Dans le cadre de ce culte un peu particulier centré sur la campagne contre la corruption que propose le Défi Michée, je vous invite à méditer ce matin un passage de la lettre de Paul aux Éphésiens, un passage où l’apôtre tire des conséquences très pratiques de notre foi en Jésus-Christ. Lecture
Notre texte s’inscrit dans toute une série d’exhortations à la communauté Éphèse, en Asie mineure. Paul a commencé avec un panorama de l’œuvre du salut de Dieu, et continue avec un long passage sur la manière de vivre la foi, en église, dans la vie quotidienne, dans nos relations proches. Dans ce passage un peu général sur la vie quotidienne du chrétien, Paul mélange des grands principes « vivez dans l’amour » et des instructions très spécifiques : « pas de paroles grossières », comme s’il donnait des exemples précis pour nous aider à comprendre comment vivre d’une manière qui plaise à Dieu.
1) Imitez Dieu : une nouvelle identité en Christ
L’idée centrale de l’apôtre Paul, c’est d’appeler les chrétiens à imiter Dieu, à vivre à son image dans leur quotidien. Le fondement de cette exhortation, c’est l’œuvre que Dieu a réalisée dans la vie de ceux qui ont cru en lui. Cette œuvre, le salut en Jésus-Christ, Paul l’a rappelée longuement au début de la lettre, mais il répète au début du chapitre : « Vous êtes les enfants que Dieu aime, eh bien, imitez-le. Vivez dans l’amour comme le Christ : il nous a aimés et il a donné sa vie pour nous. » En Jésus-Christ, Dieu nous a montré son amour : non seulement il nous a pardonné nos fautes, mais en plus il nous a donné une nouvelle identité. Il nous a adoptés, il a fait de nous ses enfants, ses proches, ses intimes. Il a fait de nous ses héritiers, Paul le rappelle au v.5 : nous sommes appelés à vivre dans le royaume éternel de Dieu, dans la lumière de sa présence. Imiter Dieu, c’est à la fois l’expression de notre reconnaissance pour son œuvre d’amour et l’expression de notre nouvelle identité.
Paul utilise une image très forte pour marquer ce changement d’identité : « autrefois vous étiez dans la nuit, mais maintenant, en étant unis au Seigneur, vous êtes dans la lumière » Littéralement, c’est le jour et la nuit entre ce que je suis aujourd’hui et ma vie d’avant. Cet avant-après est radical, comme ces photo-montages qu’on voit parfois dans les magazines – surtout féminins, je vous l’accorde – des photo-montages où l’on ne reconnaît quasiment pas la personne photographiée : ce n’est plus la même. Ici, la différence ne tient pas à la couleur des cheveux ou au tour de taille, mais à l’état de notre personne : nous étions sombres comme la suie, et grâce au sacrifice de Jésus-Christ qui a payé pour nos fautes, nous sommes, aux yeux de Dieu, blancs comme neige. Dans la Bible, et dans notre texte, on a deux choses en même temps : l’avant-après radical qui est le don de Dieu, et l’actualisation progressive de notre nouvelle identité. C’est comme si nous avions changé de nationalité: je reçois un nouveau passeport, mais je dois encore apprendre la culture, l’histoire, la langue… Dieu a fait de nous ses enfants, ses héritiers, mais nous devons apprendre à vivre comme ses enfants.
Dans ce processus d’apprentissage, la ressemblance à Dieu est cruciale. Nous sommes ses enfants, nous portons sa marque, son air de famille. Dans ma famille, humaine, c’est ce que j’ai plusieurs fois vécu. Un jour, adolescente, j’étais dans le bus avec ma grand-mère, et une dame m’aborde en me demandant si je n’étais pas la fille de Mme K., l’orthophoniste. Comme elle, plusieurs m’ont fait remarquer la ressemblance entre ma mère et moi – quand on sait qu’au naturel elle est blonde aux yeux bleus, ça a de quoi étonner ! Mais il paraît que nous avons la même voix et le même sourire. De même, Dieu nous appelle à rechercher la ressemblance avec lui, une ressemblance qui peut se traduire dans notre attitude, notre sourire, notre point de vue.
