Que ta volonté soit faite! (priez sans cesse 2/3)

Nous abordons la 2e semaine de notre campagne de rentrée, sur le thème de la prière, avec le Notre Père, cette prière que Jésus enseigne à ses disciples. Jésus leur livre, non pas une prière à réciter telle quelle (d’ailleurs personne n’est décrit dans le Nouveau Testament comme priant littéralement cette prière) mais plutôt un modèle, comme un patron de couture à décliner en fonction des circonstances.

Lecture biblique Matthieu 6.9-13



9 Vous donc, priez ainsi :

“Notre Père qui es dans les cieux,

Que ton nom soit sanctifié (c’est-à-dire : chacun reconnaisse qui tu es)

10  que ton règne vienne ;

que ta volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux.

11 Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin.

12 Pardonne-nous nos torts,

comme nous pardonnons nous aussi à ceux qui nous ont fait du tort.

13 Et ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve,

mais délivre-nous du Mauvais.”

  1. Priorité à la volonté de Dieu (les objectifs)

Si on regarde juste la prière dans sa globalité, ce qui saute aux yeux c’est d’abord l’ordre dans cette prière : on commence par les affaires de Dieu, et on termine par les nôtres. Cette priorité est renforcée par l’insistance de Jésus : que ton (nom), que ton (règne), que ta (volonté) [diapo où souligné] – il est centré sur Dieu.

Bien sûr, la prière permet de se confier à Dieu, mais le mouvement que conseille Jésus, c’est d’apprendre à nous décentrer pour remettre Dieu au cœur de nos priorités, au centre de notre champ de vision. Priorité à lui, à ses projets, à sa volonté !

Vous allez me dire, peu de croyants qui font la démarche de prier cherchent volontairement à contrecarrer la volonté de Dieu… « Oh seigneur s’il te plaît sois injuste, et aide-moi à faire le mal, à détruire des vies » ou alors : « s’il te plaît, surtout ne fais rien ! croise-toi les bras, je te parle de la situation, mais surtout tu ne t’impliques pas ! » C’est rare, ce genre de prières ! En général, quand on prie, on espère que Dieu va agir, et a priori on espère être en phase avec lui !

La prière que décrit Jésus ne conteste pas notre respect de Dieu, de sa volonté ou de sa puissance, mais elle vient nous interpeller sur notre ordre de priorité. Certes, nous acceptons que Dieu agisse selon sa propre volonté, mais dans quel ordre ? quelle articulation entre ses projets et les nôtres ? qu’est-ce qui vient en premier ?

Trop souvent nous confondons notre volonté avec celle de Dieu, et nous formulons notre projet en lui demandant ensuite de nous bénir. Nous sommes dans nos réflexions, nos idées, nos envies – et, comme après coup, nous disons : ah au fait, j’espère que ça te va ! tu veux bien bénir mon projet, et montrer ton amour et ta puissance, me donner la force, sur ce chemin extrêmement précis que je viens de te présenter ? regarde, tout est prêt, tu n’as plus qu’à bénir !

Ça peut être pour un projet professionnel, projet d’études, ou un projet de couple, ou même quelque chose de petit : j’ai envie de faire ça, alors aide-moi, protège-moi, donne-moi la force.

On a tout préparé, et on a juste besoin que Dieu nous donne un coup de main, si possible rapidement.

Eventuellement, si on est spirituel, on va dire : si tu n’es pas d’accord, montre-moi.

Sauf qu’on ne l’a pas consulté avant.

Bien des situations dans notre quotidien suivent cet ordre, et dans l’église aussi, ça arrive, et aussi dans l’Histoire de l’Eglise (avec majuscules), où bien des scandales ont commencé comme ça, avec la volonté humaine qui passe en premier et qui s’impose en quelque sorte, même avec les meilleures intentions…

          Jésus invite au contraire à nous mettre en position d’écoute. A ne pas arriver dans la prière avec des propositions étroites et verrouillées, mais à être prêt à écouter, à bouger, à se laisser inspirer par Dieu. Plus que ça : à nous décentrer, à mettre en premier ses priorités. Ce n’est pas à lui de me suivre ! C’est à moi de le suivre, sur son chemin.

Imaginez que vous partiez faire une expédition en haute montagne. Vous engagez un guide réputé, en lui demandant de vous conduire au plus beau sommet. Vous ne passez pas devant lui quand même ? Vous le suivez, non ?

Alors, est-ce légitime de faire passer la volonté de Dieu, et non la mienne, en premier ? Ca dépend de qui est Dieu. Si Dieu est un tyran autoritaire qui veut faire du mal, non. Mais dans ce cas, on ne va pas le chercher, on prie pas ! On fait profil bas, ou éventuellement, on le flatte énormément pour l’apaiser et qu’il nous laisse tranquilles… Si on prie Dieu, c’est qu’on pense qu’on peut lui faire confiance, qu’il est juste, et bon, et sain(t), droit, honnête. Du coup, si Dieu est une si bonne personne, pourquoi on se méfierait de sa volonté ou de ses intentions ? Il n’y a pas de raison ! Pourquoi on ferait plus confiance à nous, avec toutes nos failles, qu’à lui ? Il n’y a pas de raison !

Il n’y a pas de raison, et pourtant, depuis toute notre histoire humaine collective et personnelle, nous tombons dans ce doute, cette méfiance vis-à-vis de Dieu, que le serpent avait su insuffler à Eve et Adam : « vous êtes sûrs que Dieu veut votre bien ?… »

On revient à ce problème de la confiance : faire confiance à Dieu pour assurer nos arrières, c’est bien, mais si nous lui faisons vraiment confiance, nous acceptons que ce soit lui qui passe en premier et qu’il nous guide…

2. Ta volonté ou ma volonté : les moyens

La confiance, c’est facile d’en parler, mais c’est toujours un défi à mettre en pratique. J’en veux pour preuve que Jésus lui-même a expérimenté cette lutte. Les Evangiles nous donnent peu d’exemples de contenu des prières personnelles de Jésus : avec une exception : sa prière au jardin de Gethsémané, la nuit où il va être arrêté, puis inculpé à tort et mis à mort le lendemain. C’est la dernière ligne droite avant la Croix : dans les Evangiles, on voit que Jésus se prépare très tôt à mourir, et à chaque fois il confirme ce chemin vers la Croix, mais là, c’est la dernière ligne droite. Je vous lis juste le contenu de la prière de Jésus par rapport à cette question de la volonté de Dieu (Matthieu 26.36-46).

36 Jésus arriva avec ses disciples à un endroit appelé Gethsémani et il leur dit : « Asseyez-vous ici, pendant que je vais là-bas pour prier. » 

[…] 39 Il alla un peu plus loin, se jeta face contre terre et pria en disant : « Mon Père, si c’est possible, éloigne de moi cette coupe de douleur. Toutefois, non pas comme moi je veux, mais comme toi tu veux. » 

40 Il revint ensuite […]

42 Il s’éloigna une deuxième fois et pria en disant : « Mon Père, si cette coupe ne peut pas être enlevée sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » 

43 Il revint encore auprès de ses disciples […]

44 Jésus les quitta de nouveau, s’éloigna et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles. 

45 Puis il revint auprès des disciples et leur dit : « […] Maintenant, l’heure est venue et le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs. »

Jésus voit la souffrance qui l’attend, la mort, et la colère de Dieu qui se profile à l’horizon comme la foudre prête à tomber sur lui à notre place, à cause de nos lourdeurs, de nos perturbations, de notre péché.

Devant ce trou noir, Jésus ne peut pas prier à la légère « que ta volonté soit faite » ! C’est trop dur ! Alors il exprime à Dieu ses craintes, ses résistances. Et peu à peu, il se recentre sur la volonté de Dieu, et on sent qu’il passe de l’angoisse à la détermination. Mais ça prend du temps ! Même pour Jésus ! Même pour lui, qui sait très bien, depuis des années, ce qui l’attend.

S’aligner sur la volonté de Dieu, ça prend du temps, ça demande du dialogue avec Dieu – un dialogue où on peut exprimer nos envies, nos besoins, nos craintes, nos blocages. Un dialogue dans l’intimité avec Dieu où on lui laisse la place de nous montrer, de nous montrer qu’on peut lui faire confiance et qu’on peut le suivre.

