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Reprendre avec les bonnes priorités

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Regarder la vidéo du culte.

Comment s’est passé l’été pour vous ? … Et dans votre relation avec Dieu ? est-ce que vous avez eu des expériences riches et intenses (peut-être que vous étiez en colonie, dans un séjour chrétien, que vous avez lu un livre génial, visité d’autres églises pendant vos congés, ou vu Dieu dans des moments de stress, de changement…) ? ou est-ce que c’était plutôt déconnecté, en pointillé, le rythme étant plus décalé ?

La rentrée (scolaire mais pas seulement), c’est une période où l’on revient à un rythme plus habituel, plus régulier – et en même temps, c’est l’effervescence des redémarrages, des nouveautés, qui peut nous donner le tournis. C’est d’autant plus important de reprendre du bon pied, aussi d’un point de vue spirituel – un enjeu qui revient régulièrement même si on est chrétien depuis longtemps !

Comment repartir du bon pied, notamment dans notre relation avec Dieu ? Dans les Evangiles, qui racontent la vie de Jésus, se trouve une petite anecdote, une anecdote domestique, pas très spectaculaire, qui peut donner nous donner quelques indices en cette période de redémarrage.

Lecture biblique : Luc 10.38-42

38 Pendant qu’ils étaient en route, il entra dans un village, et une femme nommée Marthe le reçut. 

Jésus et ses disciples sont en route vers Jérusalem, et ils arrivent à Béthanie près de Jérusalem, là où vit Marthe avec sa famille. Là, l’auteur de l’Evangile fait un zoom sur Jésus, et sur cette femme qui l’accueille chez elle. On ne sait rien d’elle (est-elle mariée ?) si ce n’est son rôle de maîtresse de maison qui pratique l’hospitalité, si essentielle notamment dans les cultures orientales. Jésus va se lier d’amitié avec cette famille, et revient régulièrement chez eux. Ici, c’est sûrement la première rencontre.

 

39 Elle avait une sœur, appelée Marie, qui s’était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole. 

Voilà une scène paisible, touchante, de Marie aux pieds du Christ, dans l’attitude d’écoute qui caractérise le disciple : on imagine Jésus, assis devant, parlant de Dieu, expliquant la façon dont Dieu voit le monde, invitant à vivre autrement, avec plus de justice et d’amour, plus de confiance et de simplicité, et puis Marie (et sûrement d’autres disciples) assise par terre devant lui – c’est presque une carte postale, dans des tons pastels, qui illustre la posture du croyant : calme, proche de Dieu, proche du Christ, désireux d’apprendre pour mieux ressembler à Dieu. On pourrait l’afficher dans notre chambre pour nous encourager à la prière et à la méditation de la Bible.

Sauf que sous cette apparente simplicité se cache une sérieuse transgression des codes culturels : une femme a pris la position d’un disciple, assise comme une élève. Or à l’époque les femmes sont mineures juridiquement, elles n’ont pas accès à l’éducation, à la synagogue elles sont à part, elles ne prennent pas la parole, au Temple elles sont loin de tout… Leur rôle c’est de prendre soin du foyer, d’aider à l’entreprise familiale et éventuellement elles peuvent avoir une petite activité si c’est convenable. Elles ont essentiellement un rôle de support et de soutien envers leur époux.

Or Marie a soif d’écouter Jésus, tellement soif qu’elle vient se placer au premier rang dans la classe de Jésus : elle aurait pu écouter d’une oreille depuis la cuisine, ou se tenir discrètement dans un coin. Non, elle vient s’asseoir au premier rang. Et apparemment, Jésus ne dit rien. Il l’accepte, peut-être s’en réjouit-il, et nous nous émerveillons de son accueil au-delà des codes, des conventions : pour lui, l’essentiel c’est cette soif d’être proche de Dieu, peu importe le reste.

Or le texte nous emmène en coulisses :

40 Marthe, qui s’affairait à beaucoup de tâches, survint et dit : « Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma sœur me laisse faire le travail toute seule ? Dis-lui donc de m’aider. » 

La sœur de Marie, en bonne maîtresse de maison, veille à la logistique du repas et de l’accueil : il y a du monde, et puis surtout elle veut honorer le maître spirituel dont tout le monde parle qui vient enfin chez elle ! Alors elle sort le grand jeu. Et elle aurait bien besoin d’aide… Déjà que c’est stressant ce genre d’invitations, alors si en plus sa sœur fait défection, c’est impossible à gérer !

