Archives mensuelles : juin 2020

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Accueillir

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Au début du chapitre 10 de l’Evangile de Matthieu, Jésus choisit les 12 apôtres. Ensuite il les envoie et leur donnant des instructions, des conseils et des avertissements. Et leur tâche ne sera pas facile : elle se heurtera à des résistances et de l’opposition (Jésus parle même de persécution). Tout comme ce fut le cas pour Jésus…

On pourrait se dire, au premier abord, que puisque nous ne faisons pas partie des 12 apôtres, nous ne sommes pas vraiment concernés par ce que Jésus leur dit. Ou alors seulement de façon indirecte… Mais il en va autrement des tout derniers versets de ce chapitre, qui nous concernent beaucoup plus directement.

Matthieu 10.40-42
40 Celui qui vous accueille m’accueille ; celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé. 41 Celui qui accueille un prophète parce qu’il est prophète, recevra la récompense accordée à un prophète ; et celui qui accueille quelqu’un de fidèle à Dieu parce qu’il est fidèle, recevra la récompense accordée à un fidèle. 42 Je vous le déclare, c’est la vérité : la personne qui donne même un simple verre d’eau fraîche à l’un de ces petits parmi mes disciples, parce qu’il est mon disciple, recevra sa récompense. »

Vous connaissez sans doute ce jeu qui consiste à disposer des dominos les uns à côté des autres pour les faire tomber par une réaction en chaîne à partir d’un seul domino initial. Le record du monde est de 4 491 863 dominos renversés à partir d’un seul domino initial !

C’est un peu par le même effet que ce texte nous rejoint. A partir des 12 premiers “dominos” (les apôtres), tous les dominos de l’Eglise, depuis 2000 ans, ont été atteints. L’Evangile que nous avons reçu aujourd’hui nous relie à la chaîne ininterrompue qui remonte jusqu’aux 12 apôtres, et par eux, au Christ lui-même. Il est, lui, le domino initial…

Les 39 premiers versets de ce chapitre nous concernaient, certes, mais de manière indirecte, puisque les paroles de Jésus étaient adressées aux apôtres qu’il a choisi et envoyé. Par contre, les trois versets que nous avons lus nous concernent directement. En effet, ce ne sont pas les apôtres qui sont concernés par ces paroles mais ceux qui vont les accueillir, ou ceux qui vont accueillir ceux qui les ont accueillis… et donc, au bout de la chaîne, par un effet domino, nous-mêmes.

Accueil / récompense… que dit Jésus ?

Il y a de quoi être surpris, au premier abord. Les paroles de Jésus associent deux idées qu’on n’aurait pas forcément l’idée d’associer, surtout dans la perspective de l’Evangile : l’accueil et la récompense. On n’imagine pas une seconde que Jésus soit en train de dire que nous devons entrer dans une course aux médailles spirituelles, en recherchant des récompenses. D’ailleurs, comment notre accueil serait-il sincère et authentique s’il est calculé ? Si notre motivation n’est pas vraiment l’accueil mais l’accumulation de bons points, n’est-ce pas de l’hypocrisie ? Et Jésus ne peut pas être en train d’encourager l’hypocrisie…

Qu’est-ce que Jésus dit de l’accueil ?

D’abord qu’on accueille toujours plus que celui ou celle qu’on accueille… C’est le fameux effet domino. En accueillant un prophète, un fidèle ou un disciple, les trois catégories de personnes évoquées ici, c’est le Christ lui-même qu’on accueille, d’une certaine manière. Et cela donne évidemment une grande valeur à toute démarche d’accueil.

Ensuite, Jésus souligne que l’accueil doit être adapté à chacun : on accueille un prophète “parce qu’il est prophète” ou “en sa qualité de prophète” (NBS, TOB). Il s’agit d’accueillir chacun pour ce qu’il est. Le véritable accueil est personnalisé.

Enfin, Jésus termine en soulignant que l’accueil est à la portée de tous. Il commence par un simple verre d’eau fraîche…

Qu’est-ce que Jésus dit par ailleurs de la récompense ? Essentiellement, que la récompense est proportionnée à l’accueil. En accueillant un prophète, on reçoit la récompense d’un prophète. De même quand on accueille un fidèle (un juste) ou un disciple.

Evidemment, on se demande alors qu’est-ce que la récompense d’un prophète ? Et celle d’un fidèle (un juste) ou d’un disciple ? D’autant que la “récompense” que Jésus promet à ces derniers, dans les versets qui précèdent, n’est pas forcément enviable. Il y est surtout question d’hostilité et d’adversité… En fait, il me semble que, par définition, un prophète, un juste ou un disciple ne cherchent pas de récompense. Ils cherchent simplement à être fidèle à la mission qu’ils ont reçue de Dieu. Le prophète cherche à transmettre fidèlement le message que Dieu lui a confié. Le juste cherche à être fidèle aux commandements de Dieu. Le disciple cherche à suivre fidèlement son maître. Et leur récompense, c’est d’y arriver.

On pourrait donc se demander si la récompense n’est pas, finalement, dans l’accueil lui-même. Et dans le fait d’accueillir le Christ lui-même à travers ses disciples. Dans le fait d’être associé à la mission du prophète qu’on accueille. Et plus largement, dans le fait d’être enrichi par l’autre qu’on accueille comme il le mérite.

Accueillir aujourd’hui

Bien-sûr, ces versets concernent d’abord l’accueil réservé aux disciples. S’ils ont une mission difficile à accomplir, qui les expose à des épreuves, Jésus veut aussi qu’ils sachent qu’à travers eux, c’est lui-même qui est accueilli. Et ça valorise leur mission. Aux yeux de Dieu, ils sont bel et bien ses représentants. C’est déjà leur récompense !

Mais il me semble qu’on peut tirer des leçons plus générales pour nous, qui sommes appelés à accueillir. Je les résumerais en deux affirmations complémentaires :

  • L’accueil est d’abord une affaire de regard.
  • La qualité de notre accueil dépend de la valeur qu’on donne à celui qu’on accueille.

Loin de nous pousser à la recherche de “bons points” ou de récompenses, pour ici-bas ou l’au-delà, cette double affirmation, qui découle des paroles de Jésus, nous invite à la gratuité. La récompense n’est-elle pas dans l’accueil lui-même, dans la rencontre de l’autre ?

