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Vivre la fraternité (1) Aimer nos frères, pourquoi?

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église papier

Liberté, égalité, … fraternité ! La fraternité. Ce n’est pas juste un mot, c’est une des valeurs de notre République, et c’est aussi une valeur essentielle dans l’Eglise. La fraternité… Nous voulons la vivre ! Et dans l’église, nous avons cette ambition d’être comme une famille. Nous en avons envie, mais pas toujours le temps ! Parfois même, comme dans nos familles d’origine, des brouilles nous divisent, et la fraternité devient plus compliquée. Ou alors on ne se comprend pas. Ou certains prennent toute la place et d’autres doivent rester dans leur coin.

Et puis nous ne venons pas forcément dans cette église à cause des gens la composent ! Pourquoi venez-vous dans cette église ? Parce que vous connaissez quelqu’un ? Que vous aimez bien le culte ? Ou simplement parce que c’est à côté de chez vous ?… Peu importe les raisons, nous sommes rassemblés dans le même lieu. Mais cela veut-il dire que l’on se doit quelque chose  les uns aux autres ?

Avec Vincent, nous avons décidé de commencer une série de prédications sur la fraternité, dans l’église d’abord mais aussi au-delà. N’ayez pas peur, on ne s’est pas dit : il y a un vrai problème dans cette église, on doit absolument en parler. Rassurez-vous ! Cela signifie-t-il que vous n’avez pas besoin d’écouter ?… Non !! La fraternité, l’amour pour l’autre, reste toujours un défi. Dans le récit biblique que nous avons choisi pour notre église l’an dernier, la rencontre entre Pierre et Corneille (Actes 10-11), nous avons reconnu comme nôtre le défi de la fraternité, comme quelque chose qu’on vit mais qu’on veut encore mieux vivre, toujours mieux toujours plus, parce qu’on ne peut pas trop aimer.

C’est un défi qui se pose à toute église, quand on se connaît trop peu ou trop bien… mais c’est un défi qui s’est posé dès le début. Et dès les débuts de l’église, l’apôtre Jean, un disciple de Jésus, écrit aux églises qu’il a fondées pour rappeler l’essentiel de la foi chrétienne. Et il consacre un temps non négligeable au type de relations que nous devons entretenir dans l’église.

Lecture biblique : 1 Jean 3.1, 16-24

1 Voyez : (Dieu) le Père nous aime tellement qu’il nous appelle ses enfants, et c’est vrai, nous sommes ses enfants ! Mais le monde (extérieur) ne nous connaît pas, parce qu’il n’a pas connu Dieu.

16 Aimer, qu’est-ce que c’est ? Maintenant, nous le savons : Jésus a donné sa vie pour nous. Donc, nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères et nos sœurs. 17 Voici un exemple : quelqu’un est riche. Il voit un frère ou une sœur qui est dans le besoin et il ferme son cœur. Est-ce qu’on peut dire qu’il aime Dieu ?

18 Mes enfants, n’aimons pas avec des paroles et avec de beaux discours, mais avec des actes. Ces actes montrent que notre amour est vrai. 19 Par là, nous saurons que nous appartenons à la vérité, et devant Dieu, nous rendrons la paix à notre cœur. 20 En effet, si notre cœur nous accuse, nous le savons, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout.

21 Amis très chers, si notre cœur ne nous accuse pas, nous sommes pleins de confiance devant Dieu 22 et nous recevons de lui tout ce que nous demandons. Pourquoi ? Parce que nous obéissons à ses commandements et nous faisons ce qui lui plaît.

23 Voici ce que Dieu commande : nous devons croire au nom de son Fils, Jésus-Christ, et nous aimer les uns les autres, comme le Christ l’a commandé.

24 Celui qui obéit aux commandements de Dieu, il vit en Dieu et Dieu vit en lui. Oui, Dieu vit en nous, à cause de l’Esprit Saint qu’il nous a donné.

  1. Vraiment frères ?

C’est quoi l’amour ? C’est Jésus qui donne sa vie pour nous. Voilà la définition de l’amour véritable. Dooonc, si nous aimons, nous devons aimer comme Jésus, c’est-à-dire donner notre vie, nous aussi, pour nos frères.

L’enjeu est de taille ! Mais vérifions, du coup : sommes-nous vraiment frères et sœurs, nous chrétiens ? C’est un grand mot, quand même ! Ne sommes-nous pas juste des compagnons de route, engagés sur un bout de chemin ensemble ? Des gens qui partagent les mêmes convictions, comme dans n’importe quelle association après tout.