Le texte est rapide, mais il faut prendre en compte le facteur temps : les frustrations montent, et comme a dit un prédicateur « il n’y a pas que les légumes qui chauffent !… ». Marthe finit par demander à Jésus d’arbitrer, et indirectement elle s’adresse à sa sœur, dont l’attitude la choque doublement : d’une part, elle se prend pour un disciple, d’autre part, elle ne fait pas son travail ! Si encore tout était terminé, bon, pourquoi pas ?

Marthe est complètement prise par son service, par le désir de bien faire les choses – pour faire honneur à Jésus bien sûr, et peut-être aussi pour tenir sa réputation d’hospitalité : combien de fois les femmes sont-elles jugées sur leur cuisine ?…

Ce désir de bien faire, nous l’avons aussi, bien sûr ! Pour notre famille (un parent qui travaille d’arrache-pied pour donner les meilleures chances à ses enfants), dans le travail, envers nos amis, pour l’église et pour Dieu aussi ! Il n’y a qu’à voir le temps important que beaucoup passent bénévolement dans divers services…

Cela dit, Marthe se laisse absorber par sa tâche au point de faire la demande que Marie arrête d’écouter Jésus, celui-là même qu’elle a invité parce que ses enseignements transforment la vie avec Dieu et donc la vie tout court. C’est un comble !! Elle veut tellement bien recevoir Jésus qu’elle finit par essayer de priver Marie de Jésus, au nom du service envers Jésus. C’est la maîtresse de maison que ses invités voient à peine, qui ne profite pas de leur présence voire qui les laisse seuls dans le salon – mais le repas est bon ! Comme le parent absorbé par son travail qui se retrouve déconnecté de sa famille, ou l’ami qui nous rend service mais qui s’agace vite sous l’effet du stress… L’absence, ou l’agacement, viennent corroder les bonnes intentions…

41 Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. 42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas retirée. »

Jésus ne rentre pas dans son jeu. Il reconnaît le stress de Marthe, il se montre attentif à ce qu’elle ressent et à ce qu’elle fait. Cela dit, tout en montrant du respect, il l’invite à prendre un peu de recul pour faire la part des choses : qu’est-ce qui est vraiment essentiel à ce moment-là ?

Vous remarquez qu’il ne fait pas la leçon : « oh la la, arrête de t’énerver ! » ou « mais c’est pas important tout ça, c’est qu’un repas ! » Sans être condescendant, il invite quand même à relativiser, mais d’une manière énigmatique : qu’est-ce que c’est que cette part, cette bonne part ?

Avant de m’attarder sur cette « part » choisie par Marie, remarquez que Jésus cautionne complètement le fait que Marie soit parmi ses disciples : femme, mais aussi esclave, étranger, enfant, marginal, pauvre, malade, personnalité sulfureuse, repris de justice, etc. – tous peuvent venir au Christ, peu importe le regard que la société porte sur eux ou le rôle dans lequel ils sont enfermés.

 

La « bonne part »

L’enjeu pour nous, comme pour Marthe, c’est de comprendre ce qu’est cette bonne part, afin de pouvoir la choisir dans notre vie quotidienne.

Il me semble que cette bonne part, celle qui ne peut pas nous être enlevée, c’est le fait d’être près de Dieu, près du Christ. Car lui est notre source, notre Créateur, notre rocher, notre inspiration. Marie se tient proche de Jésus, elle est avec lui, à son écoute.

Pour Jésus, la seule chose vraiment vitale, c’est d’être connecté au Dieu vivant, d’être tourné vers lui : si on a ça, ça ne veut pas dire que le reste ne compte pas, mais on a la base, on a l’essentiel qui permet de vivre le reste avec un certain équilibre. Et comme toute relation, cela nous demande un certain investissement, du temps, de l’attention… Avec Marthe, nous sommes vite tiraillés par mille sollicitations, certaines tout à fait légitimes, certaines même pour Dieu, mais avec le risque de nous occuper, préoccuper, au point de manquer de temps pour être avec Dieu.

