Archives mensuelles : aoĂ»t 2017

image_pdfimage_print

La foi seule

image_pdfimage_print

 

Le texte de l’Évangile de ce dimanche est parfait pour un culte de baptĂŞme ! En effet, un baptĂŞme de croyant, c’est LE moment oĂą on professe sa foi personnelle, c’est LE moment oĂą on dit qui est JĂ©sus-Christ, oĂą on proclame publiquement le reconnaĂ®tre comme le Messie.

Matthieu 16.13-20
13 JĂ©sus arrive dans la rĂ©gion de CĂ©sarĂ©e de Philippe. Il demande Ă  ses disciples : « Pour les gens, qui est le Fils de l’homme ? » 14 Ils lui rĂ©pondent : « Les uns disent que tu es Jean-Baptiste. D’autres disent que tu es Élie. D’autres encore disent que tu es JĂ©rĂ©mie ou l’un des autres prophètes. » 15 JĂ©sus leur dit : « Mais vous, qu’est-ce que vous dites ? Qui suis-je ? » 16 Simon-Pierre lui rĂ©pond : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » 17 Alors JĂ©sus lui dit : « Simon, fils de Jean, tu es heureux. En effet, ce n’est pas une personne humaine qui t’a fait connaĂ®tre cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. 18 Et moi, je te dis ceci : Tu es Pierre, et sur cette pierre, je construirai mon Église, et la puissance de la mort ne pourra rien contre elle. 19 Je te donnerai les clĂ©s du Royaume des cieux. Ce que tu refuseras sur la terre, on le refusera dans les cieux. Ce que tu accueilleras sur la terre, on l’accueillera dans les cieux. » 20 Alors JĂ©sus donne cet ordre Ă  ses disciples : « Ne dites Ă  personne que je suis le Messie. »

Au cœur de notre passage, il y a la confession de foi de Pierre. Mais elle ne vient pas comme ça, spontanément. Elle est amenée par Jésus, dans son dialogue avec ses disciples.

Tout commence avec une question : « Pour les gens, qui est le Fils de l’homme ? ». Un sondage, en quelque sorte. Une enquĂŞte d’opinion. Il n’y avait pas d’instituts de sondage Ă  l’Ă©poque, encore moins Internet ! Mais les gens parlaient. JĂ©sus intriguait les foules et, forcĂ©ment, les disciples entendaient ce qui se disait. On venait mĂŞme probablement leur parler, leur poser des questions sur JĂ©sus !

Et les rĂ©ponses sont variĂ©es : Jean-Baptiste, Élie, JĂ©rĂ©mie, ou l’un des autres prophètes. Ils rattachent JĂ©sus Ă  des gens qu’ils connaissent, et pas des moindres. Ce sont des grands noms qui sont citĂ©s. Les plus grands prophètes de l’histoire biblique. Les foules prenaient JĂ©sus pour un grand homme, un homme de Dieu.

Mais JĂ©sus savait tout cela… il n’avait pas besoin de cette enquĂŞte d’opinion. Il ne l’a fait auprès de ses disciples que pour pouvoir leur poser LA question qu’il voulait leur poser : « Mais vous, qu’est-ce que vous dites ? » Ce n’est pas l’opinion des gens Ă  son sujet qui intĂ©ressait JĂ©sus mais le positionnement de ses disciples.

La foi n’est pas une question d’opinion,
elle est une conviction intime et personnelle.

Il ne s’agit pas seulement de cocher la bonne case du sondage : « Croyez-vous en Dieu ? Oui. Non. Ne se prononce pas. » Il ne s’agit pas non plus de rĂ©citer son catĂ©chisme ou de se cacher derrière l’Ă©ducation reçue. Alors bien-sĂ»r, notre Ă©ducation compte dans notre cheminement spirituel mais la foi reste une affaire personnelle et intime. On ne peut pas vivre sur la foi de ses parents… Un cheminement spirituel demande forcĂ©ment, un jour ou l’autre, l’affirmation d’une conviction personnelle.

Le baptĂŞme est l’occasion d’exprimer cette conviction. Mais lĂ  aussi il ne s’agit pas simplement de cocher la bonne case le jour de son baptĂŞme. Il s’agit de nourrir et d’affermir notre conviction.

Comment nourrissez-vous votre foi ? Comment affermissez-vous vos convictions ? Je vous propose un test : qu’est-ce qui a changĂ© dans vos convictions profondes ces derniers mois, ces dernières annĂ©es ? Comment votre foi a-t-elle Ă©volué ? Si vous me rĂ©pondez que rien n’a changĂ©, que vous ĂŞtes le mĂŞme chrĂ©tien aujourd’hui qu’il y a 10 ans, je m’inquiĂ©terais un peu pour vous… Il ne s’agit pas, bien-sĂ»r, de tout balancer ou de croire tout et son contraire. Mais une foi vivante est une foi qui Ă©volue, y compris au niveau des convictions. Parce que nous n’avons jamais fini de dĂ©couvrir de nouvelles facettes de Dieu, de sa Parole, de ses projets…

Dans notre texte, la foi de Pierre s’exprime en tout cas avec conviction : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. »

Il faut mesurer l’ampleur de la dĂ©claration de Pierre. Il va beaucoup plus loin que tous les autres avis exprimĂ©s. La rĂ©fĂ©rence Ă  tous les grands prophètes de l’histoire d’IsraĂ«l pour dĂ©signer JĂ©sus, ce n’est rien Ă  cĂ´tĂ© de ce que dit Pierre… Et d’ailleurs JĂ©sus le souligne par sa rĂ©action : « ce n’est pas toi tout seul, avec ta sagesse et ton intelligence qui a pu dire cela. C’est Dieu lui-mĂŞme qui te l’a rĂ©vĂ©lé ! »

« Tu es le Messie. » C’est le sens du mot Christ, qui en est l’Ă©quivalent grec. Le Messie (littĂ©ralement « celui qui est oint ») c’est celui qui est choisi par Dieu, celui que les prophètes ont annoncĂ© et qui devait venir pour accomplir le projet de Dieu pour l’humanitĂ©. Ainsi, pour Pierre, JĂ©sus n’est pas seulement un prophète, aussi grand soit-il. Il est celui que les prophètes ont annoncĂ©.