          Qu’est-ce qui coûte à Jésus ? Jésus n’a-t-il pas le même objectif que Dieu, sauver le monde ?  SI, bien sûr !!! Mais ce qui coince, ce sont les moyens… passer par la mort, la nuit, la souffrance, pour arriver à la justice, à la paix, à la vie.

Parfois nous sommes prêts à adopter les objectifs de Dieu, la ligne générale de sa volonté, mais ce sont les moyens qu’il utilise qui nous posent problème. Parce qu’ils nous paraissent contre-intuitifs : Dieu ne fonctionne pas comme nous ! Et même si on est d’accord sur la destination, ce n’est pas si évident de le suivre sur des chemins qu’on ne comprend pas.

Quand je me suis mariée, un gros sujet de la vie commune est arrivé sur le tapis : le ménage et la vaisselle… Et mon mari plein de sagesse de me dire : « écoute, si je fais, je fais comme je veux, sinon c’est toi qui fais ! » Oooh le lâcher-prise 😉

Quand on prie Dieu « que ta volonté soit faite », on prie pour que ses objectifs se réalisent, de la manière qu’il désire !

Pour reprendre l’image du guide en haute montagne : si vous arrivez à un croisement, ce n’est pas forcément la route la plus large qu’il faut suivre pour arriver au sommet choisi – et vous n’allez pas commencer à contester l’itinéraire choisi par le guide ! Vous lui faites confiance ! Vous vous doutez bien que s’il ne choisit pas la route la plus facile, ce n’est pas par sadisme, mais parce que soit c’est une impasse, soit c’est un détour, soit ça mène à une autre destination. Et vous suivez le guide, parce que vous avez confiance en sa sagesse ET en sa capacité à vous aider sur ce chemin étroit et abrupt. Vous avez confiance qu’il saura vous conseiller sur les passages techniques et éventuellement vous tenir physiquement si c’est dangereux.

Prier « que ta volonté soit faite », c’est vraiment apprendre à faire confiance à Dieu pour l’objectif ET pour les moyens, pour la destination ET pour l’itinéraire. Et c’est précédé par cette affirmation : notre Père dans les cieux (toi qui nous aimes comme tes enfants) et c’est suivi par cette demande : accorde-nous les forces, la grâce, la protection dont nous avons besoin sur cette route.

3. Apprendre l’obéissance du fils

Jésus ne décrit pas le moyen de connaître la volonté de Dieu, mais son exemple nous enseigne : il passe beaucoup de temps à lire et méditer les Ecritures, il se familiarise avec et il s’approprie les valeurs de Dieu, ses principes, son projet… Et puis Jésus passe du temps dans une prière de dialogue avec Dieu – comme on l’a vu avec Gethsémané. Il se frotte à Dieu ! et il se laisse travailler, façonner, toucher, convaincre… Ce n’est pas l’obéissance d’un esclave qui renie sa volonté et exécute servilement les ordres reçus, c’est l’obéissance d’un fils qui discute avec son Père et qui se laisse convaincre par sa sagesse, et qui finit par aligner sa volonté, son énergie, sur la volonté du Père pour s’associer à ses projets.

Prier « que ta volonté soit faite », ce n’est pas abandonner sa liberté, c’est choisir de faire confiance à l’Etre le plus fiable du monde, celui qui brille par sa puissance, sa sagesse et sa bonté !

Alors à quoi peut ressembler cette obéissance ?

A une réorientation : parfois Dieu nous appelle à aller sur le chemin que nous n’aurions pas choisi (par goût ou par habitude).

A une rupture ou à un renoncement : parfois Dieu nous appelle à rejeter certains modes de vie, à sortir du compromis ou du déni, à sortir de l’impasse pour revenir sur son itinéraire.

Ou encore à un lâcher-prise : parfois il nous appelle juste à arrêter de prévoir, contrôler, anticiper – et accepter de le suivre aujourd’hui même si on ne sait pas où il nous mène.

Dans tous les cas, très souvent, l’enjeu ce sera cette question : « tu me fais confiance ou pas ? »

Jésus nous invite sur ce chemin de la confiance, sur lequel il nous a précédés. Il ne nous livre pas cette prière de haut, comme si on était nuls de ne pas savoir prier – ce fut sa pratique, sa discipline, d’apprendre à mettre la volonté de Dieu en premier, d’apprendre à faire confiance au Père et à le suivre : parce qu’il savait que quand la volonté de Dieu se réalise, c’est infiniment plus vivifiant, fécond et bénéfique que lorsque ce sont nos petits projets qui sortent de notre petite tête. Alors que Jésus lui-même, lui qui est passé par le pire et qui en est ressorti vivant, victorieux, nous aide par son esprit, à apprendre cette confiance envers Dieu et à chercher sa volonté d’abord.




“Priez sans cesse” (priez sans cesse 1/3)

La rentrée, c’est souvent la période des bonnes résolutions après le rythme différent de l’été : on s’y remet ! Pour cette rentrée, comme nous en avons l’habitude depuis quelques années, je vous propose de suivre ensemble un livret de lectures bibliques sur la prière, pour nourrir et approfondir notre relation avec Dieu.

Et pour inaugurer cette série, j’aimerais m’attarder ce matin sur le titre de ce livret, qui s’appuie sur un verset biblique : l’apôtre Paul écrit aux chrétiens de l’église de Thessalonique et leur dit : « priez sans cesse » (1 Thessaloniciens 5.17).



Alors, je ne sais pas ce que cette exhortation vous évoque, mais elle est impressionnante. Absolue ! qu’est-ce qu’on met, derrière ces mots ? qu’est-ce que l’apôtre Paul entend par « sans cesse » ? faudrait-il s’enfermer dans un couvent et passer sa vie dans une chapelle ? ne marcher toujours que les mains serrées ? ou nommer Dieu dans toutes nos phrases, en citant le plus de versets bibliques possible, pour être connecté à Dieu à 100% ?

Un copain pendant mes études de théologie avait témoigné qu’il avait décidé de se lever 1h plus tôt tous les matins pour prier (vers 5h30) : ce n’est pas « sans cesse » mais c’est déjà mieux ! Son défi m’a impressionnée et je m’y suis mise. Les défis, même absolus, c’est motivant ! ça donne envie d’aller plus loin. Donc pendant 6 mois, lever à 5h30 : j’ai vécu des moments extraordinaires avec Dieu, mais comme je ne suis pas trop du matin, au bout de quelque temps j’étais lessivée, et j’ai dû arrêter parce que je ne tenais pas. Bon, en discutant avec lui, un peu honteuse, j’ai appris que lui avait tenu un mois… !

C’est le problème avec ce genre d’expression absolue : c’est motivant, on sent que la Bible nous met au défi, mais le défi paraît tellement haut que finalement on retombe, non sans culpabilité et découragement. Peut-être même que certains finissent par se dire : la prière, c’est pas pour moi !

          En effet, quand on entend ce genre d’expression, on tombe vite dans le quantitatif, mais il nous faut creuser le sens de ces mots : « prier » et « sans cesse » parce que ce n’est pas si évident que Dieu nous demande de vivre les mains constamment levées vers le ciel.

L’apôtre Paul a l’habitude d’encourager les chrétiens à prier, mais cette exhortation, on ne la trouve qu’une fois sous cette forme, et du coup ça vaut la peine de lire le contexte immédiat puisqu’il s’exprime de façon spécifique, dans cette lettre. Nous sommes à la fin de la lettre, au moment où Paul a fini de traiter les gros sujets, il leur adresse donc toute une série de recommandations, de conseils, un peu à la façon des parents le jour de la rentrée : « et surtout, tu écoutes bien la maîtresse ! » ou alors « et tu m’appelles avant de prendre le bus, et tu n’oublies pas d’aller déposer la fiche à la vie scolaire… »

Lecture biblique : 1 Thess 5.16-18

16 Soyez toujours joyeux, 

17 priez sans cesse, 

18 soyez reconnaissants en toute circonstance.

