Archives mensuelles : novembre 2014

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« C’est à moi que vous l’avez fait ! »

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Brebis-boucs-Appolinaire-le-Neuf-RavenneLecture biblique : Matthieu 25.31-46

Je ne sais pas vous, mais moi, quand je lis ce texte, je suis mal à l’aise… J’ai l’impression qu’il me dit que je n’en fait pas assez pour aider, accueillir, visiter ceux qui ont besoin de moi ! Le malaise est légitime : on ne peut jamais avoir la conscience tranquille face à la misère qui nous entoure, au près comme au loin.

De plus, il y a un autre malaise, dans l’histoire elle-même. Tout le monde est étonné par ce que dit Jésus. Autant ceux qui reçoivent des éloges que ceux qui reçoivent des reproches. Tous disent : « Ah bon ? Mais on ne t’a pas vu ! » Si les premiers s’en réjouissent, les seconds s’en mordent les doigts…

Souvent, les paroles de Jésus nous dérangent, nous interpellent ou nous bousculent. Mais ce n’est jamais juste pour nous mettre mal à l’aise. Il y a toujours une intention positive, pour nous faire progresser, nous faire avancer avec le Seigneur. Alors, comment faire, ici, pour aller au-delà du malaise ?

 
Discerner Jésus dans notre quotidien

Jésus parle de son retour et du grand jugement qui lui est associé. Bien-sûr qu’il s’agit d’un événement futur, décrit de façon imagée avec un roi qui siège sur son trône et qui fait le tri entre des brebis et des boucs. Mais la façon dont Jésus en parle, et en particulier la chute de l’histoire, nous invite moins à porter notre regard sur l’avenir qu’à changer notre regard sur le présent.

Dans ce sens, Jésus et bien dans le prolongement des prophètes qui l’ont précédé. Avant de nous révéler l’avenir, les prophéties bibliques nous interpellent sur notre comportement présent.

Or, la grande surprise, pour tous les protagonistes de cette histoire, c’est la révélation que Jésus était là où ils ne l’avaient pas vu… et peut-être là où ils ne l’attendaient pas ! Car si Jésus, au jour du Jugement, apparaît glorieux tel un roi sur son trône, aujourd’hui il est avec les plus petits, ceux qu’on remarque à peine ou qu’on préfère ignorer. Il les appelle même ses frères !

Aujourd’hui, Jésus est frère de ceux qui souffrent, de ceux qui ont faim et soif, des étrangers, des démunis, des malades et des prisonniers. Il est frère des réfugiés qui fuient la guerre ou la persécution dans leur pays. Il est frère des immigrés qui se retrouvent en centres de rétention. Il est frère des SDF qui dorment dans nos rues. Il est frère des personnes âgées dans les maisons de retraite qui ne reçoivent jamais de visite.

Lui-même est né dans une étable parce qu’il n’y avait pas de place pour l’accueillir, il a été ignoré, rejeté par les siens. Il a été prisonnier, nu et abandonné. Il est mort, crucifié, condamné alors qu’il était innocent. Aujourd’hui, il est frère des petits, ceux qu’on remarque à peine ou qu’on préfère ignorer.

Voilà où nous devons chercher Jésus-Christ aujourd’hui… Dans ces « petits » qui nous entourent et ont besoin de nous.

On est loin d’un discours triomphaliste pour rencontrer Jésus dans l’effervescence d’une louange dynamique, dans la ferveur d’une prédication éloquente ou dans le zèle d’une évangélisation passionnée.

Je ne dis pas, évidemment, que la louange, la prédication et l’évangélisation n’ont pas d’importance, ni même que ce ne soit pas des lieux où trouver le Christ aujourd’hui. Je dis simplement, à la suite de notre texte, que Jésus nous attend aussi ailleurs. Dans des lieux et des postures bien plus modestes.

 
Valoriser nos actes de générosité

Une autre façon de voir dans ce texte une interpellation de notre présent, c’est de souligner que les paroles de Jésus révèlent la véritable nature, et les motivations, des actes des uns et des autres. Et du coup, ces paroles n’ont pas la même saveur pour les uns ou pour les autres.

