommes, non pour les détruire, mais pour les sauver par amour.

Deux métaphores pour une double vocation

Le Christ utilise deux images pour illustrer cette mission d’agents de salut : le sel et la lumière. Deux images présentées de manière parallèle : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. Deux affirmations parallèles suivies chacune d’une nuance, d’un avertissement : le sel ne doit pas perdre son goût, la lumière ne doit pas être cachée, sinon ils ne servent à rien.

Attardons-nous quelques instants sur le sens de ces images. Peut-être d’abord la plus évidente : la lumière. La lumière c’est, pour éviter toute lapalissade, ce qui éclaire, ce qui combat l’obscurité, ce qui apporte la vie, la sécurité, la connaissance, et c’est globalement synonyme du salut dans la Bible. Dans la vie courante, la lumière est indispensable.

Jésus utilise en particulier l’image de la lampe de la maison, une lampe à huile qu’on allumait dans la pièce principale et qui éclairait toute la maisonnée, jusqu’à ce qu’on l’éteigne pour dormir, grâce à un boisseau, une sorte de seau qui servait à contenir les grains de céréales. Quand on allume une lampe à huile, ce n’est évidemment pas pour l’éteindre, mais pour qu’elle éclaire. Cette idée de visibilité se retrouve avec l’image de la ville sur la montagne, dont le rapport avec la lumière n’est pas forcément évident au premier abord ! Une ville établie en hauteur est évidemment particulièrement visible. Ces deux images font donc ressortir la notion de visibilité : les chrétiens doivent être vus comme chrétiens dans le monde. Ils doivent être repérables, comme cette ville en hauteur, comme cette lampe dans la pièce obscure.

Avec cette image de la lumière, Jésus évoque au moins deux aspects de notre témoignage : apporter un éclairage positif, et pour ce faire, être repérables.

Voyons le sel, cet autre élément incontournable de la vie quotidienne. Nous sommes le sel de la terre. Dès l’antiquité, le sel a deux usages principaux : il sert de condiment contre la fadeur des plats, et aussi de conservateur, pour garder le poisson, la viande… Il sert de conservateur car il a cette propriété de purifier, de lutter contre la putréfaction, la dégradation des choses. Jésus ne précise pas en quoi nous sommes le sel de la terre, et nous n’avons pas forcément besoin de choisir !

Techniquement, le sel ne peut pas perdre son sel, sa salinité, mais, à l’époque en Israël, on utilisait une poudre récoltée dans la Mer morte, qui était composée de plusieurs oligo-éléments, dont du sel. Il se trouve qu’au bout d’un certain temps, le sel fuyait le mélange : il ne perdait pas sa propre qualité mais il se séparait du mélange, et il ne restait qu’une poudre blanche, dont je n’ose imaginer le goût, et qui évidemment ne servait plus à rien.

Si on va plus loin, à l’époque de Jésus, le sel était aussi synonyme de sagesse, et le verbe utilisé dans l’original fait référence au fait de perdre son goût ou de devenir fou, insensé. Les chrétiens sont donc appelés à être sel dans ce monde : est-ce que Jésus ne nous décrirait pas comme des petits grains de sagesse dans un monde fou, petits grains à peine visibles, en petite quantité, mais qui peuvent tout changer dans le monde qui les entoure.

Avec ces deux images parallèles, Jésus définit l’influence des chrétiens dans le monde. D’un côté, avec le sel, les chrétiens ont un rôle piquant, en lutte contre la fadeur, la dégradation, la folie. D’un autre côté, avec la lumière, se dessine un rôle plus constructif, en apportant lumière & réconfort.

Quelle relation avec le monde ?

L’enjeu derrière ces deux images, c’est le rapport que nous avons avec le monde qui nous entoure, avec ceux qui nous côtoient.