Voilà ce que Dieu demande de vous, dans votre vie avec Jésus Christ.

  1. La radicalité de la prière

Premièrement, on voit que Paul est absolu pour tout : la joie, la prière, la reconnaissance. C’est radical. J’y reviendrai.

Si on élargit encore un peu le contexte, on se rend compte que Paul évoque ce côté absolu lorsqu’il parle de sa propre pratique de la prière. Je vous donne deux exemples :

Colossiens 1.3 nous prions toujours pour vous

1 Thessaloniciens 2.13 C’est pourquoi nous remercions sans cesse Dieu de ce qu’en recevant la parole de Dieu, que nous vous avons fait entendre, vous l’avez reçue, […] comme la parole de Dieu, qui agit en vous qui croyez.

Pourtant, on le sait, Paul a prêché, prié pour d’autres… et il a fait plein d’autres choses !

Le « sans cesse », « toujours », ne peut donc pas désigner un continuum constant [geste] : on comprend bien, d’après les exemples de Paul, qu’il s’agit de persévérance dans le temps et de régularité dans la prière.

          Revenons à notre trio joie-prière-reconnaissance. Être toujours reconnaissant, ce n’est pas forcément dire « merci » dans toutes les phrases ! et être toujours joyeux, ce n’est pas dire « je suis content je suis content je suis content » ou sourire constamment ! D’ailleurs, Paul, ou Jésus, ou même Dieu, ont des moments de tristesse, de colère, de déception…

On comprend bien qu’il s’agit plutôt d’une manière d’être, d’une posture de base : être de tempérament joyeux, cultiver la gratitude… ça passe par des moments et des actions, mais derrière ces moments et ces actions, il y a cette posture de base, comme un paramètre par défaut.

          Le côté absolu (« toujours », « sans cesse ») reprend donc toute sa force si on quitte le domaine d’une action à maintenir constamment et qu’on se focalise sur le caractère, le tempérament, la posture intérieure, le lifestyle comme disent les influenceurs. Ce côté absolu, au-delà de ce qu’on peut faire, renvoie à ce qu’on peut être. Comme si la gratitude, la joie, la prière faisaient tellement partie de notre vie, de notre tissu quotidien, qu’elles en deviennent des traits de caractère.

          Il y a quand même une différence… Je peux être joyeuse, être reconnaissante, mais je prie. Je vais prier ou j’ai prié. Dans notre pratique personnelle ou communautaire, il y a bien des moments où l’on prie, et d’autres où l’on ne prie pas du coup ! Comment la prière pourrait-elle être plus qu’une action ponctuelle, même répétée, et faire partie de notre être, de notre posture, de notre identité ?

Une clef possible, ce serait de voir la prière comme un dialogue, ou plus précisément, une voie de communication ouverte avec Dieu. Comme un appel téléphonique avec les deux téléphones connectés. Vous savez dans les très longs appels, il y a des moments sérieux, des remarques spontanées, des interruptions parce qu’Untel est rentré dans la pièce ou qu’on doit noter quelque chose, et même des moments de silence… Alors humainement, on n’appelle personne 24/24, 7/7 (ce serait pathologique !) mais Dieu est sur un autre niveau, et il est capable d’être pleinement là avec moi, avec vous, avec chacun. On pourrait imaginer qu’on a deux téléphones : un constamment en ligne, avec Dieu, et l’autre pour l’usage régulier.

Dans un livre de spiritualité, j’ai lu récemment : « la joie [en Dieu] est la musique de fond de notre vie. » Est-ce que ce serait possible d’envisager la prière ainsi ? qu’elle devienne le bruit de fond, la musique d’ambiance de notre vie ? Cet arrière-plan dans lequel tout le reste s’insère et se déploie ?

Dieu est constamment présent avec nous : sans cesse, toujours. Prier sans cesse, c’est peut-être simplement vivre ce lien avec lui, vivre ce lien constant, vivre dans sa présence. Si Dieu est toujours là, avec nous, pourquoi vivre comme si nous étions seuls ? Même si nous ne le voyons pas physiquement, il est présent ! Prier sans cesse, c’est peut-être regarder à lui comme on regarderait à un compagnon sur notre route, comme cette jeune femme sur la photo qui regarde à ses côtés.

Cela étant dit, la prière passe aussi par des moments ! Tout comme la joie et la reconnaissance ! Cette posture de base, ces traits de caractère, cette musique de fond, ça passe aussi par des moments et des actions ponctuels et concrets.

Comment pourrait-on dire de vous que vous êtes quelqu’un de reconnaissant si vous ne dites jamais merci ? ou que vous êtes quelqu’un de joyeux si vous êtes toujours renfermé ou que vous râlez une fois sur deux ?

Les moments de prière explicite, visible, audible, marquée, découlent de cette connexion avec Dieu.

Et ils viennent renforcer cette connexion, comme une habitude qui se met en place pour devenir un trait de caractère. Parce que depuis tout à l’heure je parle d’une connexion avec Dieu qui est appelée à être constante, et je le disais en début de culte : Dieu, lui, est toujours là, au bout du fil, présent, impliqué, mais nous, nous avons besoin de nous éduquer à la vie dans la présence de Dieu. Nous sommes tellement habitués à compter sur nous-mêmes, à réfléchir par nous-mêmes, à s’inquiéter par nous-mêmes, que nous avons besoin de moments dédiés pour nous pousser à nous ancrer dans la présence de Dieu et sa grâce. C’est une sorte de discipline. Avec cette idée de se former, de grandir, pas d’essayer et d’échouer, mais de vivre de mieux en mieux cette connexion avec Dieu.

Ainsi dans un seul mot, la prière, il y a en réalité toute une palette d’expériences. Comme derrière le mot « parler », il y a toute une palette derrière « parler » : on peut parler à quelqu’un pour lui raconter notre quotidien, lui parler pour lui demander de passer le sel, lui parler longuement pour faire le point sur une situation, lui parler pour lui dire nos rêves, ou notre amour, lui parler aussi pour lui demander conseil (ah il faut que je lui en parle, qu’elle me dise ce qu’elle en pense !). Je crois que la prière, c’est cette communication, ce dialogue, cette parole avec Celui qui est toujours là, à côté, et avec qui on peut prendre le temps de l’échange, de l’écoute, de la confidence, et puis parfois simplement adresser une remarque, une demande rapide, une réflexion : « T’as vu comme c’est beau ! Ca, ça me fait un peu peur, aide-moi à faire face s’il te plaît ! » ou dans une réunion un peu tendue : « ah Seigneur, dirige-moi ! »

Et même dans le silence : lorsqu’on est avec quelqu’un, même si on ne se parle pas, on voit l’autre, on le regarde, on communique… Même le silence peut s’habiter d’assurance que Dieu est là où je suis par son Esprit.

Dans ce sens, on comprend mieux le trio joie-prière-reconnaissance. Si je m’exerce à vivre de plus en plus en connexion avec Dieu, cela conduira régulièrement à la reconnaissance : en reconnaissant qu’il est là, lumière au milieu des ténèbres, fidèle et aimant, alors que je ne mérite en rien sa bonté et sa grâce, comment ne pas être dans la reconnaissance ? Et si nous sommes dans la reconnaissance, ne serons-nous pas aussi dans la joie ? la joie de nous savoir aimés, accompagnés, inspirés ?

Alors nous sommes tous en chemin, en marche, sur des routes plus ou moins sombres ou lumineuses, mais où que nous allions, Dieu est là, solide comme un roc, attentif comme un berger envers son troupeau ou un père avec ses enfants. Peu importe ce que nous traversons, nous sommes invités à vivre les grands et les petits moments avec lui.




Et pour vous, qui est Jésus ?

Comment ça se passe quand vous évoquez votre foi avec d’autres, des amis, des collègues, des voisins, des covoitureurs… ? Pour ma part, le sujet vient vite vu que je suis pasteure, mais le sujet peut venir sur la table après une question sur votre week-end (quoi, vous êtes allé à l’église !) ou sur des choix que vous faites, par exemple.  