Vous connaissez sûrement la parabole de la valise ? Si vous avez beaucoup d’affaires à prendre, ne mettez jamais les chaussettes en premier ! Vous mettez en premier les grosses choses, volumineuses, et ensuite vous calez avec chaussettes, sous-vêtements, peigne… sinon vous n’arriverez jamais à fermer la valise ! Peut-être connaissez-vous cette parabole avec l’histoire du bocal et des pierres ? C’est la même chose ! Et ça marche aussi avec les coffres de voiture, les cartables… Et les emplois du temps !

Alors comment ? Question qui revient sans cesse… C’est peut-être en se bloquant un moment dans la semaine où on est tranquille pour prier, lire la Bible, un café pris avec d’autres chrétiens pour échanger et prier, un livre de méditations qu’on parcourt le soir ou dans le bus… D’autres encore se mettent des petits réveils sur le téléphone pour se recentrer sur Dieu matin, midi, et soir.

C’est essentiel, car l’histoire de Marthe et Marie illustre bien que rien ne peut remplacer le fait d’être avec Jésus, avec Dieu. Même si on est pris par des choses importantes, même si on agit pour lui (et l’action, le service, l’obéissance font partie intégrante de la vie avec Dieu !), être avec lui est incontournable : faire pour lui ne suffit pas. La source et le but de ce que nous faisons, c’est d’être avec Dieu : sans cette relation comme source, on finit par s’épuiser, par agir par nos propres forces ; sans cette relation comme but, on se retrouve dans des situations paradoxales voire absurdes, comme Marthe qui veut accueillir Jésus mais qui ne le voit pas.

 

Cette priorité se vit au niveau du temps, mais ce n’est pas seulement une question de durée passée avec Jésus dans la journée ou la semaine… On pourrait aussi dire que c’est une priorité qualitative, c’est-à-dire qu’elle apporte une qualité, une orientation différente à tout ce qu’on fait, qu’on soit en train de prier ou pas ! Autant avec un être humain ou avec notre lit, on se retrouve à un endroit, à un moment, autant, comme Dieu est omniprésent, on peut se « brancher » sur lui quoi qu’on fasse… Un moine catholique à la fin du Moyen Âge a touché cela du doigt : il était constamment de service en cuisine, alors que les autres de la communauté priaient aux offices. Frère Laurent était donc très frustré, avec l’impression d’être privé de temps avec Dieu… Jusqu’au moment où il s’est rendu compte que Dieu était avec lui, dans sa cuisine, pendant qu’il épluchait les oignons et lavait les casseroles, et que passer du temps avec Dieu pouvait tout à fait se faire en même temps !

Alors on peut prendre des moments à part pour être avec Dieu, pour se reconnecter à lui, et emporter avec nous cette connexion… Même si on l’oublie à certains moments, on peut lever les yeux au ciel de temps en temps… pas par agacement, mais dans la prière ! Avant une discussion difficile, un rendez-vous important, au milieu d’une tâche laborieuse ou d’un trajet ralenti, rien que lever les yeux vers Dieu peut nous aider à changer de perspective… Rien que cette reconnexion nous permet de prendre du recul, nous rend disponible à Dieu pour qu’il parle, inspire, oriente, révèle… Et il le fait !

Conclusion

En tant que chrétiens, nous sommes appelés à une vie différente, infusée par la paix et la liberté de Dieu, son amour et sa justice… Cela commence par le fait de nous recentrer sur l’essentiel, en s’enracinant dans la prière et la présence de Dieu – et cela continue, quoi que nous fassions, car le Seigneur nous accompagne par son Esprit !

Elie au palais d’Achab : un Dieu juste (Elie 4/4)

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Depuis début juillet, nous suivons le prophète Elie… croyant fidèle à une époque où le gouvernement entraîne le peuple loin de Dieu, il s’insurge contre le roi Achab, un peu plus de 800 ans avant J.-C. Elie veut montrer que les idoles, ces dieux de substitution, sont impuissantes et inutiles. Plus que ça, par Elie, Dieu va faire des miracles impressionnants, pour montrer à tous qu’il est Dieu et qu’on peut lui faire confiance.

Pour terminer notre série sur Elie, je vous invite à aborder un autre épisode – ce n’est pas la mort d’Elie ! – où Elie et Achab croisent le fer une dernière fois. Depuis le début de la série, Elie et Achab sont face à face, parfois dans l’opposition, parfois dans la même direction (en tout cas, c’est ce que croyait le prophète). Et dans le texte d’aujourd’hui, c’est Achab qui passe au premier plan. Au niveau du contexte, depuis que nous l’avons laissé, Achab a remporté des victoires militaires importantes, qui l’ont galvanisé.