Une saveur insoupçonnée

Elles ont une saveur insoupçonnée pour les premiers. Une sorte d’effet rétroactif. Ce qu’ils ont fait gratuitement, simplement, sans arrière pensée et avec pour seule motivation la bonté, la solidarité, la fraternité, avait en réalité une portée bien plus grande, qu’ils ne soupçonnaient pas. Ce qu’ils ont fait à ces « petits », c’est à Jésus qu’ils l’ont fait !

C’est finalement une façon de valoriser les simples actes de générosité et de partage du quotidien. Ils ont de la valeur. Nos actes les plus modestes peuvent avoir une valeur bien supérieure à ce que nous imaginons.

On est bien dans l’esprit de l’Évangile : le Royaume de Dieu se manifeste souvent dans de petites choses, dans la simplicité et l’humilité.

Un goût amer

Mais les paroles de Jésus ont un goût amer pour les seconds. Ils sont surpris, eux aussi, mais négativement. Dans ses reproches, Jésus ne vise pas seulement les insensibles égocentriques qui ne pensent qu’à leur pomme. Ceux-là, évidemment, sont concernés au premier chef.

On peut considérer que les seconds ont pu visiter des malades et aider des nécessiteux. Mais peut-être en faisant le tri, en choisissant ceux qui méritaient leur compassion… Un détail du texte me paraît significatif. Il y a une petite différence entre le verset 40 et le verset 45. Au verset, 40, Jésus parle de « l’un de mes frères, l’un de ces petits ». Au verset 45, Jésus dit seulement « l’un de ces petits », il ne les nomme plus « ses frères ». Pourtant, ce sont bien les mêmes personnes qui sont désignées. Il y a peut-être là un indice que la générosité des seconds était sélective. Ils ont bien aidé, mais seulement ceux qu’ils considéraient comme les frères de Jésus. Des nécessiteux qui méritaient leur aide, ou des aides dont ils pourraient finalement retirer quelque chose, ne serait-ce qu’une bonne conscience…

En un mot, les paroles de Jésus ici doivent interpeller nos motivations à faire le bien. Une générosité intéressée finira toujours par laisser un goût amer. Une générosité simple et naturelle, sans arrière-pensée, finira toujours par nous réserver de bonnes surprises.

 
Conclusion

Le malaise a-t-il été dissipé ? En partie seulement, peut-être… Et c’est bien qu’il en soit ainsi ! Car ce texte doit garder sa force d’interpellation. Il n’est pas là pour nous caresser dans le sens du poil et nous donner bonne conscience. Mais il n’est pas là non plus simplement pour nous faire peur et nous mettre la pression.

Il nous invite, aujourd’hui, à discerner le Christ là où on l’attendrait pas forcément. Auprès des humbles, des petits, des nécessiteux.

Il y a bien un mise en garde contre une charité intéressée, une bonté qui cache des motifs bien égoïstes. Dans ce cas, les paroles de Jésus doivent garder leur saveur amère…

Mais il y a aussi une promesse pour les actes de bonté du quotidien, simples et naturels. Sans arrière-pensée. C’est dans ces petites choses que le Christ nous donne rendez-vous. C’est là que nous pouvons le rencontrer.

L’étrange vœu de Jephté (Jg 11.29-40)

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Je vous invite ce matin à ouvrir la Parole de Dieu dans le livre des Juges, livre qui est proposé à la lecture en ce moment par le guide de lecture de la Bible. Les juges se situent dans les siècles entre Moise et le roi David. Après l’exode, le peuple d’Israël, libéré d’Egypte, atteint le pays promis par Dieu et s’y installe. Seulement, les peuples païens qui habitent ce pays oppriment régulièrement Israël, et Dieu appelle des libérateurs, que la Bible nomme « juges », pour délivrer son peuple de cette oppression. Le texte que je vous propose de méditer ce matin est un épisode de Jephté, un des derniers juges : c’est peut-être le texte le plus troublant, choquant même. Lisons dans le livre des Juges, 11.29-40. Lecture

Ce texte est étonnant : nous avons affaire à un des rares cas de sacrifice humain dans la Bible. Le sacrifice est la mise en œuvre d’un vœu au Seigneur qui semble garantir la victoire. L’épisode s’appesantit sur le drame, sur la tragédie, et on a l’impression que l’auteur insiste sur le fait que la fille de Jephté était fille unique, vierge, et pourrait-on dire innocente. Pour le croyant, cette situation quasiment inacceptable est empirée par l’absence de tout commentaire ou remarque. Est-ce que Jephté a eu raison ? pourquoi Dieu l’a-t-il fait gagner s’il savait que la fille serait sacrifiée ?