« Tu es le Fils du Dieu vivant. » Autrement dit, pour Pierre JĂ©sus n’est pas seulement « le Fils de l’homme », titre messianique repris par JĂ©sus lui-mĂŞme. Il est le Fils de Dieu. Il est Dieu lui-mĂŞme, venu parmi les hommes. Et c’est sans doute cela en particulier que Pierre n’a pas pu deviner tout seul…

Par sa dĂ©claration de foi, Pierre tĂ©moigne du fait qu’il a compris qui est JĂ©sus. Il l’a vraiment rencontrĂ©…

La foi chrĂ©tienne, c’est la rencontre avec le Christ vivant.

La dĂ©claration de Pierre nous recentre sur l’essentiel. Avoir la foi, c’est connaĂ®tre JĂ©sus-Christ. C’est ça l’Évangile. Pas des dogmes. Pas un système de valeurs. Pas un ensemble de rites et de contraintes.

La voilĂ , la pierre sur laquelle JĂ©sus bâtit son Église. MĂŞme si l’apĂ´tre Pierre a jouĂ© un rĂ´le spĂ©cial dans les premières annĂ©es de l’histoire de l’Église (il suffit de lire les Actes des apĂ´tres), ce n’est pas sur la personne de Pierre que JĂ©sus bâtit son Église mais sur sa confession de foi, ou sur Pierre en tant que croyant qui confesse sa foi. L’Église de JĂ©sus-Christ, c’est une communautĂ© de croyants. Et toutes les dĂ©nominations et Ă©tiquettes qui ont Ă©tĂ© inventĂ©es par la suite sont secondaires par rapport Ă  cela…

Nous avons donc dans ce rĂ©cit l’essentiel de l’Évangile dans la rĂ©vĂ©lation de la personne de JĂ©sus-Christ, Fils de Dieu. Nous avons l’essentiel de la foi dans la confession de Pierre qui reconnaĂ®t en JĂ©sus le Messie. Nous avons l’essentiel de l’Église que le Christ bâtit, avec les pierres des croyants qui confessent leur foi.

Nous l’avons dit, notre foi doit sans cesse Ă©voluer, nos convictions toujours s’affermir. Mais nous ne devons jamais perdre de vue que fondamentalement, la foi est la rencontre avec le Christ. Et qu’elle vit de sa relation avec le Christ vivant.

Une foi qui ne serait que thĂ©orique, avec des convictions abstraites, aussi fortes soient-elles, ne serait pas vraiment la foi. C’est ce que dira l’apĂ´tre Jacques dans son Ă©pĂ®tre, avec sa formule choc : « la foi sans les Ĺ“uvres est morte ». Sans une relation avec le Christ, qui se manifeste notamment dans la prière, sous toutes ses formes, la foi est morte…

La foi est la clé du Royaume de Dieu.

Il faut ici dire quelque chose des dernières paroles de JĂ©sus dans notre texte. Sans doute plus difficiles Ă  comprendre. Quelles sont ces clĂ©s du Royaume des cieux dont il parle ? Pierre a-t-il reçu un pouvoir particulier ? Est-il celui qui dĂ©cide qui entrera ou n’entrera pas dans le Paradis, comme on le voit dans la piĂ©tĂ© populaire ?

En fait, on ne peut pas dissocier cette parole de celle qui suit :

« Je te donnerai les clĂ©s du Royaume des cieux. Ce que tu refuseras sur la terre, on le refusera dans les cieux. Ce que tu accueilleras sur la terre, on l’accueillera dans les cieux. »

Et cette phrase, deux chapitres plus loin (Mt 18.18), on la retrouvera dans la bouche de Jésus mais cette fois clairement adressée à tous ses disciples :

« Je vous le dis, c’est la vĂ©ritĂ© : tout ce que vous refuserez sur la terre, on le refusera dans le ciel. Tout ce que vous accueillerez sur la terre, on l’accueillera dans le ciel. »

Cette parole souligne la responsabilitĂ© des disciples. De tous les disciples. Ils ont d’une certaine manière le pouvoir d’ouvrir ou de fermer la porte du Royaume de Dieu. Ou plutĂ´t, les clĂ©s du Royaume de Dieu sont entre leurs mains… car le Royaume de Dieu se dĂ©cide sur la terre. Ici et maintenant.

Il faut se dĂ©faire d’une vision du Royaume de Dieu, ou du Paradis, comme de la rĂ©compense rĂ©servĂ©e aux bons croyants. Ou comme une espĂ©rance ou une consolation promise seulement après la mort.

Le Royaume des cieux commence maintenant, sur terre. Dans la rencontre avec le Christ vivant. Et nous avons les clĂ©s entre nos mains. Car ces clĂ©s, ce sont celles de l’Évangile. C’est ici et maintenant que se dĂ©cide l’entrĂ©e dans le Royaume de Dieu, quand l’Évangile est partagĂ© (c’est notre responsabilitĂ© de disciples !). Quand il est reçu par la foi.

Et on voit que les premiers chrĂ©tiens l’ont compris, Pierre en tĂŞte, quand on lit le livre des Actes des apĂ´tres. AnimĂ©s par le Saint-Esprit, les disciples ont parcouru l’empire romain pour proclamer la bonne nouvelle du salut en JĂ©sus-Christ. Et en faisant cela, ils ont ouvert grand les portes du Royaume de Dieu.

Conclusion

Un jour de baptĂŞme, c’est un jour oĂą la bonne nouvelle du salut en JĂ©sus-Christ est proclamĂ©e. C’est un jour oĂą les portes du Royaume sont grandes ouvertes. Un jour oĂą chacun, et pas seulement le ou la baptisĂ©(e), peut s’interroger sur sa foi, quel que soit son propre cheminement.