Qu’est-ce que le salut par grâce, sinon Dieu qui nous accueille alors que nous ne méritons pas d’être accueillis ? Et son accueil montre combien nous avons de la valeur à ses yeux. Il a donné son Fils, mort et ressuscité, pour que nous soyons pleinement accueillis auprès de Dieu. Comme Dieu se réjouit du salut qu’il nous offre, nous sommes invités à découvrir la joie de l’accueil gratuit.

L’accueil est d’abord une affaire de regard.

Le souci de l’accueil ne se résume pas aux sourires et aux paroles de bienvenues de l’équipe d’accueil le dimanche matin au culte, aussi importants soient-ils ! Il nous concerne tous… Et en matière d’accueil, avant d’interroger le faire, il s’agit d’interroger l’être. Avant de se concrétiser dans des paroles ou des gestes, l’accueil est d’abord une question de posture par rapport à celui qu’on accueille.

Le souci d’accueil interroge le regard que nous portons les uns sur les autres. L’enjeu, c’est notre écoute, notre présence, notre absence de jugement… non seulement le dimanche mais tous les jours de la semaine.

Plus nous nous exposerons au regard de grâce de Dieu manifesté en Jésus-Christ, plus nous serons capables à notre tour d’adopter ce regard empreint de grâce sur notre prochain, quel qu’il soit.

La qualité de notre accueil dépend de la valeur qu’on donne à celui qu’on accueille.

Le souci de Jésus, à la fin de son discours d’envoi en mission des ses apôtres, est de souligner la valeurs qu’ils ont à ses yeux. Oui, ils vont traverser des épreuves, ils vont rencontrer l’adversité et l’hostilité. Mais Jésus sera avec eux, à chaque instant. Si bien que ceux qui les accueilleront accueilleront le Christ lui-même.

Je trouve que ce dont on manque beaucoup aujourd’hui, c’est justement ce souci de valoriser l’autre. Alors que tout aujourd’hui nous pousse plutôt à la compétition les uns avec les autres, depuis tout petit. Avec le système des notes à l’école, les concours pour entrer dans les grandes écoles, les évaluations professionnelles pour gravir les échelons, la publicité qui pousse à la consommation et entretien l’insatisfaction, les réseaux sociaux où tout est affaire de nombre de likes et de followers…
Dans un système compétitif, on ne cherche pas à valoriser l’autre mais à l’écraser, ou du moins à le devancer ou le supplanter. Et c’est une dynamique qui tend à déshumaniser. Ce n’est pas un hasard si l’Evangile veut renverser un telle dynamique en invitant au service, qui valorise l’autre, à chercher à être non pas le premier mais le dernier, à être moins celui qui cherche à se mettre en avant qu’à être celui qui valorise les autres.

C’est un vrai défi. Et même une lutte… Mais n’oublions pas qu’accueillir vraiment, c’est valoriser celui qu’on accueille, lui montrer qu’il compte pour nous. Comme le Christ nous accueille et nous montre que nous avons de la valeur à ses yeux.

Conclusion

Comme l’affirme l’épître aux Hébreux, à propos de l’hospitalité, qui est une forme concrète d’accueil, “en la pratiquant, certains ont accueilli des anges sans le savoir.” (Hb 13.2). Jésus va encore plus loin ici. En accueillant des prophètes en tant que prophète, des justes en tant que juste, et même en accueillant le plus petit des disciples avec un simple verre d’eau fraîche, c’est le Christ lui-même que nous accueillons. Quelle récompense !

Être prêt à accueillir un prophète, un juste ou un disciple, c’est être prêt à accueillir Jésus-Christ lui-même. C’est avoir conscience qu’au-delà du plus petit de nos prochains, il peut y avoir le Christ qui vient à notre rencontre.

Alors comme Dieu se réjouit du salut qu’il nous offre, de son accueil gratuit en Christ, nous sommes invités à découvrir la joie de l’accueil gratuit. Finalement, dans tout accueil, la récompense, c’est l’accueil lui-même, et la joie qui en découle…

Rendez-vous avec Dieu

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Dieu nous a créés pour nous aimer, alors il nous rejoint et nous parle. Mais comment cela se passe-t-il ? Quelles sont les conditions d’un « rendez-vous » avec Dieu ? La Bible nous donne bien des exemples de ces rendez-vous divins, et j’aimerais m’arrêter avec vous sur l’un des plus anciens.

Presque 2000 ans avant Jésus-Christ, le fils d’Isaac et petit-fils d’Abraham, Jacob, doit fuir de chez lui, à Beershéba, car son frère le déteste à mort – il faut dire que Jacob a usurpé son héritage, avec force manipulations et mensonges. Jacob s’enfuit donc à Haran, le village de sa mère.

Lecture biblique : Genèse 28.10-22.

10 Jacob quitta Berchéba pour se rendre à Charan. 11 Il s’installa pour la nuit, là où le coucher du soleil l’avait surpris. Il prit une pierre pour la mettre sous sa tête et se coucha en ce lieu. 

12 Il fit un rêve : une échelle était dressée sur la terre et son sommet atteignait les cieux. Des anges de Dieu y montaient et y descendaient. 13 Le Seigneur se tenait devant elle et disait à Jacob : « Je suis le Seigneur, le Dieu de ton grand-père Abraham et le Dieu d’Isaac. La terre où tu es couché, je la donnerai à toi et à tes descendants. 14 Tes descendants seront aussi nombreux que les grains de poussière du sol. Vous étendrez votre territoire vers l’ouest et vers l’est, vers le nord et vers le sud. À travers toi et tous tes descendants, toutes les familles de la terre seront bénies. 15 Je suis avec toi, je te protégerai partout où tu iras et je te ramènerai dans ce pays. Je ne t’abandonnerai pas, je ferai tout ce que je t’ai promis. »

16 Jacob s’éveilla et dit : « Vraiment le Seigneur est dans ce lieu-ci, mais je ne le savais pas ! » 

17 Il eut peur et déclara : « Comme ce lieu est redoutable ! C’est vraiment la maison de Dieu et la porte des cieux ! » 

18 Il se leva tôt. Il prit la pierre qui avait été sous sa tête, la dressa comme une stèle et versa de l’huile en onction sur son sommet. 19 Il appela ce lieu Béthel, ce qui veut dire “maison de Dieu” – auparavant le nom de la localité était Louz. 