1)   Jephté : le libérateur victorieux

Pour bien comprendre ce texte, je pense qu’il faut d’abord se rappeler la dynamique du livre des juges. Après leur installation dans le pays promis, Canaan, les Israélites se retrouvent à cohabiter avec les peuples autochtones, qui sont païens : ils croient en plusieurs dieux et pratiquent des rites abominables aux yeux de Dieu. Or, le peuple d’Israël commence à se laisser influencer par ses voisins, et se détourne de Dieu – Dieu qui les a quand même libérés d’Égypte et leur a donné un pays à habiter ! – Israël se détourne de la loi, qui exprime la volonté de Dieu, et adopte les pratiques et les croyances païennes. Devant cette rébellion, Dieu arrête de les protéger des attaques militaires, et Israël est battu par un peuple païen. Quand l’oppression devient insupportable, le peuple crie à Dieu et demande son aide : Dieu écoute et envoie un libérateur, un « juge ». Celui-ci triomphe sur les ennemis, libère Israël et pendant quelques décennies, le peuple revient vers Dieu. Le problème, c’est qu’à chaque fois, ça recommence, et un cercle vicieux s’installe : le peuple se détourne, il est opprimé, il se plaint à Dieu, Dieu envoie un libérateur, il y a la paix quelques années, puis Israël se détourne à nouveau, est opprimé etc. etc.

L’histoire de Jephté commence au début du chap.11 et décrit comment Jephté devient un libérateur, un chef militaire pour les tribus du NE, Manassé et Galaad. Ces deux tribus sont opprimées par leurs voisins, les Ammonites. Notre texte arrive à la fin du cycle, au moment où Jephté va affronter les Ammonites et libérer Israël. Souvent, avant la victoire militaire, les libérateurs choisis reçoivent une puissance particulière qui vient de Dieu, et qui leur assure la réussite. Ici, c’est au v.29

29 Alors le souffle du Seigneur fut sur Jephté.

Cela montre que Jephté est bien un juge soutenu par Dieu. Jephté gagne donc la bataille sur vingt villes, essentiellement à la frontière entre les tribus d’Israël et le pays d’Ammon. [pause] Le fait que Dieu lui-même guide Jephté et lui livre ses ennemis confirme la présence de l’Esprit de Dieu. Cette victoire militaire, permise par Dieu, marque donc, normalement, la fin du cycle habituel dans le livre des juges, puisqu’Israël est maintenant délivré.

Pourtant vous avez remarqué que notre histoire rebondit, qu’il y a comme un décrochage par rapport au schéma attendu. En fait, la victoire militaire, qui devrait être le point final à notre récit, relance le suspense et crée un nouveau problème : Jephté va-t-il accomplir son vœu ? C’est ce problème qui attire maintenant notre attention.

2)   Le sacrifice humain : un scandale

Voici le vœu que Jephté a fait avant de commencer la bataille :

Jephté fit un vœu au Seigneur; il dit : Si vraiment tu me livres les Ammonites, 31 quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai sera pour le Seigneur, et je l’offrirai en sacrifice.

Or, quand Jephté revient, c’est sa fille qui sort en premier. Le vœu est accompli : la fille de Jephté est sacrifiée v.39

Au bout des deux mois, elle revint vers son père, et il s’acquitta sur elle du vœu qu’il avait fait

On ne peut pas éviter le côté scandaleux de cette histoire. C’est quand même un sacrifice humain ! Dans la Bible ! La mort d’une jeune fille innocente tuée par les mains de son père ! Et personne ne semble s’y opposer, ni le peuple, ni Dieu, ni même l’auteur du texte qui ne fait aucun commentaire, comme si tout était normal. Ce silence ne doit pas nous égarer : précédemment, dans le désert, quand Dieu a dicté à Israël la loi, Dieu a formellement interdit tout sacrifice humain, et surtout celui des enfants ! Dieu déteste ces sacrifices au point que plus tard, par la bouche du prophète Jérémie, il menace Israël de les déporter justement parce qu’ils ont fait des sacrifices d’enfants, comme dans la religion païenne.