Quelle est ma conviction intime et personnelle ? Ma foi se nourrit-elle d’une rencontre avec le Christ vivant ? Le Royaume des Dieu fait-il partie de ma vie, ici et maintenant ?

Toutes ces questions peuvent d’une certaine manière se rĂ©sumer Ă  celle que JĂ©sus a posĂ© Ă  ses disciples, et qu’il nous pose Ă  travers l’Ă©vangile de ce matin : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »

Membre du peuple de Dieu

image_pdfimage_print

Qui appartient au peuple de Dieu ? sur quels critères devenons-nous membres, pleinement fils et filles de Dieu ? sur quels critères Dieu nous accueille-t-il ? Par la foi me direz-vous ; mais cela a-t-il toujours été ainsi ? Et qu’est-ce que ça implique ?

Je vais lire chez le prophète Esaie, écrit aux environs de 700 av. JC. Le prophète s’est longuement adressé au peuple d’Israël, dont Dieu condamne l’hypocrisie et l’injustice. Le peuple sera puni, par l’exil (quelques décennies plus tard), mais Esaie annonce d’avance que Dieu fera grâce et ramènera son peuple chez lui. Il rassemblera les exilés, et créera de nouvelles conditions de vie, en harmonie avec Dieu, en paix avec les hommes. Ces promesses pleines d’espérance débordent le cadre historique effectif du retour des Israélites sur leur terre, et désignent à la fois le salut qu’offre Jésus, et ses conséquences le monde à venir que nous attendons encore, donc un texte qui nous concerne aussi, indirectement.

Lecture biblique: Es 56.1-8

1 Voici ce que le SEIGNEUR dit :

« Respectez le droit, faites ce qui est juste.

La libĂ©ration que j’apporte est sur le point d’arriver,vous allez dĂ©couvrir que je veux vous sauver. 2Il est heureux,celui qui fait ce que je dis, qui s’y tient solidement. Il est heureux, celui qui respecte fidèlement le sabbat, qui Ă©vite toute action mauvaise. »

 

3L’Ă©tranger qui s’est attachĂ© au SEIGNEUR  ne doit pas penser :« Le SEIGNEUR va sĂ»rement m’exclure de son peuple. »

L’eunuque ne doit pas se dire : « Je ne suis qu’un arbre sec. »

 

4En effet, voici ce que le SEIGNEUR affirme : 

« Certains eunuques respectent mes sabbats.Ils choisissent de faire ce qui me plaĂ®t et s’attachent Ă  mon alliance. 5Eh bien, Ă  l’intĂ©rieur des murs de mon temple, je leur dresserai une pierre pour y graver leur nom. Cela aura plus de valeur pour eux que des fils et des filles. Le nom que je leur donnerai restera pour toujours, il ne sera jamais effacĂ©. »

 

6 Certains Ă©trangers sont attachĂ©s au SEIGNEUR. Ils l’honorent, ils l’aiment et ils sont ses serviteurs. De ceux-lĂ , le SEIGNEUR dit : « Tous ceux qui respectent fidèlement le sabbat,

qui s’attachent Ă  mon alliance, 7je les ferai venir sur ma montagne sainte, je les remplirai de joie dans ma maison de prière. J’accepterai les sacrifices et les dons qu’ils m’offrent sur l’autel. Oui, on appellera ma maison “Maison de prière pour tous les peuples” . »

 

8Le Seigneur DIEU, lui qui a rassemblĂ© les exilĂ©s d’IsraĂ«l, dĂ©clare :

« J’ai dĂ©jĂ  rassemblĂ© des gens autour d’eux, et j’en rassemblerai encore d’autres avec eux. »

 

  1. Le critère d’une foi profonde et concrète

Dieu le Rassembleur, l’Accueillant. A ceux qu’il accueille, il ajoute encore d’autres : « venez, venez ! » Mais sur quelle base accueille-t-il ? le respect du droit, l’application de la justice (v.1). Dès le début, c’est ce que Dieu a demandé aux hommes : faire le bien, respecter sa volonté. Mais le peuple d’Israël s’est laissé croire que l’appartenance à la lignée d’Abraham, et le culte, les sacrifices, les rituels, suffisaient pour être membre de son peuple, autrement dit, pour vivre avec Dieu. Dieu remet les points sur les i : ces critères extérieurs, impersonnels, ne valent pas la piété personnelle et la mise en pratique concrète de la foi.

L’accent est mis sur deux points : le respect du  sabbat et l’absence d’action mauvaise. Peut-être que ces deux points résument une vie pieuse, une vie de croyants : le sabbat, c’est le jour de repos dans la foi juive, un jour de congé prévu pour la famille et pour Dieu. C’est un moment de recueillement, une pause hebdomadaire où l’on se recentre sur Dieu, sur ce qu’il a accompli pour nous, sur sa présence et ses projets. C’est un temps vertical, vécu seul ou en communauté, mais centré sur Dieu pour se ressourcer auprès de lui. Et à ce temps vertical répond, horizontalement avec les autres, le refus de faire le mal, de blesser ou léser autrui. Celui qui ne se met pas à l’écoute de Dieu aura bien du mal à appliquer la justice de Dieu, mais à l’inverse, celui qui apprend et écoute, sans mettre en pratique, montre que la relation avec Dieu ne l’a pas transformé… Donc une vie de foi, enracinée dans la relation intérieure avec Dieu, et manifestée par la droiture et la justice. Tous ceux qui remplissent ce critère ont leur place parmi les gens que Dieu aime.