Récemment, j’ai fait pas mal de nouvelles rencontres et le sujet de la foi est sorti, assez superficiellement, avec une diversité de réactions : pas d’agressivité, mais il y a ceux qui sont clairement athées et qui ferment le sujet d’emblée, ceux qui sont athées mais qui s’intéressent au fait religieux (ah, comment ça marche ? en quoi vous croyez ?…), et puis il y a tout l’éventail des sympathisants – la femme qui a les yeux qui pétillent mais qui n’ajoute rien, celui qui a été touché lors d’un deuil et qui trouve un horizon avec Dieu, celle qui a été élevée dans la religion, qui a envoyé balader les contraintes et les hypocrisies de l’institution mais qui n’arrive pas (dixit) à se sortir de la tête qu’il y a quelque chose après et quelqu’un au-dessus, ou encore, celui qui voue une grande admiration à Jésus pour sa façon d’être unique et rayonnante.

Cette diversité d’opinions, Jésus l’a rencontrée même de son vivant.  Et elle est intéressante notamment parce qu’elle nous pousse à nous positionner nous aussi : qui est Jésus pour nous ? quelle est sa place dans notre vie ? Quels sont les points communs avec ce que l’autre exprime, et qu’est-ce qu’il y a de spécifique dans notre foi ou notre façon de vivre la foi ?

          Les Evangiles prennent d’ailleurs souvent la peine de souligner comment les uns et autres ont réagi devant Jésus, comme pour dire : et toi, lecteur, comment tu te situes par rapport à lui ? Il y a même un moment où Jésus lui-même pose la question à ses disciples : et vous, comment vous vous situez par rapport à moi ?

Lisons dans l’Evangile de Matthieu. Jésus vient d’accumuler les miracles extraordinaires et en même temps il se frotte à l’opposition des chefs religieux juifs qui n’acceptent pas sa façon de présenter Dieu.

Lecture biblique: Matthieu 16.13-20

13 Jésus se rendit dans le territoire de Césarée de Philippe. Il demanda à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » 

14 Ils répondirent : « Certains disent que tu es Jean le baptiste, d’autres que tu es Élie, et d’autres encore que tu es Jérémie ou un autre des prophètes. » – 

Jésus fait un petit sondage d’opinion auprès de ses disciples : qu’est-ce que les gens pensent de moi ?

Le titre « Fils de l’homme » veut simplement dire « humain » (comme Mowgli, le « petit d’homme » dans Le Livre de la jungle), mais Jésus l’utilise souvent en référence aux prophéties du prophète Daniel qui annonçait un « Fils d’homme » bien humain pour accomplir le salut de Dieu (Dn 7). C’est un titre peu utilisé à l’époque, et Jésus peut ainsi parler de sa spécificité (il accomplit les prophéties) tout en restant incognito.

Les disciples se concentrent sur le positif (ils laissent de côté ceux qui traitent Jésus de menteur ou même d’envoyé démoniaque), et répondent que les enthousiastes de Jésus voient d’abord en lui un prophète : soit Jean-Baptiste ressuscité (pas trop possible, vu que JB a vécu dans la même période que Jésus) soit un ancien prophète Jérémie, soit Elie, un autre prophète, qui a fait beaucoup de miracles, et qui symbolisait pour les Juifs l’intervention de Dieu – ils attendaient un nouvel Elie.

Des réponses assez justes qui mettent en valeur l’impact des enseignements de Jésus : les gens reconnaissent qu’il est porte-parole de Dieu, que sa parole est différente. C’est juste, mais est-ce suffisant pour décrire Jésus ?

15 « Et vous, leur demanda Jésus, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » 

16 Simon Pierre répondit : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ! » 

Aux disciples maintenant de se positionner. Pierre, comme souvent, prend l’initiative et répond pour les autres.

Le Christ (en grec), ou Messie (en hébreu) : c’est le même sens, c’est celui qui a reçu l’onction (une marque avec de l’huile), une pratique juive qui servait à mettre à part un roi, un prêtre, un prophète… Peu à peu, ce titre dans la spiritualité juive désigne l’attente d’un roi, envoyé par Dieu, qui saura restaurer la grandeur du pays en commençant par le libérer de l’emprise romaine qui domine le territoire d’Israël. Donc un libérateur, national, politique, et aussi spirituel. Pierre reconnaît donc en Jésus celui qui accomplira les promesses de Dieu.

Fils du Dieu vivant : n’allons pas chercher là une grande réflexion sur l’essence de Jésus ! Pour les disciples, Jésus possède une connexion avec Dieu supérieure – il est plus qu’un homme, plus qu’un prophète. Les disciples avaient déjà utilisé cette expression après l’épisode où Jésus marche sur l’eau (Mt 14), mais maintenant, Pierre le redit à froid, il l’assume, il le croit.

Fils du Dieu vivant – un dieu mort, ce n’est pas un dieu ! Le Dieu qui vit, agit, s’implique dans l’histoire humaine – ce Dieu qui a créé le monde, qui se révèle aux uns et aux autres, qui interagit : c’est ce Dieu-là, bien vivant, bien vibrant, que Pierre voit à l’œuvre par Jésus.

Donc en quelques mots, Pierre interprète la mission de Jésus – libérateur – et, en deçà, son identité – fils du Dieu vivant. On n’est pas loin de l’annonce de l’ange à Joseph : Jésus, sauveur et Dieu avec nous.

17 Jésus lui dit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonah, car tu n’as pas découvert cela de toi-même, mais c’est mon Père qui est dans les cieux qui te l’a révélé. 

Jésus valide ! La réponse de Pierre n’est pas une flatterie ni une construction mentale compliquée, c’est le résultat d’une révélation, d’une évidence, comme si Pierre voyait la vérité – les évidences, une fois qu’on les a perçues, on ne peut plus revenir en arrière. Pierre a passé un cap dans sa relation avec Jésus.

Jésus va plus loin que les félicitations :

18 Eh bien, moi, je te le déclare à mon tour, tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai ma communauté (mon église). La mort elle-même ne pourra rien contre elle. 

19 Je te donnerai les clés du royaume des cieux. Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux ; ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » 

Celui qu’on a l’habitude d’appeler Pierre s’appelle en fait Simon, Pierre c’est son surnom – et Jésus joue sur le sens de ce surnom pour valoriser la place de Pierre dans son projet. Son projet, c’est une communauté, une assemblée (en grec, ekklesia , rendu en français par église), une communauté qui s’inscrit dans la continuité du peuple de Dieu, le peuple d’Israël. Jésus annonce ici l’émergence d’un peuple nouveau, une communauté élargie dont la caractéristique principale, nous l’apprendrons plus tard, c’est de vouloir suivre le Christ. A un niveau plus profane, on peut penser aux influenceurs sur internet qui ont leur communauté, ou à des sportifs avec leurs fans !

Jésus est en train de dire qu’il va construire sa propre communauté, comme s’il était Dieu ! il assume totalement ce titre : fils du dieu vivant ! et il rassure d’avance ses disciples : la mort n’aura aucun pouvoir contre sa communauté. Même si Jésus meurt, il reviendra à la vie. Même si ses disciples meurent, ils reviendront à la vie. Même si l’oppression fait rage, la vitalité du Dieu vivant continuera d’animer son peuple… et Jésus continuera de faire grandir sa communauté.

Je vais revenir à l’importance de cette confession de l’identité de Jésus, mais d’abord, je voudrais m’attarder un peu sur cette place fondatrice que Jésus donne à Pierre dans l’Eglise. Dans l’Histoire, l’interprétation catholique a attribué au pape, évêque de Rome, l’héritage spirituel de cette promesse – mais on entre là dans un débat lié au fonctionnement de l’autorité dans l’Eglise, qui dépasse largement cette parole adressée au disciple Pierre, comme individu et comme représentant des disciples.