Petite parenthèse : L’épisode du sacrifice d’Isaac vous est peut-être venu à l’esprit. C’est vrai qu’il y a quelques ressemblances. Cependant, la différence avec Abraham, c’est que Dieu lui avait demandé de sacrifier son fils unique, Isaac, et au moment fatal, Dieu l’a remplacé par un bélier. Dieu n’a jamais prévu qu’Isaac soit tué, mais il voulait entre autres tester la foi d’Abraham et sa reconnaissance : Abraham était-il capable d’avoir confiance et de rendre à Dieu ce que Dieu lui avait donné ?

Jamais Dieu ne demande de sacrifier un être humain : ce sont des pratiques païennes, perverties, éloignées de la volonté du Dieu vivant. Là, Jephté propose presque naturellement d’offrir quelqu’un en sacrifice, comme si c’était normal, et même ce qu’il pouvait offrir de mieux. Il ne promettait pas n’importe qui : il faut se rappeler qu’au retour du guerrier vainqueur, ce n’était ni la cuisinière ni le gardien de bœufs qui venait l’accueillir, mais ses proches : sa femme, sa mère, ses filles… Jephté savait donc, quelque part, que son vœu allait toucher qqn qui lui était cher !

Alors pourquoi ce vœu qui ne peut que déplaire à Dieu ? Je crois que le libérateur d’Israël était plus influencé par le monde païen qu’il ne le pensait… il ignorait la loi, et pensait honorer Dieu avec des pratiques abominables ! il prenait le Dieu vivant, Yhwh, pour un dieu païen ! c’est comme si nous, chrétiens, nous dansions autour d’un totem pour honorer Dieu ou, plus occidental, que nous laissions la loi du plus fort l’emporter dans les relations fraternelles, que le plus important dans l’église c’est l’argent ou le pouvoir…

Cette confusion entre les valeurs ambiantes et ce que Dieu demande nous concerne tout autant que Jephté ! Nous sommes inévitablement influencés par notre culture, et ce texte attire notre attention sur le danger d’appeler bien ce qui est mal. C’est en consultant, en méditant, en cherchant à comprendre la volonté de Dieu que nous connaîtrons ce qui est bien et que nous saurons de faire le tri.

Revenons à Jephté : il a fait son vœu, vaincu les ennemis, et rentre. Quand sa fille sort, le temps s’arrête ! La victoire se transforme en deuil ! C’est d’autant plus affreux que Jephté n’a pas d’autre enfant, ce que le texte met en valeur : sa famille s’éteindrait toute entière avec la mort de sa fille vierge. Un dilemme se présente : accomplir ou pas le vœu ! Jephté trahira soit Dieu soit sa propre chair. Jephté choisit de tenir sa promesse, et accomplit son vœu, ce qui semble être à son honneur, puisqu’il a mis Dieu au premier plan. Après tout, les vœux dans la Bible ne peuvent quasiment jamais être annulés. D’ailleurs, vous voyez que la fille de Jephté se soumet courageusement à son destin, justement parce que le vœu est impératif : il ne lui vient pas à l’esprit qu’on puisse reprendre la parole donnée ! On ne se parjure pas devant Dieu. Jephté semble donc faire le bon choix.

Mais, il y a un mais. Les sacrifices humains déplaisent à Dieu : en réalité c’est un autre dilemme qui se pose : faut-il respecter l’engagement, le vœu, ou l’interdiction de sacrifices humains ? Il me semble que le cas de Jephté nous présente un problème de discernement, de sagesse. Toute la loi est bonne et reflète la volonté de Dieu : rien dans la loi ne doit être transgressé. Cependant, dans une situation compliquée avec des conflits d’intérêts, nous sommes appelés à discerner les priorités. Ce n’est pas pour rien que les 10 commandements sont à part du reste de la loi, ce n’est pas pour rien que Jésus affirme que le commandement le plus important, c’est aimer Dieu, et son prochain. L’essentiel se distingue du secondaire, et tout n’est pas au même niveau. Bien sûr, il ne faut pas négliger les détails pour autant, mais il est bon, dans une situation difficile, de se demander quelle est la priorité. Dans un conflit au travail ou en famille : faut-il avoir raison, avoir le dernier mot, quitte à blesser l’autre ou à mettre en péril notre relation ? pareil dans un conflit d’église : est-ce que je dois marquer des points dans le débat, OU chercher le mieux pour l’autre et pour moi ? Parfois se posent des problèmes éthiques : admettons qu’un nouveau venu arrive, mais que ce soit un dealer par exemple, devrions-nous le rejeter au nom de son péché ou l’accueillir et essayer de l’aider à cheminer ? Quand Paul nous exhorte, en 1 Co 13, à mettre l’amour au premier plan de notre vie, je crois qu’il nous montre lui aussi qu’il y a des priorités dans la volonté de Dieu. Il me semble qu’ici Jephté a respecté la charte du vœu, c’était bien, mais il a transgressé le cœur de la loi en sacrifiant sa fille. Il s’est trompé de priorité.