Non. Dieu a tout fait pour que nous soyons réconciliés avec lui, et que nous puissions l’appeler « Père ». Et, sur la base de l’œuvre de Jésus, nous pouvons dire, fièrement et avec assurance : je suis la fille, le fils, de Dieu ! Mais nous ne sommes pas fils uniques : Dieu nous appelle à vivre avec ses autres enfants, comme quand vous êtes nés dans votre fratrie. Comme n’importe quel parent, Dieu rêve de voir ses enfants développer une relation horizontale riche et profonde.

Pourquoi une telle importance à la communauté ? À la fraternité ? Il y a un indice dans le texte, même si Jean ne le développe pas : Dieu – Père, Fils, Saint-Esprit. Un Dieu unique, en trois personnes. Même si on ne comprend pas tout de l’être intime de Dieu, la Trinité dit au moins que Dieu est un être de relations. Dès avant la création du monde, Dieu, en lui-même, aime. Il n’est pas juste amour, il aime. Au plus profond de son essence, il y a ce réseau d’amour qui le fait vibrer. Quand Dieu crée l’homme, il y a bien bien longtemps, le récit biblique dit que son intention est de créer un être qui lui ressemble – et il crée un être de relation, l’être humain, version homme et version femme. L’humain à la ressemblance de Dieu : il crée, il est responsable, il parle… et il aime ! Il va au-delà de l’attirance, de l’instinct, de la connivence : il entre dans une relation profonde où donner est plus beau que recevoir, où l’autre devient plus important que lui (pas pour préserver la race, non, pas parce que l’autre est plus fort, non, mais parce qu’il a du prix à nos yeux). Lorsque nous aimons, nous ressemblons à Dieu. Nous sommes à son image.

  1. Un Père avec ses fils

Dieu va plus loin : aimer notre frère fait partie intégrante de notre amour pour Dieu. Il n’y a pas la foi et l’amour, il y a l’amour dans la foi. Sans amour, la foi est amputée, bancale, à trous.

Pour Jésus, le plus important des commandements, c’est : aime ton Dieu de toutes tes forces, et aime ton prochain comme toi-même. Ce sont les deux faces d’une même pièce. La qualité de nos relations fraternelles joue sur notre relation avec Dieu – et c’est Dieu qui en a décidé ainsi. Ce n’est ni anecdotique ni optionnel. C’est un commandement. Il n’y a qu’un commandement, et il a deux faces : aimer Dieu, aimer son prochain. Nous attacher à Dieu par Jésus-Christ, et nous aimer les uns les autres.

Se détourner d’un frère, c’est un peu se détourner du Père.

Vous connaissez ces parents : si tu n’acceptes pas mes enfants, je ne viens pas. Mes enfants, c’est moi. Là où je vais, ils sont les bienvenus, sinon, je ne me sens pas bienvenu non plus. C’est avec eux ou sans moi. Est-ce qu’il y a de cette radicalité viscérale dans l’amour paternel de Dieu ? Est-ce qu’il aime ses enfants au point de dire à tous ceux qui l’approchent : c’est avec eux ou sans moi ?

Peut-on imaginer que Dieu, qui a donné ce qu’il avait de plus cher pour nous, est prêt à ne plus se définir sans nous ? que Dieu se présente ainsi : « Bonjour, je suis Dieu, créateur du monde, juge parfait, maître de l’univers, et père de 1 293 456 754 enfants. Laissez-moi vous les présenter ! » (s’il sort toutes les photos de naissance, on n’a pas fini !) Et le Fils : « Je suis Jésus, Dieu le Fils devenu homme. Je vais vous parler de mes frères et sœurs, je les aime tellement ! Ils font presque partie de moi ! »

Se détourner d’un frère, c’est un peu se détourner du Père.

Nous ne pourrons être en pleine paix devant Dieu que si nous cherchons vraiment à aimer nos frères. Etre en paix avec Dieu, c’est s’approcher de lui avec assurance, avec le cœur tranquille. Ca ne veut pas dire qu’on est parfait ou qu’on a tout compris, mais qu’on est sur la même longueur d’onde, qu’on est sur le bon chemin, le chemin de la foi et de l’amour – alors quand on prie, le cœur voulant ce que Dieu veut, on ne peut que demander ce que Dieu veut donner, et Dieu répond.

Quand nous aimons, Dieu vit en nous et nous en Dieu : nous sommes plus qu’une image, nous entrons dans le cœur de Dieu et nous déversons son amour à ceux qui nous entourent, comme des ruisseaux qui partent de la source et irriguent la terre.

  1. Comment aimer ?

Alors concrètement, qu’est-ce que ça veut dire, aimer nos frères ? Jésus a donné sa vie pour nous, nous devons donner notre vie pour nos frères.

