Archives mensuelles : mars 2015

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L’humilité et la gloire

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Lecture biblique : Philippiens 2.6-11

C’est aujourd’hui le dimanche des Rameaux où nous lisons le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem. Cet hymne de Philippiens 2 permet d’éclairer ce récit de façon intéressante.

L’entrée de Jésus à Jérusalem est pleine de paradoxes : acclamé par la foule comme un Roi entrant dans la ville, c’est pourtant vers son supplice que Jésus se dirige. Cette même foule criera quelques jours plus tard : « crucifie-le ! »

Un paradoxe auquel répond le contraste saisissant de l’hymne de Philippiens 2, entre l’humiliation et la gloire, à la fois celle qui précède et qui suit l’humiliation du Christ jusqu’à la croix.

Jésus entre à Jérusalem sur le dos d’un âne. Ce n’est pas une monture indigne d’un roi, notamment en temps de paix. On préférera le cheval sur le champ de bataille ! C’est donc bien dans la posture d’un roi que Jésus entre à Jérusalem et qu’il est acclamé. Pourtant son entrée n’est pas triomphaliste mais humble : l’évangile précise que c’est sur un simple ânon qu’il s’assied…

Jésus entre donc à Jérusalem comme un roi en temps de paix… mais il y rencontrera la haine et la violence des hommes. Il entre à Jérusalem humblement sur le dos d’un ânon… mais il subira l’humiliation suprême d’un procès injuste, des moqueries et de la mort infamante de la crucifixion.

En réalité, l’entrée de Jésus à Jérusalem est à l’image de l’incarnation, de la venue du Fils de Dieu sur terre en tant qu’homme. Celui qui entre à Jérusalem si humblement est bien celui qui est né dans une étable au sein d’une famille modeste plutôt que dans le palais de la capitale. Et l’incarnation est bien au cœur de l’hymne de Philippiens 2 où le Fils accepte de quitter la gloire pour venir sur terre. Le Roi choisit de devenir humble serviteur, le Fils de Dieu entre à Jérusalem sur le dos d’un ânon.

Mais il est aussi question de gloire le jour des Rameaux. Une gloire, certes, paradoxale qui se manifeste dans les acclamations de la foule. Des acclamation superficielles mais bel et bien annonciatrices de la gloire à venir pour le Christ. Cette gloire éclatante que l’hymne de Philippiens 2 annonce, le jour où tout genou fléchira devant lui.

Humilité et gloire sont donc les points commun aux deux textes. Mais nous allons maintenant nous centrer sur l’hymne de Philippiens 2.

L’humilité au coeur

Si l’idée d’humilité est au cœur de cet hymne, elle est aussi au cœur de la Bible en général. Dans l’Ancien Testament, de nombreux textes évoquent Dieu qui abaisse les orgueilleux et élève les humbles. Dans son enseignement, Jésus prolonge cette insistance sur l’humilité, par exemple en affirmant que le Royaume de Dieu appartient à ceux qui sont comme des petits enfants. Dans cette perspective, l’hymne christologique de Philippiens 2 sert de point d’appui à une exhortation au service mutuel, dans l’humilité, en considérant les autres comme supérieurs à nous-mêmes.

L’humilité apparaît comme une valeur suprême du Royaume de Dieu, avec le petit enfant comme modèle de citoyen du Royaume et le service comme norme dans les relations au sein du Royaume de Dieu.

Avouons-le, nous sommes là à l’opposé de l’esprit de notre monde d’aujourd’hui, où c’est la performance qui est valorisée, où la réussite est celle qui se voit, qui s’affiche sur Internet, peu importe si c’est au détriment des autres.

Or, on ne peut pas être humble seul. L’humilité se mesure dans notre relation aux autres. Elle dépend autant du regard qu’on porte sur les autres que du regard qu’on porte sur soi. Il s’agit de considérer les autres comme supérieurs, pas de se considérer comme inférieur aux autres. C’est une nuance qui a de l’importance. Être humble, c’est se faire serviteur de mon prochain. Ce n’est pas dire « je ne vaux rien » mais c’est choisir de s’ouvrir à l’autre, ses attentes et ses besoins.

L’humilité est un choix, pas un trait de caractère que certains auraient et d’autres pas. On n’est pas humble comme on serait enjoué, colérique, optimiste ou perfectionniste ! On choisit l’humilité ou on ne la choisit pas. On prend exemple sur le Christ ou pas…

La gloire, mais quelle gloire ?