20 Jacob prononça ce vœu : « Si le Seigneur est avec moi et me protège sur ma route, s’il me donne de quoi manger et m’habiller, 21 si je reviens sain et sauf chez mon père, alors le Seigneur sera mon Dieu. 22Cette pierre que j’ai dressée comme une stèle sera une maison de Dieu ; et c’est à lui que je donnerai le dixième de tout ce qu’il m’accordera. »

Un Dieu de promesse

Dieu se révèle à Jacob dans un rêve qui tient plus de la vision/révélation que de l’imaginaire de Jacob. Cette échelle, qui relie le ciel à la terre, souligne la relation entre le monde spirituel et notre monde terrestre : Dieu est en lien avec nous et il s’implique dans notre vie. Il le prouve par ses promesses à Jacob, qui reprennent en fait les mêmes promesses qu’à Abraham : devenir un peuple, habiter un pays, vivre une relation avec Dieu si riche qu’elle fera du bien à l’entourage. Abraham, son fils Isaac, et maintenant le petit-fils Jacob, portent cette promesse de Dieu jusqu’à la création du peuple d’Israël, à partir des douze fils de Jacob.

Dieu est un Dieu de promesse : quand il se révèle, 9 fois sur 10, c’est pour promettre. Pour offrir, pour évoquer un avenir plein d’espoir et de possibilités, pour encourager et soutenir. Et contrairement à certains, il tient ses promesses ! La suite du récit le montrera.

Mais Dieu n’est pas au bout de ses promesses ! Tout au long de l’histoire biblique, ses promesses se précisent et s’allongent, jusqu’à nous rejoindre. Par le Christ qui nous réconcilie avec lui, Dieu nous promet de vivre avec nous, de faire de nous son peuple bien-aimé, un peuple identifié non par les gènes mais par la foi, pour vivre dans un monde de justice, et en attendant, une vocation : transmettre son amour à ceux qui nous entourent.

Rendez-vous en terre inconnue

Le texte insiste sur le côté ordinaire du lieu, loin des ornements d’un temple de l’époque. Près de la route, de nuit, un homme qui dort – ça ne fait pas très sacré ! Mais Dieu s’y révèle, il habite cet endroit et ce moment. Pour lui, rien de profane : il peut se révèler n’importe où n’importe quand, car il est Dieu, il n’est pas contenu par des murs ou des protocoles. Cette liberté de Dieu impressionne Jacob : « quoi ! Dieu était là, et je ne le savais pas ! »

Ca paraît naïf, pourtant nous aussi, nous avons nos lieux ordinaires, profanes, où nous n’imaginons pas Dieu se révéler. Dans le bus ? Dans une réunion de travail ? A l’école ou en sortie avec des amis ? Or aucun lieu aucun moment aucune occasion ne peut mettre Dieu dehors. Il est là – et nous ne le savons pas… Ou alors nous l’oublions ! Un des défis réguliers du croyant, c’est de prendre conscience à nouveau que Dieu est présent partout et tout le temps – pas seulement au culte, pendant qu’on chante des louanges ou qu’on prie. Plus on en prend conscience, plus on peut recevoir ce que Dieu veut nous dire.

Mais le plus surprenant dans ce rendez-vous, c’est à qui Dieu se révèle. Jacob est un manipulateur au caractère douteux. A ce moment-là, en fuite – au point qu’il a préféré passer la nuit dehors que chercher hospitalité à Louz, la grande ville qui est tout près. Il est isolé et vulnérable (Jacob demandera d’ailleurs protection et provision à Dieu) : et c’est à ce moment-là, quand il est en galère, que Dieu se révèle. C’est tellement Dieu ! Tout le monde peut investir sur quelqu’un qui est au top de sa forme… Mais Dieu vient à nous, même quand nous sommes tout en bas. Ce secours immérité, c’est la grâce de Dieu, visible ici, visible en Jésus-Christ, qui offre son amour non pas aux bien-portants, mais aux malades, à ceux qui ont besoin de lui, encore aujourd’hui.

Mémoire et engagement

Dieu nous rejoint, il nous parle, il nous tend la main… et… que se passe-t-il ensuite ? Jacob réagit en 3 temps : après la surprise, il dresse une pierre en mémoire de cette rencontre. Il donne aussi un nom à ce lieu – pratique courante à l’époque : c’est « la maison de Dieu », parce que Dieu est présent ici, il se révèle. Enfin, Jacob fait lui aussi une promesse, sous forme de vœu : « si Dieu fait tout ça et que je reviens sain et sauf, alors oui, il sera mon Dieu et je lui offrirai 10% de mes biens ». (L’escroc deviendrait-il généreux ?)

Ce vœu peut étonner : certains y voient une réponse positive sous forme de promesse, comme on souscrirait à un contrat ; d’autres y voient une petite négociation, comme si Jacob ne faisait pas confiance à Dieu. C’est difficile de trancher, mais même si les intentions de Jacob ne sont pas tout à fait droites, en réalité ça ne change rien : Dieu n’attend pas que nous ayons tout réglé pour faire route avec nous. Il nous prend, avec nos ambiguïtés et nos ambivalences.

Et puis, que la réponse de Jacob soit ambiguë ou pas, c’est une réponse ! Une réponse de mémoire et d’engagement. Nos rendez-vous avec Dieu appellent une réponse de notre part. Alors, il y a le baptême, comme dans l’histoire du fonctionnaire éthiopien, un geste visible qui montre, plus ou moins au début du chemin de foi, que oui, nous avons rencontré Dieu personnellement, et que nous voulons le suivre, malgré nos ambivalences. On se lance, comptant sur les promesses de Dieu !

Mais dans notre cheminement, il y aura d’autres rendez-vous avec Dieu, des rendez-vous grandioses, presque mystiques, à côté de rendez-vous plus ordinaires : les cultes, des textes bibliques lus chez soi, des discussions ou des prises de conscience… Qu’en fait-on ? Il ne s’agit pas bien sûr de tomber dans la pression de la performance, pour gravir des échelons, mais de laisser nos temps avec Dieu avoir un impact sur notre vie.

