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Les prières les plus courtes peuvent être les meilleures !

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Je vous propose de commencer par un petit quiz…

Connaissez-vous le verset le plus court de la Bible ?
Jean 11.35 : « Jésus pleura »

Et le plus long ?
Esther 8.9 : « Le mĂŞme jour, le troisième mois, ou mois de Sivan, le 23 du mois, on rĂ©unit les secrĂ©taires du roi. Selon les ordres de MardochĂ©e, ils Ă©crivent des lettres. Ils les envoient aux Juifs, aux reprĂ©sentants du roi, aux gouverneurs et aux fonctionnaires importants des 127 provinces du royaume, qui s’Ă©tend de l’Inde jusqu’Ă  l’Éthiopie. Ils Ă©crivent ces lettres avec l’Ă©criture des habitants de chaque province et dans la langue de chaque peuple. Ils les Ă©crivent aussi dans la langue des Juifs avec leur Ă©criture. »

Certes, la numĂ©rotation en chapitres et versets est un ajout tardif dans la Bible, des repères qui ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s dans le texte biblique pour nous aider Ă  nous repĂ©rer. Mais il y a bien dans la Bible des livres plus ou moins longs… Ainsi par exemple quel est le prophète dont le livre est le plus long ? EsaĂŻe, avec 66 chapitres. Et le plus court ? Abdias, un seul chapitre qui tient sur une page de la Bible.

Au-delĂ  du quiz, cela tĂ©moigne de la diversitĂ© de la Bible, c’est une indice de sa richesse. Elle contient aussi bien une longue Ă©pĂ®tre en forme d’exposĂ© thĂ©ologique structurĂ© et complet comme l’Ă©pĂ®tre aux Romains, ou l’Ă©pĂ®tre aux HĂ©breux, qu’une petite lettre personnelle de quelques lignes adressĂ©e Ă  un certain PhilĂ©mon Ă  propos d’un de ses ex-esclaves devenu chrĂ©tien.

La mĂŞme diversitĂ© se retrouve dans les Psaumes. Quel est le psaume le plus long ? Le psaume 119 avec ses 176 versets. Il faut près d’un quart d’heure pour le lire en entier Ă  haute voix ! C’est un psaume très structuré : ce qu’on appelle un psaume alphabĂ©tique (chaque strophe de 8 versets commence par la mĂŞme lettre de l’alphabet). Il dĂ©cline toutes les facettes de la richesse de la Parole de Dieu. C’est une belle façon de dire qu’on ne fait jamais le tour de cette Parole, et que de nouvelles richesses se rĂ©vèlent toujours Ă  nous.

Et puis quel est le psaume le plus court ? Le psaume 117. Il ne fait que deux versets… C’est sur celui-lĂ  que je vous propose de nous arrĂŞter ce matin :

1 Pays du monde entier, chantez la louange du SEIGNEUR !
Tous les peuples, chantez la grandeur de Dieu !
2 Oui, son amour envers nous est le plus fort.
La fidélité du SEIGNEUR est pour toujours.
Chantez la louange du SEIGNEUR !

De la longueur des prières…

Un psaume, c’est d’abord une prière. Et dans le recueil des 150 psaumes de la Bible, on y trouve des prières de toutes sortes, abordant des sujets nombreux, avec une grande variĂ©tĂ© de couleurs et de tons utilisĂ©s, et une longueur très variable. C’est d’une richesse incroyable.

Une première leçon que l’on peut tirer de la prĂ©sence d’un psaume si court dans la Bible est que les prières les plus courtes peuvent aussi ĂŞtre les meilleures… En tout cas, qu’il n’y a pas besoin de longues prières compliquĂ©es pour qu’elles soient entendues par Dieu, que ce soit dans la prière communautaire ou dans la prière personnelle.

Il faut le reconnaĂ®tre : certaines personnes ont un don pour la prière communautaire. Leur prière Ă  haute voix est une source d’encouragement et d’Ă©dification. C’est une vraie richesse pour une Eglise !

Mais je ne pense pas forcĂ©ment ici Ă  ceux qui utilisent les mots les plus compliquĂ©s ou qui citent le plus de versets bibliques dans leurs prières ! D’ailleurs, on est en droit de se demander, parfois, pour qui certaines personnes prient. Par qui veulent-ils ĂŞtre entendu ? C’est ce que JĂ©sus dĂ©nonce quand il parle des hypocrites qui prient dans les synagogues ou au coin des rues pour que tout le monde les voie (cf. Matthieu 6.5).

On dit parfois de certaines personnes qu’elles s’Ă©coutent parler. Eh bien je crois qu’il y a aussi le risque, pour certains croyants, de s’Ă©couter prier… et de vouloir que les autres les Ă©coute.

Sans compter qu’il y a parfois des croyants qui, dans leurs prières publiques, dĂ©ballent leur vie privĂ©e ou, pire, règlent leurs comptes avec des gens prĂ©sents autour d’eux (j’en ai dĂ©jĂ  entendu)…

Mais heureusement, Ă  l’inverse, il y a aussi des prières toutes simples, très courtes, parfois mĂŞme constituĂ©es d’une seule phrase, mais qui vont droit au cĹ“ur… Elles sont humbles, authentiques, profondes. Et Dieu prend plaisir Ă  de telles prières. Bien plus qu’Ă  celles de ceux qui s’Ă©coutent prier…

Alors oui, pas de doute : les prières les plus courtes peuvent parfois ĂŞtre les meilleures…

Pour une prière universelle

Si on s’arrĂŞte maintenant au contenu du Psaume 117, on constate qu’il est comme un condensĂ© de psaume, centrĂ© sur la louange. Il va Ă  l’essentiel.

Le Psaume commence par une invitation universelle, adressĂ©e aux pays du monde entier et Ă  tous les peuples, une invitation Ă  louer le Seigneur. On se situe ici entre la promesse universelle faite Ă  Abraham et la promesse de la vision de Jean dans l’Apocalypse :

Genèse 12.3
A travers toi, je bénirai toutes les familles de la terre.

Apocalypse 7.9
Je vois une très grande foule : ce sont des gens de tous les pays, de toutes les tribus, de tous les peuples et de toutes les langues. Personne ne peut les compter. Ils sont debout devant le siège du roi et devant l’Agneau. Ils portent des vĂŞtements blancs et ils tiennent une palme Ă  la main.

Ce petit psaume nous invite Ă  travailler la dimension universelle de notre prière ! MĂŞme s’il est lĂ©gitime d’adresser des demandes personnelles Ă  Dieu dans la prière, il nous faut aussi sortir d’une prière Ă©gocentrĂ©e, oĂą on ne prie que pour soi, pour ses problèmes, ses besoins, ses attentes.

La prière doit nous ouvrir sur les autres, sur le monde. C’est Karl Barth, le cĂ©lèbre thĂ©ologien suisse, qui disait que pour le croyant « la journĂ©e doit commencer avec une Bible dans une main et le journal dans l’autre. » VoilĂ  qui devrait inspirer notre prière et lui donner un vĂ©ritable caractère universel. Notre prière doit se nourrir de la Bible et du journal (ou de votre tablette). Il faut qu’elle cultive une dimension universelle. Et ça doit ĂŞtre vrai autant de la prière personnelle que de la prière communautaire.

Alors peut-ĂŞtre aurons-nous Ă  faire un effort, pour dĂ©centrer un peu notre prière, pour plus l’ouvrir sur le monde. En sachant que le monde commence avec notre prochain, notre voisin…

Compter sur l’amour et la fidĂ©litĂ© de Dieu

Le verset 2 Ă©voque la raison principale de la louange, rĂ©sumĂ©e en deux mots complĂ©mentaires appliquĂ©s Ă  Dieu : l’amour et la fidĂ©litĂ©.