Notre texte parle aussi de gloire. Mais de quelle gloire ? La gloire des hommes est versatile : l’épisode des Rameaux l’illustre de façon évidente. L’hymne de Philippiens 2 nous invite à chercher une autre gloire. La seule gloire que nous devions rechercher est celle que Dieu donne. Or il ne la donne qu’aux humbles…

Le lien entre l’humilité du Christ et sa gloire est explicitement fait dans le texte de Philippiens 2. Les souffrances et l’humiliation du Christ y apparaissent comme la marque suprême de sa gloire : « Il s’est fait serviteur… jusqu’à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé… » (v.8-9). C’est à cause de son humiliation, à cause de sa mort sur la croix, que le nom du Christ est élevé au-dessus de tous les autres noms.

On pourrait même dire que la gloire du Christ est dans son humiliation. Sa gloire, c’est d’avoir été serviteur jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Et cette gloire ne vient pas des hommes qui l’ont crucifié mais de Dieu qui l’a envoyé et qui l’a ressuscité !

Certes, un jour nous serons dans la gloire de la présence même de Dieu, avec le Christ devant qui toute la terre se prosternera. Mais ça, ce sera pour plus tard. Aujourd’hui, nous sommes bien souvent plutôt dans la posture de l’humble serviteur, parfois même humilié. Et dans ces conditions, aujourd’hui, notre gloire, c’est de faire la volonté de Dieu, c’est de se savoir aimé par Dieu, c’est de choisir au nom du Christ de nous faire serviteur de notre prochain.

Conclusion

Examiner le récit des Rameaux à l’aune de l’hymne christologique de Philippiens 2 lui donne un relief particulier. C’est tout le drame de l’incarnation qui s’y manifeste. L’entrée de Jésus à Jérusalem, c’est la venue du Fils de Dieu fait homme, comme un roi humble apportant la paix, un roi serviteur de l’humanité.

Mais là où les acclamations de la foule devaient avoir un goût amer pour Jésus, conscient que le vent allait vite tourner pour lui, l’hymne de l’épître aux Philippiens évoque la gloire que Dieu donne à son Fils, et celle à venir au jour où tous fléchiront le genou devant lui.

En tant que disciples de Jésus, notre modèle se trouve dans le Christ renonçant à sa gloire pour se faire serviteur, il est dans ce roi humble marchant vers son supplice prochain. Notre vie de disciples du Christ ici-bas n’est pas toujours glorieux au sens humain du terme… mais notre gloire se trouve ailleurs : dans le regard que notre Dieu porte sur nous. C’est sa gloire que nous voulons rechercher, pas celle des hommes !

Pour une relation nouvelle avec Dieu

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Lecture biblique: Jean 2.13-25

Jean nous dévoile un Jésus ébouriffant : en entrant dans le Temple, il se fabrique un fouet de cordes et se met à chasser les vendeurs installés dans le Temple, renverse les stands et éparpille la monnaie des bureaux de change. Avec fracas, il disperse tout le monde et fait place nette, et les quelques mots qu’il adresse aux vendeurs comme aux autorités juives, sont péremptoires et mystérieux. Ses gestes violents et ses paroles étranges réveillent l’image pâlotte que l’on se fait souvent, d’un Jésus doux et calme, tendre et paisible.

Si Jean décide de nous dévoiler ce Jésus enflammé, dès le début de son ministère, alors qu’il se montre assez sélectif dans les actes de Jésus, préférant retranscrire ses discours, c’est qu’il veut nous montrer comme cet acte est révélateur de la mission et de l’identité du Christ.

1)    Jésus le Fils vient purifier le culte

D’abord, voyons de plus près quelle est la situation qui suscite une action aussi dramatique de la part de Jésus. Des vendeurs d’animaux et des changeurs de monnaie sont installés dans le temple de Jérusalem, lieu de culte, lieu de rencontre privilégié entre Dieu et son peuple. Autour du centre sacré du Temple, différentes cours accueillent les adorateurs : d’abord, au plus près, les prêtres, puis, les Israélites, puis les femmes d’Israël, puis, tout autour, un dernier parvis, plus vaste, où viennent prier les croyants d’origine non-juive.