3)   Le vœu : un marchandage

J’aimerais encore méditer avec vous sur une des arêtes du récit. Cette histoire nous interpelle sur le plan moral : elle nous avertit du danger de confondre les valeurs du monde avec celles de Dieu, et elle nous encourage à mieux connaître Dieu et ce qu’il aime pour prendre les meilleures décisions. Mais cette histoire nous enseigne aussi sur le plan spirituel, sur le plan de notre relation avec Dieu. L’auteur attire notre attention sur le vœu en lui-même : v.39, à la conclusion de l’histoire, ce n’est pas le sacrifice, mais le vœu accompli qui est mis au 1er plan. Le vœu lui-même nous interpelle. Jephté, juste avant la bataille, a rassemblé ses troupes, et il est devant la zone de combat. Il prend peur, ou alors il doute, et pour se rassurer, il fait un vœu. C’est la première fois depuis qu’il a été présenté dans la Bible qu’il s’adresse directement à Dieu. Par ce vœu, il cherche une garantie supplémentaire pour gagner. Pourtant, nous, nous savons que l’Esprit est sur lui, et que victoire il y aura : Jephté est sur les bons rails pour réussir sa mission. Cependant il doute, d’un doute universel : vais-je y arriver ? que me réserve l’avenir ? Comment me sortir de mes problèmes ? Est-ce que Dieu est là au moins, quand ma vie est en jeu ?

Alors ce vœu tente de rajouter une garantie. Et on peut y voir une manière un peu perverse de manipuler Dieu, de négocier avec lui. Vous voyez, Dieu n’a pas besoin de sacrifices, il n’a pas besoin de nos prières, de jeûne ou d’argent. Nous ne pouvons rien lui offrir dont il ait besoin ! Pas de troc avec lui, pas de marchandage ! Si Dieu nous bénit, c’est par amour, et non par intérêt ! La signification de la grâce divine, c’est justement que son amour est gratuit : nous ne le méritons, nous ne l’achetons pas ! Attention, Dieu accepte avec plaisir l’expression de notre amour, de notre service, de notre obéissance mais comme un remerciement et pas comme un paiement ou un pot-de-vin !

Sachant cela, pourquoi marchander avec Dieu ? Par désir de garantie mais aussi par désir de maîtriser l’avenir. Submergé par l’anxiété dans une situation qui met en jeu sa vie, Jephté ne choisit pas la confiance en un Dieu tout-puissant, fidèle et bienveillant, mais au contraire il essaie de faire entrer Dieu dans son jeu, d’en faire un atout, un joker. Et en faisant ça, il perd tout : sa fille, l’espoir d’une famille. Ça va rarement aussi loin pour nous, je l’espère en tout cas, mais quand nous choisissons de devenir les maîtres à la place de Dieu et de le tordre pour le faire entrer dans nos plans, quand nous choisissons de traiter Dieu comme un outil, comme un génie dans sa lampe, eh bien nous nous privons d’une relation vivante avec lui, nous l’empêchons de nous transformer profondément, de nous libérer du mal.

Dieu est un Dieu qui délivre, et non pas un tyran : choisissons, par la foi, de le suivre sur ce chemin de vie.

Je vous invite ce matin à ouvrir la Parole de Dieu dans le livre des Juges, livre qui est proposé à la lecture en ce moment par le guide de lecture de la Bible. Les juges se situent dans les siècles entre Moise et le roi David, pour simplifier. Après l’exode, le peuple d’Israël, libéré d’Egypte, atteint le pays promis par Dieu et s’y installe. Seulement, les peuples païens qui habitent ce pays oppriment régulièrement Israël, et Dieu appelle des libérateurs, que la Bible nomme « juges », pour délivrer son peuple de cette oppression. Le texte que je vous propose de méditer ce matin est un épisode de Jephté, un des derniers juges : c’est peut-être le texte le plus troublant, choquant même. Lisons dans le livre des Juges, 11.29-40. Lecture