Jésus emploie deux images qui insistent sur la différence entre les disciples, sel et lumière, et le monde qui les reçoit. L’influence des disciples comme agents du salut de Dieu repose sur leur spécificité. Le sel remplit son rôle s’il est salé, la lumière si elle éclaire. Vous imaginez bien qu’une poudre sans sel ou qu’une lampe de poche éteinte ne remplissent pas leur rôle, et pourraient tout aussi bien être absentes. La vocation des disciples à transmettre le salut repose sur leur caractéristique distinctive de chrétiens. L’évangile, le salut de Dieu, doit faire la différence dans notre vie, non pas seulement pour nous, mais aussi pour interpeler ceux qui nous entourent afin qu’ils reçoivent, à leur tour, ce salut que nous avons en Jésus-Christ. Nous sommes donc appelés à veiller sur ce qui fait notre originalité, et à rechercher la non-conformité au monde. Si le sel a un goût de carotte, quelle est sa valeur ajoutée ? Si la lumière est noire dans la nuit, à quoi bon ? Pour remplir notre vocation, nous sommes appelés à être différents.

Différents, oui, séparés, non ! C’est là un des grands défis du témoignage auquel nous appelle Jésus. Pour utiliser une autre de ses expressions, nous ne sommes plus du monde, nous sommes maintenant de nouvelles créatures, et c’est justement cette différence, ce changement, qui est attractif ! Combien parmi nous sont venus à rencontrer Dieu parce qu’un proche vivait autrement ? Toutefois, ce n’est pas parce que nous ne sommes plus comme ceux qui ne connaissent pas Dieu que nous devons leur tourner le dos et rejoindre une petite communauté bien fermée dans le désert, rejoindre le club très select de privilégiés qui ont rencontré le Seigneur et qui ont pu échapper à ce monde qui ne tourne pas rond, Dieu merci ! de même que notre sauveur a cheminé avec les hommes pour offrir au plus grand nombre la chance de rencontrer un Dieu d’amour, de même nous sommes appelés à demeurer auprès de ceux qui nous entourent pour leur montrer que ce Dieu d’amour est là, et qu’il les attend.

Quelle responsabilité ! Nous devons être différents, mais que cette différence apporte quelque chose dans notre monde. Si le sel reste dans son placard, ou que la lampe de poche, même allumée, reste dans son tiroir, ils ont beau avoir leur goût et leur lumière, leur propriétaire sera sûrement très heureux de voir qu’ils n’ont pas de défaut, mais enfin, ils ne sont pas beaucoup plus utiles que la poudre sans goût et la lumière noire !

Nous sommes appelés à être présents dans le monde, visibles, non-conformes, à être avec les autres sans être comme les autres. Notre témoignage, personnel ou communautaire, c’est de rendre visible le salut de Dieu dans un monde qui en a besoin.

C’est vraiment un équilibre délicat, être différent mais rester présent, montrer un décalage tout en maintenant une relation : ni conformité, ni rupture. C’est difficile, je crois, parce qu’on a tendance à aller vers ceux qui nous ressemblent, qui partagent nos convictions – qui se ressemble s’assemble, vous connaissez le dicton. Qui plus est, une relation où règne la différence peut faire réfléchir, convaincre l’autre (dans le meilleur des cas) mais aussi parfois, être source de souffrance : souffrance de l’incompréhension – dans les deux sens, malentendus divers, désaccords, voire conflit ou rejet de la part de notre entourage.

Jésus ne nous laisse pas vraiment le choix : le salut que nous avons reçu, ce sel qui nous caractérise maintenant, cette lumière qui nous illumine, c’est notre chance, mais c’est aussi la chance des autres. Nous avons pour vocation, autant que possible, de nous mettre au service du monde, de ne pas nous laisser décourager au point de nous cacher ou de nous enfuir, mais de rester, présents et différents, parce que Dieu nous appelle à être ces agents de propagation du salut. Pour sauver le monde il ne s’y prend pas comme nous le ferions, il donne des exemples à ce monde, des exemples de changement, de pardon, de paix, de joie, des exemples de ce salut qu’il veut continuer à répandre.