Que font là les vendeurs et les changeurs de monnaie ? Comme la plupart des croyants ne vivent pas à Jérusalem ni même en Israël, mais viennent souvent de loin pour rendre un culte à Dieu, certains ont eu l’idée de proposer, à l’origine, en face du Temple des lieux où acheter les victimes à sacrifier (c’est quand même pratique de ne pas venir de Grèce ou d’Egypte en tirant son mouton ou son bœuf derrière soi !). De même, les changeurs de monnaie permettent de changer l’argent étranger en monnaie du temple, la seule à être acceptée pour payer l’impôt du Temple qui concerne tous les juifs adultes. Avec le temps, ces stands se sont déplacés jusque dans la cour la plus excentrée, faisant de cette cour non plus un lieu de culte pour les non-juifs mais une sorte de marché religieux.

Qu’est-ce qui énerve Jésus au point de tout chambouler, et de chasser tous ces commerçants ? Ce n’est pas tellement le commerce qui pose problème (nous pourrons continuer les stands de librairie à Noël !), mais plutôt le trouble, le bruit, l’agitation qui empêchent le recueillement devant Dieu. Comme si quelqu’un passait dans les rangs de l’église, au milieu du culte, en criant : « Demandez la feuille de culte ! Demandez une Bible ! Ca vous fera 1,50 euros ! » … Ce serait moins une aide qu’un obstacle au culte !

Jésus veut donc rectifier la situation en poussant les perturbateurs à laisser la place libre et calme pour le culte, en retournant dehors. Il le fait de manière pour le moins énergique, mais il faut bien ça pour déplacer des moutons et des bœufs !

Pourquoi Jésus prend-il cette initiative ? Parce que Jésus n’est pas un simple adorateur qui trouve qu’on ne s’entend plus prier, mais il est Dieu le Fils lui-même parmi les hommes, et ce parasitage du culte le fait sortir de ses gonds. C’est en tant que Dieu qu’il vient purifier le culte, qu’il vient recentrer l’attention des adorateurs sur ce qui est essentiel : la relation avec Dieu. Jésus vient pour restaurer notre relation avec Dieu, pour que ces rencontres soient vraies, authentiques, et que nous puissions vraiment nous approcher de Dieu, nous mettre à son écoute et nous confier à lui. C’est son but en venant sur terre, sa passion en quelque sorte, et c’est ce qui le conduit à repousser le secondaire à sa place.

Les vendeurs et les changeurs installés dans le temple, a priori pour des bonnes raisons, nous interrogent sur nos pratiques. Est-ce que parfois, même pour des bonnes raisons, nous n’en venons pas à nous décentrer nous aussi de Dieu et de l’essentiel ? Quelles sont les choses censées nous aider dans notre relation avec Dieu qui deviennent des obstacles ? des diversions ? Est-ce que nous avons des principes, des habitudes, qui prennent le pas sur l’essentiel, sur notre relation avec Dieu, lors du culte communautaire, lors de nos rencontres en semaine, ou dans notre intimité personnelle avec Dieu ?

2)   Jésus l’Agneau   annonce le culte véritable

Devant cette initiative de Jésus, les autorités juives viennent lui demander de prouver qu’il a bien l’autorité pour chambouler l’ordre du culte. S’ensuit un dialogue un peu irréaliste : « Quel signe miraculeux peux-tu nous montrer pour prouver que tu as le droit d’agir ainsi ? » Jésus répond : « Démolissez le Temple et en 3 jours, je le relèverai. » « Comment ? Il a fallu 46 ans pour reconstruire ce Temple et toi tu serais capable de le relever en 3 jours ? » Et le dialogue s’arrête là. Jésus donne l’impression de répondre à côté de la question, et devant l’interprétation littérale de ses paroles, il se tait.

Ce qui ressort de cet échange étrange, c’est la parole de Jésus, décalée, incomprise, que Jean, qui connaît la suite, nous explique pour nous sortir du désarroi. Dans cette prédiction mal comprise, Jésus fait référence à une autre fête de la Pâque, qui interviendra deux ans plus tard, et pendant laquelle il sera mis à mort sous l’initiative de ces mêmes autorités juives. Crucifié, il se relèvera pourtant trois jours plus tard, ressuscité jaillissant de la mort.