Cette ressemblance à cultiver, c’est l’actualisation du lien intérieur qui nous unit, sa manifestation concrète : si je dis, fais, pense, montre complètement autre chose que mon père, est-ce que je suis vraiment son enfant ? Il me semble que c’est le rappel que Paul fait au v.5 : si votre existence dans son ensemble s’écarte complètement du projet de Dieu, comment pouvez-vous penser que vous vivez en accord avec lui et que vous êtes son enfant ? C’est dur à entendre, mais c’est cohérent. Paul sait que ressembler à Dieu est un processus qui nous occupera toute notre vie, mais nous en avons reçu les fondements par Jésus-Christ et par le Saint Esprit et nous sommes appelés à grandir sur ces bases.
Quelles sont les pistes pour développer et actualiser cette nouvelle identité reçue par grâce ? Deux grands axes sont proposés : 1) renoncer au mal 2) cultiver le bien. C’est facile à dire !
2) Ne participez pas aux œuvres des ténèbres
Renoncer au mal, s’abstenir de participer aux œuvres mauvaises, aux œuvres de la nuit, des ténèbres. Paul continue d’opposer nuit et lumière, mais il donne quelques éléments concrets pour nous aider à discerner ce qui, dans notre vie, est un résidu de notre ancienne identité, un résidu des ténèbres qui nous caractérisaient.
Paul a mentionné plus haut la colère, le mensonge, le vol et les paroles méchantes. Dans notre texte, il cite d’autres comportements indignes de notre nouvelle identité : immoralité sexuelle, impureté, propos grossiers, paroles choquantes, stupides ou bouffonnes et cupidité. A priori, ces pratiques ont l’air d’aller tous azimuts : le rapport à l’argent, au sexe, à la parole. Pourtant, on y discerne des points communs : ce sont des comportements dégradants à la fois pour l’autre et pour soi. Être prêt à tout pour de l’argent, en bradant son honnêteté ou sa fiabilité, c’est se mépriser soi-même, sans parler de ce qu’on fait subir aux autres. On a tous des histoires de familles unies déchirées par des héritages en tête… Faire feu de tout bois pour attirer l’attention, pour placer un bon mot, quitte à ridiculiser l’autre ou à ruiner sa réputation… Evidemment, dans le domaine sexuel, les exemples d’immoralité ne manquent pas. Mais ils ne sont pas les seuls.
D’ailleurs, dans nos milieux évangéliques, on a souvent tendance à être très à cheval sur l’éthique familiale et les dysfonctionnements de couples, et on a raison. La sexualité est une part importante de notre vie, et du coup Dieu a des projets pour nous aussi dans ce domaine. Cela dit, on s’arrête parfois à ça, ce que la Bible ne fait pas. J’ai été étonnée, en portant plus d’attention aux détails du texte, de voir que Paul mentionne la cupidité comme une forme d’idolâtrie. v.5b « Les gens qui veulent tout pour eux n’y participeront pas non plus. En effet, tout vouloir pour soi, c’est une façon d’adorer les faux dieux. » Tout vouloir pour soi : l’argent bien sûr – et la condamnation du riche égoïste revient dans la Bible au moins autant que celle de l’infidèle – mais il y a d’autres formes de cupidité : vouloir le pouvoir à tout prix, refuser de partager, refuser de perdre, de se tromper… quand la motivation se résume à tout vouloir pour soi, Dieu nous appelle à nous remettre en question pour laisser entrer sa lumière dans ce recoin sombre…
Nous sommes appelés à nous abstenir de ces comportements indignes, et à les dénoncer. Notez que Paul omet deux directions : nous ne sommes appelés ni à couper les ponts avec les gens qui font ces œuvres ni à juger ces gens. C’est l’équilibre difficile que le Seigneur nous invite à vivre, à sa suite : dire clairement que l’injustice est injuste, que le mal est mal, et dénoncer les pratiques mauvaises, sans pour autant nous prendre pour des parfaits donneurs de leçons ou nous isoler entre nous.
Dénoncer, oui, mais comment, à qui ? Il me semble que la première étape, c’est la prière : seul ou en groupe, nous pouvons porter à Dieu nos soucis, notre conscience du mal vécu autour de nous et dans notre propre vie. Nous pouvons remettre à Dieu d’abord ces zones d’ombre récalcitrantes de notre âme, et aussi les injustices dans le monde qui privent les hommes de leur dignité.
