Ce n’est pas toujours simple de respecter l’autorité de quelqu’un d’autre… Si certains sont vraiment à l’aise pour entrer dans le moule et suivre les instructions, sans trop se poser de questions, d’autres se méfieront toujours de ce qu’on leur impose. C’est vrai dès l’enfance, où obéir est difficile ! Mais ensuite, le problème demeure : en famille, où les rapports d’autorité peuvent conduire à des conflits ou des ruptures ; dans les études, quand on remet en cause les profs et la pertinence de ce qu’ils nous demandent ; et bien sûr au travail, où les rapports d’autorité peuvent très bien se passer mais peuvent aussi ressembler à une croix qu’on porte jour après jour, si notre n+1 est incompétent voire injuste et malveillant.
Evidemment, en France, patrie des révolutionnaires, l’autorité passe mal, d’autant plus à une époque où les hiérarchies se sont nettement assouplies : les droits de chacun sont davantage mis en avant, on se réclame de l’égalité. Dans ce contexte, l’autorité est douteuse – ne va-t-on pas me voler ma liberté ? Me forcer à faire ce que je ne veux pas ? Et puis, Untel, qu’il soit ministre ou chef d’équipe, ne restera peut-être pas à son poste indéfiniment – donc faut-il vraiment lui obéir ?
En tant que chrétiens, le virage vers la soumission à Dieu est raide. Que nous soyons brebis dociles ou moutons noirs, il y a forcément quelque chose qui coince, tout simplement parce que reconnaître que je ne suis pas le maître du monde, ou juste le maître de ma vie, vient heurter mes aspirations, mes désirs voire mes délires. Le péché originel, fondamental, n’est-ce pas un couple qui décide de faire fi des demandes de Dieu, et de décider pour lui-même ce qui est le mieux ?
Le sujet est vaste, sûrement à nuancer selon les personnalités et les cultures, mais le texte qui nous est proposé aujourd’hui dans la liste des lectures bibliques vient nous interpeller. Nous sommes dans l’Evangile de Matthieu, plutôt au début des 3 ans où Jésus parcourt le pays d’Israël en apportant enseignements et guérisons. Il commence à être connu, mais peu se doutent de qui il est vraiment.
Lecture biblique : Matthieu 8.5-13
5 Au moment où Jésus entrait dans Capharnaüm, un centurion (du grade de sergent à peu près, commandant une troupe de plusieurs dizaines d’hommes – dans le monde du travail, ce serait un chef d’équipe sur le terrain) un centurion s’approcha et le supplia :
6 « Seigneur, mon serviteur est couché à la maison, il est paralysé et souffre terriblement. »
7 Jésus lui dit : « Moi je viendrai le guérir. »
8 Mais le centurion répondit : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. Mais dis seulement un mot et mon jeune serviteur sera guéri !
9 Car je suis moi-même soumis à mes supérieurs et j’ai des soldats sous mes ordres. Si je dis à l’un : “Va !”, il va ; si je dis à un autre : “Viens !”, il vient ; et si je dis à mon serviteur : “Fais ceci !”, il le fait. »
10 Quand Jésus entendit ces mots, il fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « Je vous le déclare, c’est la vérité : je n’ai trouvé une telle foi chez personne en Israël.
11 Je vous le dis, beaucoup viendront de l’est et de l’ouest et prendront place à table dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob. 12 Mais ceux qui appartenaient au royaume seront jetés dehors, dans l’obscurité, où ils pleureront et grinceront des dents. »
13 Puis Jésus dit au centurion : « Retourne chez toi, que tout se passe pour toi selon ta foi ! » Et le serviteur du centurion fut guéri à ce moment même.