Jésus relie avec force le temple et son propre corps, sa propre personne, comme s’il était, lui, le véritable temple. En effet, qu’est-ce que le Temple sinon le lieu où Dieu réside, sa demeure, le lieu qu’il remplit de sa présence ? Jésus, Dieu le Fils devenu homme, est celui en qui Dieu établit sa présence, il est l’interface ultime qui nous permet de rencontrer Dieu pleinement. Jean, dans son introduction à l’évangile, dit de Jésus qu’en lui, Dieu est venu habiter parmi les hommes. Jésus est le nouveau Temple, annoncé par le Temple de pierres dans lequel il se trouve à ce moment-là. Par son geste, il montre comment doit se vivre la relation avec Dieu – il purifie le temple et la manière de rendre un culte à Dieu – mais dans son dialogue il suggère que ce culte est insuffisant, et que le vrai lieu de rencontre avec Dieu c’est lui. En quelque sorte il purifie la réalité existante mais il montre aussi qu’elle pointe vers une autre réalité.

La référence de Jésus à la croix évoque encore un autre élément. Il en parle lors de cette de la Pâque, fête qui célèbre chaque année l’exode, ce moment fondamental où Dieu a délivré son peuple de l’esclavage en Egypte, suite au 10e fléau que Dieu envoya aux Egyptiens qui refusaient de libérer Israël. Ce 10e fléau, c’est la mort de tout premier-né, sauf chez ceux qui ont sacrifié un agneau immaculé. Cet agneau, et tous les autres sacrifices, montrent qu’on ne peut pas se tenir en présence du Dieu parfait, pur, saint, et vivre. Cet agneau nous renvoie à notre péché, à notre besoin de pardon et de grâce pour pouvoir rencontrer Dieu qui s’approche de nous. Seulement, encore une fois, ce système de sacrifices, certes instauré par Dieu, est insuffisant, car il ne nous rend pas profondément, durablement dignes de vivre avec Dieu. En faisant référence à sa mort à quelques Pâque de là, Jésus évoque son propre sacrifice, le sacrifice d’un homme innocent, qui se donne volontairement à notre place, en assumant notre culpabilité pour nous offrir sa justice. Aux yeux de Dieu, nous sommes donc pardonnés, purifiés, saints, dignes de nous approcher de lui.

Jésus chasse les vendeurs du temple, mais dans ce geste énergique il y a aussi une prophétie : un jour, il n’y aura plus besoin de sacrifice car Jésus lui-même, l’Agneau ultime, parfait, prendra le péché du monde et permettra de s’approcher librement de Dieu.  Par son geste et ses paroles, il indique que notre relation avec Dieu va se transformer : elle va être purifiée mais elle va aussi s’approfondir et s’intérioriser.

3)   Devant Jésus le Seigneur, comment croire ?

Face à cet événement percutant, les réactions sont variées. L’apôtre Jean écrit son évangile pour que ses lecteurs connaissent Jésus, le reconnaissent dans la foi comme Dieu le Fils venu sauver les hommes, et se mettent à le suivre. Il a donc souvent le souci de montrer comment les gens ont perçu Jésus, dans le but de nous interroger sur notre réaction face à Jésus-Christ.

D’abord, on voit les autorités religieuses d’Israël qui refusent de se laisser vraiment interpeller et qui se trouvent des portes de sortie pour éviter de se remettre en question et de reconnaître le sens véritable de ce que Jésus a fait. Face à son geste lourd de sens, ils ne cherchent pas où est le problème dans leur culte mais ils s’intéressent d’abord à la légitimité de Jésus, ils enferment le geste prophétique dans un carcan de droits et de pouvoir, sans se douter que Jésus a toute autorité sur ce temple. Quand Jésus leur répond, ils s’attachent au sens premier, littéral, avec une lourdeur d’esprit consternante. Leur obstination à se considérer comme justes dans leur manière de faire, en refusant toute critique et toute remise en cause, cette obstination annonce la jalousie, la défiance et l’envie de meurtre qui vont se développer chez eux au point de comploter pour faire mourir Jésus.

D’un autre côté, il y a tous ces gens qui croient en Jésus à cause des actes spectaculaires, guérisons et miracles, qu’il accomplit, mais dont Jésus se méfie. Ces miracles ne sont pas une mauvaise raison de croire en Jésus, puisqu’il les fait aussi dans le but de susciter la foi en montrant qui il est. Toutefois, il me semble que si Jésus reste méfiant vis-à-vis de ces croyants, c’est peut-être parce qu’il sait que leur foi n’ira pas plus loin. Ils aiment les miracles, mais comment réagiront-ils aux enseignements de Jésus ? Aimeront-ils son exigence, sa radicalité ? Accepteront-ils qui il est vraiment, le Roi, le Messie prolifique qui fait des tas de miracles, mais aussi celui qui va mourir sur la croix, qui empruntera un chemin sombre et difficile, sur lequel il appelle à le suivre ? Jésus sait que l’homme tend à trier, à choisir ce qui l’arrange, ce qui lui fait du bien, mais qu’il rebrousse chemin lorsque la voie à suivre impose des remises en question trop radicales, des abandons, des difficultés.