C’est particulièrement vrai aujourd’hui, où beaucoup d’offres existent, où nous consommons des contenus médiatiques ou des expériences : on voit/on écoute/on lit, on « aime », on passe à autre chose. Même si l’infusion spirituelle a du bon, elle peut rester superficielle. On peut connaître par cœur des centaines de versets ou de chants, sans avoir mûri spirituellement depuis des années.

Sans être un remède miracle, la démarche de Jacob peut nous inspirer : d’abord, prendre le temps de « faire mémoire », même si ça vient juste d’arriver – par exemple, écrire dans un journal nos réflexions, ou bien prolonger ce que nous avons reçu en une prière, même courte. Et pour aller plus loin, dans l’engagement, se demander comment ce qui vient d’être vécu peut changer ma vision des choses ou mon comportement. On peut le noter ou en parler avec un proche, pour pouvoir y revenir.

Au lieu de voguer passivement de moment en moment, l’idée c’est d’ouvrir un espace, un temps, pour l’impact. Et parfois ce sera un peu sec, on aura l’impression de n’avoir rien à retirer – et ce n’est pas si grave ! Mais intégrer un peu plus mémoire et engagement dans notre vie spirituelle, même si ça semble artificiel parfois, nous aidera à ne pas rater les moments à fort potentiel, qui deviendront peut-être des étapes importantes de notre vie. Tout lieu, tout moment, tout rendez-vous avec Dieu, si ordinaire soit-il, peut s’illuminer d’une révélation et d’une promesse – alors que Dieu nous apprenne à les recevoir !

Apprendre de nos épreuves

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Le peuple d’Israël est à un moment charnière de son histoire, au terme des 40 ans de traversée du désert, et juste avant d’entrer dans le pays promis. Nous sommes entre un temps d’épreuve et un temps de bénédiction. Et Dieu dit à son peuple : vous avez traversé une longue épreuve, mais vous y avez appris beaucoup :

Deutéronome 8.1-3
1 Veille à mettre en pratique tous les commandements que je te transmets aujourd’hui ; ils vous permettront de vivre et de devenir un peuple nombreux. Vous pourrez alors prendre possession du pays que le Seigneur a promis à vos ancêtres. 2 Souviens-toi de la longue marche que le Seigneur ton Dieu t’a imposée à travers le désert, pendant quarante ans ; il t’a ainsi fait rencontrer des difficultés pour te mettre à l’épreuve, afin de découvrir ce que tu avais au fond de ton cœur et de savoir si, oui ou non, tu voulais observer ses commandements. 3 Après ces difficultés, après t’avoir fait souffrir de la faim, il t’a donné la manne, une nourriture inconnue de toi et de tes pères. De cette manière, il t’a montré que l’être humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu

Ensuite, Dieu évoque l’abondance qui attend son peuple dans le pays promis. Mais il les avertit : votre épreuve est certes terminée, mais attention, un autre danger vous guette.

Deutéronome 8.11-14,17-18
11 Prends bien garde ensuite de ne pas oublier le Seigneur ton Dieu en négligeant d’obéir à ses commandements, à ses règles et à ses décrets que je te communique aujourd’hui. 12 Tu auras de quoi te nourrir abondamment, tu construiras et habiteras de belles maisons. 13 Toutes tes possessions – troupeaux, argent, or – augmenteront. 14 Alors tu deviendras orgueilleux, au point d’oublier que le Seigneur ton Dieu t’a fait sortir de l’esclavage d’Égypte. (…)
17 Tu penseras alors que tu as atteint la prospérité par toi-même, par tes propres forces. 18 Souviens-toi que c’est le Seigneur ton Dieu qui te donne les forces nécessaires pour atteindre cette prospérité, et il confirme ainsi, aujourd’hui encore, l’alliance qu’il a conclue avec tes ancêtres.

Ce texte souligne, en fait, qu’il peut sortir du positif des temps d’épreuve que nous traversons mais qu’il y a aussi de vrais dangers dans les temps de bénédiction.

N’est-ce pas le cas pour nous aussi ? Notre vie est faite de temps d’épreuve et de temps de bénédictions. Certes, dans des proportions différentes pour chacun… et nous ne le comprenons pas toujours. Mais cette alternance existe bel et bien, et les mêmes dangers nous guettent.

Deux questions se posent alors à nous : comment faire pour que nous apprenions de nos épreuves ? Et comment faire pour que nous ne tombions pas dans le piège de l’oubli quand tout va bien, ou même quand tout va mieux ?

 

Apprendre de nos épreuves

Comment apprendre de nos épreuves ? La question est légitime mais la réponse n’est pas évidente. Il n’y a pas de recettes, pas de solution toute simple… ça se saurait ! Et surtout, il faut vraiment faire preuve de prudence dans ce que l’on affirme. C’est tellement facile de dire à quelqu’un qui traverse une épreuve que Dieu est en train de lui apprendre quelque chose (si possible en citant Romains 8.28 !)… ou pire de lui dire directement : “voilà ce que Dieu veut te dire par cette épreuve” ! On peut faire de terribles dégâts avec une telle attitude.

Notre texte peut nous donner quelques clés pour adopter la bonne attitude. Un premier élément intéressant, c’est le “souviens-toi” du verset 2. Il laisse entendre que c’est souvent après coup, avec un peu de recul, qu’on comprend pleinement ce que l’on a pu apprendre d’une épreuve traversée. Quand on est au coeur de l’épreuve, c’est beaucoup plus difficile… voire impossible. Pour apprendre de nos épreuves, le facteur temps est essentiel. Et il n’y a pas de honte à dire “je ne comprends ce qui m’arrive, pourquoi Dieu permet-il cela dans ma vie ?” Les psaumes de la Bible sont remplis de telles questions !

Que peut-on donc apprendre d’une épreuve ? Je vois deux pistes dans notre texte. D’abord, au verset 2 : “(Dieu) t’a fait rencontrer des difficultés pour te mettre à l’épreuve, afin de découvrir ce que tu avais au fond de ton cœur…”

Dans l’épreuve, on apprend d’abord sur soi-même.