Un appel à être à l’image du christ

Quel est le chemin pour être ces exemples visibles d’une vie différente ? Une des pistes, c’est le lien entre les bonnes œuvres et la personne que nous sommes ; si on utilise une autre expression du sermon sur la montagne, le christ nous appelle à porter de beaux fruits, comme conséquence des arbres en bonne santé que nous sommes devenus. C’est toute notre personne qui est un témoignage, nos paroles, nos actes, nos omissions, nos choix, nos expressions de visage, tout ce qui est visible est un témoignage.

J’ai une amie à qui je pense toujours quand j’entends « vous êtes la lumière du monde ». Elle est plus âgée que moi, et je l’ai rencontrée lors d’un voyage, mais elle m’avait une impression un peu terne. Quelques années après, je la revois, et on échange des nouvelles. Ce n’était plus la même. Elle était rayonnante, joyeuse, visible ! En fait, cette femme, divorcée, avait gardé de l’amertume vis-à-vis de son ex-mari. Au bout de 20 ans de séparation, suite à un travail personnel lié à sa foi, elle a fini par lui pardonner et par se réconcilier avec lui. L’impact de cette réconciliation marquée par l’évangile a largement dépassé le cercle familial : elle m’a raconté que ses collègues n’en revenaient pas, et lui demandaient ce qu’elle avait pris pour changer autant !

Le sel et la lumière que nous pouvons apporter au monde ne sont pas des vernis superficiels, une apparence, mais la manifestation extérieure d’un salut qui se répand intérieurement dans notre vie avant de se répandre autour de nous. Si nous sommes le sel de la terre, c’est dans la mesure où la sagesse de Dieu nous caractérise, où nous sommes façonnés par ses valeurs et ses priorités. Si nous sommes lumière du monde, c’est dans la mesure où nous reflétons celui qui est la lumière, notre sauveur et seigneur Jésus-Christ. Nous sommes appelés à cultiver notre identité nouvelle, celle d’enfants de Dieu, de frères du christ, d’hommes et de femmes remplis d’un souffle nouveau. Immergeons-nous dans la sagesse de Dieu, plongeons-nous dans sa lumière, laissons-la irradier tout notre être, et les gens verront que Dieu sauve. Quand nous refusons de médire d’un collègue, quand nous restons honnêtes dans une situation qui pourtant nous désavantage, quand même simplement nous disons que nous sommes pris le dimanche matin ! Quand nous sourions à notre adversaire sportif, quand nous sommes en paix, quand nous accordons de la valeur à tout être humain, quel qu’il soit.

Dieu travaille en nous par son esprit, et par lui, nous produisons des œuvres typiques du Christ : l’humilité dans un monde orgueilleux, l’équité dans un monde égoïste, l’espérance dans un monde désenchanté.

Conclusion

Dieu utilise plusieurs moyens pour changer le monde et pour lui infuser sa vie, pour le remplir de son salut. Il y a sa parole, criante de vérité, il y a son esprit, qui souffle là où personne ne l’attend, et il y a nous. Dans ce tableau, ce qui étonne c’est nous, bien imparfaits, apprenant nous-mêmes à faire le tour de l’évangile, répondant tant que bien que mal aux défis que représentent la vie nouvelle en christ. Pourtant c’est nous que Dieu désigne comme sel et lumière, comme porteurs de sa parole, comme porteurs de sa lumière. C’est par nous, dans notre expérience quotidienne avec Dieu, dans notre vie communautaire, dans chaque petit pas, c’est là que rayonne le salut de Dieu. Restons à l’écoute du christ, nourrissons-nous de sa parole, aimons-nous les uns les autres : en servant notre Dieu nous servirons aussi notre prochain, et nous donnerons le témoignage d’une vie remplie de la liberté, de l’espérance, et de la joie qui viennent de notre Seigneur.

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