Au milieu se trouvent les disciples, qui ne comprennent pas de suite, mais seulement après la croix, la résurrection, le don de l’Esprit. Pourtant, même sans tout comprendre, ils restent attachés à Jésus, le suivant malgré leurs doutes et leurs questions, acceptant que la réponse vienne plus tard, mais déjà convaincus que c’est lui qui les mènera à Dieu, que c’est lui, le chemin, la vérité, la vie.

A qui ressemblons-nous aujourd’hui ? Sommes-nous récalcitrants à la voix du Christ ? Sommes-nous attirés vers ce Jésus impressionnant, mais effrayés par l’implication que cela nous demande ? Ou encore sommes-nous un peu ignorants, sans trop d’assurance, mais avec la conviction que notre vie est en lui ? Où que nous en soyons, le Christ nous invite à le rencontrer et à le  reconnaître tel qu’il est, Dieu le fils devenu Agneau pour nous donner le pardon et la vie.

L’épreuve d’Abraham

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Lecture biblique: Genèse 22.1-19

Pour approfondir notre réflexion sur notre consécration à Dieu, sur ce que nous lui offrons, ou pas, et comment, je vous invite à méditer le texte du jour, dans le livre de la Genèse, qui relate un épisode phare de la vie du patriarche Abraham.

Cet épisode de la Bible, ce presque sacrifice d’un fils par son père, est d’une intensité rare, et cette scène a interpelé – et continue d’interpeller – bien des croyants, mais aussi des penseurs et des artistes, tant elle rassemble des aspects essentiels de notre humanité. Sans chercher à tout relever, ou à répondre à toutes les questions que ce texte a peut-être soulevées, j’aimerais simplement ce matin relire ce texte dans le cadre de notre chemin vers Pâques, dans le cadre de notre chemin de retour à Dieu, de retour à l’essentiel, de consécration, parce que l’histoire d’Abraham le croyant nous aide à avancer, aujourd’hui, sur notre chemin de foi.

1)    « Je te donne tout » : jusqu’où se consacrer à Dieu ?

La demande de Dieu à Abraham nous choque, et à juste titre ! En plus de la cruauté du sacrifice d’un enfant, cette demande est injuste, notamment au regard de la volonté divine – Dieu lui-même, dans sa loi, interdira vigoureusement les sacrifices d’enfants pratiqués dans certaines religions et punira le peuple avec sévérité quand il commettra ces abominations. Cette demande, contraire à la volonté de Dieu, est d’autant plus absurde qu’elle contredit aussi les nombreuses promesses que Dieu a faites à Abraham depuis qu’il l’a appelé à le suivre, quelques décennies plus tôt. En effet, Dieu avait promis à Abraham et Sara un fils, de qui descendrait un grand peuple, malgré la stérilité de ce couple âgé. Dieu a pris son temps pour réaliser cette promesse, mais Isaac a fini par naître, fils tant attendu et tant chéri, porteur de la promesse de Dieu. Abraham a même dû se séparer de son fils illégitime, Ismaël, pour qu’Isaac puisse recevoir l’intégralité de l’héritage prévu par Dieu. Et maintenant, voici que Dieu demande à Abraham de sacrifier Isaac !

Le texte nous donne quelques indices pour comprendre cette demande incompréhensible. D’abord, avant même de savoir ce que Dieu va demander à Abraham, nous lisons que Dieu voulut mettre Abraham à l’épreuve, et cette demande est un test – ce que Dieu veut, ce n’est la vie de cet enfant, mais c’est voir ce qu’il en est vraiment de la foi d’Abraham. Un autre indice nous aide à comprendre, lorsque Dieu dit : « prends ton fils, je te prie, ton fils unique, celui que tu aimes » (v.2). La demande concerne Isaac car c’est Isaac qui est précieux aux yeux d’Abraham, c’est lui qui a été attendu, désiré, qui porte les promesses ; et il me semble que l’enjeu de cette demande, c’est de savoir si Abraham est prêt à donner à Dieu ce qu’il a de plus précieux.