Le psalmiste l’affirme : « Oui, son amour envers nous est le plus fort. ». Le verbe utilisĂ© ici se trouve ailleurs dans la Bible. Par exemple, dans une bataille, il dĂ©signe le camp qui prend le dessus sur l’autre : « Quand MoĂŻse lève son bras, les IsraĂ©lites sont les plus forts. Mais quand il le laisse retomber, les AmalĂ©cites sont les plus forts. » (Exode 17.11). Le mĂŞme verbe Ă©voque les eaux du DĂ©luge qui dĂ©passent les plus hautes montagnes (cf. Genèse 7.18-20)

Notre psaume affirme que l’amour de Dieu nous dĂ©passe, qu’il est le plus fort. L’expression Ă©voque une situation de conflit ou de lutte. Car il y a de nombreuses forces dans notre vie qui essayent de contrecarrer l’amour de Dieu. Mais l’amour de Dieu est plus fort. Plus fort que nos adversaires. Plus fort que nos tentations et nos Ă©preuves. Plus fort que nous-mĂŞmes et nos faiblesses.

Quant Ă  la fidĂ©litĂ© de Dieu, elle est pour toujours. Elle n’est pas conditionnelle, limitĂ©e dans le temps ou incertaine. On peut compter sur elle.

On pourrait se demander si ce message n’est pas idĂ©aliste, peu conforme Ă  la rĂ©alitĂ©. Car parfois, l’Ă©preuve semble nous submerger, notre foi vacille, le mal semble triompher, la rĂ©ponse de Dieu semble tarder et son silence s’installer durablement…
Mais justement, ce psaume nous invite Ă  percevoir l’amour de Dieu comme un combat, et mesurer la fidĂ©litĂ© de Dieu Ă  l’aune de l’Ă©ternitĂ©. La prière est le lieu de ce combat. On y apprend la patience et la persĂ©vĂ©rance. Et on peut y expĂ©rimenter cette espĂ©rance : oui, l’amour de Dieu est le plus fort !

Conclusion

Finalement, que nous apprend ce psaume sur la prière ?

  • Que ce n’est pas la longueur ou la complexitĂ© de la prière qui en fait sa valeur.
  • Qu’elle doit nous ouvrir sur le monde, Ă  une dimension universelle
  • Qu’elle est le lieu oĂą on expĂ©rimente que l’amour de Dieu est le plus fort et oĂą on apprend la patience et la persĂ©vĂ©rance.

C’est quand mĂŞme pas mal pour un psaume qui ne fait que deux versets !

Doutes et foi

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En tant que chrétiens, nous croyons que nous sommes sauvés à cause de l’amour de Dieu, et que nous avons simplement à croire que Jésus a fait le nécessaire pour que notre passé ne soit plus un obstacle entre Dieu et nous. La foi est au cœur de notre rencontre avec Dieu, dès le début, mais aussi tout au long de la vie du croyant dans sa relation avec Dieu. Mais comment nous représentons-nous cette foi ? Qu’est-ce qui la caractérise ? Qu’est-ce qui est incompatible ? Qu’est-ce qui nous fait dire de quelqu’un : « ah… lui/elle, quelle foi il a ! » ?

Je vous invite à nous tourner vers la rencontre entre Dieu et un grand croyant s’il en est, Abraham. Ou plutôt, sa femme, Sara. Je vais lire le récit de cette rencontre, mais c’est surtout sur la fin que nous nous attarderons.

            Lecture biblique : Genèse 18.1-15 (version Bible en Français Courant)

1 Le Seigneur apparut Ă  Abraham près des chĂŞnes de MamrĂ©. Abraham Ă©tait assis Ă  l’entrĂ©e de sa tente Ă  l’heure la plus chaude de la journĂ©e. 2 Soudain il vit trois hommes qui se tenaient non loin de lui. De l’entrĂ©e de la tente, il se prĂ©cipita Ă  leur rencontre et s’inclina jusqu’Ă  terre. 3 Il dit Ă  l’un d’eux : « Je t’en prie, fais-moi la faveur de t’arrĂŞter chez moi. 4 On va apporter un peu d’eau pour vous laver les pieds et vous vous reposerez sous cet arbre. 5 Je vous servirai quelque chose Ă  manger pour que vous repreniez des forces, puis vous continuerez votre chemin. Ainsi vous ne serez pas passĂ©s pour rien près de chez moi. » Les visiteurs rĂ©pondirent : « Bien ! Fais ce que tu viens de dire. » 

6 Alors Abraham retourna en toute hâte dans la tente pour dire Ă  Sara : « Vite ! Prends trois grandes mesures de fine farine et fais des galettes. » 7 Ensuite il courut vers le troupeau, choisit un veau tendre et gras. Il le remit Ă  son serviteur, qui se dĂ©pĂŞcha de le prĂ©parer. 8 Quand la viande fut prĂŞte, Abraham la plaça devant ses visiteurs avec du lait caillĂ© et du lait frais. Ils mangèrent tandis qu’Abraham se tenait debout près d’eux sous l’arbre. 

9 Ils lui demandèrent : « OĂą est ta femme Sara ? » — « Dans la tente », rĂ©pondit-il. 10 L’un des visiteurs dĂ©clara : « Je reviendrai chez toi l’an prochain Ă  la mĂŞme Ă©poque, et ta femme Sara aura un fils. » Sara se trouvait Ă  l’entrĂ©e de la tente, derrière Abraham et elle Ă©coutait. 11-12 Elle se mit Ă  rire en elle-mĂŞme, car Abraham et elle Ă©taient dĂ©jĂ  vieux et elle avait passĂ© l’âge d’avoir des enfants. Elle se disait donc : « Maintenant je suis usĂ©e et mon mari est un vieillard ; le temps du plaisir est passĂ©. » 13 Le Seigneur demanda alors Ă  Abraham : « Pourquoi Sara a-t-elle ri ? Pourquoi se dit-elle : “C’est impossible, je suis trop vieille pour avoir un enfant” ? 14 Y a-t-il donc quelque chose que le Seigneur soit incapable de rĂ©aliser ? Quand je reviendrai chez toi l’an prochain Ă  la mĂŞme Ă©poque, Sara aura un fils. » 

15 EffrayĂ©e, Sara nia : « Je n’ai pas ri », dit-elle. « Si, tu as ri ! » rĂ©pliqua le Seigneur.

 

Une des choses que j’aime tant avec la Bible, et notamment dans sa première partie, l’Ancien Testament, c’est que les personnes que nous y rencontrons sont bien humaines, avec leur grandeur et leur fragilité. Ce ne sont pas des héros, lisses et sans failles.

Dans ce texte, c’est Dieu qui vient à la rencontre d’Abraham – à son insu. Il ressemble à un homme et Abraham va deviner peu à peu que ces trois personnages sont mystérieux.

Abraham se laisse déranger et montre sa grandeur : il déploie une générosité impressionnante, toute orientale, en faisant préparer 21 kg de farine et un veau gras… pour 4 ! Sans le savoir, Abraham se comporte en fait de façon appropriée devant Dieu : il lui offre le meilleur, se prosterne devant lui, le considère comme une bénédiction… Même si l’hospitalité d’Abraham est inspirante, j’aimerais me concentrer sur Sara.

Comme on aborde souvent les sujets sensibles au café, la discussion surgit quand le repas est terminé. Presque 25 ans plus tôt, Dieu avait promis un fils à Abraham, de qui naîtrait un peuple au destin particulier. Depuis, rien. Abraham & Sara sont toujours sans enfant. Sara a fini par prendre les choses en main et a eu recours à un genre de mère porteuse. Mais Dieu n’a pas reconnu cet enfant comme le fils qu’il avait promis : il a bien l’intention de faire des miracles et de faire naître un enfant chez Sara, l’épouse stérile d’Abraham. Dans le chapitre précédant (ch. 17), Dieu réaffirme son alliance avec Abraham et son engagement à faire naître en Sara un héritier. Ici, Dieu prend la peine de contacter Sara, la future mère : en respectant les codes sociaux, il s’adresse à cette femme mariée par l’intermédiaire de son mari. Devant cette promesse, elle rit – Abraham avait ri lui aussi, et c’est ce qui lance un échange très intéressant avec Dieu.