Ce qu’on remarque à la lecture des Evangiles, du livre des Actes (les premières années après le départ de Jésus) puis des réflexions de l’apôtre Paul, c’est que Pierre a effectivement été un membre fondateur de l’Eglise :

  • parce qu’il fait partie du noyau de base,
  • parce que c’est lui qui fait la première prédication à la Pentecôte (et 3000 Juifs décident de croire en Jésus),
  • et puis il sera là à chaque fois que la communauté s’ouvre à d’autres. Par exemple, quand l’Eglise accueille des Samaritains convertis, Pierre est là avec Jean et il reconnaît leur foi et leur appartenance au peuple du Christ (Actes 8). Pareillement, lorsque le païen Corneille se convertit avec sa famille, Pierre vient à sa rencontre et c’est lui qui va aider les autres chrétiens à accepter comme frères dans la foi ces gens d’une autre culture (Actes 10). Ensuite, Pierre passe en arrière-plan dans l’histoire biblique : sa mission est accomplie, il a posé les fondements d’une communauté faite de plusieurs peuples, une communauté centrée sur la foi en Christ. Je crois que c’est comme ça qu’on peut comprendre que Pierre a les clefs du royaume, car il ouvrira les portes du peuple à Dieu à ceux qui se tournent vers Jésus.

La fin de la promesse est encore plus mystérieuse, et là j’avoue que je n’ai pas trouvé d’explication satisfaisante : l’expression lier/ délier était courante à l’époque de Jésus, mais avec des sens variables selon le contexte – parfois, c’est le fait d’interdire ou d’autoriser ; parfois ça renvoie au pardon ou au non-pardon. Vu le contexte, c’est peut-être une insistance sur le rôle de Pierre et des disciples pour accueillir les premiers chrétiens, mais je n’y mettrais pas ma main à couper ! En tout cas, Jésus annonce une grande autorité de Pierre, et des disciples avec lui dans une moindre mesure, pour accomplir ce que Dieu désire, une place cruciale pour réaliser la volonté et le projet de Dieu sur terre.

N’allons cependant pas imaginer que c’est Pierre qui décide, et que Dieu obéit… non, dans la Bible, c’est l’inverse ! D’une part Dieu est souverain, ce n’est pas notre esclave, d’autre part Pierre comme nous manquera souvent de sagesse – il s’agit plus ici d’une correspondance : ce que Pierre admet, ou fait, sur terre correspond à ce qui est fait dans les cieux, parce que par la foi, il est réceptif à ce que Dieu désire.

20 Puis Jésus ordonna sévèrement à ses disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.

Cette interdiction sévère contraste avec l’exubérance de la réponse de Jésus à Pierre. Pourquoi cette demande de silence ? On le voit juste après : maintenant que les disciples ont passé le cap de la foi, qu’ils comprennent mieux qui est Jésus, Jésus va commencer à annoncer que le salut qu’il apporte n’est pas une libération politique, en force, mais qu’il va aller beaucoup plus en profondeur, en passant lui-même par la mort. Pierre sera là aussi le premier à réagir, en rejetant cette annonce de Jésus. Alors si les disciples ont eu du mal à accepter la façon dont Jésus allait remplir sa mission, à combien plus forte raison les foules risquent de mal comprendre ! Il faudra attendre la mort puis la résurrection pour que Jésus invite les disciples à partager largement leur foi en Christ, puisqu’il n’y aura plus d’ambiguïté.

La foi en Christ, messie et fils de Dieu

Dans ce passage, on voit qu’il y a un point tournant à partir du moment où les disciples reconnaissent en Jésus le Messie, le libérateur, envoyé par Dieu, fils de Dieu. C’est à partir de là que Jésus approfondit son enseignement avec eux, car ils ont passé un cap, un cap fondamental. Dans notre cheminement de foi, c’est un peu la même chose : on est tous d’accord qu’on apprend toute notre vie, que la marche avec Dieu n’est jamais terminée, etc. Cela étant, il y a des étapes, des virages qui font qu’on peut approfondir notre connaissance de Dieu. Et une de ces étapes, c’est se positionner par rapport à l’identité du Christ : qui est Jésus pour moi ? C’est une étape même tellement importante que Jésus demandera plus tard qu’on y associe le baptême – ça ne veut pas dire qu’on a tout compris ou qu’on est « arrivé », mais qu’il est nécessaire à un moment de se positionner clairement, et même de revenir régulièrement à cette conviction centrale sur le Christ.

Parce que Jésus peut nous toucher pour bien des raisons ! parce qu’il est ce prophète qui dénonce l’injustice et l’hypocrisie, ou le sage qui distille des principes de vie, ou encore l’homme généreux qui accueille les gens quels qu’ils soient. Mais ce n’est pas ça, la foi ! J’en connais plusieurs, des prophètes, même modernes, et des sages, et des généreux… rien que dans cette église ! qu’est-ce qui fait que Jésus est différent ?

Dire que Jésus est le Messie, le Fils du Dieu vivant, c’est un vocabulaire de Juifs travaillés par les promesses de Dieu dans la Torah (c’était le cas des disciples). Mais pour nous, chrétiens occidentaux, orientaux, latinos, africains, du 21e siècle ? Qui est Jésus pour nous ?

Je vous livre ma perception, un exemple parmi d’autres : je retiens pour moi et pour notre humanité le besoin d’un sauveur. Même si nos sociétés ont fait beaucoup de progrès techniques réalisés (médecine, biologie, chimie, industrie, psychologie, socio, etc.), je remarque qu’il y a toujours autant de problèmes. La situation est différente par rapport à mille ans en arrière, mais les dysfonctionnements demeurent, car ils savent se réinventer. L’esclavage moderne existe toujours, sous une forme différente et délocalisée, la pression professionnelle aussi, tout comme les injustices sociales. Les conflits et les guerres ne semblent pas trouver de solution raisonnable. Dans le domaine de la santé, il y a des améliorations évidentes, et aussi des nouvelles maladies, dites de civilisation. Quant à nos prouesses industrielles, elles s’accompagnent d’un coût catastrophique pour l’environnement. Il y a du bon, mais aussi beaucoup de mauvais et de désespérant : j’ai du mal à croire que l’humain sera capable de trouver une solution sans causer de nouveaux problèmes. Et c’est dans ce contexte que nous avons besoin d’aide, de secours, un secours qui ne peut pas venir de nous, parce que nous, en tant qu’individu, nous dysfonctionnons tous (la Bible appelle cela le péché). Et ensemble, nous multiplions nos forces et nos dysfonctionnements.

Quand je confesse Jésus comme Messie fils du Dieu vivant, je confesse un sauveur qui vient d’ailleurs, qui apporte quelque chose de pur et d’intègre à notre monde abîmé, et qui pose les bases dans sa vie, sa mort et sa résurrection, qui pose les bases d’un salut pour notre monde – en commençant par un travail individuel et communautaire, en vue d’un monde entièrement restauré. Pour moi, confesser Jésus comme Messie et Fils de Dieu, c’est dire mon espoir malgré tout – pour moi, pour les individus que je côtoie, et aussi pour ce monde que nous habitons.

Et pour vous ? Qu’est-ce que ça représente d’appeler Jésus Messie et fils de Dieu ?

Comme Pierre et les disciples, il me faut, il nous faut, faire attention à nos stéréotypes sur Jésus, sur Dieu – et cela demande de rester humbles, curieux, disponibles devant Dieu pour ne pas imposer nos schémas préconçus mais être à l’écoute de sa sagesse. Mais dans ce cheminement, il est essentiel de s’appuyer sur un fondement solide – cette foi en Jésus, ce sauveur solide comme un roc que rien ne peut ébranler et qui nous garde dans sa main fidèle.




Apprendre à faire confiance à Dieu

La parenthèse estivale se referme peu à peu – pour certains, ça fait déjà quelques semaines, mais peut-être en apesanteur, à un rythme différent (en France, le mois d’août c’est vraiment un temps de pause, que l’on travaille ou pas !). C’est bientôt la rentrée, avec la reprise des activités, des nouvelles propositions, peut-être aussi des nouvelles étapes pour certains : un jeune qui s’éloigne pour faire ses études, un nouveau stage ou une nouvelle mission, un nouvel équilibre à trouver en famille, etc. Pour d’autres, c’est peut-être aussi un problème de santé qui a surgi, apprendre à vivre avec un deuil, faire face à telle ou telle difficulté… En fait, plusieurs de ces situations ne sont pas liées à la période de rentrée, mais l’effet « rentrée » après la pause estivale vient parfois mettre en lumière l’ampleur ou la nouveauté de ce que nous avons à vivre.