Quand nous parlons d’offrande, ou de consécration, quand nous chantons « je te donne tout », ou « entre tes mains j’abandonne tout ce que j’appelle mien », est-ce que c’est une manière de parler ? Est-ce que c’est une image ? Qu’est-ce que nous donnons à Dieu ?

Cette question de l’offrande, de ce que nous consacrons à Dieu, est révélatrice de la place que nous lui donnons dans notre vie. Est-ce que nous sommes prêts à lui donner ce qui a le plus de valeur pour nous, ou y a-t-il des choses que nous voulons garder de côté, que nous lui refusons parce qu’à  nos yeux, elles ont plus de valeur que lui ? Quels sont les domaines où, si Dieu nous posait le même ultimatum, nous préférerions nous détourner de Dieu ? L’histoire d’Abraham évoque l’histoire du jeune homme riche, qui voulait bien faire, qui était prêt à donner de son temps, de son amour à Dieu, mais qui, lorsque Jésus lui demanda de donner toutes ses richesses et de faire de Dieu sa seule richesse, se détourna et partit sur un autre chemin. Quelles sont, finalement, nos idoles, ces choses, ces relations qui prennent à nos yeux plus de valeur que Dieu lui-même ?

2)   Le signe d’une confiance radicale

Ce que Dieu nous demande, c’est un geste fou, radical, le don de soi, le don de ce qui nous fait vibrer. Pourtant, et c’est essentiel pour comprendre cette épreuve, Dieu ne permet pas qu’Abraham aille au bout de son geste ! Il empêche que le sacrifice se réalise vraiment – mais il l’empêche au dernier moment, comme pour voir jusqu’où Abraham est prêt à aller, jusqu’où il est prêt à obéir, à suivre son Dieu.

Abraham nous impressionne par son silence, par son obéissance, mais s’il ne se révolte pas, il n’apparaît pas non plus indifférent à la situation. Le texte met en valeur sa tristesse en rappelant sans cesse la valeur d’Isaac à ses yeux, son fils, son unique, son très cher fils. Dans ses réponses aux serviteurs, à son fils, Abraham se montre ambigu : « moi et le garçon, nous irons là-haut pour rendre un culte puis nous reviendrons vers vous » (v.5) et « que le seigneur voie lui-même quel animal il aura pour le sacrifice » (v.8) – c’est peut-être pour éviter d’alerter les autres de peur qu’ils ne l’arrêtent, mais dans ces réponses on sent aussi l’espoir, peut-être la foi, que Dieu n’abandonnera pas Abraham à la détresse et qu’Isaac vivra.

Il passe ces trois jours dans l’affliction, mais il ne se dérobe pas. Il suit ce chemin très étroit sur lequel Dieu l’appelle, prêt à se délester de tout pour répondre présent à l’appel de Dieu. Tout comme il avait quitté sa patrie et sa famille lorsque Dieu l’a appelé la première fois, aujourd’hui il se montre prêt à tout laisser pour suivre Dieu, déjà ce qu’il a de plus cher, mais aussi les bénédictions de Dieu, les promesses que Dieu lui a faites.

Là se trouve le sens de son épreuve, qui ressemble un peu à l’épreuve de Job : pour quelle raison Abraham suit-il Dieu ? Quelle est sa motivation ? Est-ce que c’est pour être béni de Dieu ? Est-ce qu’il espère gagner quelque chose ? Mériter quelque chose ? Regarde, j’abandonne mes parents, parce que tu vas me donner des enfants, c’est gagnant-gagnant. J’arrête de fumer, mais tu me guéris. Je te donne de l’argent mais tu m’aides dans mon travail. On fait un échange, on négocie. Le marchandage, c’est la base des religions, mais Dieu n’est pas dans le marchandage. Dieu lui demande de tout lui donner, même ce qu’il espère, même ce qu’il attend de la part de Dieu, de rendre en quelque sorte ses promesses à Dieu. Est-ce qu’Abraham est prêt à suivre Dieu s’il n’y gagne rien ? Est-ce qu’il est prêt à le suivre de manière désintéressée, gratuite ? Est-ce que Dieu est un outil qui améliore notre vie, qui nous aide à obtenir certaines choses, une béquille qui compense certaines faiblesses ? ou est-ce que c’est le Dieu tout-puissant, le créateur, le Seigneur, le Premier et le Dernier qui mérite notre adoration, notre crainte, notre foi, parce qu’il est le vrai Dieu ?