Petit problème : même en étant très proche de Dieu, qui peut dire qu’il ne fait rien de mal ? Si on applique ce critère, le peuple de Dieu sera bien clairsemé… En plus, Esaïe a prêché la grâce de Dieu, l’invitation de Dieu à tous ceux qui lui font confiance : comment réconcilier cela avec l’injonction à vivre une vie juste ? Ce texte ne remet pas en question les bases de notre salut : c’est par la grâce que nous sommes sauvés, c’est par la seule bonté de Dieu que nous recevons son pardon, et non par nos efforts. Esaie a d’ailleurs annoncé plus que tout autre prophète l’Envoyé de Dieu qui porterait les péchés de son peuple et lui obtiendrait salut et pardon auprès de Dieu, une figure qui annonçait Jésus-Christ. Mais, que se passe-t-il après la grâce ? Qu’y a-t-il après la nouvelle chance, le nouveau départ que Jésus nous offre ? Celui qui a vraiment reçu le salut de Dieu, qui a expérimenté profondément son pardon, ne peut pas repartir comme si de rien n’était dans sa vie d’autrefois. Même si la transformation est longue, et peut-être chaotique, la transformation vers la sainteté est incontournable. C’est sûrement ainsi qu’il faut entendre le texte : dans la mesure de notre possible, choisir le bien, choisir de vivre les choses en accord avec Dieu, et refuser (de plus en plus) ce qui nous éloigne de lui ou lèse les autres. La promesse que le salut et la justice de Dieu sont imminents résonne comme une motivation à faire de notre mieux, à progresser sans cesse vers ce qui est bon.

  1. La place des marginaux

Tous ceux qui se tournent sincèrement vers Dieu et cherchent à le servir de leur mieux sont membres de plein droit de son peuple. Pour enfoncer le clou, Esaïe évoque deux cas limites, deux populations qui pourraient légitimement se croire membres de seconde zone. D’abord les étrangers : dans le peuple d’Israël, il y a le critère religieux et le critère national ! Comment donc l’étranger peut-il avoir sa place auprès du peuple d’Israël ? Certains se sont greffés, dans l’histoire, mais en restant un peu en marge. D’ailleurs, dans le Temple, pour offrir des sacrifices, des cours concentriques se succèdent : d’abord, près du Saint des Saints, les prêtres, puis les hommes juifs, puis les femmes, puis on sort, et c’est la cour des étrangers qui croient. Seconde zone !

Les eunuques sont un cas différent, mais eux aussi restent en marge : très en vogue autour du bassin méditerranéen, ces hommes privés de leur virilité s’occupaient d’abord des femmes dans les harems, puis leurs fonctions se sont généralisées dans l’administration, l’armée etc. Dès le départ, Dieu refuse ces pratiques en Israël, ne souhaitant pas qu’on dévalorise la sexualité ou qu’on la voie comme une menace. Parmi les étrangers rattachés à la foi d’Israël, il y avait donc peut-être des eunuques, mais en complet décalage avec la culture israélite, qui faisait facilement le lien entre bénédiction et descendance nombreuse.

Donc Dieu s’adresse à ces deux populations en périphérie, avec une parole spécifique. La foi suffit pour faire pleinement partie du peuple de Dieu, même quand on n’est pas juif, même quand on est eunuque.

Aux étrangers, Dieu promet un jour les mêmes conditions spirituelles qu’aux Juifs : l’accès à la montagne sainte symbole de la présence divine, le droit d’offrir des sacrifices pleinement valides, une jubilation pleine et entière. Les étrangers attachés à Dieu seront pleinement citoyens de son peuple, autant que les croyants descendant directement d’Abraham. Cette promesse, nous la voyons se réaliser dans l’Eglise, qui s’est ouverte à tous sur le critère de la foi ! Tous, d’origine juive ou pas, ont reçu le même pardon, le même salut, le même Esprit – la foi suffit.

Aux eunuques, Dieu promet une postérité meilleure que le nom perpétué par une descendance : il prend l’image d’une stèle qui porte le nom du croyant, pour toujours ! Non, le croyant sans enfant ne sombrera pas dans l’oubli, mais Dieu lui réserve une place de choix, un relief éternel.

Alors en Israël, il y avait des croyants situés très clairement à la périphérie du peuple. Loin de nous cette pratique ! Tous ont leur place dans l’église, tous sont égaux !

Et pourtant… Nombre d’entre nous se demandent ou se sont demandé s’ils sont assez, s’ils ne sont pas inférieurs à d’autres, avec plus d’ancienneté ou un statut social plus haut… Peut-être aussi que des croyants d’ailleurs peinent à se sentir vraiment intégrés, membres à part entière, dans notre communauté.

Je pense aussi aux discussions anodines qui s’avèrent parfois gĂŞnantes : alors, tu es marié ? Tu as des enfants ? Et sinon, tu fais quoi dans la vie ? Le cĂ©libataire et/ou sans enfants, et/ou sans travail, se sentira bien vite exclu ! Sans parler des questions rĂ©currentes, bien intentionnĂ©es mais peut-ĂŞtre blessantes, Ă  la longue : « alors, c’est pour quand ?… » Comme si l’autre n’était pas complet tant qu’il n’y a pas de conjoint/d’enfant/…

Et dans notre pratique : plus facile d’inviter un couple qu’un célibataire le dimanche midi ! Plus facile d’inviter quelqu’un qui me ressemble ! En pratique, malgré nous, nous établissons bien souvent des frontières, voire un modèle de chrétien idéal (p. ex. marié, avec enfants, travail, santé…) qui peut vite repousser les « autres », comme s’il leur manquait quelque chose de fondamental.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas poser de question pour se présenter ! Mais ce texte nous invite à redéfinir notre regard sur l’autre, à voir la valeur que Dieu donne maintenant à chacun… Car Dieu offre aux stériles le fruit d’une vie avec lui, et aux célibataires la chaleur de sa présence fidèle, il accorde aux chômeurs une valeur mémorable, il promet aux malades la vigueur de son Esprit…

Et de même que Dieu a rappelé aux Israélites que l’essentiel, c’est une relation profonde avec lui qui porte des fruits visibles, peut-être que Dieu veut nous interpeler nous aussi, et pas seulement sur notre façon d’accueillir. Car l’essentiel pour un père de famille, pour une épouse, pour une médecin ou un chef d’entreprise, n’est-il pas aussi en Dieu ? le critère du sens de notre vie, la source de notre joie profonde, qui que nous soyons et quoi que nous fassions, c’est Dieu ! Dieu qui sauve, Dieu qui rassemble, Dieu qui redonne espoir ! Et bien sûr que nous pouvons trouver joie et accomplissement, sentiment d’appartenance, dans notre famille et/ou notre travail, mais en premier, notre joie vient du Dieu sauveur !