Ce texte est étonnant : nous avons affaire à un des rares cas de sacrifice humain dans la Bible. Le sacrifice est la mise en œuvre d’un vœu au Seigneur qui semble garantir la victoire. L’épisode s’appesantit sur le drame, sur la tragédie, et on a l’impression que l’auteur insiste sur le fait que la fille de Jephté était fille unique, vierge, et pourrait-on dire innocente. Pour le croyant, cette situation quasiment inacceptable est empirée par l’absence de tout commentaire ou remarque. Est-ce que Jephté a eu raison ? pourquoi Dieu l’a-t-il fait gagner s’il savait que la fille serait sacrifiée ?

1)   Jephté : le libérateur victorieux

Pour bien comprendre ce texte, je pense qu’il faut d’abord se rappeler la dynamique du livre des juges. Après leur installation dans le pays promis, Canaan, les Israélites se retrouvent à cohabiter avec les peuples autochtones, qui sont païens : ils croient en plusieurs dieux et pratiquent des rites abominables aux yeux de Dieu. Or, le peuple d’Israël commence à se laisser influencer par ses voisins, et se détourne de Dieu – Dieu qui les a quand même libérés d’Égypte et leur a donné un pays à habiter ! – Israël se détourne de la loi, qui exprime la volonté de Dieu, et adopte les pratiques et les croyances païennes. Devant cette rébellion, Dieu arrête de les protéger des attaques militaires, et Israël est battu par un peuple païen. Quand l’oppression devient insupportable, le peuple crie à Dieu et demande son aide : Dieu écoute et envoie un libérateur, un « juge ». Celui-ci triomphe sur les ennemis, libère Israël et pendant quelques décennies, le peuple revient vers Dieu. Le problème, c’est qu’à chaque fois, ça recommence, et un cercle vicieux s’installe : le peuple se détourne, il est opprimé, il se plaint à Dieu, Dieu envoie un libérateur, il y a la paix quelques années, puis Israël se détourne à nouveau, est opprimé etc. etc.

L’histoire de Jephté commence au début du chap.11 et décrit comment Jephté devient un libérateur, un chef militaire pour les tribus du NE, Manassé et Galaad. Ces deux tribus sont opprimées par leurs voisins, les Ammonites. Notre texte arrive à la fin du cycle, au moment où Jephté va affronter les Ammonites et libérer Israël. Souvent, avant la victoire militaire, les libérateurs choisis reçoivent une puissance particulière qui vient de Dieu, et qui leur assure la réussite. Ici, c’est au v.29

29 Alors le souffle du Seigneur fut sur Jephté.

Cela montre que Jephté est bien un juge soutenu par Dieu. Jephté gagne donc la bataille sur vingt villes, essentiellement à la frontière entre les tribus d’Israël et le pays d’Ammon. [pause] Le fait que Dieu lui-même guide Jephté et lui livre ses ennemis confirme la présence de l’Esprit de Dieu. Cette victoire militaire, permise par Dieu, marque donc, normalement, la fin du cycle habituel dans le livre des juges, puisqu’Israël est maintenant délivré.

Pourtant vous avez remarqué que notre histoire rebondit, qu’il y a comme un décrochage par rapport au schéma attendu. En fait, la victoire militaire, qui devrait être le point final à notre récit, relance le suspense et crée un nouveau problème : Jephté va-t-il accomplir son vœu ? C’est ce problème qui attire maintenant notre attention.

2)   Le sacrifice humain : un scandale

Voici le vœu que Jephté a fait avant de commencer la bataille :

Jephté fit un vœu au Seigneur; il dit : Si vraiment tu me livres les Ammonites, 31 quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai sera pour le Seigneur, et je l’offrirai en sacrifice.

Or, quand Jephté revient, c’est sa fille qui sort en premier. Le vœu est accompli : la fille de Jephté est sacrifiée v.39

Au bout des deux mois, elle revint vers son père, et il s’acquitta sur elle du vœu qu’il avait fait

On ne peut pas éviter le côté scandaleux de cette histoire. C’est quand même un sacrifice humain ! Dans la Bible ! La mort d’une jeune fille innocente tuée par les mains de son père ! Et personne ne semble s’y opposer, ni le peuple, ni Dieu, ni même l’auteur du texte qui ne fait aucun commentaire, comme si tout était normal. [pause] Ce silence ne doit pas nous égarer : précédemment, dans le désert, quand Dieu a dicté à Israël la loi, Dieu a formellement interdit tout sacrifice humain, et surtout celui des enfants ! Dieu déteste ces sacrifices au point que plus tard, par la bouche du prophète Jérémie, il menace Israël de les déporter justement parce qu’ils ont fait des sacrifices d’enfants, comme dans la religion païenne.