1/ La situation de Sara

Celui qui raconte l’histoire prend la peine de nous rappeler la situation : non seulement Sara & Abraham sont stériles, mais en plus, maintenant, il y a l’âge. Comme toute femme ménopausée, Sara ne peut plus enfanter. Le texte porte un regard réaliste sur ce que Sara vit, et on sent tout son découragement. Depuis des années, l’absence d’enfant. L’espoir déçu mois après mois. Et les premiers symptômes de la ménopause, les bouffées de chaleur, les changements dans son corps, comme autant de signes qui disent que si Abraham a un fils, il ne sera pas d’elle… le rire de Sara est un rire jaune, non par mépris de Dieu, mais par manque d’espérance. Elle n’a simplement plus la force d’y croire.

Sara subit de plein fouet le drame de la stérilité, et de l’âge. Elle se sent vieille, sans avenir, comme si plus rien de bon ne pouvait lui arriver. On le sait, à partir d’un certain âge, les facultés diminuent, l’énergie, les forces – j’ai souvent entendu : « à quoi je sers ? je suis bon à rien, inutile, je ne peux plus rien donner ou ce que j’ai à offrir, personne n’en veut… » En particulier dans une société qui adule la jeunesse, les difficultés de la vieillesse sont perçues encore plus comme un fardeau dont on aimerait se débarrasser.

Cette description de Sara nous montre qu’il y a une place devant Dieu pour poser ce qui nous paraît insurmontable, que ce soit la stérilité, la maladie, l’âge, le deuil… Il y a une place pour le réalisme.

2/ les doutes

Et ce réalisme parfois nous fait douter, comme c’est le cas chez Sara. Chez d’autres aussi : voyez Marie, la mère de Jésus. Quand l’ange lui annonce à elle, une jeune femme vierge, à peine fiancée, qu’elle va être enceinte, elle répond avec une question : « mais comment cela se fera-t-il ? je n’ai pas de relation sexuelle avec un homme » dit-elle. Lorsque l’ange lui explique, succinctement, que c’est Dieu qui va faire le travail, Marie se lance dans l’aventure.

Dans notre vie avec Dieu, nous aurons du mal à échapper au doute. Certains choisissent le déni (mais non tout va bien), ils avancent en marche forcée, grand sourire, réponse à tout – mais la peine est réelle, et souvent à force d’avancer ainsi, ils finissent par s’écrouler. Je me souviens d’une femme, mûre, croyante depuis longtemps, très engagée dans une église, qui m’avait dit : « j’ai l’impression de me poser des questions que personne ne se pose. » Sceptique, je lui demandai ce que c’était ; elle me répond : « la question du mal dans le monde, de la violence, du handicap. Que penser de l’homosexualité ? etc. » et je me suis dit : elle n’est sûrement pas seule à être interpellée par ces situations ! Pourtant, nous présentons un visage bien respectable au culte, et quand la question se pose, nous répondons sans attendre avec la bonne proposition. Le doute ne vient pas forcément de ce que nous, nous vivons. Ca peut venir aussi de ce que nous voyons à l’extérieur.

A l’inverse, d’autres se laissent submerger par les difficultés de leur situation et perdent espoir. Ce qu’ils vivent paraît insurmontable, et même s’ils ne l’avouent pas forcément, ils finissent par penser que même Dieu ne peut rien y faire.

Malheureusement, dans les deux cas, chez le super croyant que tout le monde admire ou le super pessimiste, Dieu n’est pas invité dans la situation. C’est comme une pièce dont on fermerait la porte à double tour : les uns s’efforcent de l’ignorer (ils vont même repeindre la porte de la même couleur que le couloir comme ça on ne la voit pas), mais les autres ont accroché un grand panneau « interdit d’entrer ». Comme une alternative : soit on enterre ses doutes (et notre relation avec Dieu perd de son authenticité), soit on laisse les doutes nous enterrer dans la peur et l’amertume (et la relation avec Dieu devient partielle – il y a certains sujets qu’on exclut de la conversation, comme ces sujets tabous qui peuvent rendre certains repas de famille un peu gênants).

Il y a une troisième voie : simplement confier à Dieu nos doutes. Poser nos questions, comme Marie. Nos doutes peuvent devenir des occasions de parler avec Dieu : les psaumes, les Lamentations de Jérémie, le livre de Job en sont des exemples. Devant la violence de ce qu’ils vivaient, ces croyants-là ont osé interpeller Dieu, et nous pouvons suivre leur exemple. Ils ont ouvert ces portes verrouillées pour inviter Dieu dans leur situation – et Dieu leur a répondu. Il n’a pas forcément tout résolu, mais il s’est montré et il a répondu. Notre Dieu n’est pas un Dieu de qui il faut se cacher : Sara, effrayée, nie son rire, nie ses doutes. Mais Dieu termine la conversation en l’invitant à assumer ses questionnements – sûrement pour mieux les lui confier. Il y a des doutes qui nous coupent de Dieu, mais il y a aussi des doutes qui vont approfondir notre foi : tout dépend si on les laisse nous éloigner ou nous rapprocher de Dieu.

Personnellement, j’ai traversĂ© il y a quelques annĂ©es une grosse pĂ©riode de doute, sur ma vie et ma foi. Cela a Ă©tĂ© très dur, tout Ă©tait remis en question, et dans un moment de dĂ©sespoir, j’ai pu dire à Dieu (sans ĂŞtre trop sĂ»re qu’il m’Ă©coutait): “si tu es lĂ , montre-toi! tu vois toutes mes questions, rĂ©ponds-moi!” Et Dieu a rĂ©pondu, pas de la manière que j’imaginais mais avec grande force. Je suis sortie de cette pĂ©riode avec une foi grandie, renforcĂ©e, fondĂ©e.

La foi ne consiste pas à éviter ou à faire taire nos doutes, dans un sens ou dans l’autre, mais à les surmonter en les confiant à Dieu.

3/ la réaction de Dieu

Revenons sur la surprise de Dieu devant la réaction de Sara. Ce n’est pas sa souffrance qui l’étonne, c’est qu’elle se ferme à lui. A sa puissance, à sa présence. Et il répond – avec quelle douceur et quelle patience – en rappelant qui est Dieu : pourquoi la vieillesse serait-elle un problème ? Lui qui a créé le monde, ne peut-il pas rendre Sara féconde ?

Dieu ne décrit pas la méthode qu’il va employer pour surmonter les problèmes, il rappelle juste qui il est. Non pas quoi, mais qui. Nous, nous restons bloqués sur les quoi, les comment, le possible, l’expérience passée. Lui, il rappelle qui – et il ne s’agit plus de croire que ceci ou cela est possible en soi (non, en soi, une femme ménopausée ne peut pas enfanter, non, un mort ne peut pas revivre, ni un coupable être déclaré innocent) mais de faire confiance à Dieu. De croire en lui. C’est lui, le Créateur de la vie, qui peut transformer ces situations.

Le miracle est difficile Ă  croire – c’est le principe ! Mais Dieu nous demande de lever les yeux vers Lui, de croire que lui est capable de regarder ce qui ne va pas et de proposer une rĂ©ponse. Dieu n’apportera pas forcĂ©ment une solution magique et spectaculaire, mais un chemin au milieu de l’impasse, un moyen d’avancer. Ca peut ĂŞtre un vrai miracle (Sara aura un fils, Isaac, accueilli par des rires d’étonnement : comment, elle, elle est devenue mère ?…), ou simplement reconsidĂ©rer ce qu’on vit/ y trouver un sens. Et entre ces deux extrĂŞmes, Dieu se rĂ©serve toute la palette des possibles.

Conclusion

Quand nous regardons notre vie, notre entourage, notre monde, il y a parfois de quoi douter. Ne laissons pas alors les doutes nous éloigner de Dieu, mais qu’ils nous rapprochent de Dieu ! Nous n’avons pas à faire semblant devant lui, à faire les gros bras : nous avons été sauvés par grâce, sans mérites ni masques de bienséance – continuons de vivre dans cette grâce, sans compter sur nos mérites ni nos masques de bienséance. Osons parler avec Dieu, c’est ça la foi ! osons parler en église aussi, entre nous, de ce qui nous ébranle – c’est à cette condition que nous pourrons accueillir la réponse de Dieu, une réponse qui nous conduit à une vie plus pleine et à une joie plus grande.