Dans ce contexte, j’aimerais lire avec vous un passage de l’Evangile de Matthieu, au ch.15 : Jésus a fait bien des miracles dans les épisodes précédents : il a nourri une foule immense (au moins 5000 hommes, sans compter femmes et enfants…), marché sur l’eau, libéré des personnes possédées, il est intervenu dans différentes régions, en territoire juif où il n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur, et en territoire étranger où certains viennent à lui avec une foi remarquable.

Lecture biblique : Matthieu 15.29-39

29 Jésus partit de là et se rendit au bord du lac de Galilée. Il monta sur la montagne et s’assit là. 

30 Une foule de gens vint à lui, amenant avec eux des boiteux, des aveugles, des infirmes, des muets et beaucoup d’autres personnes malades. On les déposa aux pieds de Jésus et il les guérit. 31 Les foules furent très étonnées quand elles virent les muets parler, les infirmes être guéris, les boiteux marcher et les aveugles voir, et elles louaient le Dieu d’Israël.

Matthieu aime bien faire dans son livre des résumés de l’action de Jésus. Ici, il évoque des guérisons nombreuses, et la façon dont il présente ces rencontres rappelle une prophétie d’Esaïe (Es 35) :

3 Rendez la force aux bras fatigués, affermissez les genoux qui chancellent. 4 Dites à ceux qui perdent courage : « Ressaisissez-vous, n’ayez pas peur, voici votre Dieu ! […] il vient lui-même vous sauver. »

5 Alors les yeux des aveugles s’ouvriront, et les oreilles des sourds entendront. 6 Alors le boiteux bondira comme un cerf et le muet exprimera sa joie.

Matthieu reprend les mêmes catégories qu’Esaïe pour montrer que Jésus est vraiment le Messie, l’Envoyé de Dieu qui vient sauver son peuple. D’ailleurs, les foules ne s’y trompent pas et reconnaissent que c’est bien le Dieu d’Israël qui agit à travers Jésus. En Jésus, les promesses de Dieu s’accomplissent.

C’est une période particulière où les miracles servent à authentifier que c’est bien Jésus l’envoyé promis par Dieu. Ces miracles n’ont pas forcément vocation à devenir la normalité, même si Dieu est toujours capable de faire un miracle.

32 Jésus appela ses disciples et dit : « Je suis bouleversé (ému aux entrailles) par ces gens, car voilà trois jours qu’ils sont avec moi et ils n’ont pas de quoi manger. Je ne veux pas les renvoyer le ventre vide ; ils risquent de se trouver mal en chemin. » 

33 Les disciples lui demandèrent : « Où pourrions-nous trouver du pain pour faire manger à sa faim une telle foule, dans cet endroit désert ? » 

34 Jésus leur dit : « Combien avez-vous de pains ? » Ils dirent : « Sept, et quelques petits poissons. » 

35 Il ordonna à la foule de s’installer par terre. 36 Puis il prit les sept pains et les poissons et remercia Dieu. Il les partagea, les donna à ses disciples et les disciples les distribuèrent à tous. 37 Les gens mangèrent à leur faim.

On ramassa sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient. 38 Ceux qui avaient mangé étaient 4 000 hommes, sans compter les femmes et les enfants. 

39 Après avoir renvoyé la foule, Jésus monta dans la barque et se rendit dans la région de Magadan.

L’action de Dieu : abondance face à nos manques

Jésus accomplit, pour la deuxième fois (au moins) ce miracle de la multiplication des pains. A partir de presque rien, il nourrit une foule immense. En toute simplicité, avec une prière de reconnaissance à Dieu, comme nos prières d’avant repas. Aucun détail farfelu ou spectaculaire : en toute simplicité, c’est la puissance du Créateur qui se manifeste ici – créer à partir de rien, ou à partir de presque rien, quelle est la différence ?

Des prophètes dans l’Histoire juive avaient déjà fait des miracles de nourriture, comme Elie avec la veuve de Sarepta, mais c’était pour 3 personnes – pas pour des milliers ! Comme dans la première multiplication des pains, on compte combien de personnes ont été nourries, combien il reste de pains. Même si à la différence des guérisons, aucun commentaire n’est fait sur la foi des disciples ou de la foule, le fait de compter souligne quand même l’étonnement de ceux qui ont vécu ce miracle. Ils ne comptent même que les hommes parce que ça fait trop à compter ! Trop d’abondance ! Nous on compterait en familles ou en foyers.

          A partir de presque rien, Jésus fait surgir l’abondance, il répond aux besoins de façon suffisante, et va même au-delà.

Nous stressons souvent parce que nous ne faisons pas assez, nous n’avons pas assez, nous ne sommes pas assez – mais pour Dieu, notre « pas assez » est toujours suffisant, parce que de toute façon c’est lui qui intervient, c’est lui qui multiplie, c’est lui qui agit. Nos manques ne l’inquiètent pas : il a assez pour créer, pour inventer.

Face aux défis qui se profilent devant nous, que ce soit un événement ponctuel ou un quotidien à apprivoiser, cette vérité demeure : le Créateur utilise notre presque rien pour agir avec abondance.

          En même temps, les disciples apportent bien tout ce qu’ils ont : tous leurs sept pains et petits poissons, tout leur presque rien. C’est un événement de la vie de Jésus, mais c’est tellement symbolique : même si nous n’avons pas grand-chose, même si nous ne sommes pas grand-chose, Dieu peut faire beaucoup – si nous lui donnons tout.

Amen !

On pourrait s’arrêter là, tant cette vérité doit faire son chemin en nous pour qu’on la vive toujours mieux : faire confiance à Dieu, se donner à fond en sachant que c’est lui qui agit, s’impliquer à fond dans une totale confiance qu’il accomplit ses promesses et prend soin de ses enfants. Il ne nous épargne pas les difficultés de la vie, mais il nous donne les forces pour continuer ou reprendre la route.

Apprendre à toujours compter sur Dieu

On pourrait s’arrêter là, mais le récit de Matthieu nous invite à creuser un peu plus. Je vous l’ai dit, c’est la deuxième histoire de multiplication des pains dans l’Evangile de Matthieu. Dans les 4 évangiles, à chaque fois la « première » multiplication des pains est citée : 5000 hommes (et familles) sont nourris, et il reste 12 paniers (Matthieu 14.13-21 et //). Matthieu et Marc racontent une deuxième multiplication des pains, ce qui attire notre attention sur ce qu’il y a de différent ici. Si c’était juste pour se répéter, les auteurs n’allaient pas gâcher de l’encre !

Le nombre de personnes est différent (4000 foyers), et le nombre de paniers restants aussi. La plus grande différence se trouve dans l’échange entre Jésus et ses disciples, juste avant le miracle. La première fois, Jésus enseignait et faisait des miracles quand le soir est arrivé, et les disciples se sont inquiétés de voir que la foule n’avait rien à manger. Ils ont donc été voir Jésus en lui demandant de renvoyer la foule pour qu’elle puisse trouver à manger avant qu’il ne soit trop tard. Maintenant, je relis comment ça se passe cette fois-ci :

32 Jésus appela ses disciples et dit : « Je suis bouleversé (ému aux entrailles) par ces gens, car voilà trois jours qu’ils sont avec moi et ils n’ont pas de quoi manger. Je ne veux pas les renvoyer le ventre vide ; ils risquent de se trouver mal en chemin. » 

33 Les disciples lui demandèrent : « Où pourrions-nous trouver du pain pour faire manger à sa faim une telle foule, dans cet endroit désert ? » 

34 Jésus leur dit : « Combien avez-vous de pains ? » Ils dirent : « Sept, et quelques petits poissons. » 

          D’abord, c’est Jésus qui prend l’initiative ici : il appelle ses disciples et il évoque le problème. Il ne pose pas de question, ne donne pas d’ordre, ne fait pas de suggestion sur ce qu’il va faire : c’est un simple constat, avec ses motivations.

Sa motivation, c’est la compassion, cet amour qui le prend aux tripes.