L’autre piste se trouve au verset 3 : “De cette manière, (Dieu) t’a montré que l’être humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.”

Dans l’épreuve, on apprend aussi sur notre relation à Dieu, notre dépendance, notre besoin de lui.

Voilà donc peut-être les deux questions à se poser, si nous voulons apprendre de nos épreuves :

  • Qu’est-ce que cela m’apprend sur moi-même ?
  • Qu’est-ce que cela m’apprend sur ma relation à Dieu ?

Et il ne faut pas se tromper de question, comme par exemple : Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ce qui m’arrive ? Est-ce un jugement ? Une punition ? Ça, c’était l’attitude des amis de Job, qui prétendaient qu’il avait forcément commis un péché qui expliquait l’épreuve qu’il traversait. Qu’il se repente à tout irait mieux ! Or ils avaient tout faux ! Et Dieu le leur a bien dit..

Mais à la fin de son histoire, Job a appris sur lui-même et sur sa relation à Dieu. Il me semble qu’on peut l’entendre ainsi dans ce qu’il dit, la dernière fois qu’il prend la parole : “Oui, j’ai parlé de ce que je ne comprends pas, de ce qui me dépasse et que je ne connais pas.” (Job 42.3) et un peu plus loin : “Je ne savais de toi que ce qu’on m’avait dit, mais maintenant, je t’ai vu de mes yeux !” (Job 42.5)

Job a appris sur lui-même, notamment sur ses limites. Et il appris sur sa relation à Dieu, désormais c’est comme s’il le voyait de ses propres yeux.

 

Le piège de l’oubli

S’il y a un danger à se laisser submerger par l’épreuve, il y a aussi un danger quand tout va bien, ou même simplement quand tout va mieux ! Le risque, c’est d’oublier…

“Prends bien garde ensuite de ne pas oublier le Seigneur ton Dieu en négligeant d’obéir à ses commandements, à ses règles et à ses décrets que je te communique aujourd’hui.” (v.11)

Quand tout va bien, on peut facilement oublier ce qu’on a vécu, oublier ce que Dieu a fait, oublier Dieu, tout simplement. Et même s’attribuer tous les lauriers !

“Alors tu deviendras orgueilleux, au point d’oublier que le Seigneur ton Dieu t’a fait sortir de l’esclavage d’Égypte.” (v.14)

Quand je suis fort, c’est aussi un danger pour moi. Dans la détresse, forcément, on se sent vulnérable… et on comprend bien notre besoin de Dieu. Dans l’abondance, on se sent fort. Quand tout va mieux, on peut se dire : “eh bien, finalement, ce n’était pas si terrible que ça…” Et on oublie que Dieu nous a accompagné et qu’il nous a fait traverser l’épreuve.

Alors comment ne pas tomber dans le piège ? Il faut se souvenir, encore et toujours…

“Souviens-toi que c’est le Seigneur ton Dieu qui te donne les forces nécessaires pour atteindre cette prospérité, et il confirme ainsi, aujourd’hui encore, l’alliance qu’il a conclue avec tes ancêtres.” (v.18)

Il y a une constante, qui ne change pas, alors même que notre vie est faite de hauts et de bas, de temps d’épreuve et de bénédiction, et cette constante, c’est Dieu, sa présence et son action dans nos vies. Alors il faut s’en souvenir, toujours.

Et il s’agit aussi d’obéir à ses commandements. Pourquoi ? Pour rester dans la dépendance de Dieu, même quand tout va bien. En réalité, ça demande un effort de notre part. La tendance naturelle est à l’oubli… D’où la nécessité d’une discipline au quotidien. Un peu comme le sportif qui doit s’astreindre à un entraînement afin de garder la forme pour le jour du match ou du combat, ou comme le musicien qui doit faire ses gammes pour être au niveau le jour du concert. Et cela même si l’entraînement ou le fait de faire ses gammes, ce n’est pas ce qu’il y a de plus drôle… c’est indispensable.

Pour le chrétien, faire ses gammes, c’est prier, méditer la Bible, avoir une vie d’Eglise… et pas seulement quand on en a envie ! C’est justement pour cela qu’il faut une certaine discipline. Faut-il rappeler que, pour le chrétien, prier, méditer la Bible et avoir une vie d’Église, ce ne sont pas des options facultatives, à la carte, en fonction de nos envies du moment ? C’est le b.a-ba de la vie chrétienne, qui nous garde en bonne forme spirituelle pour affronter les épreuves et rester vigilant en toute circonstance.

Conclusion

Comment faire pour que nous apprenions de nos épreuves ? Et comment faire pour que nous ne tombions pas dans le piège de l’oubli quand tout va bien ? C’est à chacun d’y répondre, et surtout n’essayons pas de répondre pour les autres ! Je terminerai donc juste avec quelques questions :

Si vous êtes dans l’épreuve, ou si vous en sortez à peine, je vous laisse avec ces deux questions :

  • Qu’est-ce que cela m’apprend sur moi-même ?
  • Qu’est-ce que cela m’apprend sur ma relation à Dieu ?

Et si tout va bien pour vous aujourd’hui, je vous laisse une autre question :
Quel est mon “entraînement” au quotidien, est-ce que je “fais mes gammes” ?

C’est en se posant les bonnes questions qu’on aura les bonnes réponses !

Dieu est amour. Vraiment?

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Dieu est amour… Cette notion est centrale chez les chrétiens, et même au-delà : combien de fois ai-je entendu, chez des gens qui professaient ou pas le christianisme, « Dieu est amour, donc il aime tout le monde ! Dieu est amour donc… ceci ou cela ne le dérange pas ! » Dieu est amour… Peace and Love ! Je me demande même si cette notion n’est pas à la racine de certaines révoltes spirituelles : si Dieu est vraiment amour, comment comprendre les événements choquants (les injustices, les maladies, les crises, les catastrophes)? Ne serait-ce pas moins douloureux de croire que Dieu n’existe pas que de croire qu’il n’aime pas?  Un Dieu sans amour, c’est intellectuellement mais spirituellement révoltant.