Nos frères sont importants, mais quand même : donner sa vie ? Pour tous nos frères ? Ce n’est pas possible !

Quand on entend « sacrifier sa vie », on pense héros, martyr, et on se dit « très peu pour moi ! Je ne suis pas un saint, juste un chrétien ordinaire ». Et puis, il y a trop de gens à aimer, si je me mets à aider ne serait-ce que tous les gens de cette église, je ne vais pas m’en sortir ! L’ampleur de la tâche impressionne, comme dans une randonnée où on regarde le sommet, on prend peur, et on se dit (si on a un niveau moyen), « je n’y arriverai jamais ! Je reste en bas. » Combien de fois l’ambition de Dieu nous a fait frémir, battre en retraite, quitte à utiliser les idéaux de Dieu comme excuse pour ne pas lui obéir : « Non je n’aime pas, parce que ton idée de l’amour est beaucoup trop ambitieuse, Seigneur ! Ce que tu demandes, c’est pas réaliste ! »

Mais pour avancer en randonnée, on regarde le sommet et on se fixe des étapes, comme autant de défis raisonnables qui nous font avancer vers le but. Et Jean nous donne un défi raisonnable : si quelqu’un voit un frère dans le besoin… Pas tout le monde, juste un ! On ne devient pas Jésus en un jour, on apprend. Si tous, nous décidons de traiter en frère ou en sœur 1 personne, vraiment, pour commencer, vous imaginez ce que l’église peut devenir ? Commençons chacun à faire pour un ce que nous aimerions, devrions, faire pour tous, et déjà nos relations fraternelles changeront !

Et parlons du sacrifice : c’est pareil, ça fait bondir ! Mais Jésus n’a donné sa vie qu’une fois, à la croix, et c’était l’ultime sacrifice. Mais si c’était le plus grand, et le dernier, des sacrifices, ce n’était pas le seul ! Jésus a renoncé à sa gloire divine, pour naître parmi les hommes. Il a pris du temps pour former des disciples. Il a pris la peine d’expliquer, inlassablement, ce qui pour lui était une évidence. Il s’est laissé déranger – et combien de fois ? Pour guérir, nourrir, accueillir… Jésus avait un esprit radicalement généreux, un cœur radicalement tourné vers l’autre – et ça l’a finalement conduit à la Croix. Même si nous, sur notre chemin, nous n’imaginons pas un jour mourir pour quelqu’un, nous pouvons juste avancer d’un pas, un pas de plus dans les empreintes de Jésus faire un effort qui coûte/ qui pique, mais qui nous entraîne un peu plus sur la voie de la fraternité généreuse dont Jésus est l’exemple.

Il y a toutes sortes de dons qui nous sont des sacrifices, moins forts que la Croix mais déjà trop coûteux, en argent ou en temps (je ne sais pas de quoi nous manquons le plus ?…) : une soirée pour inviter untel qui vit seul, un samedi après-midi pour aider à déménager, une heure le dimanche matin alors qu’on aurait pu dormir pour aller chercher une sœur qui ne conduit plus et l’amener au culte, un coup de fil pour prendre des nouvelles, le budget d’une prochaine sortie en famille pour aider à payer une facture ou parrainer un enfant en détresse… Il s’agit bien là d’actes concrets, au-delà des émotions, des paroles et des sourires (qui sont bien aussi !) qui traduisent la réalité de l’amour fraternel, tout comme Dieu a exprimé son amour envers nous par des actes concrets, en Jésus-Christ.

 

Il y a mille façons d’être frères, mais Dieu nous demande de commencer quelque part, ou de faire le pas qui est devant nous. Lui dont nous célébrons l’amour, il désire que nous aimions, nous-mêmes, comme lui. Alors prions, prions Dieu non pas pour être plus aimés, mais pour lui demander un cœur un peu plus large, d’aimer un peu plus comme lui, d’entrer un peu plus dans la générosité radicale du Christ – Dieu nous répondra ! Demandons, et nous recevrons ! L’amour c’est la seule chose où plus on en donne, plus on en a. Demandons, demandons à Dieu un cœur et des mains pour aimer comme lui, en actes, en vérité. Pour que son amour devienne un peu plus une réalité en nous, entre nous, autour de nous. Oui, Seigneur, que ton règne vienne ! Que ton règne d’amour et de foi vienne dans notre cœur, dans nos relations, dans notre monde !