Il a guéri les malades, peut-être que c’est suffisant ! C’est peut-être pas si grave s’ils sont un peu en hypoglycémie sur le chemin du retour ! Jésus en a déjà fait beaucoup ! Non, Jésus se soucie de tout, des grands problèmes handicapants comme des aléas de la route, parce qu’il aime profondément cette foule. Dans notre vie, c’est la même chose : pour les immenses défis insurmontables comme pour les petites difficultés du quotidien, Jésus veut nous donner ses forces.

          Très probablement, Jésus veut voir comment les disciples vont réagir, eux qui ont été aux premières loges de la première multiplication des pains. Quel va être leur réflexe ? Vont-ils faire confiance à Jésus ?

Leur réponse n’est pas si simple à interpréter, il nous manque le ton de voix.

Soit ils sont repartis comme la première fois, dans leur schéma habituel, leurs petits calculs : comment va-t-on faire ? on est dans le désert, il y a approximativement tant de personnes à nourrir, si on calcule la distance à parcourir, le temps de marche, et qu’on met en face la vitesse de la baisse du sucre dans le sang… ah c’est insoluble ! C’est la panique, parce qu’ils sont dépassés.

Soit, si on leur donne un peu plus de crédit, ils font simplement le constat qu’il n’y a pas de solution évidente au niveau humain.

Dans tous les cas, les disciples ne font pas le pas d’appeler Jésus à l’action. Ils n’osent pas ? Ils ont oublié ? peu importe leur raisonnement, tant les deux cas de figure sont proches de ce que nous vivons : parfois nous oublions que Dieu peut intervenir (ça m’arrive plein de fois, même en tant que pasteur ! des fois, je cours tête baissée dans une situation et à un moment, je me dis : mais au fait, il y a Dieu ! je me sens très proche des disciples dans ces moments-là !) ; parfois nous n’osons pas lui demander, parce qu’on se dit qu’on lui a déjà assez demandé, que c’est à nous de faire, que c’est à nous de savoir gérer maintenant, qu’il faut qu’on grandisse…

En réalité, Dieu ne nous a pas créés pour que nous soyons autonomes et indépendants de lui. De même que la plante a besoin de soleil et d’eau pour pousser, dans notre écosystème, la présence et l’action de Dieu sont nécessaires pour que la vie surgisse avec abondance. C’est ça, le mensonge du diable dans le jardin d’Eden : si vous progressez en connaissance, vous serez indépendants, vous n’aurez plus besoin de Dieu. Mais ce n’est pas une honte, de dépendre de Dieu ! Vous avez honte d’avoir besoin d’oxygène pour respirer ?

Dans notre vie de foi, il nous faut apprendre et ré-apprendre à compter sur Dieu à chaque pas. Et ce n’est jamais acquis : chaque changement nous confronte à nouveau à cette tentation de faire seuls, sans lui – alors que c’est lui qui fait vivre !

Pour le salut, la réconciliation avec Dieu, nous croyons que Dieu nous pardonne malgré notre faiblesse et nos péchés. Nous ne sommes pas à la hauteur, c’est lui qui s’abaisse, nous rejoint et nous relève, à travers Jésus, Dieu fait homme. Mais il n’y a pas de différence fondamentale entre ce moment de réconciliation à la croix et le reste de la vie avec Dieu, comme si nous étions pardonnés par sa grâce, mais qu’ensuite nous devions faire tout seuls ! Non ! Que ce soit au niveau spirituel, émotionnel, intellectuel, physique, relationnel, etc. etc. c’est Dieu notre oxygène ! c’est toujours avec lui, par lui, en lui que les choses bonnes se font.

Alors que le Seigneur nous aide à lui faire confiance, à compter sur lui, qu’il vienne lui-même multiplier nos petits pains de foi pour que nous apprenions à vivre de sa grâce, à lui donner ce que nous avons et à le laisser agir avec abondance. Pour sa gloire, et notre joie !




Garder les yeux fixés sur Jésus

Le psaume 23 est un encouragement profond, de même que les paroles et les promesses de Jésus, mais au quotidien, trouver notre force et cette calme assurance du psaume 23 dans la présence de Dieu quoi qu’il arrive, ce n’est pas toujours si simple ! On aimerait être ce croyant imperturbable, joyeux et confiant quelques soient les circonstances, mais nous sommes souvent rattrapés, bousculés, par la réalité du terrain.



Alors je vous propose de méditer ensemble un moment difficile que les disciples ont traversé avec Jésus. C’est un événement qui a eu lieu de nuit, et je me permets de vous résumer la journée qui précède, parce que dans les trois Evangiles où cet épisode est mentionné, c’est toujours en lien avec ce qui s’est passé le jour-même. Jésus commence à faire beaucoup de vagues, et il est régulièrement rejeté, à la fois par les religieux qui sont dérangés par son non-conformisme, et par ses proches qui sont bloqués dans leurs stéréotypes et qui n’arrivent pas à accepter ce que Jésus veut leur communiquer.  

Ce matin, donc, Jésus a appris que le prophète Jean, le baptiste, celui qui l’a baptisé, un homme d’une grande intégrité et d’une grande sensibilité à Dieu, cet homme a été assassiné violemment sous l’autorité du roi en place dans cette région, Hérode Antipas. Jésus en est profondément troublé, comme on peut être ébranlé par la mort d’un proche, de quelqu’un qu’on estime, et il traverse le lac de Tibériade pour se mettre à l’écart, sûrement pour digérer l’événement. Mais des gens apprennent qu’il arrive, et le temps que Jésus traverse le lac, ils se précipitent en masse pour l’écouter, lui amènent des personnes à guérir etc. Le soir arrive, il n’y a rien à manger, et Jésus accomplit alors un miracle extraordinaire : à partir du peu que certains avaient dans leur sacoche, il nourrit la foule entière, des milliers de gens.

Ca nous arrive d’avoir des journées bien remplies, voire chaotiques, remplies de péripéties, mais là on est au niveau supérieur !

Donc c’est la nuit, maintenant, la foule est rassasiée…

Lecture biblique : Matthieu 14.22-33

22 Aussitôt après, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque pour qu’ils le précèdent sur l’autre rive, pendant que lui-même renverrait les foules. 

23 Après les avoir renvoyées, il monta dans la montagne pour prier, à l’écart. Il était tard, il se tenait là, seul.

          Jésus était parti pour prier, pour se mettre à part, pour digérer la mort de Jean le baptiste, quand il s’est laissé arrêter par le besoin des foules. Mais maintenant, il a besoin de ce temps, et donc il renvoie les disciples et les foules. Il oblige même les disciples à partir : peut-être tardaient-ils un peu ? ou voulaient-ils débriefer le miracle des pains ? en tout cas maintenant, Jésus a besoin d’être seul, de se retrouver avec Dieu.

24 La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. 

25 Vers la fin de la nuit, Jésus se dirigea vers ses disciples en marchant sur le lac. 

26 Quand les disciples le virent marcher sur le lac, ils furent troublés et dirent : « C’est un fantôme ! » Et ils poussèrent des cris de frayeur. 

27 Mais aussitôt Jésus leur parla : « Courage ! C’est moi, n’ayez pas peur ! » 

          Ce n’est pas la première tempête que les disciples traversent. Ne serait-ce que dans l’Evangile de Matthieu, c’est la deuxième fois. Mais la première (Matthieu 8), Jésus était avec eux dans la barque et il avait calmé le vent par sa parole. La situation est différente ici. Ce qui est étonnant, c’est que les disciples ne sont pas effrayés par les vagues (alors que les tempêtes sur le lac de Tibériade pouvaient être mortelles) mais par l’arrivée de Jésus. C’est lui, censé les rassurer, qui les effraie !

Matthieu précise que la barque est au milieu de ce grand lac : lorsque les disciples voient quelqu’un arriver sur l’eau, ce n’est pas sur le bord du lac, il marche là, en eau profonde ! Seul un esprit, ou un être non humain, peut faire ce genre de choses. Donc panique à bord, et Jésus les rassure : « c’est moi ! » Il confirme son identité (c’est moi, Jésus, je ne suis pas un fantôme !). Et plus que ça : il encourage, il rassure, en rappelant que lui est là. Il est là, bien là, au milieu de cette tempête, contre toute attente, libre face aux lois physiques et logiques : il est là.