Un récit de miracle : au-delà des frontières
Alors que Jésus rentre au village de Capharnaüm, un de ses QG, un centurion s’approche de lui, avec une demande voilée : son serviteur (manifestement estimé) est malade – sous-entendu, est-ce que Jésus peut faire quelque chose pour lui ? La réaction de Jésus est immédiate : « j’arrive ! » Il voit quelqu’un en détresse, et il accourt. Cette rencontre nous en dit long sur la disponibilité de Jésus, sur son empressement à faire du bien. C’est le même Jésus qui vit encore aujourd’hui, avec qui nous sommes en relation.
Son empressement est d’autant plus remarquable que ce centurion est le premier non-Juif à l’approcher, mais ce n’est pas un simple étranger, un touriste ou un frontalier : il appartient aux forces d’occupation romaines qui ont Israël en leur pouvoir, avec un degré de popularité que vous pouvez imaginer ! Alors, l’Evangile de Luc précise que ce centurion-là était plutôt bien vu, mais il reste un ennemi, au niveau politique. Dans ce chapitre, le disciple de Jésus, Matthieu, nous présente trois histoires de guérisons, trois histoires toutes simples mais révolutionnaires : Jésus guérit un lépreux (donc un Juif malade, impur, mis en quarantaine), le serviteur d’un officier romain, et une femme, la belle-mère de Pierre.
Trois catégories de personnes qui étaient souvent mises de côté dans la société juive. Jésus abat les frontières : sa compassion est pour tout le monde. Par lui, l’amour de Dieu rejoint toutes les catégories de personnes – et c’est encore vrai aujourd’hui ! Jésus veut encore apporter l’amour de Dieu à tous, qu’ils soient bien ou mal vus, qu’ils soient respectables ou méprisés… Pour lui, quelles que soient nos catégories, il y a juste des personnes à rencontrer et à aimer.
Cette rencontre met en avant la puissance de Jésus qui guérit, qui n’a d’égale que sa bonté et son amour. Si l’échange s’était arrêté là entre le centurion et Jésus, c’est la leçon principale qu’on retiendrait. Mais la réaction du centurion romain introduit un rebondissement dans l’histoire qui déplace notre attention de Jésus au centurion lui-même comme un projecteur qui viendrait l’éclairer plus fort.
Une foi étonnante
Le centurion refuse la venue de Jésus chez lui ! Vous imaginez ? « Viens ! non, pas trop près ! » C’est étrange ! Bon, le centurion était sûrement au courant qu’un Juif pieux n’avait pas vraiment le droit d’aller chez un étranger, parce que ça transgressait les règles de pureté et ça le mettait en difficulté pour participer aux rites juifs. Donc il y a sûrement le respect des traditions juives dans sa réaction. Mais pas seulement !
La raison que le centurion donne, c’est qu’il reconnaît l’autorité de Jésus. Il reconnaît sa puissance, ou plus précisément la puissance de sa parole et de ses pensées. Lui, il a l’habitude de la hiérarchie, de voir des ordres se réaliser, d’obéir et d’être obéi. Et il comprend que les miracles de Jésus ne relèvent pas de la magie ou d’une compétence particulière, mais qu’ils découlent de l’identité de Jésus. Identité mystérieuse, mais sous-jacente : qui d’autre que le créateur peut parler et la chose arrive (comme dit le psaume 33) ? qui d’autre que Dieu pense – et sa pensée se réalise, sans aucun intermédiaire ? Jésus a l’autorité du Créateur.
La foi du centurion touche à la vérité de qui est Jésus, avec un discernement d’une clarté époustouflante. Et Jésus en est époustouflé. D’habitude, dans les Evangiles, ce sont ceux qui entourent Jésus qui sont époustouflés : ses disciples, les foules, même ses opposants. Jésus bouleverse leur vision du monde ! Mais cette rencontre avec le centurion est la seule fois, dans les Evangiles, où Jésus est bouleversé, époustouflé, admiratif. La seule.