Lecture biblique: 1 Rois 21.1-16

1 Après ces événements, voici ce qui arriva : Il y avait à Jizréel un homme appelé Naboth ; il possédait dans cette ville une vigne, tout près d’un palais appartenant à Achab, roi de Samarie. 

2 Un jour, Achab dit à Naboth : « Cède-moi ta vigne, pour que je m’en fasse un jardin potager, puisqu’elle est juste à côté de mon palais ; en échange, je te donnerai une vigne meilleure, ou si tu préfères, je t’en payerai le prix. » 

3Mais Naboth lui répondit : « Je n’ai pas le droit devant le Seigneur de te céder la vigne que j’ai héritée de mes ancêtres ! »

4Achab s’en retourna chez lui, amer et furieux à cause de cette réponse de Naboth : « Je ne te céderai pas ce que j’ai hérité de mes ancêtres. » Il se coucha sur son lit, se tourna contre le mur et ne voulut plus rien manger. 

5Sa femme Jézabel vint le trouver et lui demanda : « Pourquoi es-tu de mauvaise humeur ? Pourquoi ne veux-tu rien manger ? » – 

6« J’ai parlé à Naboth, de Jizréel, répondit-il ; je lui ai dit : “Cède-moi ta vigne contre de l’argent, ou si tu préfères, je te donnerai une autre vigne en échange”, mais il m’a répondu : “Je ne te céderai pas ma vigne.” » 

7Jézabel lui dit alors : « Vraiment, tu oublies que tu es le roi d’Israël ! Relève-toi ! Mange et réjouis-toi ! C’est moi qui te donnerai la vigne de Naboth, de Jizréel. »

8Elle écrivit des lettres au nom du roi Achab, elle les marqua avec le cachet royal, et elle les fit porter aux anciens et aux autorités de la ville où habitait Naboth. 

9Dans ces lettres, elle avait écrit ceci : « Convoquez la population à une cérémonie de jeûne, et demandez à Naboth de présider cette assemblée. 

10En face de lui, placez deux vauriens, qui l’accuseront d’avoir maudit Dieu et le roi. Ensuite conduisez-le hors de la ville, et qu’on lui jette des pierres jusqu’à ce qu’il meure ! »

11Les anciens et les autorités de la ville de Naboth firent ce que Jézabel leur avait ordonné dans ses lettres. 

12Ils convoquèrent la population à une cérémonie de jeûne et ils demandèrent à Naboth de présider cette assemblée. 

13Les deux vauriens vinrent se placer en face de Naboth et ils se mirent à l’accuser devant tout le monde en disant : « Naboth a maudit Dieu et le roi ! »

On le conduisit hors de la ville, et on lui jeta des pierres jusqu’à ce qu’il meure. 

14On envoya un messager informer Jézabel que Naboth avait été exécuté et qu’il était mort. 

15Lorsque Jézabel apprit cela, elle dit à Achab : « Va prendre possession de la vigne que Naboth, de Jizréel, refusait de te vendre : il est mort ! » 

16À cette nouvelle, Achab se rendit à la vigne de Naboth et il en prit possession.

« Alors là, c’est le monde à l’envers ! » Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? Combien de fois l’avons-nous prononcée ? Devant tant de scandales quotidiens, on se demande parfois s’il y a une justice en ce bas monde ! Indignés et impuissants, nous cherchons pourquoi tant d’hommes sont méprisés, oubliés, bafoués… et nous levons les yeux au ciel, dans l’attente que Dieu fasse enfin cesser les crimes que certains commettent sans scrupules…

Au sein d’une société décalée, pétrie d’inégalité et de violence, nos propres vies sont marquées par cette injustice. Tour à tour Naboth et Achab, l’injustice que nous subissons nous entraîne dans un cercle qui nous éloigne peu à peu de Dieu et de la justice, quand pour diverses raisons je défends mes propres intérêts, devenant sourd et aveugle à ceux qui m’entourent. Parce que l’inégalité et le mépris se cachent parfois dans la complexité de nos vies, l’histoire d’Achab et Naboth, cette histoire d’un autre temps, nous met en face de ce monde renversé et nous donne aussi la réponse de Dieu.