Dans les Evangiles de Marc et Jean, le récit s’arrête là, mais Matthieu rapporte une anecdote supplémentaire, avec le disciple Pierre.

28 Pierre prit la parole et lui dit : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. » – 

29 « Viens ! » répondit Jésus.

Pierre sortit de la barque et marcha sur l’eau pour aller vers Jésus. 

          Matthieu parle souvent de Pierre en particulier, d’une part parce que c’est quelqu’un de téméraire et impulsif qui va souvent relancer l’interaction avec Jésus, et d’autre part sûrement à cause de son rôle à venir dans l’église des premiers temps : Pierre sera le premier grand prédicateur de l’Evangile.

En tout cas, on retrouve bien ici la spontanéité de Pierre : si c’est vraiment Jésus, il faut tester (ça pourrait être un mensonge !). Et si c’est bien Jésus, l’homme qui a multiplié les pains et qui marche sur l’eau est bien capable de réaliser l’impossible en donnant à Pierre la force de marcher lui-même sur l’eau.

J’aurais aimé avoir plus de détails sur la sortie de la barque, sur les sensations de Pierre, qui pose son pied sur un sol liquide et tumultueux ; est-ce qu’il a hésité ? combien de temps a-t-il mis pour lâcher le bord de la barque ? ou alors est-ce qu’il a été comme porté par une force extraordinaire ?… mais l’Evangile s’intéresse peu au spectaculaire et va droit au but : ça marche ! c’est bien Jésus ! C’est incroyable !

Mais…

30 Mais quand il vit la violence du vent, il eut peur. Il commença à s’enfoncer dans l’eau et s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! » 

31 Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Comme ta foi est faible ! Pourquoi as-tu douté ? »

On ne sait pas combien de temps Pierre a marché sur l’eau : 10 secondes ? 3 minutes ? en tout cas, la réalité le frappe à un moment, et il prend conscience que c’est la tempête, quand même ! Il ne marche pas sur l’eau comme certains font du paddle sur une mer d’huile : il marche en pleine tempête ! Et là, il prend peur !

C’est étrange, parce que la tempête ne vient pas de se déclencher, le vent souffle depuis des heures ! Mais Pierre a été tellement impressionné par l’arrivée miraculeuse de Jésus qu’il avait oublié la tempête – et là on dirait que c’est l’inverse : en voyant le vent, donc les vagues, il panique ! et il coule !

C’est évident que l’émotion de la peur, la panique, arrive sans qu’on le décide : c’est notre cerveau reptilien, la partie primitive, très animale, du cerveau qui réagit et qui nous fait passer en mode survie. Donc où est le doute dont parle Jésus ? Est-ce que Pierre a tardé à se retourner vers Jésus ? Est-ce que Pierre s’est laissé submerger par la peur, au point d’être submergé par les eaux ? Peut-être que Jésus indique qu’il y a un écart, un espace, entre voir (voir la réalité, les difficultés, les problèmes) et être submergé, donc une marge de manœuvre avant de couler.

Pierre a appelé Jésus à l’aide, et aussitôt Jésus le secourt. Mais peut-être Pierre aurait-il pu compter sur Jésus avant d’être submergé… facile à dire !

En tout cas, l’exemple de Pierre nous montre que nos grands pas de foi ne signifient pas que notre confiance en Jésus est à toute épreuve : on peut monter très haut, et redescendre très vite. Il y a des expériences galvanisantes avec Dieu : pas forcément marcher sur l’eau, mais un exaucement, une expérience mystique, une colo incroyable, une réponse forte de Dieu – et parfois, on plonge après, parce que ce pic ne dure pas, et qu’il faut à nouveau faire confiance à Jésus. Il faut lui faire confiance au moment où on sort de la barque, mais aussi quand on voit les vagues, quand on est rattrapé par la réalité, par le quotidien : à chaque pas, lui faire confiance.

Jésus paraît dur avec Pierre : homme de peu de foi ! Pierre a montré une grande foi en osant sortir de la barque, mais sa foi est encore en devenir, elle reste fragile…

32 Ils montèrent tous les deux dans la barque et le vent tomba. 

33 Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant Jésus et dirent : « Tu es vraiment le Fils de Dieu ! »

Cette fois-ci, Jésus n’a même pas besoin de parler au vent pour le calmer.

Les disciples, spectateurs de la scène, bouleversés, se prosternent devant Jésus. C’est la première fois, dans l’Evangile que des humains qualifient Jésus de Fils de Dieu. Attention, il ne faut pas trop projeter de sens théologique dans cette parole : on est dans un moment très intense émotionnellement, les disciples expriment que Jésus est plus qu’un homme, clairement, qu’il a une connexion avec le divin qui est incomparable. La suite de leur parcours avec Jésus montrera qu’ils ont encore beaucoup à comprendre, mais là c’est une étape décisive : Jésus est plus qu’un prophète, plus qu’un guérisseur, plus qu’un homme doué, il porte en lui quelque chose d’unique, quelque chose du Créateur qui peut prendre des libertés avec les lois de la nature…

Garder les yeux fixés sur Jésus

Ce qui rend cet épisode si fort et symbolique, c’est notre proximité avec Pierre… Nous ne sommes pas peut-être pas de ceux qui sautent de la barque en pleine tempête, mais les hauts et les bas de la vie de foi, de la vie avec Dieu, nous en connaissons tous ! en bas à cause d’une épreuve, à cause de l’usure d’une situation qui stagne, parfois à cause de notre immaturité spirituelle, de nos doutes, ou encore de nos failles… Tomber, glisser, couler, être submergé, on connaît ça !

Et l’expérience de Pierre illustre à quel point nous sommes sensibles à ce que nous percevons. Il y a bien des raisons d’être submergé, de couler, et parmi ces raisons, l’expérience pointe vers la façon dont nous percevons les choses. Dans la réalité qui est devant nous, une réalité complexe, qu’est-ce que nous regardons, qu’est-ce que nous choisissons de regarder comme déterminant, prioritaire ? Les vagues ou la présence de Jésus ? Les deux sont vrais ! Et c’est juste de voir les deux, mais qu’est-ce qui l’emporte ? Les vagues, ou la présence de Jésus ? Et parfois, comme Pierre, nous sommes tellement impressionnés par les circonstances qui nous dépassent, par notre faiblesse, par les difficultés, etc. que nous oublions que Jésus marche sur l’eau ! que Dieu est libre, fort, en marche dans nos circonstances ! et qu’il est un Dieu qui ne nous laissera pas couler…  

La solution ? Pierre nous la donne : se tourner vers Jésus, volontairement, intentionnellement. Il le fait un peu tard, mais Jésus répond, réagit, et montre sa grâce. Et puis avec le temps, il le fera de plus en plus tôt ! La confiance en Jésus, ce n’est pas un acquis, c’est quelque chose qui se construit, qui s’affine, qui rentre petit à petit dans nos évidences – petit à petit ! l’essentiel, c’est – à un moment ! – de se tourner vers Jésus pour ne pas couler… Les moments forts que nous vivons sont des pics dans un processus qui doit se nourrir dans la durée, pour que nous puissions marcher jusqu’au bout avec Jésus.

Et je trouve que l’attitude des disciples à la fin nous renvoie à une pratique saine : confesser notre foi en Jésus comme fils de Dieu, sauveur, seigneur. Il ne faut pas attendre d’être au milieu des vagues pour regarder à Jésus : plus nous avons comme pratique, comme discipline, comme réflexe quotidien, de regarder à lui comme source de notre salut, plus ce sera facile de se tourner vers lui dans les moments difficiles. C’est aussi un bénéfice de la louange, de la prière, de la méditation de la Bible, du culte : intégrer comme un réflexe de plus en plus naturel le fait de se tourner vers Jésus comme sauveur et seigneur.

Alors que Jésus, Fils de Dieu, nous aide lui-même par son Esprit à le mettre au centre de notre réalité, à le voir dans nos hauts et dans nos bas, et qu’il nous apprenne à compter sur lui en toutes circonstances. Ainsi nous pourrons continuer d’avancer, pas après pas, quoi qu’il arrive !