De scandale en scandale

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Qui est le bienvenu ici ? Tout le monde ! Tout le monde, bien sûr ! Nous voulons accueillir chaleureusement tous ceux qui s’approchent de Dieu, parce que Dieu lui-même les accueille chaleureusement. Oui, tout le monde est le bienvenu. Enfin… Nous avons des limites : tout le monde peut entrer, mais certains vont nous faire tiquer. Ca peut être un motard avec de gros tatouages et une boucle d’oreille qui entre dans l’église, un couple d’hommes, quelqu’un qui sent l’alcool à plein nez ou encore une femme qui serait plus à sa place dans une boîte de nuit. Je ne les mets pas tous dans le même panier, je parle juste de ce qui nous fait tiquer. Parce qu’on a des limites : ceux qui sont différents de nous nous interpellent. Ils accrochent notre regard. Ils suscitent en nous, au minimum des questions, au maximum des jugements. Pas besoin d’être à l’église, c’est déjà vrai dans le métro : involontairement, nous scannons ceux qui nous entourent – acceptable ou pas acceptable ? Comme moi ou étrange ? Mais à l’église, en plus, nous sommes rassemblés autour du Dieu saint – c’est-à-dire parfait, juste, intègre, d’une pureté morale éclatante. Et ceux qui nous choquent, on se dit qu’ils doivent aussi choquer Dieu.

Vous voulez un petit test sur nos limites ? Est-ce-que vous seriez prêts à inviter, sans craindre les regards qu’on va porter sur eux, n’importe lequel de vos collègues, voisins, amis? Votre cousin éloigné, celui dont on ne parle plus sans hausser les sourcils ?

Et imaginez que ces visiteurs différents n’aient même pas la décence de faire profil bas pendant le culte… Imaginez qu’ils prient pendant un temps de silence, qu’ils s’avancent pour distribuer la cène, qu’ils se lèvent au milieu de la prédication pour dire quelle est leur vision de Dieu, qu’ils se jettent en pleurs au pied de la croix pendant un chant. Rien de mortel, mais on serait nombreux à se trémousser sur notre chaise…

Plus que nous ne le voudrions, nous sommes prompts à nous choquer – et nous ne sommes pas les seuls ! Ni les premiers ! Le texte tiré de l’Evangile de ce matin nous plonge au cœur d’un repas au parfum de scandale…

Lecture biblique : Luc 7.36-50

36 Un Pharisien [c.-à-d. un religieux juif de l’époque de Jésus, un croyant bien sous tous rapports, connu pour sa foi et son engagement pour Dieu, son désir de vivre le plus possible comme Dieu le voudrait] invita Jésus à prendre un repas avec lui. Jésus se rendit chez cet homme et se mit à table. [c’était sûrement un grand repas, comme on organiserait une soirée chez soi avec un invité d’honneur]

37 Il y avait dans cette ville une femme de mauvaise réputation. Lorsqu’elle apprit que Jésus était à table chez le Pharisien, elle apporta un flacon d’albâtre (un genre de marbre fin qui était assez cher) plein de parfum 38 et se tint derrière Jésus, à ses pieds [Jésus, à la mode romaine, était couché sur le côté, la table était en U]. Elle pleurait et se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus ; puis elle les essuya avec ses cheveux, les embrassa et répandit le parfum sur eux. 

39 Quand le Pharisien qui avait invité Jésus vit cela, il se dit en lui-même : « Si cet homme était vraiment un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche et ce qu’elle est : une femme de mauvaise réputation. » 

40 Jésus prit alors la parole et dit au Pharisien : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. » Simon répondit : « Parle, Maître. » 

41 Et Jésus dit : « Deux hommes devaient de l’argent à un prêteur. L’un lui devait cinq cents pièces d’argent [environ 2 ans de salaire : disons 25000 euros] et l’autre cinquante [environ 2 mois de salaire : disons 2000, 2500 euros]. 42 Comme ni l’un ni l’autre ne pouvaient le rembourser, il leur fit grâce de leur dette à tous deux. Lequel des deux l’aimera le plus ? » 

43 Simon lui répondit : « Je pense que c’est celui auquel il a fait grâce de la plus grosse somme. » Jésus lui dit : « Tu as raison. »

44 Puis il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi et tu ne m’as pas donné d’eau pour mes pieds ; mais elle m’a lavé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. 45 Tu ne m’as pas reçu en m’embrassant ; mais elle n’a pas cessé de m’embrasser les pieds depuis que je suis entré. 46 Tu n’as pas répandu d’huile sur ma tête ; mais elle a répandu du parfum sur mes pieds. 47 C’est pourquoi, je te le déclare : le grand amour qu’elle a manifesté prouve que ses nombreux péchés ont été pardonnés. Mais celui à qui l’on a peu pardonné ne manifeste que peu d’amour. » 

48 Jésus dit alors à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. » 

49 Ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme qui ose même pardonner les péchés ? » 