Commentaire sur l’épisode

Revenons d’un peu plus près à cette sombre histoire, où l’on nous décrit comment le roi Achab a obtenu le jardin qu’il désirait tant. Ce roi qui possède déjà plusieurs palais, ce roi en veut encore… Le nœud de l’intrigue vient du propriétaire de la vigne, Naboth, qui ose refuser la proposition, pourtant honnête, du roi. Naboth connait en effet la loi de Dieu, qui interdit de transmettre son patrimoine à quelqu’un d’une autre tribu, parce que chaque tribu d’Israël a son propre territoire, comme l’indique le livre des Nombres. Ce n’est pas que Naboth se cramponne à son terrain, mais il respecte la loi donnée par le Seigneur, ce qui suffit à le faire passer pour un original, en ces temps troublés où l’idolâtrie règne sur Israël depuis plusieurs générations.

Le refus de Naboth jette Achab dans la déprime. Devant cette crise, sa femme, la reine Jézabel, décide de prendre les choses en main pour résoudre la crise. Aucun scrupule ne l’arrête quand elle choisit purement et simplement d’éliminer Naboth. Elle va jusqu’à prendre l’autorité du roi pour créer un complot : en utilisant le tampon d’authenticité royale, le sceau, elle envoie de fausses lettres, et commande d’organiser un faux procès où Naboth sera faussement accusé de blasphème, ce qui lui vaudra la peine de mort. Aucun membre du gouvernement local ne réagit et tous sans exception rentrent dans cette mascarade, cette justice en trompe-l’œil. Quant au chef d’accusation, il est aussi bancal que le procès : le blasphème concerne Dieu, bien sûr, et le roi, ce qui est une nouveauté… une nouveauté qui en dit long sur l’état d’esprit de Jézabel : fille d’un roi syrien, fervente adoratrice de Baal, elle considère que le roi possède l’autorité suprême. C’est pour cela qu’elle ne comprend pas la réaction d’Achab au v. 7 : le roi a tous pouvoirs, il est au-dessus de tous : oser lui dire non, c’est un crime ! car le roi a tous les droits…

L’auteur biblique braque les projecteurs sur Achab, le roi capricieux, déprimé sur son lit. Il boude et rumine le refus de Naboth, qui revient déjà trois fois dans notre récit. Lui, le roi, a perdu goût à la vie, il est en deuil parce qu’il ne pourra pas agrandir son jardin.

Alors on hésite entre stupéfaction et indignation devant cet enfant gâté qui se laisserait presque mourir parce qu’on lui a dit NON. Et la réaction du roi nous montre que l’enjeu dépasse le simple problème de la convoitise. Bien sûr, nous savons tous que la convoitise cause en elle-même d’énormes dégâts, lorsque toute la saveur de la vie dépend de ce qu’on a ou de ce qu’on fait, de ce qu’on montre – c’est un engrenage dans le « toujours plus ». Derrière la convoitise, l’auteur biblique met aussi en valeur l’égoïsme du roi, qui ne tolère pas la résistance, qui veut qu’on lui obéisse coûte que coûte, quitte à écraser les autres.

Que nous soyons du côté des coupables ou des victimes, d’ailleurs cela varie selon les situations, nous nous demandons souvent ce que Dieu fait. Est-il seulement au courant de nos malheurs, de la crise que je traverse, que la société traverse, est-il au courant des aberrations d’un monde qui ne tourne plus rond ?…

je vais maintenant lire la suite du texte, qui rapporte l’oracle du prophète Elie, c’est-à-dire la réponse que Dieu vient donner à cette situation.

Lecture 1 Rois 21.17-29

17Alors la parole du Seigneur fut adressée au prophète Élie, de Tichebé : 

18« Rends-toi auprès d’Achab, le roi d’Israël qui réside à Samarie, lui dit-il. Il se trouve dans la vigne de Naboth, où il est allé pour en prendre possession. 