Petite parenthèse : L’épisode du sacrifice d’Isaac vous est peut-être venu à l’esprit. C’est vrai qu’il y a quelques ressemblances. Cependant, la différence avec Abraham, c’est que Dieu lui avait demandé de sacrifier son fils unique, Isaac, et au moment fatal, Dieu l’a remplacé par un bélier. Dieu n’a jamais prévu qu’Isaac soit tué, mais il voulait entre autres tester la foi d’Abraham et sa reconnaissance : Abraham était-il capable d’avoir confiance et de rendre à Dieu ce que Dieu lui avait donné ?

Jamais Dieu ne demande de sacrifier un être humain : ce sont des pratiques païennes, perverties, éloignées de la volonté du Dieu vivant. Là, Jephté propose presque naturellement d’offrir quelqu’un en sacrifice, comme si c’était normal, et même ce qu’il pouvait offrir de mieux. Il ne promettait pas n’importe qui : il faut se rappeler qu’au retour du guerrier vainqueur, ce n’était ni la cuisinière ni le gardien de bœufs qui venait l’accueillir, mais ses proches : sa femme, sa mère, ses filles… Jephté savait donc, quelque part, que son vœu allait toucher qqn qui lui était cher !

Alors pourquoi ce vœu qui ne peut que déplaire à Dieu ? Je crois que le libérateur d’Israël était plus influencé par le monde païen qu’il ne le pensait… il ignorait la loi, et pensait honorer Dieu avec des pratiques abominables ! il prenait le Dieu vivant, Yhwh, pour un dieu païen ! c’est comme si nous, chrétiens, nous dansions autour d’un totem pour honorer Dieu ou, plus occidental, que nous laissions la loi du plus fort l’emporter dans les relations fraternelles, que le plus important dans l’église c’est l’argent ou le pouvoir…

Cette confusion entre les valeurs ambiantes et ce que Dieu demande nous concerne tout autant que Jephté ! Nous sommes inévitablement influencés par notre culture, et ce texte attire notre attention sur le danger d’appeler bien ce qui est mal. C’est en consultant, en méditant, en cherchant à comprendre la volonté de Dieu que nous connaîtrons ce qui est bien et que nous saurons de faire le tri.

Revenons à Jephté : il a fait son vœu, vaincu les ennemis, et rentre. Quand sa fille sort, le temps s’arrête ! La victoire se transforme en deuil ! C’est d’autant plus affreux que Jephté n’a pas d’autre enfant, ce que le texte met en valeur : sa famille s’éteindrait toute entière avec la mort de sa fille vierge. Un dilemme se présente : accomplir ou pas le vœu ! Jephté trahira soit Dieu soit sa propre chair. Jephté choisit de tenir sa promesse, et accomplit son vœu, ce qui semble être à son honneur, puisqu’il a mis Dieu au premier plan. Après tout, les vœux dans la Bible ne peuvent quasiment jamais être annulés. D’ailleurs, vous voyez que la fille de Jephté se soumet courageusement à son destin, justement parce que le vœu est impératif : il ne lui vient pas à l’esprit qu’on puisse reprendre la parole donnée ! On ne se parjure pas devant Dieu. Jephté semble donc faire le bon choix.