Tout-Puissant! (A nul autre pareil 4/4)

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Superman-45-DC-Comics-Spoilers-2

Si les histoires de super-héros nous apprennent quelque chose, c’est au moins que nous sommes nombreux à désirer être forts, puissants, à avoir des super-pouvoirs – ou tout simplement du pouvoir. De bien des manières : par le statut social, par une réputation reconnue, par un corps fort ou un esprit habile, ou encore, par un portefeuille bien garni qui ouvrira la majorité des portes…

Ce n’est pas forcément pour être le chef suprême de la galaxie, ou pour commander aux autres, mais juste parfois pour échapper aux soucis et à la frustration du quotidien : pouvoir œuvrer comme on l’entend sans avoir à supporter un chef autoritariste, pouvoir offrir à ses enfants ce dont ils ont besoin et envie, venir en aide à un proche… Parfois simplement pouvoir aller où on veut alors que notre corps ne suit plus…

Les histoires de super-héros nous font rêver d’un autre quotidien, mais elles soulignent les limites que nous rencontrons chaque jour. En contraste avec notre situation humaine, Dieu, lui, est tout-puissant. Après avoir exploré sa grandeur infinie, son statut de créateur et sa présence constante, c’est sur sa toute-puissance que je vous invite à conclure notre série de juillet.

Pour méditer sur cette qualité de Dieu, je vous propose de lire ensemble une prière du prophète Jérémie. Jérémie a été prophète en Israël entre les années 650 et 580 avant Jésus-Christ. Alors que le pays sombre dans l’absurde et la décadence, Jérémie appelle le peuple à revenir à Dieu – en vain. De la part de Dieu, Jérémie annonce que le pays va devoir affronter les conséquences de son comportement : un puissant adversaire, l’empire babylonien, va les vaincre et déporter les responsables du peuple, détruire la capitale Jérusalem, détruire le Temple. La pression babylonienne se fait sentir : Jérusalem est assiégée, quand Dieu demande à Jérémie d’acheter le champ de son oncle en province. Jérémie obéit mais ne comprend pas, et va porter à Dieu ses questions. C’est Jérémie qui parle.

 

Lecture biblique : Jérémie 32.16-25

16 Après avoir remis l’acte de vente Ă  Baruc, j’ai adressĂ© au Seigneur cette prière : 

17 « Ah, Seigneur Dieu, tu as montrĂ© ta force et ton savoir-faire en crĂ©ant le ciel et la terre. Rien n’est trop difficile pour toi. 18 Tu montres ta bontĂ© jusqu’Ă  mille gĂ©nĂ©rations humaines ; mais si des parents ont commis une faute, tu en fais supporter les consĂ©quences Ă  leurs enfants. Tu es le Dieu grand et fort ; tu te nommes le Seigneur de l’univers. 19 Tu as de grands projets, tu es souverain pour les rĂ©aliser. Tu regardes attentivement ce que font les humains, pour traiter chacun d’eux selon sa conduite et ses actes.

20 « Tu as montrĂ© qui tu es par des prodiges marquants, lorsque nos ancĂŞtres Ă©taient en Égypte, et aujourd’hui encore, non seulement dans le peuple d’IsraĂ«l mais aussi dans le reste de l’humanitĂ©, comme on le voit aujourd’hui. 21Tu as montrĂ© ta force et ton savoir-faire par des prodiges marquants et des plus impressionnants, pour faire sortir d’Égypte IsraĂ«l, ton peuple. 22 Tu avais jurĂ© Ă  nos ancĂŞtres de leur donner le pays oĂą nous sommes aujourd’hui, ce pays qui regorge de lait et de miel, et tu le leur as donnĂ©. 23 Ils sont venus en prendre possession. Seulement ils n’ont pas Ă©coutĂ© ce que tu disais, ils n’ont pas suivi tes instructions, ils n’ont pas fait ce que tu commandais. Alors tu as envoyĂ© tous ces malheurs qui arrivent aujourd’hui.

24 « Voilà en effet les Babyloniens qui avancent leurs travaux de siège de plus en plus près de la ville ; ils vont la prendre ; elle leur est déjà livrée, pour ainsi dire ; ils cherchent à la vaincre par les armes, la famine et la peste. Ce que tu avais prédit est arrivé, tu le vois bien.

25 Oui, la ville est presque aux mains des Babyloniens. Seigneur Dieu, pourquoi donc m’as-tu ordonnĂ© d’acheter ce champ et de le payer comptant devant tĂ©moins ? »

Ce que le texte nous apprend

Dans sa situation de désarroi intense, voire de détresse, Jérémie se tourne vers Dieu avec cette question : pourquoi investir sur l’avenir alors que le pays va tomber ?

(v.17-19) Jérémie s’adresse d’abord à Dieu de manière générale, comme au Dieu fort, puissant, créateur. Puisqu’il a créé le monde, il peut tout faire. Qu’est-ce qui serait trop difficile pour lui ? Il est au-dessus de tout. Mais sa puissance n’est pas que de la force brute : Dieu est fondamentalement bon et le bien qu’il veut faire aux hommes résonne presque sans fin. En effet, la bonté sur mille générations… Ca dépend comment on calcule la durée des générations, mais la version minimale, avec une génération de 25 ans, ça fait déjà 25 000 ans… Jérémie a écrit il y a 2500 ans, selon ce calcul on n’en est qu’à la 100e génération ! Quand la bonté de Dieu jaillit, rien ne l’arrête… Sa bonté et sa puissance ne font qu’un : elles sont impossibles à stopper.

Dieu est puissant, bon – et juste. Il nous tient responsables de nos actes, et nous avons à affronter les conséquences de ce que nous faisons (v.18b si des parents ont commis une faute, tu en fais supporter les conséquences à leurs enfants ; v.19). Toutefois, dans sa bonté, Dieu ne nous place pas sous un jugement de 1000 générations, ni même de 100, ni même de 10, mais d’une seule, ici. Les fautes des parents retombent sur leurs enfants. Vous allez dire, ce n’est pas juste ! Pourquoi l’enfant paierait-il les erreurs des parents ? Il n’y est pour rien !

2 remarques à ce sujet. a) D’une part, les enfants sont de fait influencés et marqués par les actes de leurs parents, sans parfois que Dieu s’en mêle : dettes à payer dans l’héritage, éducation ou manque d’éducation, blessures d’enfance qui poursuivent parfois toute la vie. Il y a une solidarité familiale que nos sociétés individualistes oublient, mais qui est bien réelle. b) D’autre part, ce texte fait référence à la manière dont Dieu s’est révélé à Moïse (Exode 20.5) : à l’époque, il avait parlé d’un châtiment sur 4 générations (comparé à 1000 générations de bénédiction). Ici, on passe à 1 génération, et Ézéchiel, un prophète contemporain de Jérémie, annonce le temps où chacun sera jugé seulement d’après sa conduite (Ézéchiel 18).

Donc Dieu : tout-puissant, bon, et juste (attentif au droit, attentif à la justice). Avec un penchant net pour la grâce.

(v.20-23) Jérémie ajoute à sa description de Dieu ce que son peuple connaît de lui depuis que l’aventure a commencé avec Abraham, près de 1500 ans plus tôt. Dieu n’est pas tout-puissant qu’en général, visible dans sa création : il se révèle personnellement dans l’histoire, dans nos expériences.

(v.24-25) Dans un moment d’impuissance profonde, emprisonné dans une ville assiégée, sans trop comprendre ce que Dieu a en réserve, Jérémie choisit de contempler la puissance de Dieu, tout en demandant pourquoi : pourquoi a-t-il dû acheter un champ ?