Ensuite, il me semble que nous sommes appelés aussi à parler et éventuellement à agir quand on le peut. Il y a une expression de Paul un peu plus tôt dans la lettre, que j’aime beaucoup : « en disant la vérité avec amour, nous grandirons en tout vers celui qui est la tête, le Christ. » L’attitude à laquelle nous invite Paul, qu’elle soit à une échelle individuelle ou internationale, doit être caractérisée par ces deux qualités de Dieu : la grâce et la vérité. Dénoncer, oui, mais dans le but de faire progresser, d’améliorer, dire la vérité dans une attitude d’amour. On a malheureusement tendance à choisir : soit on dénonce, et peu importent les dégâts, soit on aime et on ne dit rien, on laisse faire, on ne veut pas vexer ou on a peur de se faire rentrer dedans. Paul nous dit : abstenez-vous pour vous-mêmes (travail sur soi important) et dénoncez ce qui ne va pas. Si les chrétiens, appartenant au Dieu de justice et de vérité, se taisent devant l’injustice et le mensonge, qui va parler ? Si les disciples de celui qui dit « je suis la lumière du monde » se réfugient dans les ténèbres de peur de faire des vagues, qui va mettre de la lumière dans ce monde ? Avec notre nouvelle identité d’enfants de Dieu vient une exigence : lui ressembler, et une responsabilité : témoigner de l’amour et de la justice de Dieu dans le monde qui nous entoure – et ça commence dans l’église.
3) Vivez comme des gens qui appartiennent à la lumière
Enfin, Paul nous exhorte à cultiver le fruit de la lumière. C’est intéressant qu’il oppose une lumière féconde, fertile, aux œuvres stériles du mal.
J’aimerais simplement faire quelques suggestions. D’abord, au début du texte, Paul oppose des vices très précis à la reconnaissance : « ne vivez pas dans l’immoralité ou la cupidité, l’indignité, mais remerciez Dieu. » (4b) Pourquoi ? On l’a dit, le point commun de la vie ténébreuse, c’est d’avoir de faux dieux, en particulier de vouloir tout donner à un ego insatiable. L’antidote, peut-être, c’est de reconnaître l’amour de Dieu à travers ses dons et de s’en nourrir, au lieu d’essayer de se remplir toujours plus de reconnaissance extérieure, de réussite, de pouvoir, de plaisir… Ce qui donne du sens à notre vie, c’est l’amour de Dieu, pas notre argent, pas les plaisirs passagers, pas notre réputation.
Ensuite, Paul nomme trois fruits de la lumière, ou plutôt trois aspects d’une vie remplie de la lumière de Dieu : la bonté, la justice, et la vérité. Nous sommes appelés, une fois que nous avons accueilli la lumière de Dieu dans notre vie, à poser un regard vrai sur le monde, à dire les choses telles qu’elles sont, dans le but d’agir de manière juste pour le bien des autres. Pas de justice sans vérité, ni sans amour. Les trois vont ensemble pour répandre la lumière de Dieu autour de nous.
Enfin, autant Paul était précis pour les vices à éviter, autant il est vague et général sur les vertus à cultiver. Est-ce une manière de nous signifier que le champ d’action est large, que nous ne pouvons pas le réduire à 1 Bonne Action (BA) par jour par exemple ? Est-ce une manière de stimuler notre imagination pour découvrir ou inventer de nouvelles formes de justice et d’amour dans un monde souffrant et dégradé ? Est-ce une manière de nous inviter à nous adapter, à nous remettre en question, à nous affiner en fonction des contextes, des évolutions, montrant que la justice hier c’était défendre tel droit et aujourd’hui un autre ?
En tout cas, le principe est simple, mais son application illimitée : du lever au coucher, de la parole à la main, laisser rayonner la lumière de Dieu en nous et autour de nous, pour qu’autour de nous soit manifestés l’amour et la justice de notre Dieu.
Conclusion
Pour finir, je voudrais simplement relire le dernier verset de notre texte, qui nous interpelle, durement, en nous invitant à nous remettre en question régulièrement pour ne pas retomber dans nos anciens schémas ténébreux. Mais l’interpellation, comme toujours, l’appel est assorti d’une promesse :
« Réveille-toi, toi qui dors.
Lève-toi du milieu des morts,
et le Christ t’éclairera de sa lumière. »
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