50 Mais Jésus dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée : va en paix. »

1)     Un parfum de scandale

Simon le pharisien est choqué, mais il ne sait pas qui le choque le plus : la femme ou Jésus ? Cette femme, on ne sait pas qui elle est, elle restera anonyme, mais sa réputation la précède, et ça se voit dans son style, son maquillage, sa façon de se tenir… Dès qu’elle arrive, elle est cataloguée. Cette femme, Simon accepte qu’elle vienne écouter Jésus, mais bon, ce serait bien qu’elle reste dans un coin ou près du couloir – mais elle a l’audace de venir au milieu de la pièce, juste derrière l’invité d’honneur, et de se mettre à faire son cinéma – de toute façon, qu’est-ce qu’on pourrait attendre de ce genre de femme ? Elle  sanglote, prostrée aux pieds de Jésus – tous les regards sont braqués sur elle. Puis elle les essuie avec ses cheveux, les parfume… Ca devient ambigu, tout ça ! C’est comme si elle s’était mise à le masser, à lui embrasser la nuque, les joues – c’est inconvenant ! Et puis le parfum… A l’époque, ce n’est pas comme aujourd’hui, c’est du parfum pur qui coûte très cher. Alors tout dépend de la taille du flacon, mais ça pouvait représenter jusqu’à un an de travail d’un ouvrier – on sait pas comment elle a gagné l’argent pour s’acheter ce parfum, mais en tout cas, ça vaut très cher, et elle le vide pour parfumer les pieds de Jésus… Maintenant, non seulement on la remarque, mais on sent aussi !

Et Jésus, dans tout ça, reste impassible ! Comme s’il n’y avait rien de gênant…

Simon est choqué, sûrement déçu : on disait tant de bien de Jésus, de ses discours, de ses conférences théologiques, de ses sermons – il l’a invité pour en savoir plus, mais finalement Jésus n’a pas l’air de valoir grand-chose.

2)     Un message scandaleux

Avec une bonne dose d’ironie prophétique, Jésus interpelle Simon, non pas sur la femme (qu’il a très bien cernée), mais sur les pensées du pharisien. Jusque là, on a deux personnages, chacun avec son étiquette : la femme sulfureuse et le religieux bien-pensant. Mais pour Jésus, ce n’est pas juste un pharisien, une pécheresse – c’est Simon, c’est cette femme, avec leur parcours, leurs attentes, leurs questions, leurs déceptions. Jésus ne s’arrête pas aux apparences ni aux catégories : il regarde la personne.

Alors Jésus raconte une histoire : deux dettes, deux hommes dans la panade – et un prêteur généreux qui efface l’ardoise. Vu sa position sociale, Simon devait sûrement lui-même prêter de l’argent à différentes personnes – il n’y avait pas de banque – donc il comprend très bien. Si un jour il en venait à effacer de telles dettes (mais il regarde autour de lui en espérant que personne dans la salle ne va se faire des idées), il attendrait une belle dose de reconnaissance ! Et plus la dette est grande, plus on attend de gratitude !

Avec cette parabole sur l’argent, Jésus parle du cœur de l’Evangile : nous devons tous quelque chose à Dieu. Notre naissance, notre souffle, notre vie, ça vient de lui, c’est à lui. Dès que nous abîmons ou que nous dégradons notre vie, notre corps, nos pensées, nos relations, nous sommes en dette. Le problème de Simon, c’est qu’il est rentré dans le calcul : lui, il pense qu’il n’a pas beaucoup de dettes envers Dieu – il ne ment pas, ne jure pas, ne se saoule pas, il travaille honnêtement, il est fidèle à sa femme, n’a jamais un mot plus haut que l’autre. Mais cette femme, là, on ne sait pas jusqu’où elle est allée ! Quel fond sordide elle a touché ! Quand même, devant Dieu, c’est pas pareil !

Et c’est là que Jésus est choquant : l’histoire ne se concentre pas sur ça, mais il faut le rappeler – Dieu efface les deux dettes. Les deux. Aucune dette n’est si grosse que Dieu ne puisse l’annuler. Et comment il le fait ? En payant lui-même la dette – en la personne de Jésus, au compte en justice bien rempli, qui vide ses caisses pour payer nos factures, qui se donne lui-même pour nous permettre de vivre. Jésus plus tard se tourne vers la femme : « tes dettes sont effacées, tes fautes sordides sont lavées, relève la tête, Dieu te regarde avec amour et fierté. » La femme l’a compris, et sa réaction inconvenante, scandaleuse, pas spécialement recommandable, c’est la réaction au scandale du salut, au scandale du pardon : à travers Jésus, elle découvre un Dieu qui a tout pour juger, mais qui choisit de pardonner. Non mais nulle part on ne voit ça, la vie ne fait pas de cadeau ! Mais Dieu, si : le cadeau d’une vie nouvelle. La femme n’en sait pas plus, elle connaît à peine Jésus, elle a peut-être juste entendu une bribe de ses discours, mais elle a compris que Jésus parle d’un Dieu d’amour, alors elle donne tout, tout ce qu’elle a de précieux.