Dieu répondra en évoquant l’avenir (Jérémie 32.26-44): le jugement qui tombe sur ce pays dépravé n’est pas le dernier mot. Dieu a prévu de relever son peuple, de le guérir et le restaurer, de faire revenir les déportés – ils seront à nouveau chez eux sur cette terre. Le champ acheté en pleine défaite est un geste d’espérance pour l’avenir. C’est bien la puissance de Dieu qui va se manifester à nouveau, à travers l’histoire : c’est Dieu qui permet aux Babyloniens de blesser le peuple d’Israël, afin de mettre un terme à leurs exactions, c’est Dieu qui permettra que cette nation existe à nouveau, que le peuple revienne, que la ville et le temple soient reconstruits (livres d’Esdras & Néhémie).

La toute-puissance de Dieu

Dieu, être infiniment grand, est infiniment puissant. Dans sa puissance et sa liberté, il fait ce qu’il veut. Il fait tout ce qu’il veut ! Et il ne fait que ce qu’il veut… Tout ce que Dieu veut faire, il le fait, et rien n’empêche qu’il arrive à ses fins. La seule limite qui existe à ce que Dieu peut faire, c’est ce que Dieu se refuse à faire : il se refuse à mentir, à être injuste, à faire le mal.

Le mal. Pourquoi le mal si Dieu existe ? Pourquoi tant d’horreurs si Dieu est tout-puissant ? Cela veut-il dire qu’il accepte et cautionne les catastrophes naturelles, les maladies, les guerres, les méfaits des uns et des autres ?

La Bible évite d’expliquer les causes du mal – comme si c’était un trou noir, un tourbillon qu’on ne peut approcher sans s’y noyer. Il y a pourtant quelques indices : Dieu n’a pas créé le mal. On ne sait pas pourquoi le mal est apparu, mais certains anges se sont révoltés contre Dieu. L’humanité s’est engouffrée à leur suite : on en trouve le récit stylisé au début de la Bible, en Genèse 3. Dieu les a avertis, mais pas empêchés : il a tenu les hommes responsables de leur choix. Nous ne sommes ni marionnettes ni esclaves de Dieu : Dieu nous a créés pour être à son image, pour que nous soyons ses fils et ses filles, pas pour nous écraser de sa puissance. Les dérèglements, dans la nature et l’humanité, sont malheureusement les conséquences de ce choix de se déconnecter du Dieu juste et bon. Même si notre monde est mal en point, il va toutefois mieux qu’il ne devrait : dans sa bonté, Dieu fait grâce jusqu’à 1000 générations mais ne condamne qu’à 4 ou 1 générations. Dans sa bonté, Dieu ne nous laisse pas voguer dans le noir, mais il limite les conséquences de notre chute : comme si au lieu d’être morts, nous étions « simplement » paralysés en partie.

Ce que la Bible décrit, en revanche, c’est toute la réponse que Dieu apporte au mal qui nous étouffe : dans sa puissance, sa justice et sa bonté, il est devenu un homme, solidaire de sa création, le Christ, pour porter et absorber le choc de ces horreurs qui nous déforment, nous & le monde. Par sa mort, il a subi les conséquences de notre révolte. Par sa résurrection, par sa puissance de vie qui transperce la mort, par sa justice qui efface le mal, il annonce l’avenir & pose un geste d’espérance, comme Jérémie avec son champ : si nous nous tournons vers le Christ, Dieu nous restaurera.

Des êtres responsables mais limités

Quel impact la foi en un Dieu tout-puissant a-t-elle sur nous ? Il y a la confiance, bien sûr, la confiance en Dieu quelles que soient les circonstances. Mais cela nous renvoie aussi à une réflexion sur notre pouvoir. En effet, même en tant que créatures minuscules devant Dieu, nous ne sommes pas sans pouvoir. Même si nous sommes loin de pouvoir subsister par nous-mêmes, nous avons quand même du potentiel, des capacités.

Comment exercer notre autorité de parents, de chefs d’équipe, de « premier dans la file », d’enseignants, de médecins, de chefs de famille, de responsables dans l’église,… ? A chaque fois que nous avons voix au chapitre, nous sommes tentés d’affirmer notre position, notre autorité, d’avoir raison. Parfois nous refusons de nous remettre en question, imaginant que notre sagesse est sans défaut, comme celle de Dieu. Parfois, convaincus que notre avis est le meilleur, nous sommes prêts à écarter l’autre avec indifférence ou mépris.

Dieu est l’être le plus puissant qui existe, dont nous n’imaginons même pas le début de la puissance : il a créé le monde. Pourtant, il n’agit que pour le bien et la justice. Il n’écrase pas ses créatures, quitte à se mettre un moment en retrait. Même dans le désaccord, il reste généreux, plein de bonté et de patience, cherchant mille solutions pour préserver ceux qu’il a créés. Être image de Dieu c’est aussi exercer notre pouvoir comme Dieu le fait.  Loin d’être un tyran, Dieu montre sa puissance pour faire du bien, pour relever, pour élever l’autre, quitte à se donner lui-même.

Nous avons plus ou moins de responsabilités, de charge et d’autorité, mais il y a toujours des moments où nous sommes en situation de décision ou de pouvoir : tournons-nous vers Dieu pour apprendre. Apprenons à résister à nos élans tyranniques, et puisons à l’exemple parfait de la puissance de Dieu : le Christ, patient, généreux, porteur d’espérance.

 

L’Ă©trange cas du jeune Eutyque

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L’histoire de ce matin se dĂ©roule pendant le troisième voyage missionnaire de l’apĂ´tre Paul. Après avoir traversĂ© l’Asie Mineure et avoir sĂ©journĂ© en MacĂ©doine et en Grèce, il est sur le chemin du retour. Certains de ses compagnons de route ont pris un peu d’avance et attendent l’apĂ´tre et le reste de la troupe, dont Luc, l’auteur du livre des Actes, Ă  Troas, une citĂ© portuaire au nord-ouest de l’Asie Mineure. Paul les rejoint mais il ne va pas y rester trop longtemps. Il compte arriver Ă  JĂ©rusalem pour la fĂŞte de la PentecĂ´te et le voyage est encore long. Il est donc plutĂ´t pressĂ© mais il a encore beaucoup de choses qu’il veut transmettre aux chrĂ©tiens de la ville.

Nous sommes la veille du dĂ©part de Paul de la ville, quelque part Ă  Troas, un samedi soir, dans une grande maison oĂą les chrĂ©tiens avaient sans doute l’habitude de se retrouver. On dirait aujourd’hui que l’Eglise de Troas est rĂ©unie pour le culte, avec un prĂ©dicateur de passage exceptionnel : l’apĂ´tre Paul !

Actes 20.7-12
7 Le samedi soir, nous sommes rĂ©unis pour partager le pain. Paul prend la parole devant les frères et les sĹ“urs chrĂ©tiens. Puisqu’il doit partir le jour suivant, il continue Ă  parler jusqu’Ă  minuit. 8 Nous sommes rĂ©unis dans la pièce qui est en haut de la maison. LĂ , il y a beaucoup de lampes allumĂ©es. 9 Un jeune homme, appelĂ© Eutyque, est assis sur le bord de la fenĂŞtre. Paul continue Ă  parler longtemps. Eutyque s’endort profondĂ©ment. Pris par le sommeil, il tombe du troisième Ă©tage et, quand on veut le relever, il est dĂ©jĂ  mort. 10 Alors Paul descend, il se penche sur lui et le prend dans ses bras en disant : « Ne soyez pas inquiets, il est vivant ! »
11 Ensuite Paul remonte, il partage le pain et mange. Il parle encore longtemps jusqu’au lever du soleil, puis il s’en va. 12 Après cela, on emmène le garçon bien vivant, et tous sont vraiment consolĂ©s.

On pourrait se contenter d’une lecture de cette histoire au premier degrĂ©. Au cours d’une rĂ©union des chrĂ©tiens de Troas survient une tragĂ©die. Mais Dieu vient au secours de son Eglise et rĂ©tablit le jeune homme après sa chute mortelle.