Conclusion

Dieu accueille tous ceux qui l’aiment, quels qu’ils soient. Il les accueille de la même façon, sur la base de la foi, et leur accorde la même valeur. Cet accueil nous interpelle sur notre propre relation avec Dieu et nous invite à nous recentrer sur l’essentiel, à chercher toujours davantage une relation nourrie avec Dieu, transformatrice, porteuse de fruits concrets dans notre quotidien. Mais Dieu nous interpelle aussi sur le regard que nous portons sur l’autre, différent, et nous invite à voir en lui un homme, une femme, que Dieu aime pleinement, à qui il donne sens et valeur, bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Alors que Dieu, le Rassembleur, l’Accueillant, nous conduise pour devenir une communauté soudée, fraternelle et bienveillante, où chacun trouve sa place.

Réhabiliter Zachée !

image_pdfimage_print

 

Lecture biblique : Luc 19.1-10

Le regard traditionnel sur ZachĂ©e voit en lui un mĂ©chant collecteur de taxes, malhonnĂŞte, qui a besoin de se repentir, de changer de vie, pour ĂŞtre sauvĂ©. On voit alors dans sa rencontre avec JĂ©sus l’occasion pour lui de se convertir : c’est Ă  ce moment-lĂ  qu’il dĂ©cide de rĂ©parer ses torts et de rembourser gĂ©nĂ©reusement ceux qu’il a extorquĂ©. Alors JĂ©sus affirme qu’il est sauvé !

Sauf que ce n’est pas forcĂ©ment ce que dit le texte… MalgrĂ© la traduction de certaines versions françaises, au verset 8, ZachĂ©e ne parle pas au futur. Il ne dit pas : « DĂ©sormais je vais donner la moitiĂ© de mes richesses aux pauvres et je vais rembourser au quadruple celui Ă  qui j’ai pris trop d’argent. ». Il dit : « Ecoute, Seigneur ! Je donne la moitiĂ© de mes richesses aux pauvres et si j’ai pris trop d’argent Ă  quelqu’un, je lui rend quatre fois plus ! ». Il ne dit pas ce qu’il va dĂ©sormais faire mais ce qu’il fait dĂ©jĂ .

En fait, c’est comme s’il disait Ă  JĂ©sus : « Tu sais, je ne suis pas comme ce que les gens disent de moi. Je ne mĂ©rite pas ma rĂ©putation… » Car d’oĂą vient la rĂ©putation de ZachĂ©e ? De ce que disent les foules de lui : « VoilĂ  que JĂ©sus s’arrĂŞte chez un pĂ©cheur ! » Tout est dit : ZachĂ©e est un collecteur de taxes, donc c’est un pĂ©cheur !

Il faut dire que les collecteurs d’impĂ´ts n’avaient pas bonne rĂ©putation. Ils Ă©taient la figure mĂŞme du collaborateur Ă  la solde de l’occupant romain : ils collectaient les taxes pour l’envahisseur. Et ils avaient souvent tendance Ă  s’en mettre un peu dans les poches au passage… Qu’est-ce qu’on disait alors des collecteurs de taxes ? Ils sont tous pourris !

JĂ©sus, lui, a une toute autre attitude puisqu’il dit Ă  ZachĂ©e qu’il veut manger chez lui. Qu’est-ce qui l’a dĂ©cidĂ© Ă  le faire ? Peut-ĂŞtre le fait de le voir, ainsi, monter sur un arbre Ă  son passage. Une attitude qui n’est pas très digne d’un homme de son statut social… et qui traduit surtout son ardent dĂ©sir de rencontrer JĂ©sus. Peut-ĂŞtre JĂ©sus a-t-il vu que ZachĂ©e n’Ă©tait pas un collecteur de taxes comme les autres.

Car, il faut le dire, JĂ©sus ne se laissait pas enfermer dans les a priori sur les gens. Ce n’est pas la première fois qu’il approchait un collecteur de taxes. Il a mĂŞme appelĂ© l’un d’eux Ă  devenir son disciple et il l’a ensuite choisi pour faire partie des 12 apĂ´tres. Il s’agit de Matthieu (appelĂ© LĂ©vi). JĂ©sus mangeait aussi avec les collecteurs de taxes, comme avec tous ceux qu’on rejetait ou qu’on considĂ©rait comme pĂ©cheur. Les Ă©vangiles nous disent mĂŞme que plusieurs suivaient JĂ©sus.

Jean le baptiste, lui aussi, a vu des collecteurs de taxes venir Ă  lui. Et lui non plus ne les a pas chassĂ©s. Il leur disait seulement d’ĂŞtre intègre dans leur tâche :

« Des collecteurs des taxes aussi vinrent pour recevoir le baptĂŞme ; ils lui demandèrent : MaĂ®tre, que devons-nous faire ? Il leur dit : N’exigez rien au-delĂ  de ce qui vous a Ă©tĂ© ordonnĂ©. » (Luc 3.12-13)

Et si ZachĂ©e avait reçu le baptĂŞme de Jean ? On n’en sait rien, Ă©videmment, mais pourquoi pas ? Ca expliquerait son attitude intègre, peut-ĂŞtre mĂŞme suite Ă  son baptĂŞme. Ca expliquerait aussi son dĂ©sir de rencontrer JĂ©sus : Jean-Baptiste n’avait-il pas annoncĂ© que le Messie allait venir Ă  sa suite ?