Mais à quoi ressemble cet amour ? L’amour fait partie de ces mots de vocabulaire un peu galvaudés auxquels chacun donne une définition variable. Dans une discussion avec Nicodème, un Juif religieux, Jésus en vient à donner lui-même une définition de l’amour de Dieu, dans ce qui est devenu un verset phare de la foi chrétienne.

Lecture biblique : Jean 3.16-18.

16 Oui, Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que toute personne qui croit en lui ne périsse pas mais qu’elle ait la vie éternelle. 

17 Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. 

18 Celui qui croit au Fils n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au Fils unique de Dieu. 

Plutôt qu’un juge, un sauveur

Jésus oppose l’amour de Dieu au jugement. Puisque Dieu aime, il ne juge pas. Lorsque nous disons « Dieu est amour », c’est souvent pour répondre au jugement. Au jugement des autres sur nous – mais Dieu, lui, n’est pas comme ça ( !). Au jugement que nous portons sur nous-mêmes, à notre culpabilité – et là c’est parfois plus difficile de se convaincre de son amour pour nous, quand nous avons honte de ce que nous avons fait et que nous avons du mal à nous aimer.

Dieu connaît tout de nous. Quel regard porte-t-il sur nous ? En fait, il y a un jugement de la part de Dieu, parce que Dieu voit les choses comme elles sont, avec justesse et justice. Pour toute la tolérance que nous professons de nos jours, nous ne pouvons pas le lui reprocher, car nous jugeons nous aussi (ceux qui n’ont pas nos valeurs, qui ne votent pas comme nous, ceux qu’on lynche dans les média, ceux qui nous blessent). Et au quotidien, nous avons du mal à accepter l’autre tel qu’il est, ne serait-ce que nos parents ou notre conjoint. Alors pourquoi Dieu ne jugerait-il pas ?

L’amour ne rend pas Dieu aveugle… il ne le détourne pas de la vérité ni de la justice. La bonne nouvelle, c’est que Dieu choisit de ne pas s’arrêter au jugement. Il va au-delà de la pure objectivité, et il offre une nouvelle chance – le pardon !

Un sauveur qui donne de sa personne

Dire que Dieu est amour, c’est vrai, la Bible le dit, mais le sens que nous donnons à cette phrase aujourd’hui est un peu réducteur, comme si Dieu n’était qu’amour et rien d’autre. Comme si c’était l’amour qui était Dieu finalement.

Et puis c’est l’amour qui passe au premier plan, comme si l’amour existait en soi, un vague sentiment nébuleux, un gaz qui remplirait l’atmosphère. Il y a le CO2, et puis l’amour de Dieu. C’est passif et impersonnel. Si un jour mon mari ou ma mère me dit : « je t’aime, mais c’est normal, je suis amour ! » je crois que je serais un petit peu déçue !

Loin d’être passif, plus qu’être « amour », Dieu a aimé. Il a pris l’initiative ! Il est passé à l’action : le pauvre Nicodème n’a pas dû comprendre tout ce que disait Jésus à ce moment-là. Avec le recul, les proches de Jésus ont compris qu’il avait parlé à ce moment-là de sa vie et de sa mort, sur la croix.

Parce que, quand Dieu nous regarde, il nous juge. Mais le verdict ne lui convient pas, parce qu’il nous aime ! Il ne veut pas nous condamner, nous rejeter, nous détruire. Non, son rêve c’est que nous vivions avec lui – c’est un peu pour ça qu’il nous a créés ! Alors parce qu’il nous aime, il va au-delà du jugement, et il envoie, il donne de sa personne, une part de lui, que nous appelons « le Fils », pour porter pour assumer à notre place les jugements qui pèsent sur nous. Comme une gigantesque main tendue pour nous ramener à lui, parce qu’il nous aime nous et qu’il veut vivre avec nous.

Dieu aime le monde

L’amour n’est pas qu’un sentiment, c’est une relation, qui se traduit par des actes et des paroles. L’amour n’existe pas sans un aimant et un aimé. Dieu a aimé le monde – mais qui est ce monde ?

J’ai découvert la semaine dernière le principe anthropique – mais la notion vous est familière, je pense. Pour résumer en des termes non scientifiques, l’idée du principe anthropique (de anthropos humain) c’est que l’univers paraît ajusté à la naissance sur Terre de la vie que nous connaissons, comme un écrin. Quelques degrés de plus ou de moins, et la Terre serait invivable. Un peu plus de proximité entre les étoiles, et tout serait bousculé. C’est comme si tout avait été mesuré avec précision et finesse pour obtenir des conditions optimales. Cette notion largement répandue dans le milieu scientique fonde aussi certaines inquiétudes écologiques, on le comprend. Mais revenons au monde : Dieu a créé le monde, il l’a désiré, il l’a peaufiné, pour l’aimer. Comment pourrait-il abandonner ce qui lui est si précieux ? Et dans ce monde, Dieu désire une relation particulière avec l’humanité.

Mais l’humanité, c’est grand, surtout aujourd’hui ! Ca paraît trop général pour nous concerner. Quand je pense à l’humanité, j’ai une sorte de vertige : je suis déjà incapable de connaître tous les habitants de ma ville, alors le pays ? le monde ? Pourtant la Bible est remplie d’individus à qui Dieu a porté toute son attention, des hommes et des femmes qu’il connaissait par leur nom, à qui il s’est révélé, pour qui il avait des projets. Ce même Dieu nous connaît par notre nom.

Dieu a aimé le monde. Si vous êtes dans le monde, Dieu vous aime et désire vous retrouver, vous ramener à lui. Si vous êtes venus au monde, c’est que Dieu voulait vous aimer. Et s’il y a des choses qui nous séparent de lui, offenses ou conflits, il parcourt le chemin jusqu’à nous pour nous réconcilier avec lui.

J’ai beau être pasteur, c’est difficile à accepter. Déjà pour soi, de se dire que oui, Dieu nous apprécie personnellement au point de vouloir vivre avec nous. Au point d’endurer la mort pour nous, sur cette croix, en Christ, pour que nous soyons avec lui.