La question qu’on est en droit de se poser est la suivante : pourquoi ce rĂ©cit justifie-t-il sa place dans le livre des Actes ? Il y a, certes, un miracle. Mais il y en a eu d’autres… pourquoi raconte-t-on celui-ci ? Faut-il juste voir dans ce rĂ©cit une invitation Ă  sĂ©curiser les lieux de culte ? Ou une mise en garde contre les prĂ©dications trop longues, qui peuvent se rĂ©vĂ©ler plus dangereuses qu’on ne le pense ? Parce qu’on remarquera tout de mĂŞme, au passage, que l’histoire n’est pas trop Ă  l’avantage de l’apĂ´tre Paul… Certes, la rĂ©union se prolonge tard dans la nuit mais visiblement sa prĂ©dication n’Ă©tait pas assez passionnante pour tenir Ă©veillĂ© ses auditeurs ! Eutyque est tombĂ© de la fenĂŞtre mais qui nous dit qu’il Ă©tait le seul Ă  s’ĂŞtre endormi ?

Un rĂ©cit bien Ă©trange…

La question de la place de ce rĂ©cit dans le livre des Actes est aussi pertinente quand on considère la façon dont il est racontĂ©. Car, quand on y regarde de plus près, le rĂ©cit autour de ce jeune homme tombĂ© de la fenĂŞtre est bien Ă©trange. On pourrait mĂŞme se demander ce qui s’est vraiment passĂ©…

En effet, le texte nous dit que le jeune homme tombe du troisième Ă©tage de la maison et que lorsqu’on veut le relever, on se rend compte qu’il est mort. C’est une terrible tragĂ©die et on imagine sans peine l’Ă©moi que ça a pu susciter, peut-ĂŞtre un vent de panique, une terreur qui s’empare de tout le monde. Imaginez qu’un Ă©vĂ©nement similaire arrive ce matin, au cours de notre culte ! Pourtant, tout semble se passer dans un calme olympien. Le texte biblique dit simplement que Paul descend, il prend le jeune homme dans ses bras et il dit qu’il ne faut pas s’inquiĂ©ter : il est vivant. On ne dit pas qu’il ait fait quelque chose de particulier, qu’il ait imposĂ© les mains au jeune homme ou au moins qu’il ait priĂ© pour sa rĂ©surrection. MĂŞme JĂ©sus l’aurait fait ! Rien de tout ça… Il dit juste qu’il ne faut pas s’inquiĂ©ter et qu’il est vivant.

Et puis, surtout… il remonte Ă  l’Ă©tage, comme si de rien n’Ă©tait ! Et il reprend lĂ  oĂą il s’Ă©tait arrĂŞté : il partage le pain avec les disciples rĂ©unis, qui semblent eux aussi ĂŞtre passĂ© Ă  autre chose, et il prĂŞche toute la nuit ! Bref, le culte continue… Après quoi, il s’en va. Et ce n’est qu’Ă  la toute fin du rĂ©cit, au petit matin, alors que Paul est parti, qu’on nous confirme que le garçon est bien vivant, et que tout le monde est vraiment consolĂ©. C’est comme s’il Ă©tait restĂ© toute la nuit au pied de la maison, continuant le sommeil qu’il a avait commencĂ© pendant la prĂ©dication de l’apĂ´tre ! Son rĂ©veil a dĂ» ĂŞtre un peu spĂ©cial…

Vous ne trouvez pas ça assez Ă©trange ? Et comme si ça ne suffisait pas, il y a encore d’autres Ă©lĂ©ments incongrus, ou des questions sans rĂ©ponse.

Par exemple, pourquoi le jeune homme est-il assis sur le bord de la fenĂŞtre ? Parce que la chambre Ă©tait pleine ? Parce qu’il avait chaud et qu’il cherchait un peu d’air ? Parce qu’il n’Ă©tait pas passionnĂ© par le discours de Paul et jetait un coup d’oeil de temps en temps Ă  l’extĂ©rieur ? On n’en sait rien. En fait, on ne sait rien de ce jeune homme. Il ne parle jamais, le texte n’Ă©met aucun jugement sur son attitude, ne commente pas ce qui lui arrive…

Tout ce qu’on sait de lui, c’est son nom. On peut d’ailleurs se demander pourquoi il est mentionné ! Est-ce si important de le savoir ? Sauf que, savez-vous ce que signifie Eutyque ? Ça veut dire : « chanceux » ! C’est quand mĂŞme Ă©tonnant, vu ce qui lui arrive !

Autre Ă©lĂ©ment Ă©tonnant : la mention du partage du pain, Ă  cette heure tardive. Il ne s’agit pas ici de casser la croĂ»te mais de partager le repas du Seigneur, la Cène. Certes, elle se vivait au cours d’un vĂ©ritable repas chez les premiers chrĂ©tiens, mais normalement pas Ă  minuit… et encore moins dans ces circonstances !

Une portée symbolique ?

Autant d’Ă©lĂ©ments surprenants doivent nous interpeller. Ce sont peut-ĂŞtre des indicateurs pour nous dire qu’il ne faut pas passer trop vite sur un tel rĂ©cit, qu’une lecture seulement au premier degrĂ© ne suffit pas…

Et si ce rĂ©cit, et la façon bien Ă©trange dont il est racontĂ©, avait une autre portĂ©e ? N’aurait-il pas une valeur de symbole ? Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a pas eu de miracle. Luc, l’auteur du livre des Actes, en parle en tant que tĂ©moin oculaire : le rĂ©cit est Ă  la première personne du pluriel. Il y a sans doute bien eu un jeune homme qui s’est endormi, qui est tombĂ© de la fenĂŞtre, et qui en est miraculeusement sorti indemne.

Mais ne doit-on pas aller plus loin que cette lecture au premier degré ? On a dĂ©jĂ  mentionnĂ© le nom d’Eutyque (chanceux), le calme Ă©tonnant dans lequel les choses se passent, le culte qui se poursuit comme si de rien n’Ă©tait… Qu’y a-t-il d’autre ?

Le rĂ©cit nous parle quand mĂŞme d’une mort et d’une rĂ©surrection. Et en plus on est dans la nuit de samedi Ă  dimanche ! Et c’est au petit matin du dimanche que la rĂ©surrection est constatĂ©e… Et c’est Ă  ce moment-lĂ  seulement que tout le monde est soulagĂ©. Le texte l’exprime avec emphase : « tous sont vraiment consolĂ©s ». LittĂ©ralement, on pourrait traduire : « et ce ne fut pas une petite consolation ! »

Ca ne vous rappelle rien ? Une expĂ©rience de mort et de rĂ©surrection, constatĂ©e au petit matin, et qui est une source de consolation sans mesure ! D’une certaine manière, ce rĂ©cit Ă  Troas nous parle de l’expĂ©rience de mort et de rĂ©surrection que le croyant est appelĂ© Ă  vivre, Ă  la suite de JĂ©sus-Christ. Une expĂ©rience partagĂ©e dans la communautĂ© chrĂ©tienne et source d’une profonde consolation.

Quelques applications

Une expérience de mort et de résurrection

C’est le cĹ“ur de l’Evangile, et le cĹ“ur de l’expĂ©rience chrĂ©tienne. Peut-on aller jusqu’Ă  dire que l’expĂ©rience de la mort et la rĂ©surrection du Christ devrait ĂŞtre la rĂ©alitĂ© de la vie chrĂ©tienne normale, comme la rĂ©surrection du jeune Eutyque semble Ă©vidente et naturelle dans ce rĂ©cit ?

Et pourtant, nous nous contentons facilement d’une vie chrĂ©tienne morne oĂą on n’est pas vraiment mort et ressuscitĂ© mais entre les deux, juste assoupis…

Demandons au Seigneur de permettre que notre vie chrĂ©tienne soit encore et toujours l’expĂ©rience d’une vie nouvelle !

Partagée dans la communauté chrétienne

Tout se passe dans ce rĂ©cit lorsque l’Eglise est rĂ©unie, alors que l’Evangile est prĂŞchĂ© et la Cène est cĂ©lĂ©brĂ©e !