Ce sont, bien-sĂ»r, des conjectures. Mais ce qui est sĂ»r, c’est que le texte de l’Ă©vangile laisse bien entendre que ZachĂ©e avait dĂ©jĂ  une attitude intègre avant de rencontrer JĂ©sus. Tous les collecteurs de taxes n’Ă©taient donc pas des pourris ! Mais les foules n’Ă©taient pas capables de le voir, semble-t-il…

JĂ©sus, lui, non seulement dĂ©cide d’aller manger chez ZachĂ©e mais il ne lui fait aucun reproche, il ne lui demande mĂŞme pas de changer d’attitude. Il accueille au contraire ce que ZachĂ©e dit de son intĂ©gritĂ© avec joie : « Aujourd’hui le salut est venu dans cette maison ! » De plus, il le rĂ©habilite aux yeux de tous : « ZachĂ©e aussi est de la famille d’Abraham ! »

La conclusion du rĂ©cit : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui Ă©tait perdu » s’adresse donc peut-ĂŞtre moins Ă  ZachĂ©e qu’Ă  ceux qui le jugeaient… « Ne jugez pas afin de ne pas ĂŞtre jugĂ©s ! »

Les leçons de cet épisode

Je vous propose de tirer des leçons de ce rĂ©cit non pas en se demandant s’il faut ou pas agir comme ZachĂ©e mais en considĂ©rant l’attitude de ceux qui entourent ZachĂ©e. Et dans ce cas, je crois qu’on peut dire que nous devons prendre exemple sur JĂ©sus et considĂ©rer la foule comme un contre-exemple Ă  ne pas suivre :
La foule juge et enferme ZachĂ©e dans ses a priori : c’est un collecteur de taxe donc c’est un pĂ©cheur !
JĂ©sus accueille ZachĂ©e tel qu’il est et sait le reconnaĂ®tre Ă  sa juste valeur : c’est un fils d’Abraham !

Toute l’histoire de ZachĂ©e est rĂ©sumĂ©e par ces deux affirmations : c’est un pĂ©cheur ou c’est un fils d’Abraham.

Pour la foule, Zachée est un pécheur !

Pour la foule, dire de ZachĂ©e « c’est un pĂ©cheur », c’est l’enfermer dans une catĂ©gorie. Les pĂ©cheurs, ce sont les gens Ă  ne pas frĂ©quenter. Ce sont les infidèles, les impurs, les gens de mauvaise vie. Pour la foule, ZachĂ©e est de ceux-lĂ . Il est dĂ©jĂ  jugé ! Victime des a priori.

Nous avons tous des a priori sur les gens. Mais il faut prendre conscience qu’ils sont autant de prisons qui enferment les autres… et nous-mĂŞmes.

Ne souffrons-nous pas lorsque nous sommes victime d’a priori ? Je suis sĂ»r qu’en tant que chrĂ©tien, peut-ĂŞtre plus encore en tant que protestant Ă©vangĂ©lique, vous avez dĂ©jĂ  Ă©tĂ© confrontĂ© Ă  des a priori des gens Ă  votre Ă©gard. Convaincus que les chrĂ©tiens c’est comme ça, ils pensent ceci et ne font pas cela. Et ce n’est pas agrĂ©able…

Mais nous avons aussi nos a priori sur les autres. Regardez autour de vous. Que pensez-vous des gens que vous voyez ? Que savez-vous vraiment d’eux ? Quelle est la part d’a priori dans votre jugement sur eux ? Avez-vous dĂ©jĂ  collĂ© une Ă©tiquette sur leur front ?

Pour sortir de nos a priori, il y a deux règles d’or :
– Il faut se mĂ©fier des apparences.
– Il faut rejeter les Ă©tiquettes.

Les apparences sont trompeuses. La première impression que vous avez de quelqu’un est très rarement conforme Ă  la rĂ©alitĂ©. Et pourtant, on en reste si souvent Ă  cette première impression… Passez du temps avec quelqu’un, apprenez Ă  le connaĂ®tre vraiment et vous dĂ©couvrirez quelqu’un d’autre. En bien ou en mal d’ailleurs…

Il faut rejeter les Ă©tiquettes. C’est pourtant tellement facile. On classe les gens en catĂ©gories et on les y enferme. Les politiciens. Les artistes. Les patrons. Les pasteurs (!) Ou alors les non-chrĂ©tiens. Les « gens du monde ». Ou mĂŞme les catholiques. Les pentecĂ´tistes… Et derrière ces Ă©tiquettes, on met en gros tout le monde dans le mĂŞme panier.

Mais enfermer l’autre dans ses a priori, c’est refuser de le rencontrer tel qu’il est ! Et c’est, d’une certaine manière, le juger…

Pour JĂ©sus, ZachĂ©e est un fils d’Abraham !

Pour JĂ©sus, dire « c’est un fils d’Abraham », c’est reconnaĂ®tre en ZachĂ©e un frère, un homme de foi. Et le dire publiquement, c’est inviter les autres Ă  faire de mĂŞme et changer de regard sur lui.

JĂ©sus, lui, savait reconnaĂ®tre la vraie valeur des gens et ne pas se laisser piĂ©ger par les apparences ou la rĂ©putation. Alors bien-sĂ»r, on n’arrivera jamais Ă  ĂŞtre comme JĂ©sus. Il n’empĂŞche, JĂ©sus n’allait pas tout seul voir ZachĂ©e et les gens de mauvaise rĂ©putation qu’il n’hĂ©sitait pas Ă  rencontrer. Il emmenait ses disciples avec lui ! N’est-ce pas aussi pour leur montrer l’exemple et les inviter Ă  faire de mĂŞme ?

N’y a-t-il pas pour nous un dĂ©fi Ă  accueillir comme JĂ©sus accueille, Ă  regarder comme JĂ©sus regarde ? N’est-ce pas ainsi que nous pourrons glorifier Dieu dans nos relations ?

« Accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu. » (Romains 15.7)

Sommes-nous prêts à changer notre regard ?
Sommes-nous prêts à aller au-delà des apparences et des réputations ? A aller vraiment à la rencontre des autres, à nous laisser surprendre par eux ?
Sommes-nous prĂŞts Ă  croire que les gens peuvent changer ou les enfermons-nous Ă  tout jamais dans des a priori, incapable de retirer l’Ă©tiquette que nous avons collĂ© sur leur front ?