3)     Ce qui choque Jésus

Mais Jésus n’est pas satisfait : il veut que Simon aussi comprenne qui Dieu est. Il veut renverser ses petits calculs. Il n’est pas en train de dire que tout se vaut et que rien n’est grave, ou qu’on peut détruire notre vie ou notre monde sans scrupules. Mais si on veut parler de ce qui choque Dieu, c’est pas la reconnaissance maladroite de cette femme. Non, c’est Simon. Occupé à regarder les autres pour se rassurer sur son statut de croyant modèle, à compter les points vers la pureté, à franchir les marches de son escalier spirituel, Simon en est venu à penser que finalement, lui, c’est un bon, il n’a pas vraiment besoin de pardon.

Ce qui choque Jésus, c’est Simon, Simon au cœur dur qui se moque de voir quelqu’un retrouver l’espoir, retrouver un sens à sa vie, tellement il est coincé dans ses règles et ses principes. Comment Simon peut-il ne pas voir le potentiel : oui cette femme part de loin, mais elle se jette toute entière dans les bras de Dieu – et tout est possible à celui qui fait confiance à Dieu, tout peut arriver. Dieu est tellement heureux quand une nouvelle personne lui ouvre son cœur… Dieu sait tout ce qu’il va faire pour la relever, la guérir, la conduire, la bénir.

Simon a oublié que Dieu est le Dieu de la vie, de la vie nouvelle, une vie qui jaillit de façon parfois étonnante et chaotique. Dans sa vie bien rangée, il n’y a plus de place pour les surprises de Dieu, pour les révolutions et les irruptions de la vie avec Dieu, pour l’amour même de Dieu. Mais l’amour de Dieu nous dérange, nous bouscule. Parce que Dieu appelle « mon fils, ma fille » des gens avec qui parfois on ne voudrait même pas prendre un café. Tout le monde est hors limites pour Dieu, mais il a choisi d’ouvrir les bras pour accueillir ceux qui se tournent vers lui, sur un seul critère : la foi, et le désir de laisser Dieu transformer notre vie pour en faire une vie belle et bienfaisante.

Alors pour revenir à nos limites, mais ça va plus loin que ça : Jésus nous appelle à regarder au-delà des étiquettes, à nous laisser déranger par le potentiel de ceux qui sont percutés par le pardon de Dieu, à élargir notre cœur en aimant comme Dieu. Il nous appelle à accueillir l’autre avec ses chaos, ses tentatives, ses maladresses – pas pour les cautionner, mais parce que Dieu nous travaille dans le chaos de notre vie.

Peut-être que le remède, pour nous, c’est le même que pour Simon : sans cesse recentrer notre regard sur Dieu. Oui, il est saint – et pourtant il m’aime, c’est incroyable ! Il m’appelle son ami, son enfant, quelle folie ! S’il m’a fait une place dans sa vie alors que je n’en valais vraiment pas la peine, alors il y a une place pour les autres aussi. Revenir sans cesse à Dieu, redécouvrir sans cesse les dimensions scandaleuses de son pardon, le potentiel incroyable d’une vie avec lui – c’est la base de ce que Dieu attend de nous, la base de notre amour pour lui, la base de notre amour pour les autres.

Epiphanie

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https://soundcloud.com/eel-toulouse/epiphanie

Savez-vous quelle fête nous célébrons aujourd’hui, 6 janvier ? L’épiphanie. Et qu’est-ce que l’épiphanie ? Le mot, transcription du grec, signifie apparition, manifestation. L’épiphanie est la commémoration de l’épisode biblique de la visite des mages à Jésus alors qu’il était enfant.

C’est aussi le moment où on mange la galette des rois… Une tradition qui n’a rien de biblique mais qui vient sans doute d’une fête païenne romaine : les Saturnales. Pendant sept jours la hiérarchie sociale pouvait être critiquée voire tournée en dérision. Par exemple, les soldats tiraient au sort, grâce à une fève, un condamné à mort qui devenait “roi” le temps des réjouissances… avant d’être exécuté à la fin de la fête !

Ceci dit, dans la fête de l’épiphanie, il n’y a pas que la tradition de la galette des rois qui s’éloigne de la Bible ! Avec la représentation du récit de la visite des mages, on est souvent dans le folklore, assez éloigné de la sobriété du récit biblique. Regardez cette image de crèche… et cherchez les erreurs !