Il faut souligner l’importance de l’Eglise dans la vie du chrĂ©tien. Je ne parle pas des institutions et des diffĂ©rentes chapelles. Je parle de la communautĂ© chrĂ©tienne. La mort et la rĂ©surrection en Christ est une expĂ©rience Ă  partager. Et la Parole de Dieu prĂŞchĂ©e et Ă©tudiĂ©e en communautĂ© permet de l’apprĂ©hender. Tout comme la participation Ă  la Cène, ce sacrement donnĂ© par JĂ©sus Ă  son Eglise, pour proclamer et vivre sa mort et sa rĂ©surrection.

Source d’une profonde consolation

Il n’y a pas de plus grande consolation, pas de plus grand encouragement que la rĂ©alitĂ© de la mort et de la rĂ©surrection du Christ. Dans l’histoire bien-sĂ»r, parce que c’est par ce double Ă©vĂ©nement que le salut de Dieu pour les humains s’est accompli. Mais aussi dans notre vie chrĂ©tienne Ă©videmment !

Face Ă  la mort, la maladie, la souffrance : nous sommes ressuscitĂ©s en Christ, c’est notre consolation et notre espĂ©rance au-delĂ  de toute Ă©preuve !

Contre les forces de mort qui nous entourent et nous pressent, ou les pulsions mortifères qui peuvent nous habiter : nous sommes ressuscitĂ©s en Christ, c’est notre encouragement dans la lutte, notre victoire par la foi.
L’Ă©trange cas du jeune Eutyque nous invite donc Ă  expĂ©rimenter, dans notre “vie chrĂ©tienne normale”, la rĂ©alitĂ© et la puissance de la mort et de la rĂ©surrection du Christ !

Balaam et son ânesse

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Pour ce dimanche estival, je propose que nous nous arrĂŞtions sur une histoire, un rĂ©cit parmi les plus Ă©tonnants de l’Ancien Testament.

Nous sommes avec le peuple HĂ©breux. Après ĂŞtre sorti d’Egypte sous la conduite de MoĂŻse, et après avoir traversĂ© le dĂ©sert pendant 40 ans, les voilĂ  proches de la terre promise par Dieu Ă  leur ancĂŞtre Abraham. Ils campent dans les plaines arides de Moab, Ă  l’est du Jourdain, en face de JĂ©richo. Mais les autochtones ne voient pas leur arrivĂ©e d’un très bon Ĺ“il…

Balac, le roi de Moab, dĂ©cide alors de se tourner vers un prophète puissant du nom de Balaam. Il lui demande de jeter une malĂ©diction contre ce peuple venu d’Egypte, pour qu’il ait une chance de le vaincre. Mais Dieu parle au prophète et lui dit de ne pas aller avec Balac et de ne pas maudire ce peuple qu’il a bĂ©ni. Mais Balac insiste, promettant au prophète de le combler d’honneurs s’il vient avec lui… Alors Balaam attend, pour une seconde nuit, ce que Dieu va lui dire.

Nombres 22.20-35
20 Pendant la nuit, Dieu vient dire Ă  Balaam : « Si ces hommes sont venus t’appeler, pars avec eux. Mais tu feras seulement ce que je te dirai. » 21 Le matin suivant, Balaam se lève, il prĂ©pare son ânesse et il part avec les chefs de Moab.
22 Quand Dieu voit Balaam partir, il se met en colère. Balaam avance sur la route, montĂ© sur son ânesse. Deux serviteurs sont avec lui. Alors un ange du SEIGNEUR se place sur la route pour l’empĂŞcher de passer. 23 L’ânesse voit l’ange debout au milieu de la route. Il tient une Ă©pĂ©e Ă  la main. L’ânesse quitte la route et elle passe Ă  travers les champs. Balaam se met Ă  la frapper pour la ramener sur la route. 24 L’ange va se placer plus loin dans un chemin Ă©troit qui traverse des vignes entre deux murs. 25 L’ânesse voit l’ange du SEIGNEUR, elle se serre contre le mur et ainsi, elle blesse le pied de Balaam. Celui-ci la frappe de nouveau. 26 L’ange du SEIGNEUR les dĂ©passe encore une fois. Il va se placer dans un passage très Ă©troit. LĂ , on ne peut passer ni Ă  sa droite ni Ă  sa gauche. 27 Quand l’ânesse voit l’ange, elle se couche sous Balaam. Celui-ci se met en colère et les coups de bâton pleuvent.
28 Alors le SEIGNEUR fait parler l’ânesse, et elle dit Ă  son maĂ®tre : « Qu’est-ce que je t’ai fait, pour que tu me frappes trois fois ? » 29 Balaam lui rĂ©pond : « Tu te moques de moi ! Si j’avais une Ă©pĂ©e Ă  la main, je te tuerais tout de suite ! » 30 L’ânesse lui dit : « Est-ce que je ne suis pas ton ânesse ? C’est moi que tu montes depuis toujours ! Est-ce que j’ai l’habitude d’agir ainsi avec toi ? » Balaam rĂ©pond : « Non ! »
31 Alors le SEIGNEUR ouvre les yeux de Balaam. Balaam voit l’ange du SEIGNEUR debout sur le chemin, une Ă©pĂ©e Ă  la main. Il se met Ă  genoux, le front contre le sol. 32 L’ange du SEIGNEUR lui dit : « Tu as frappĂ© ton ânesse trois fois. Pourquoi donc ? Je suis venu t’empĂŞcher de passer. En effet, ce voyage me paraĂ®t dangereux. 33 Ton ânesse m’a vu, et trois fois, elle s’est Ă©cartĂ©e de moi. Si elle n’avait pas fait cela, je t’aurais tuĂ©, mais elle, je l’aurais laissĂ©e en vie. » 34 Balaam dit Ă  l’ange : « J’ai commis une faute ! En effet, je n’ai pas vu que tu Ă©tais devant moi sur la route. Mais maintenant, si ce voyage te dĂ©plaĂ®t, je suis prĂŞt Ă  faire demi-tour. » 35 L’ange du SEIGNEUR rĂ©pond : « Non ! Va avec ces hommes. Mais tu prononceras seulement les paroles que je te dirai. » Alors Balaam continue la route avec les chefs de Balac.

VoilĂ  un rĂ©cit pour le moins surprenant ! Il y a d’abord, bien sĂ»r, l’ânesse de Balaam : elle voit l’ange du Seigneur sur la route, alors que le prophète qui la monte ne le voit pas… Et ça, trois fois de suite ! Ensuite, la mĂŞme ânesse se met Ă  parler… A la rigueur, pourquoi pas ? Dieu est tout-puissant ! Mais le plus Ă©tonnant, ce n’est pas tellement que l’ânesse parle, c’est que Balaam semble trouver ça tout Ă  fait normal puisqu’il discute avec elle ! Franchement, Ă  la place de Balaam, comment auriez-vous rĂ©agi ? Imaginez-vous en train de promener votre chien, comme tous les jours, et tout Ă  coup il s’arrĂŞte, vous regarde et se met Ă  vous parler. Vous tapez la discute avec lui, sans broncher ? C’est pourtant ce que semble faire Balaam avec son ânesse !

C’est cet Ă©lĂ©ment qui me laisse penser que ce rĂ©cit n’est probablement pas Ă  prendre au pied de la lettre… Mais ce n’est pas ce qui m’importe pour ce matin. Prenons, simplement, le rĂ©cit tel qu’il nous apparaĂ®t, avec ses pĂ©ripĂ©ties et ses dialogues Ă©tonnants, avec son humour aussi… et demandons-nous quel en est le message, pour le peuple HĂ©breux Ă  ce moment de son histoire, et quel prolongement nous pouvons discerner pour nous aujourd’hui.

D’autant que la discussion entre Balaam et son ânesse n’est pas le seul Ă©lĂ©ment Ă©tonnant de ce rĂ©cit. L’attitude de Dieu aussi est surprenante. On le voit se mettre en colère quand Balam se met en route… alors qu’il vient juste de lui dire de partir ! Et puis ensuite, il empĂŞche Balaam de passer, affirmant mĂŞme qu’il l’aurait tuĂ© si l’ânesse ne s’Ă©tait pas arrĂŞtĂ©e… et finalement il lui dit de continuer son chemin, en lui redisant, en gros, ce qu’il lui avait dit avant qu’il parte ! Vous y comprenez quelque chose, vous ?