Conclusion

L’histoire de ZachĂ©e est donc peut-ĂŞtre moins l’histoire d’un pĂ©cheur qui se repent que d’un homme victime de sa rĂ©putation. Nous sommes comme la foule, victimes de nos a priori. Et l’accueil du Christ nous invite Ă  changer notre regard. Non seulement sur ZachĂ©e, mais aussi sur notre prochain !

L’offrande de la pauvre veuve

image_pdfimage_print

 

La semaine dernière, je vous ai proposĂ© un autre regard sur l’histoire de David et Goliath. Et comme ça a visiblement plu Ă  plusieurs, je vous propose ce matin de lire un autre rĂ©cit assez connu, dans le Nouveau Testament cette fois, et de le voir aussi d’un regard diffĂ©rent. Il s’agit de l’Ă©pisode de l’offrande de la pauvre veuve.

Ici, je suis redevable Ă  un collègue pasteur qui, lors d’une pastorale il y a quelques annĂ©es, m’a ouvert les yeux sur ce texte, si bien que je ne peux plus le lire aujourd’hui comme avant.

Marc 12.41-44
41 Dans le temple, il y a un endroit oĂą les gens donnent de l’argent en offrande. JĂ©sus s’assoit en face et il regarde ce qu’ils font. De nombreux riches mettent beaucoup d’argent. 42 Une veuve pauvre arrive, et elle met deux pièces qui ont très peu de valeur. 43 Alors JĂ©sus appelle ses disciples et leur dit : « Je vous le dis, c’est la vĂ©ritĂ© : cette veuve pauvre a donnĂ© plus que tous les autres. 44 En effet, tous les autres ont mis de l’argent qu’ils avaient en trop. Mais elle, qui manque de tout, elle a donnĂ© tout ce qu’elle possĂ©dait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

Traditionnellement, on loue la gĂ©nĂ©rositĂ© remarquable de cette pauvre femme qui, proportionnellement, donne beaucoup plus que les riches qui, eux, donnent de leur superflu. Elle, elle donne de son nĂ©cessaire, tout ce qu’elle a pour vivre.

Je ne veux pas complètement nier cette interprétation. Mais est-ce vraiment la leçon que nous devons retirer de cet épisode ? Nous faut-il prendre en exemple cette femme et faire de même ? Pour répondre à cette question, le contexte de ce récit est particulièrement intéressant.

Qu’avons-nous juste avant ? Un discours sĂ©vère de JĂ©sus Ă  l’Ă©gard des maĂ®tres de la loi :

Marc 12
38 JĂ©sus dit dans son enseignement : « Attention ! Ne faites pas comme les maĂ®tres de la loi ! Ils aiment se promener avec de grands vĂŞtements, ils aiment qu’on les salue sur les places de la ville. 39 Ils choisissent les premiers sièges dans les maisons de prière et les premières places dans les grands repas. 40 Ils prennent aux veuves tout ce qu’elles ont, et en mĂŞme temps, ils font de longues prières, pour faire semblant d’ĂŞtre bons. Ă€ cause de cela, Dieu les punira encore plus que les autres. »

Avez-vous remarquĂ© cette expression au verset 40 : « Ils prennent aux veuves tout ce qu’elles ont » ? LittĂ©ralement : « ils dĂ©vorent les maisons des veuves ». Ils privent les veuves, une population particulièrement pauvre et fragile Ă  l’Ă©poque, de leurs biens, de leurs moyens de subsistance. Et comment le font-ils ? En leur imposant un fardeau lĂ©galiste qu’elles ne devraient pas porter !

Et juste après ce discours, nous avons l’Ă©pisode de l’offrande de la pauvre veuve, qui met dans le tronc tout ce qu’elle avait pour vivre… Ce n’est pas une coĂŻncidence !

Et cela se confirme si on considère ce qui se trouve juste après notre Ă©pisode : l’annonce, par JĂ©sus, de la destruction du temple :

Marc 13
« 1 Ensuite, Jésus sort du temple, et un de ses disciples lui dit : « Maître, regarde ! Quelles belles pierres ! Quels grands bâtiments ! » 2 Jésus lui dit : « Tu vois ces grands bâtiments. Eh bien, il ne restera pas ici une seule pierre sur une autre, tout sera détruit. »

Autrement dit, nous voyons une pauvre veuve qui donne de son nĂ©cessaire, tout ce qu’elle a pour vivre, pour un temple qui va bientĂ´t ĂŞtre dĂ©truit…

Est-ce que tout cela ne doit pas nous mettre la puce Ă  l’oreille ? Quand l’apĂ´tre Paul organise la collecte en faveur des chrĂ©tiens de JĂ©rusalem, il invite bien-sĂ»r Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ© mais il prĂ©cise aussi qu’il ne s’agit pas pour ses lecteurs de se mettre sur la paille mais de donner en fonction de leurs moyens ! « Car il ne s’agit pas de vous exposer Ă  la dĂ©tresse pour le soulagement des autres, mais de suivre une règle d’Ă©galité » (2 Corinthiens 8.13).

Est-il juste que cette veuve, déjà en situation de précarité, se mette sur la paille en apportant son offrande au temple ? Je ne pense pas !

D’ailleurs, pourquoi JĂ©sus se met-il Ă  regarder comment les gens dĂ©posait de l’argent dans la TrĂ©sor du Temple ? Vous pensez qu’il ne savait pas ce qui se passait ? C’est plutĂ´t qu’il s’attendait Ă  voir quelque chose de prĂ©cis. Et quand la veuve y dĂ©pose ses deux petites pièces, JĂ©sus le fait aussitĂ´t remarquer Ă  ses disciples, comme si c’Ă©tait exactement ce qu’il attendait de voir. Comme s’il leur disait : « vous voyez, c’est bien ce que je vous disais Ă  propos des maĂ®tres de la loi qui mettent les veuves sur la paille ! »

Le rĂ©cit de l’offrande de la pauvre veuve ne serait pas alors un exemple de gĂ©nĂ©rositĂ© Ă  suivre mais un dramatique exemple d’un système injuste entretenu pour les autoritĂ©s religieuses. La preuve que ce que JĂ©sus dit des maĂ®tres de la loi est vrai : « ils dĂ©vorent les maisons des veuves » !