Il en est tellement retourné qu’il en tire un commentaire : cet étranger est un digne héritier du croyant Abraham, qui avait tout quitté à cause d’une promesse folle de Dieu. Sa foi le fait entrer dans la grande famille de Dieu, autour de cette table de réjouissance, de communion, de fraternité qui réunit ceux qui aiment Dieu, peu importe leur origine. Mais Jésus donne aussi un avertissement : ceux qui s’imaginent avoir leur place attitrée auprès de Dieu à cause de leur origine, de leurs œuvres, de leurs traditions ou de leurs valeurs, ceux-là se trompent. Toutes ces choses-là sont dérisoires devant Dieu. Seule la foi, seul le cœur qui reconnaît ses failles et ses fautes pour demander secours à Jésus, seule cette confiance a du poids. Parce qu’elle laisse Dieu être Dieu, et agir.
La place de l’autorité
Qu’y-a-t-il de particulier chez ce centurion ? Il a confiance en Jésus ? bien des malades guéris aussi ! Il est humble ? il n’est pas le seul ! Plusieurs approcheront Jésus avec respect pour le Maître, le Rabbi. Ce qui semble unique chez cet homme, c’est qu’il reconnaît l’autorité suprême de Jésus. Au-delà de ce que Jésus peut faire, le centurion voit qui Jésus est. Il n’a pas foi en quelque chose, mais en quelqu’un.
Quelqu’un qui possède la puissance du Créateur, mais aussi sa bonté. N’est-il pas plus facile de suivre un chef compétent qui ne veut que notre bien ? que notre salut ? qui nous aime du plus profond de son cœur ? Le centurion ne le sait pas, mais quelques mois plus tard, ce Créateur devenu homme, il va mourir pour nous libérer du poids de nos fautes. Ce n’est pas un chef qui écrase ou qui domine, mais qui bénit et qui relève, à l’autorité douce.
D’ailleurs, le centurion, aussi respectueux soit-il, n’a pas hésité à venir à Jésus, il lui a confié sa demande, il a osé ! Respecter Jésus comme sauveur et comme Seigneur, ce n’est pas se taire à tout jamais ou ne rien demander. C’est choisir de mettre en avant sa puissance et sa bonté. Peut-être que parfois, sous couvert de soumission, nous ne confions pas assez notre vie à Jésus, parce que nous avons une image trop petite de lui. Paradoxalement, reconnaître l’autorité de Jésus, c’est venir à lui librement.
Soyons clairs : les diverses rencontres racontées dans les Evangiles nous montrent que Jésus ne mesure pas la foi avant d’y répondre. Il n’attend pas un certain taux de foi pour accéder aux requêtes ! un simple mouvement vers lui est déjà pris en compte, et Jésus répand largement ses bénédictions. Pour que Jésus vous écoute, vous n’avez pas besoin de passer un certain niveau, d’avoir un diplôme de foi. Votre simple cri vers lui, même sans mots articulés, même sans savoir trop qui il est, votre simple cri est entendu.
Il n’empêche que la foi du centurion nous invite à ne pas rester à une foi première, rudimentaire, viscérale, mais à discerner de plus en plus l’autorité du Christ, son identité divine et sa dignité, sa gloire, que nous sommes appelés à respecter. Je vais prendre un exemple.
Imaginez des parents, assis dans le salon. Ils entendent un cri dans la chambre, leur fils adolescent les appelle car il est tombé en allant chercher un carton en haut du placard. Il s’est sûrement cassé quelque chose et il souffre terriblement. A priori, les parents vont l’emmener aux urgences. Il n’y pas vraiment de suspense ! Mais la situation se vivra complètement différemment si leur fils les insulte ou s’il leur parle avec respect et confiance. La relation parents-enfant n’en ressortira pas pareil. L’amour des parents ne changera pas, mais la qualité de leur relation vécue ne sera pas la même.
Jésus n’attend pas notre respect et notre reconnaissance pour nous aimer et nous répondre. Mais nous avons tout à gagner à grandir dans ce respect, à devenir pas seulement des croyants, mais aussi des disciples, qui reconnaissent son identité divine, sa puissance et sa bonté – parce que c’est là que notre relation avec lui accueillera les plus belles bénédictions.