Pourquoi Dieu se met-il en colère ?

Rappelons-nous que lorsque le roi Barac Ă©tait venu demander de l’aide Ă  Balaam, Dieu avait dit clairement Ă  ce dernier : « Non, tu n’iras pas avec eux ! Tu ne maudiras pas le peuple d’IsraĂ«l, parce que je l’ai bĂ©ni. » (Nb 22.12)

Mais Balac Ă©tait revenu Ă  la charge. Et je me demande si la deuxième rĂ©ponse de Balaam Ă©tait si honnĂŞte que cela… Balac avait insistĂ©, en promettant de le couvrir d’honneurs mais sans vraiment prĂ©ciser les choses. Et Balaam, lui, est explicite et mĂŞme en rajoute un peu : « MĂŞme si Balac me donne tout l’argent et tout l’or qui remplissent sa maison, je ne peux pas faire une chose, petite ou grande, contre l’ordre du SEIGNEUR mon Dieu. » (Nb 22.18) Et il dit, quand mĂŞme, aux Ă©missaire du roi de rester pour la nuit, au cas oĂą Dieu lui dirait quelque chose…

Mais la première rĂ©ponse de Dieu n’Ă©tait pas assez claire ? Et pourquoi est-ce qu’il changerait d’avis ? Pourtant, c’est ce qu’il semble faire puisqu’il lui dit : « Si ces hommes sont venus t’appeler, pars avec eux. » Ah bon ? Dieu n’Ă©tait pas au courant qu’ils Ă©taient dĂ©jĂ  venus l’appeler avant ? En fait, j’ai l’impression que Dieu connaĂ®t le cĹ“ur de Balaam et qu’il le laisse aller. Se disant que de toute façon, il veut y aller… alors qu’il yaille ! Mais attention, il lui prĂ©cise : « Tu feras seulement ce que je te dirai. »

L’empressement dont le prophète fait preuve ensuite semble bien confirmer cela. Il ne se fait pas prier. Dès le lendemain matin, il selle son ânesse et prend la route ! Et ensuite il sera incapable de voir l’ange qui lui barrera le chemin…

La « colère » de Dieu ne trahit donc pas un brusque changement d’humeur de sa part. Ce n’est pas un caprice… Probablement que le Seigneur veut plutĂ´t donner une leçon au prophète. Il s’obstine Ă  vouloir contourner la rĂ©ponse nĂ©gative de Dieu ? Dieu, Ă  son tour, s’obstinera Ă  bloquer Balaam sur son chemin…

Pourquoi le prophète est-il moins clairvoyant que son ânesse ?

C’est toute l’ironie de l’histoire. Alors que le prophète ne comprend pas ce qui se passe, l’ânesse voit, elle, l’ange du Seigneur ! La première fois, elle peut l’Ă©viter en passant par les champs. La deuxième fois, elle doit raser les murs, blessant au passage le pied de Balaam. Mais la troisième fois, le passage est trop Ă©troit et l’ânesse ne peut que s’arrĂŞter. Et le prophète, lui, ne comprend rien, il ne voit rien et tout ce qu’il trouve Ă  faire, c’est se mettre en colère contre son ânesse et la rouer de coups.

Balaam semblait pourtant jusque lĂ  capable d’entendre clairement la voix de Dieu… Mais lĂ , il ne voit rien. Il devait ĂŞtre trop concentrĂ© sur l’objectif de son voyage, aveuglĂ© par la perspective de la rĂ©compense promise par le roi de Moab… Il a obtenu le feu vert de Dieu pour rĂ©pondre Ă  l’offre de Balac, alors il y va. Il ne se pose plus de question. C’est comme s’il Ă©tait dĂ©jĂ  arrivĂ© au bout de son chemin… et du coup, il n’est plus prĂŞt Ă  rencontrer Dieu sur sa route. Pourtant il aurait quand mĂŞme dĂ» se douter qu’il y avait quelque chose qui clochait quand Dieu lui a dit d’aller vers Barac alors qu’il venait de le lui interdire formellement.

Il faudra, pour que le prophète sorte de sa torpeur, que le Seigneur lui ouvre les yeux, comme il le ferait pour un aveugle. Alors seulement il verra l’ange du Seigneur et reconnaĂ®tra sa faute.

Quelles leçons pour nous ?

Le première leçon que nous pouvons tirer de cet Ă©pisode, c’est que Dieu nous laisse parfois aller jusqu’au bout de nos obstinations… Parce qu’il faut parfois faire l’expĂ©rience de l’Ă©chec, se retrouver face Ă  un mur, pour comprendre. Ça peut ĂŞtre douloureux… mais nĂ©cessaire.

Car Balaam n’est pas un cas isolĂ©, loin de là ! Dans la Bible, il y a une expression qui revient Ă  de nombreuses reprises pour qualifier l’obstination du peuple de Dieu : « avoir la nuque raide », c’est-Ă -dire refuser de courber la tĂŞte, n’en faire qu’Ă  sa tĂŞte. Aujourd’hui on dirait avoir la tĂŞte dure… Vous ne vous sentez pas concernĂ©s ? Vraiment ?

La deuxième leçon est une mise en garde : il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir… ni plus sourd que celui qui pense avoir tout compris. EnfermĂ©s dans nos certitudes, nous ne sommes plus capables de voir Dieu sur notre chemin.

MĂŞme un prophète est moins clairvoyant qu’un âne quand il s’enferme dans son obstination. L’exemple tragi-comique de Balaam doit nous inviter Ă  l’humilitĂ©. MĂ©fions-nous de nos certitudes.

Ici, je fais une diffĂ©rence entre les convictions et les certitudes. C’est important de se forger des convictions solides, d’affermir sa foi, d’approfondir sa connaissance de Dieu. On peut s’appuyer sur ses convictions, on peut les partager, on peut mĂŞme les dĂ©fendre. Mais gardons nous de faire de nos convictions des certitudes. Par certitude, je veux dire des vĂ©ritĂ©s absolues, dĂ©finitives, qu’on ne discute pas. On pourrait dire qu’une certitude a le cou raide… alors qu’une conviction est prĂŞte Ă  se laisser encore modeler. Les fanatiques ont des certitudes. Les croyants ont des convictions.

Nos certitudes nous rendent aveugles, elles nous empĂŞchent de voir le Seigneur sur notre chemin. Nos convictions nous gardent les yeux ouverts, elles s’affermissent dans la rencontre avec Dieu.

Epilogue

L’histoire de Balaam ne s’arrĂŞte pas lĂ . Il semble bien avoir retenu la leçon parce que les deux chapitres suivants nous racontent comment, par trois fois, le prophète prononcera des bĂ©nĂ©dictions pour le peuple d’IsraĂ«l au lieu des malĂ©dictions qui lui Ă©taient demandĂ©es. Il rappellera au passage les promesses de Dieu envers son peuple, concernant son alliance et la terre qui lui est promise. Si bien que le roi de Moab finira par lui dire : “OK, tu ne peux pas les maudire, mais au moins arrĂŞte de les bĂ©nir !”

Ce rĂ©cit Ă©tonnant de Balaam a toute son importance dans le rĂ©cit du livre des Nombres. En marche vers la terre promise, au milieu de peuples pas toujours bienveillants Ă  leur Ă©gard, le peuple d’IsraĂ«l peut ĂŞtre rassuré : Dieu restera toujours fidèle Ă  son alliance et Ă  ses promesses.

N’est-ce pas lĂ  aussi une belle leçon pour nous ? Car si nous devons nous mĂ©fier de nos certitudes, il y a bien une assurance sur laquelle nous appuyer : Dieu est toujours fidèle Ă  ses promesses, quels que soient les obstacles, quels que soient les adversaires qui nous mettent des bâtons dans les roues… et quelle que soit notre propre obstination !