Mais, il y a un mais. Les sacrifices humains déplaisent à Dieu : en réalité c’est un autre dilemme qui se pose : faut-il respecter l’engagement, le vœu, ou l’interdiction de sacrifices humains ? Il me semble que le cas de Jephté nous présente un problème de discernement, de sagesse. Toute la loi est bonne et reflète la volonté de Dieu : rien dans la loi ne doit être transgressé. Cependant, dans une situation compliquée avec des conflits d’intérêts, nous sommes appelés à discerner les priorités. Ce n’est pas pour rien que les 10 commandements sont à part du reste de la loi, ce n’est pas pour rien que Jésus affirme que le commandement le plus important, c’est aimer Dieu, et son prochain. L’essentiel se distingue du secondaire, et tout n’est pas au même niveau. Bien sûr, il ne faut pas négliger les détails pour autant, mais il est bon, dans une situation difficile, de se demander quelle est la priorité. Dans un conflit au travail ou en famille : faut-il avoir raison, avoir le dernier mot, quitte à blesser l’autre ou à mettre en péril notre relation ? pareil dans un conflit d’église : est-ce que je dois marquer des points dans le débat, OU chercher le mieux pour l’autre et pour moi ? Parfois se posent des problèmes éthiques : admettons qu’un nouveau venu arrive, mais que ce soit un dealer par exemple, devrions-nous le rejeter au nom de son péché ou l’accueillir et essayer de l’aider à cheminer ? Quand Paul nous exhorte, en 1 Co 13, à mettre l’amour au premier plan de notre vie, je crois qu’il nous montre lui aussi qu’il y a des priorités dans la volonté de Dieu. Il me semble qu’ici Jephté a respecté la charte du vœu, c’était bien, mais il a transgressé le cœur de la loi en sacrifiant sa fille. Il s’est trompé de priorité.

3)   Le vœu : un marchandage

J’aimerais encore méditer avec vous sur une des arêtes du récit. Cette histoire nous interpelle sur le plan moral : elle nous avertit du danger de confondre les valeurs du monde avec celles de Dieu, et elle nous encourage à mieux connaître Dieu et ce qu’il aime pour prendre les meilleures décisions. Mais cette histoire nous enseigne aussi sur le plan spirituel, sur le plan de notre relation avec Dieu. L’auteur attire notre attention sur le vœu en lui-même : v.39, à la conclusion de l’histoire, ce n’est pas le sacrifice, mais le vœu accompli qui est mis au 1er plan. Le vœu lui-même nous interpelle. Jephté, juste avant la bataille, a rassemblé ses troupes, et il est devant la zone de combat. Il prend peur, ou alors il doute, et pour se rassurer, il fait un vœu. C’est la première fois depuis qu’il a été présenté dans la Bible qu’il s’adresse directement à Dieu. Par ce vœu, il cherche une garantie supplémentaire pour gagner. Pourtant, nous, nous savons que l’Esprit est sur lui, et que victoire il y aura : Jephté est sur les bons rails pour réussir sa mission. Cependant il doute, d’un doute universel : vais-je y arriver ? que me réserve l’avenir ? Comment me sortir de mes problèmes ? Est-ce que Dieu est là au moins, quand ma vie est en jeu ?

Alors ce vœu tente de rajouter une garantie. Et on peut y voir une manière un peu perverse de manipuler Dieu, de négocier avec lui. Vous voyez, Dieu n’a pas besoin de sacrifices, il n’a pas besoin de nos prières, de jeûne ou d’argent. Nous ne pouvons rien lui offrir dont il ait besoin ! Pas de troc avec lui, pas de marchandage ! Si Dieu nous bénit, c’est par amour, et non par intérêt ! La signification de la grâce divine, c’est justement que son amour est gratuit : nous ne le méritons, nous ne l’achetons pas ! Attention, Dieu accepte avec plaisir l’expression de notre amour, de notre service, de notre obéissance mais comme un remerciement et pas comme un paiement ou un pot-de-vin !

Sachant cela, pourquoi marchander avec Dieu ? Par désir de garantie mais aussi par désir de maîtriser l’avenir. Submergé par l’anxiété dans une situation qui met en jeu sa vie, Jephté ne choisit pas la confiance en un Dieu tout-puissant, fidèle et bienveillant, mais au contraire il essaie de faire entrer Dieu dans son jeu, d’en faire un atout, un joker. Et en faisant ça, il perd tout : sa fille, l’espoir d’une famille. Ça va rarement aussi loin pour nous, je l’espère en tout cas, mais quand nous choisissons de devenir les maîtres à la place de Dieu et de le tordre pour le faire entrer dans nos plans, quand nous choisissons de traiter Dieu comme un outil, comme un génie dans sa lampe, eh bien nous nous privons d’une relation vivante avec lui, nous l’empêchons de nous transformer profondément, de nous libérer du mal.

Dieu est un Dieu qui délivre, et non pas un tyran : choisissons, par la foi, de le suivre sur ce chemin de vie.