19Va lui dire : Voici ce que déclare le Seigneur : “Ainsi, tu as assassiné quelqu’un, et tu viens maintenant prendre possession de ses biens !” Puis tu ajouteras : Voici ce que déclare encore le Seigneur : “À l’endroit même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang !” »

20Élie alla porter ce message à Achab, qui lui dit : « Eh bien, mon ennemi, tu m’as retrouvé ! » – « Oui, je t’ai retrouvé, dit Élie. Et puisque tu consacres ton énergie à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur, 

21voici ce qu’il déclare : “Je vais envoyer le malheur sur toi ; je te ferai disparaître, j’exterminerai d’Israël tous les hommes de ta parenté, sans exception. 

22Je traiterai ta famille comme j’ai traité celle de Jéroboam, fils de Nebath, et celle de Bacha, fils d’Ahia, parce que tu m’as grandement offensé, et que tu as poussé le peuple d’Israël à pécher.” 

23Et, ajouta Élie, le Seigneur a aussi parlé contre Jézabel en déclarant : “Les chiens dévoreront Jézabel au pied de la muraille de Jizréel.” 

24De plus, roi Achab, tout membre de ta famille qui mourra dans la ville sera dévoré par les chiens, et celui qui mourra dans la campagne sera déchiqueté par les vautours. »

25On n’a certainement jamais vu personne consacrer autant d’énergie que le roi Achab à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; c’est qu’il y était poussé par sa femme Jézabel. 

26Il a agi d’une façon particulièrement abominable lorsqu’il adorait des idoles, tout comme les Amorites que le Seigneur avait chassés pour faire place au peuple d’Israël.

27Lorsque le roi Achab eut entendu le message du Seigneur, il déchira ses vêtements, en portant une étoffe grossière directement sur la peau et en jeûnant ; il gardait sur lui cette étoffe grossière même pour dormir, et il marchait à pas lents. 

28La parole du Seigneur fut adressée à Élie, de Tichebé : 

29« Regarde comment Achab s’est humilié devant moi, dit-il. Dans ces conditions, je n’enverrai pas le malheur sur sa famille pendant son règne, mais pendant celui de son fils.»

Dans un premier temps, la parole de Dieu met Achab en face de ses responsabilités. C’est Achab qui a tué Naboth, c’est lui qui a volé sa vigne, il ne pourra pas se cacher derrière Jézabel. Car même si c’est Jézabel qui a organisé le complot, c’est Achab, le roi, c’est lui qui porte la responsabilité de ce qui se fait sous son autorité. Sa passivité dans le complot renforcerait même sa culpabilité, d’autant qu’Achab sait pertinemment que Naboth est mort lorsqu’il prend possession de la vigne. Au verset 26, le narrateur nous rappelle l’origine de ces crimes : tout a commencé le jour où Achab a épousé une païenne, qui servait d’autres dieux, alors que le Seigneur, le Dieu unique, réclame l’exclusivité. En s’alliant intimement avec une païenne, en l’associant à son règne, il a commencé à s’écarter du chemin de la relation avec Dieu, à choisir d’autres dieux pour gouverner sa vie – comme les Amorites, comme les païens qui habitaient Canaan avant l’arrivée du peuple d’Israel, ces peuples dont les pratiques dégoûtaient Dieu au point qu’il avait fini par sévir.

Achab a adoré Baal, le dieu de Jézabel, mais aussi des idoles sans statue : la réussite politique, que permettait l’alliance avec le roi syrien, la réussite avec son luxe et son pouvoir, la réputation d’être un grand roi. Ces désirs de femme, d’autorité, de terres l’ont conduit Achab à violer les règles de base que Dieu avait données. Il s’est pris pour le seul maître, et en a oublié les autres : Dieu… et son prochain. Le prophète démasque les vraies racines du scandale : il y a un lien étroit entre idolâtrie et crimes sociaux. Oublier Dieu conduit à oublier les autres.

Le meurtre de Naboth représente l’apogée des crimes d’Achab, qui laisse tout pouvoir à une païenne, pour commettre un assassinat à cause d’un caprice. Ce méfait déclenche la condamnation, symétrique au mal commis. La mort de Naboth conduira à la mort de son assassin, avec une correspondance exacte. Jézabel reçoit aussi le châtiment qu’elle mérite pour avoir organisé le complot. Par ailleurs, Achab a oublié d’où il tirait son pouvoir comme il a oublié son rôle : se prenant pour son propre maître, il opprime le peuple au lieu d’en prendre soin. Dieu enlève donc à Achab et à sa famille le pouvoir de régner, puisqu’ils n’en ont pas été dignes. La justice existe, que nous l’attendions avec soulagement ou que nous la craignions. La justice existe, et Dieu y veille.