Mais ce qui est peut-être plus difficile, c’est d’accepter que Dieu veut aimer ceux que moi je n’aime pas. Bien sûr il y a ceux qui nous agacent, mais on ne les déteste pas. Mais j’ai récemment entendu parler du collègue d’un ami qui cumule tout ce qui m’écoeure chez quelqu’un, autant sur le plan professionnel que familial, quelqu’un de malhonnête, tordu, cruel, profiteur. Bref, quelle claque quand j’ai relu ce verset que j’ai vu toute mon enfance sur les murs de mon église : cet homme aussi, Dieu veut l’aimer. Quelle que soit la profondeur de ses égarements, Dieu voit au fond celui qu’il a créé avec amour et il n’a de cesse de l’appeler à lui. Dieu l’aime assez pour l’appeler à lui, malgré tout ce qui est écoeurant.

Qu’est-ce que ça changerait si on regardait ceux qui nous entourent comme des personnes que Dieu cherche ? Dans la résidence que nous habitons, l’entreprise où nous travaillons, l’école où vont nos enfants, l’inconnu que je croise au supermarché ou dans le métro ? Quel regard, quelle attitude, quelle parole, quelle prière nous aurions pour eux si nous étions convaincus, comme Jésus l’était, que Dieu a donné ce qu’il avait de plus précieux pour les réconcilier avec lui ? que Dieu les connaît personnellement et qu’il les aime ?

Dieu est amour. C’est vrai. Mais il est plus que cela : il est celui qui nous a créés, qui donne de sa personne pour nous délivrer de nos égarements, et pour nous faire entrer dans une vie riche et abondante avec lui – dès aujourd’hui, et pour toujours.

 

Un philosophe du 20e siècle, Roland Barthes, écrivait que dire « je t’aime » porte en soi une question, qui attend la réponse de l’être aimé. Un cadeau n’a de sens que s’il est reçu – il en va de même pour l’amour de Dieu.

Comment répondre à l’amour que Dieu nous porte, comment entrer dans cette relation vitale ? Simplement en croyant, simplement par la foi. Une foi personnelle, qui répond à un amour personnel, une foi qui nous pousse à chercher Dieu, à le connaître et à l’aimer, pas seulement à croire qu’il existe quelque part.

Dieu nous aime, il le montre de bien des façons. Mais l’apogée de son amour, c’est ce don de lui-même, en Jésus, qui l’incarne. Croire que Dieu nous aime à travers Jésus, c’est reconnaître ce qu’il a fait pour nous, reconnaître la largeur et la profondeur de son amour, et l’accepter. Laisser cette vérité changer notre vie, peu à peu, comme la vie avec un être cher change votre vie peu à peu.

Le défi de Pentecôte

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Pentecôte, c’est le jour J pour l’Eglise. Le moment à partir duquel la Bonne Nouvelle va se répandre ! Jusque là, les disciples étaient réunis entre eux, parfois en présence du Christ ressuscité. Ils attendaient que la promesse de Jésus de leur envoyer le Saint-Esprit se réalise. Au début de notre récit, les disciples sont d’ailleurs réunis dans une maison… Et puis le Saint-Esprit descend sur eux, les foules accourent, intriguées, et l’Evangile est annoncé.

Bref, la descente de l’Esprit saint sur les disciples, c’était un peu le déconfinement de l’Eglise… C’est donc un assez joli symbole que nos cultes puissent reprendre en ce dimanche de Pentecôte !

Actes 2.1-13
1 Quand le jour de la Pentecôte arriva, les croyants étaient réunis tous ensemble au même endroit. 2 Tout à coup, un bruit vint du ciel, comme un violent coup de vent, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. 3 Ils virent apparaître des langues pareilles à des flammes de feu ; elles se séparèrent et se posèrent une à une sur chacun d’eux. 4 Ils furent tous remplis de l’Esprit saint et ils se mirent à parler en d’autres langues, selon ce que l’Esprit leur donnait d’exprimer.
5 À Jérusalem vivaient des Juifs qui honoraient Dieu, venus de tous les pays du monde. 6 Quand ce bruit se fit entendre, ils s’assemblèrent en foule. Ils étaient tous profondément surpris, car chacun d’eux entendait les croyants parler dans sa propre langue. 7 Ils étaient remplis de stupeur et d’admiration, et disaient : « Ces gens qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens ? 8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende parler dans sa langue maternelle ? 9 Parmi nous, il y en a qui viennent du pays des Parthes, de Médie et d’Élam. Il y a des habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et de la province d’Asie ; 10 certains sont de Phrygie et de Pamphylie, d’Égypte et de la région de Cyrène, en Libye ; d’autres sont venus de Rome, 11 de Crète et d’Arabie ; certains sont nés Juifs, et d’autres se sont convertis à la religion juive. Et pourtant nous les entendons parler dans nos diverses langues des grandes œuvres de Dieu ! »
12 Ils étaient tous remplis de stupeur et ne savaient plus que penser ; ils se demandaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela signifie ? » 13 Mais d’autres se moquaient en disant : « Ils sont complètement ivres ! »

Ces dernières semaines, nous avons tous vécu une expérience commune, universelle. La pandémie que nous traversons, et surtout l’expérience du confinement qui lui est liée, sera inscrite dans les livres d’histoire : plus de la moitié de l’humanité a été confinée en même temps ! Cette expérience commune a été vécue dans des circonstances variables, selon que vous avez été atteint par le virus ou non, en fonction des conditions dans lesquelles vous avez vécu le confinement, seul ou avec d’autres, avec ou sans jardin, avec des enfants scolarisés à la maison, en télétravail ou si vous avez continué de travailler pour assurer des services essentiels… Il y a donc eu une expérience commune, partagée par tous, mais elle a été vécue différemment par chacun.

N’est-ce pas, d’ailleurs, le propre d’une expérience universelle ? Elle est partagée par tous mais vécue différemment par chacun. L’événement de la descente de l’Esprit saint à la Pentecôte a indéniablement un caractère universel, et on y retrouve cette tension entre le “tous” et le “chacun”.

Lorsque le Saint-Esprit se manifestent, il est dit : “Ils virent apparaître des langues pareilles à des flammes de feu ; elles se séparèrent et se posèrent une à une sur chacun d’eux.” (v.3)
C’est le même Saint-Esprit qui descend sur tous les disciples réunis, mais cela se manifeste par des langues de feu qui se séparent pour se poser une à une sur chacun.