Mis à l’épreuve, Abraham montre qu’il suit Dieu de manière désintéressée, qu’il le suit parce qu’ils ont une relation, parce qu’il le connaît et qu’il sait que c’est le vrai Dieu, qui a plus de valeur que toute autre chose dans le monde.

3)   Un Dieu qui comble celui qui se donne

Ce texte nous montre la profondeur de la foi d’Abraham, sa pureté et son intégrité, mais il nous fait aussi voir quel est ce Dieu qu’Abraham est prêt à suivre à tout prix. Ce Dieu c’est le Dieu de la vie, le Dieu de la grâce, le Dieu qui se montre fidèle et généreux.

Dieu demande à Abraham un acte presque impossible, mais en voyant la foi de cet homme, il ne manque de répondre présent lui aussi. Non seulement il pourvoit en donnant une victime pour le sacrifice – prouvant qu’Abraham a eu raison de garder espoir en lui – mais en plus, il renouvelle son alliance avec Abraham, allant encore plus loin dans les promesses : il jure par lui-même, par le Tout-Puissant, il s’engage pleinement à respecter ses promesses de bénédiction. Abraham était prêt à tout donner, et Dieu répond à sa foi en le comblant de bénédictions.

Il y a un jeu de mots dans le texte, je ne sais pas si vous l’avez remarqué : v.14, Abraham appelle le lieu du nom « le Seigneur voit » et l’explication qui est donnée ensuite, c’est que sur cette montagne, le Seigneur est vu, il apparaît. Dieu veut nous voir, il veut voir de quel bois nous sommes faits, une fois que disparaissent les vœux pieux et les bonnes intentions. Il veut voir, tester, éprouver, la qualité de notre relation avec lui, de notre foi, de notre amour pour lui : de la même manière que les difficultés de la vie montrent les vrais amis, de même les épreuves montrent à Dieu quel amour nous anime. Si Dieu veut voir, il est aussi celui qui se montre, celui qui se laisse voir, celui qui apparaît, qui répond à l’appel. Dans ces épreuves, qui sont des moments de vérité, Dieu nous pousse à montrer quel amour nous lui portons, et en réponse, il montre à son tour quel amour il nous porte.

Remarquons que cette relation n’est pas symétrique. Dieu nous précède par sa grâce, et il nous répond avec une générosité débordante. Nous avons souvent peur de nous donner, d’offrir, de consacrer à Dieu ce qui nous est précieux : est-ce que nous ne risquons pas de tout perdre en donnant à Dieu la priorité ? N’allons-nous pas perdre ce que nous aimons, ce qui nous rassure, ce qui nous définit ? En nous donnant tout entiers à Dieu, n’allons-nous pas nous perdre ?

Ce texte répond en montrant à quel Dieu nous nous donnons : un Dieu qui s’engage, un Dieu qui donne à celui qui se donne, un Dieu qui comble, qui bénit, qui inonde de grâce et d’amour celui qui ose faire ce pas, ce saut, de la foi.

Conclusion

Ce texte nous présente Abraham comme le modèle de tous les croyants, celui qui a donné à Dieu la première place, celui qui a su reconnaître en Dieu le seul vrai Dieu, et qui n’a pu faire autrement que de le suivre quel qu’en soit le prix. Ce Dieu à qui Abraham se consacre tout entier, ce Dieu est un Dieu de grâce, qui bénit celui qui se donne, qui répond à notre foi avec une surabondance extraordinaire. Abraham n’est pas seulement le modèle des croyants, il reflète aussi le Dieu de grâce, le Dieu de l’évangile, ce Dieu qui donne ce qu’il a de plus précieux pour nous, qui a offert en sacrifice son fils, son fils unique, son fils qu’il aime tant, par amour pour nous, pour que plus rien ne nous sépare de Dieu, rien, ni la mort, ni le mal, ni notre culpabilité, pour que rien ne nous sépare de l’amour de Dieu. Dieu n’a pas exigé d’Abraham qu’il aille au bout de son geste, il nous demande de nous donner à lui mais il ne permet pas que nous nous perdions, au contraire, c’est lui qui se donne pour nous, en Jésus-Christ, pour nous bénir, pour nous offrir la vie éternelle.