Crèche

  • Dans la Bible, on ne parle jamais de rois pour les mages
  • On ne sait pas combien ils étaient
  • On connaît encore moins leurs noms ! Melchior, Gaspard et Balthazar, c’est du folklore !
  • L’épisode a eu lieu au moins plusieurs mois après la naissance de Jésus (cf. le massacre des enfants jusqu’à deux ans par Hérode “d’après l’époque précisée par les mages”), les bergers n’étaient donc plus là depuis longtemps… et il est très probale qu’on n’était plus dans une étable.

Mais même nettoyé de tous les ajouts de la tradition et du folklore, le récit biblique reste assez mystérieux, au point qu’on pourrait se demander s’il ne faudrait pas le considérer comme une fable, une jolie histoire mais rien de plus…

Matthieu 2.1-12
1 Jésus naît à Bethléem, en Judée, au moment où Hérode le Grand est roi. Alors, des sages viennent de l’est et arrivent à Jérusalem. 2 Ils demandent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile se lever à l’est, et nous sommes venus l’adorer. »
3 Quand le roi Hérode apprend cela, il est troublé, et tous les habitants de Jérusalem aussi. 4 Le roi réunit tous les chefs des prêtres de son peuple avec les maîtres de la loi. Il leur demande : « À quel endroit est-ce que le Messie doit naître ? » 5Ils lui répondent : « Le Messie doit naître à Bethléem, en Judée. En effet, le prophète a écrit :
6 “Et toi, Bethléem, du pays de Juda,
tu n’es sûrement pas
la moins importante des villes de Juda.
Oui, un chef va venir de chez toi,
il sera le berger
de mon peuple, Israël.” »
7 Alors Hérode fait appeler les sages en secret. Il leur demande : « À quel moment est-ce que l’étoile est apparue ? » 8 Ensuite il les envoie à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner exactement sur l’enfant. Quand vous l’aurez trouvé, venez me prévenir, et moi aussi, j’irai l’adorer. »
9-10 Après ces paroles du roi, les sages se mettent en route. Ils aperçoivent l’étoile qu’ils ont vue à l’est. Ils sont remplis d’une très grande joie en la voyant. L’étoile avance devant eux. Elle arrive au-dessus de l’endroit où l’enfant se trouve, et elle s’arrête là. 11 Les sages entrent dans la maison, et ils voient l’enfant avec Marie, sa mère. Ils se mettent à genoux et adorent l’enfant. Ensuite, ils ouvrent leurs bagages et ils lui offrent des cadeaux : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Après cela, Dieu les avertit dans un rêve de ne pas retourner chez Hérode. Alors ils prennent un autre chemin pour rentrer dans leur pays.

Enquête sur les mages

Un évangile n’est certes pas à lire comme un rapport de police qui relaterait froidement les faits, ni même comme un ouvrage d’histoire au sens moderne. Il y a toujours une intention dans un évangile : le message est toujours le plus important. Une fois qu’on aurait démontré l’historicité d’un évènement, si c’était possible, on n’en aurait pas forcément compris la portée. Et on passerait à côté de l’essentiel… Mais ce n’est pas une raison pour refuser toute vraisemblance à un récit dès le moment où il contient une part de mystérieux ou de miraculeux.

Pour ce récit de la visite des mages, j’aimerais donc juste souligner quelques éléments de vraisemblance de l’histoire. Il ne s’agit pas pour moi de vouloir prouver l’historicité du récit. C’est impossible. Et pas très utile. Mais le fait qu’il soit vraisemblable en bien des aspects nous invite déjà à le prendre au sérieux.

Ce qu’on sait de la personnalité d’Hérode

Ce que le récit dit d’Hérode correspond à ce que l’on sait du personnage, même dans la suite du récit, lorsqu’il ordonnera le massacre des enfants à Bethléem. Véritable tyran parano, il était jaloux de son pouvoir. On sait qu’il s’est rendu coupable d’autres massacres que celui dont parle l’évangile, à commencer par le meurtre de ses propres fils, de peur qu’ils ne lui prennent le pouvoir…

Ce qu’on sait des mages

Qui pouvaient être ces mages venus d’Orient ? Le mot grec magos qui a donné mage en français, semble venir du vieux persan et désignait à l’origine des prêtres de Zoroastre. Ici, le terme semble utilisé dans un sens plus large. Visiblement, ce ne sont pas des magiciens mais plutôt des observateurs des étoiles. Sans doute des savants comme il y en avait dans l’Antiquité en Orient. Aujourd’hui, on les qualifierait plus d’astrologues que d’astronomes… ils cherchaient donc bien des signes dans les étoiles !