Plus loin, ce qui cause l’étonnement de la foule réunie à Jérusalem ce jour-là, c’est d’entendre parler des merveilles de Dieu dans la propre langue de chacun. Et que sont ces grandes oeuvres de Dieu sinon l’Evangile, la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ ? Il suffit de lire le discours de Pierre dans la deuxième partie du chapitre pour en avoir la preuve. Or, les foules disent : “Comment se fait-il que chacun de nous les entende parler dans sa langue maternelle ?” (v.8)
Autrement dit, c’est la même Bonne Nouvelle qui est proclamée à tous, mais dans la langue maternelle de chacun.

L’Evangile, la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, est véritablement universelle. Elle est la même pour tous, mais elle est aussi entendue, reçue et incarnée différemment par chacun. Et cette tension entre le “pour tous” et le “pour chacun” de l’Evangile, constitue un des grands défis de l’Eglise, qu’on pourrait formuler ainsi :

Il y a une seule Bonne Nouvelle pour tous, à traduire dans la langue de chacun, et à recevoir dans sa propre langue maternelle.

Une seule Bonne Nouvelle pour tous

Il faut qu’elle soit la même pour tous, sinon chacun invente une Bonne Nouvelle à sa mesure… qui ne sera donc plus une Bonne Nouvelle pour tous ! Et il faut en même temps que cette Bonne Nouvelle soit personnelle, pour qu’elle rejoigne chacun.

Comment transmettre une Bonne Nouvelle qui soit à la fois unique pour tous et personnelle à chacun ? Quel est le message dont nous sommes porteurs ?

Nous n’avons pas une religion à proposer, avec ses rites et ses traditions, nous n’avons pas à doctrine à proposer, avec ses certitudes et ses dogmes. Nous avons une personne à faire connaître : Jésus-Christ, le Fils de Dieu devenu homme, mort et ressuscité ! Il veut nous rencontrer et nous sauver. C’est ça la Bonne Nouvelle !

Il me semble donc que c’est seulement si la Bonne Nouvelle que nous annonçons est centrée sur la personne de Jésus-Christ qu’elle peut être à la fois pour tous et pour chacun. Parce qu’elle n’est pas alors un énoncé doctrinal ou un ensemble de précepts religieux. Elle est l’occasion d’une rencontre, par la foi, avec quelqu’un. Une rencontre qui débouche sur une relation personnelle. Ce que nous partageons, c’est la rencontre avec le Christ vivant. Mais notre relation avec lui est personnelle à chacun.

Traduite dans la langue de chacun

Pour qu’elle soit accessible, cette Bonne Nouvelle doit être traduite dans la langue de chacun. Je me suis rendu compte que nous avons dans ce récit la première traduction de l’Evangile ! L’hébreu et le grec, qui sont les langues d’origine de l’AT et du NT, ne sont pas des langues sacrées. Ce qui compte, c’est le message. Et parce que c’est une Bonne Nouvelle, et qu’elle est pour tous, il faut la traduire dans toutes les langues !

Or la traduction est un art difficile ! Vous avez peut-être des souvenirs douloureux d’étudiants devant votre version anglaise ou latine… ou de la difficulté de votre apprentissage du français si ce n’est pas votre langue maternelle !

Or tout chrétien est appelé à être un traducteur de l’Evangile. Pas tellement pour écrire des versions de la Bible en différentes langues, mais pour le rendre compréhensible par nos contemporains, nos amis, nos proches. Et vous savez qu’il n’est pas toujours facile de trouver les mots justes pour témoigner de notre foi… Mais il ne faut pas oublier que la meilleure traduction de l’Evangile est sans doute sa traduction concrète, dans nos vies.

Nous ne sommes pas responsable de l’accueil que les autres vont réserver à la Bonne Nouvelle, mais nous sommes responsables de la façon dont nous la traduisons, dans nos mots et dans notre vie quotidienne. L’élément important que nous révèle le récit de Pentecôte, c’est que cette traduction est une oeuvre du Saint-Esprit. C’est lui qui donne aux disciples la capacité de parler des merveilles de Dieu dans d’autres langues… C’est lui qui pourra rendre notre témoignage accessible et pertinent envers notre prochain.

Reçue dans sa langue maternelle

L’Evangile est une Bonne Nouvelle, non pas seulement quand elle est annoncée mais quand elle est reçue.

Cela s’exprime, dans la récit de Pentecôte, par l’émerveillement des foules qui entendent parler des oeuvres de Dieu “dans leur langue maternelle”. Littéralement, en grec, on parle de “la langue dans laquelle nous sommes nés”. C’est la langue qu’on a apprise enfant, celle de nos parents, de notre éducation. Une Bonne Nouvelle traduite dans ma langue maternelle, c’est une Bonne Nouvelle qui parle mon langage, qui rejoint mon histoire.

Le Fils de Dieu, en devenant homme, nous a rejoint dans notre histoire humaine. Il est devenu l’un des nôtres, comme nous tous. Par son Esprit, il me rejoint, aujourd’hui, dans mon histoire. Il nous appelle chacun à le suivre et il habite notre quotidien. C’est la Bonne Nouvelle pour tous et pour chacun !

D’où l’importance, dans l’Eglise, de partager notre foi commune, de la vivre et de l’exprimer ensemble. C’est pour cela que nous sommes heureux de pouvoir reprendre nos cultes ! Mais d’où l’importance aussi de ne pas enfermer chacun dans des stéréotypes ou des carcans mais de savoir accueillir la diversité de nos spiritualités, une même foi exprimée dans un langage propre à chacun !

Conclusion

Juste avant son Ascension, Jésus avait donné à ses disciples cet ordre de mission : “Vous recevrez une force quand l’Esprit saint descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde.” (Actes 1.8)

Depuis le jour J de la Pentecôte, cet ordre de mission reste valable. Le flambeau nous est parvenu, de génération en génération. Le défi de Pentecôte se poursuit : il y a une seule Bonne Nouvelle pour tous, à traduire dans la langue de chacun, et à recevoir dans sa propre langue maternelle.

Et n’oublions une autre excellente nouvelle liée à Pentecôte : c’est le Saint-Esprit, qui habite en nous, qui nous rendra capable de dire les merveilles de Dieu de façon appropriée, dans le langage de notre prochain !