JĂ©sus ne dit d’ailleurs pas Ă  ses disciples : « Regardez cette veuve et faites comme elle ! » Evidemment, il ne reproche rien non plus Ă  cette femme. Elle est, certes, très gĂ©nĂ©reuse. Mais JĂ©sus la dĂ©signe avant tout comme une victime des chefs religieux qui exigent d’elle ce qu’elle ne devrait pas devoir donner.

Quelles leçons tirer de ce récit ?

Leçon 1 : L’institution religieuse peut ĂŞtre source d’injustice et d’oppression.

Dans cette sĂ©quence qui inclut l’Ă©pisode de l’offrande de la veuve mais aussi les paroles qui prĂ©cèdent et qui suivent, il y a de la part de JĂ©sus une critique de l’institution religieuse. JĂ©sus dĂ©nonce une forme d’injustice et d’oppression des plus fragiles. Le tout justifiĂ© par l’enseignement des chefs religieux. Leur lĂ©galisme obtus pousse des pauvres veuves Ă  se mettre sur la paille !

Et dans les évangiles, la destruction du temple que Jésus annonce est perçue aussi comme une forme de jugement de Dieu.
En réalité, le christianisme devrait être une religion sans temple, sans lieu sacré. Voyez les paroles de Jésus à la femme Samaritaine :

Jean 4
21 JĂ©sus lui dit : « Crois-moi, femme, l’heure vient oĂą ce n’est ni sur cette montagne ni Ă  JĂ©rusalem que vous adorerez le Père. (…) 23 Mais l’heure vient, elle est lĂ , oĂą les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vĂ©ritĂ© ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.

Ca ne veut pas dire qu’il ne faut pas de temple ou d’Ă©glise, qu’il ne faut pas prĂŞter attention aux lieux de culte. Mais bien que les personnes comptent plus que les bâtiments, ce sont les pierres vivantes des croyants qui sont l’Eglise.

Le christianisme devrait ĂŞtre aussi une religion mĂ©fiante de l’institution religieuse, surtout quand celle-ci prend la place qui revient Ă  Dieu. Relisez l’Ă©pĂ®tre aux HĂ©breux, oĂą JĂ©sus apparaĂ®t comme l’unique grand prĂŞtre, le seul intermĂ©diaire entre Dieu et les hommes ! Tous les croyants sont prĂŞtres, c’est ce qu’on appelle le sacerdoce universel.

Ca ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir de structure d’Eglise, avec des responsables et des ministères particuliers. Mais il faut rester vigilant quant Ă  l’institution. Le problème de l’institution religieuse, c’est quand elle devient une fin en soi : les clercs assoient leur autoritĂ©, les structures sont plus importantes que les personnes, le dogme prend le pas sur la vie.

Dans ce cas, l’institution religieuse peut devenir source d’injustice, d’oppression… et d’une certaine façon prendre la place de Dieu !

Leçon 2 : On peut ĂŞtre gĂ©nĂ©reux de bien des façons… et nul besoin de se mettre sur la paille pour cela.

C’est peut-ĂŞtre ici plus un prolongement qu’une application directe de notre texte mais on peut sans doute dire quelque chose de la gĂ©nĂ©rositĂ© Ă  partir de ce rĂ©cit. Certes, la pauvre veuve fait preuve d’une grande gĂ©nĂ©rositĂ©… mais elle semble bien manipulĂ©e par les exigences folles des chefs religieux. Sous leur pression, elle se met en danger.

Il faut donc commencer par dire qu’on peut ĂŞtre gĂ©nĂ©reux de bien des façons, sans forcĂ©ment se mettre sur la paille. D’abord parce que la gĂ©nĂ©rositĂ© n’est pas qu’une affaire d’argent. Elle est aussi affaire d’attention, d’Ă©coute, de temps consacrĂ© Ă  l’autre… On ne peut ĂŞtre gĂ©nĂ©reux que de ce que l’on a. Du temps, on en a tous ! Et on n’est pas toujours prĂŞt Ă  le donner…

La gĂ©nĂ©rositĂ© est une affaire personnelle, un appel que chacun doit entendre. A chacun de voir comment il peut y rĂ©pondre, en fonction de ses moyens. La gĂ©nĂ©rositĂ© est finalement relative. Dans notre rĂ©cit, les riches qui donnent beaucoup ne sont pas forcĂ©ment gĂ©nĂ©reux… Il n’y a pas grand mĂ©rite Ă  donner ce dont on est riche !

Nous sommes tous appelĂ©s Ă  entendre l’appel Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ© mais pour soi-mĂŞme, pas pour les autres. Nous n’avons pas Ă  dire comment les autres doivent ĂŞtre gĂ©nĂ©reux. C’est trop facile d’exiger la gĂ©nĂ©rositĂ© des autres… surtout quand on est soi-mĂŞme riche ! Et c’est encore pire quand on le fait avec des motifs religieux comme dans notre rĂ©cit !

La question de la gĂ©nĂ©rositĂ© est personnelle, individuelle. Comment, moi, je pourrais ĂŞtre plus gĂ©nĂ©reux ? Plus gĂ©nĂ©reux avec mon argent, avec mon temps, avec mes dons et capacitĂ©s, avec mes prières…

Conclusion

L’Ă©pisode de l’offrande de la pauvre veuve s’avère donc ĂŞtre d’abord une flagrante injustice, qui met en danger une femme en situation prĂ©caire. Et cela par la faute des chefs religieux ! C’est un scandale !

Je vous le dis (avec humour) : mĂ©fiez-vous des prĂŞtres ! Et mĂ©fiez-vous des pasteurs ! Mais examinez toutes choses et retenez ce qui est bon… Et voyez comment, vous-mĂŞmes, vous pouvez vous montrer demain plus gĂ©nĂ©reux qu’aujourd’hui, avec les moyens qui sont les vĂ´tres !