En passant, je trouve assez savoureux de voir que Dieu se révèle à ces savants venus d’Orient par l’astrologie qu’il condamne par ailleurs dans la Bible ! Le Dieu de grâce fait éclater les cadres… et emprunte parfois des chemins surprenant pour nous rejoindre !

Ce qu’on peut penser de l’étoile

Quant à l’étoile, les astronomes s’y sont beaucoup intéressés et ont essayé de comprendre à quel phénomène astronomique cela pourrait faire référence. On a pensé à une comète mais ça ne fonctionne pas. On évoque aujourd’hui un alignement de planètes ou une supernova (implosion d’une étoile). Ainsi, on sait qu’en 7 avant Jésus-Christ, une conjonction très rare s’est produite dans le ciel : Jupiter et Saturne se sont rapprochées trois fois de suite dans l’année, en juin, septembre et décembre. Elle apparaissait dans la constellation du Poisson, qui désignait, entre autre, la Palestine… On a aussi retrouvé dans les écrits d’astrologues chinois l’évocation d’une étoile très brillante, probablement une supernova, qui est apparue en mars/avril de l’an 5 avant Jésus-Christ. Comme on sait par ailleurs que Jésus n’est pas né en l’an 1 (le calcul était erroné au moment de l’établissement du calendrier chrétien) mais quelques années plus tôt, ça pourrait coller !

La conjonction de planètes, observée par les mages, aurait pu les mettre en alerte, et l’apparition de l’étoile brillante, moins de deux ans après, aurait pu les encourager à prendre la route…

Faire le chemin avec les mages

Tout ceci ne prouve évidemment pas l’historicité de l’événement mais ces éléments de vraisemblance nous invitent à prendre le texte au sérieux. Et le prendre au sérieux, c’est aussi se laisser interpeller par lui. Et si Matthieu nous invitait à rejoindre les mages sur leur chemin, à nous laisser inspirer par leur voyage, pour notre voyage de foi ?

Entreprendre un voyage

Comme il a rejoint les mages dans leur observation des étoiles, Dieu nous rejoint là où nous sommes et nous invite à nous mettre en marche, à entreprendre un voyage. La foi est un voyage. Il faut se lancer. Accepter une part de risque, d’inconnu… Sinon on reste simplement à observer les étoiles… ou les années qui passent !

Ne pas s’arrêter en chemin

Ce que les mages ont compris de leur observation des étoiles les a conduit à Jérusalem. Là ils apprennent que la ville où doit naître celui qu’ils cherchent est Bethléem. Ils sont près du but… mais ils n’y sont pas encore. Le danger, c’est de s’arrêter en route, de se contenter de ses acquis. Le danger pour la foi, c’est de se contenter de connaissances, d’une simple croyance, comme les maîtres de la Loi dans le récit. Alors que la foi, c’est la rencontre.

Rencontrer Jésus

Les mages vont donc jusqu’à Bethléem et rencontrent celui qu’ils cherchent. Alors ils l’adorent. Jésus n’est qu’un enfant, mais ils l’adorent comme un roi. La foi, c’est la rencontre, c’est aussi la confiance, comme celle des mages qui voient au-delà du petit enfant. Au début de notre cheminement de foi, Jésus que nous rencontrons n’est encore qu’un enfant : nous connaissons encore très peu de lui. Et il va grandir au fur et à mesure de notre cheminement, de notre rencontre avec lui.

Repartir par un autre chemin

Si les mages repartent par un autre chemin, c’est pour ne pas retourner à Jérusalem vers Hérode. Mais l’expression peut avoir aussi valeur de métaphore du changement opéré dans leur coeur. Ils repartent différent après leur rencontre avec Jésus. La foi, qui naît d’une rencontre avec Jésus-Christ, nous transforme !

Conclusion

Nous sommes invités à aller à la rencontre de Jésus, comme les mages. Et comme eux, repartir par un autre chemin… transformés par la rencontre avec le Christ vivant.

Finalement, tout chemin de foi est une épiphanie : Dieu se révèle à nous. Si nous sommes prêt à entreprendre le voyage et à ne pas nous arrêter en chemin – nous contentant de nos acquis – nous le rencontrerons ! Sa rencontre nous tranformera et nous repartirons par un autre chemin. Et sur cet autre chemin que nous emprunterons, ils se révelera encore à nous. Et il nous transformera encore. Voilà le chemin de la foi, qui ne s’arrête jamais et se renouvelle sans cesse.

Que cette nouvelle année soit donc faite pour nous de nombreuses épiphanies !