À l’annonce de ces châtiments, Achab prend le deuil. Même s’il lui ressemble, ce n’est plus le deuil capricieux que nous avons vu tout à l’heure : c’est la prise de conscience d’une vie menée de travers. Et devant sa repentance, Dieu maintient le châtiment, car justice doit être faite, mais il fait grâce à Achab en atténuant sa peine. Cela paraît dur par rapport à son fils, qui écope de la peine, mais en réalité il était déjà concerné (puisque la dynastie allait disparaître) et puis, de lui-même, il ne fera pas mieux que son père, et il méritera amplement la peine encourue.

Dans notre histoire, Achab avait un but : posséder un jardin de plus. Quand Dieu prend la parole, nous découvrons qu’Il a deux mobiles : réparer le mal commis et redresser le coupable. La grâce finale – qui n’est pas une amnistie – montre que le Dieu juge est aussi un Dieu d’amour, qui se préoccupe des victimes et des coupables.

Quelques enseignements pour aujourd’hui

À travers ce récit des crimes d’Achab, la Bible met l’accent sur 3 éléments qui gardent toute leur actualité.

D’abord, le meurtre de Naboth met en évidence le renversement qui dirige la vie d’Achab : loin de protéger son peuple, il l’opprime pour satisfaire ses envies. L’égoïsme et l’orgueil l’ont conduit à négliger la volonté de Dieu, son rôle et le respect de l’autre. Notre monde, aussi marqué par le mal et le rejet de Dieu, vit dans le même renversement, qui se cristallise souvent autour des questions de possession. La jalousie, l’orgueil et la consommation effrénée prennent souvent le pas dans nos vies, quand des familles se déchirent pour un héritage, quand la vie d’un enfant dépend de son utilité sociale ou quand des problèmes réels et urgents suscitent des solutions cyniques (mais rentables !) (les questions d’environnement sont évidemment en plein dans ces dysfonctionnements).

Ensuite, bien avant la Déclaration des droits de l’homme, le châtiment d’Achab rétablit l’égalité de tous les êtres humains. La place de roi ne donne pas tous les droits. Dieu accorde la même valeur au chef du peuple et au citoyen lambda, et oserais-je sortir du contexte des Rois pour dire que la même valeur est accordée au riche et au pauvre, au bien-portant comme au malade, au citoyen comme au sans-papier… la liste est longue, car Dieu considère chaque individu qu’il a créé, comme précieux, et le châtiment d’Achab nous encourage à croire avec assurance que Dieu est présent et qu’Il veille avec justice, même si nous n’en sommes pas toujours conscients.

Le dernier élément que j’aimerais souligner ce matin, c’est la grâce que Dieu offre aux coupables. Quelle que soit la distance que nous avons parcourue loin de Lui, petite ou grande, il est toujours possible de reconnaître que nous vivons de travers, il est toujours possible de revenir vers Lui, avec humilité. Le Seigneur lui-même nous assure qu’il n’y a pas de point de non-retour qui nous empêcherait de revenir auprès de Lui.

Conclusion

En somme, l’histoire d’Achab et Naboth avec les principes qui en ressortent : le renversement qui déforme notre existence, l’égalité de toute vie et la nécessité de la justice, et puis la grâce qui accueille le pécheur repentant, ces principes annoncent en creux la venue d’un autre roi, quelques siècles plus tard. À la différence d’Achab, ce roi qui tue pour prendre, Dieu le Fils, Jésus-Christ, a subi le châtiment de la mort, à notre place, pour donner la vie et réconcilier Dieu avec nous. Il est mort pour donner. Justice est faite.

Bien plus, par sa résurrection et le don du Saint-Esprit, Jésus nous offre la possibilité de recommencer à vivre à l’endroit. Ferions-nous comme Achab, ce roi à la mémoire courte, qui trois ans après notre épisode se détourne à nouveau de Dieu ? Ou tenterons-nous plutôt de relever le défi : vivre chaque jour un peu plus à l’endroit, suivre l’exemple de ce Dieu qui nous a pardonné et, avec l’aide du Saint-Esprit, apprendre à aimer comme lui nous a aimés ? Que Dieu nous fasse la grâce de témoigner dans nos vies de sa justice et de son amour.