Négociations avec Dieu (1/5) S’approprier la justice de Dieu

Pour ce mois de juillet, je vous propose une série de négocia… euh, de prédications sur la prière. Mais c’est vrai que parfois, quand on a du mal à accepter ce Dieu propose, la prière peut ressembler à une négociation. Cela peut concerner notre vie personnelle, une situation collective ou même des valeurs, des principes divins qui nous paraissent difficiles à accepter. Et je parle de négociation parce que dans ces cas-là, ce n’est pas juste un croyant qui demande et puis Dieu répond (ou pas) : c’est une conversation qui peut durer longtemps, dans laquelle on a l’impression de voir deux volontés se heurter, s’entrechoquer et éventuellement lutter.

Je commence cette série avec la prière d’Abraham en faveur des villes de Sodome & Gomorrhe : un texte emblématique de prière-négociation.



Un mot de contexte : la discussion a lieu entre Abraham et Dieu. Dieu a choisi, re-choisi, re-re-choisi Abraham pour être l’ancêtre d’un peuple nombreux, béni et source de bénédiction. Il vient d’apparaître, avec deux compagnons, sous forme humaine, à Abraham et sa femme Sarah, pour leur confirmer la naissance d’un héritier longuement attendu. Ils ont mangé un bon repas, et Abraham raccompagne maintenant ses invités.

Lecture biblique : Genèse 18.16-33

16 Les hommes se mirent en route et regardèrent en direction de Sodome. Abraham marchait avec eux pour les reconduire. 

17 Le Seigneur se dit : « Je ne veux pas cacher à Abraham ce que je vais faire. 18 Il doit devenir l’ancêtre d’un peuple grand et puissant. À travers lui, seront bénis tous les peuples de la terre. 19 J’ai voulu le connaître pour qu’il ordonne à ses fils et à ses descendants d’observer mes commandements, en agissant selon le droit et la justice. Ainsi le Seigneur accordera à Abraham ce qu’il lui a promis. » 

Première chose étonnante : c’est Dieu qui prend l’initiative de la discussion, alors que bien souvent nous avons l’impression que c’est nous qui l’interpelons. Prenons la mesure de cette initiative : Dieu ne veut pas cacher ses plans à Abraham, parce que c’est quelqu’un d’important. Enfin quand même, ce n’est qu’un homme ! Et pourtant, Dieu l’intègre à sa réflexion, à ses projets. Quelle estime !

Je trouve qu’on est souvent partagés entre deux pôles : Dieu est grand, fort, sage, Dieu décide, et nous n’avons qu’à obéir – mais de l’autre côté, nous avons des idéaux, des valeurs, des rêves, des projets, et nous souffrons lorsque nous devons les faire taire.

L’initiative de Dieu nous invite à sortir de cette polarité : Dieu donne à Abraham, Dieu nous donne, le privilège (que nous ne méritons pas) d’entrer en dialogue, d’échanger, de réfléchir avec lui. Pas parce qu’il a besoin de nous, mais parce qu’il choisit de nous associer à ses projets de bénédiction en faisant de nous ses partenaires. La semaine dernière, nous avions un culte consacré au SEL, une organisation humanitaire chrétienne qui développe des projets dans différents pays avec des partenaires locaux. On pourrait dire que Dieu fait de nous ses partenaires locaux pour bénir ici et là le monde : nous sommes bénéficiaires de sa bénédiction, oui, et aussi partenaires de sa bénédiction.

20 Le Seigneur dit alors à Abraham : « Les cris contre les populations de Sodome et Gomorrhe sont montés jusqu’à moi, leurs péchés sont énormes. 21 Je vais descendre pour vérifier s’ils ont fait tout ce dont on les accuse auprès de moi : alors, je saurai ! »

Quand on parle de jugement, parfois on imagine Dieu comme un juge dur, cassant, aux décisions tranchantes presque inhumaines. Rien à voir avec la démarche que Dieu montre ici : d’une part, Dieu se met en mouvement par compassion, à cause des cris de souffrance et des plaintes qui sont montés jusqu’à lui – donc au nom de la souffrance des victimes. D’autre part, alors que Dieu sait tout et voit tout, il prend le temps de mener l’enquête (il descend pour vérifier) – Dieu ne vient peut-être à chaque fois se balader sous forme humaine pour vérifier, mais cela montre que ses décisions ne sont pas précipitées : Dieu prend le temps d’analyser la situation pour trouver la meilleure solution.

Après toutes ces remarques, venons-en à la discussion entre Dieu et Abraham :

22 Deux des visiteurs quittèrent cet endroit et se dirigèrent vers Sodome, tandis que le Seigneur restait avec Abraham. 

23 Abraham se rapprocha et dit : « Seigneur, vas-tu vraiment faire périr ensemble l’innocent et le coupable ? 24 Il y a peut-être cinquante justes à Sodome. Vas-tu quand même détruire cette ville ? Ne veux-tu pas lui pardonner à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? 25 Loin de toi cela : tu ne peux pas agir ainsi ! Tu ne feras pas mourir l’innocent avec le coupable, de sorte que l’innocent ait le même sort que le coupable. Il n’est pas possible que le juge de toute la terre ne respecte pas la justice. » 

26 Le Seigneur répondit : « Si je trouve à Sodome cinquante justes, je pardonnerai à toute la ville à cause d’eux. »

27 Abraham reprit : « Excuse-moi d’oser te parler, Seigneur, moi qui ne suis qu’un peu de poussière et de cendre. 28 Au lieu des cinquante justes, il n’y en aura peut-être que quarante-cinq. Pour les cinq qui manquent détruiras-tu toute la ville ? »

Dieu dit : « Je ne la détruirai pas si j’y trouve quarante-cinq justes. »

29 Abraham insista : « On n’en trouvera peut-être que quarante. »

– « Je n’interviendrai pas à cause des quarante », déclara Dieu.

30 Abraham dit alors : « Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas si je parle encore. On n’en trouvera peut-être que trente. »

– « Je n’interviendrai pas si je trouve trente justes dans la ville », répondit Dieu.

31 Abraham dit : « Seigneur, excuse mon audace. On n’en trouvera peut-être que vingt. »

 – « Je ne détruirai pas la ville à cause de ces vingt », répondit Dieu.

32 Alors Abraham dit : « Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas. C’est la dernière fois que je parle. On n’en trouvera peut-être que dix. »

– « Je ne détruirai pas la ville à cause de ces dix », dit Dieu.

33 Lorsqu’il eut achevé de parler avec Abraham, le Seigneur s’en alla et Abraham retourna chez lui.

Un marchandage

Franchement, on a l’impression d’être au marché ! En plein marchandage : « et la ville, tu me la sauves à combien ? à combien de justes ? » Abraham commence à -50% (période de soldes oblige). En effet, d’après les spécialistes, la taille moyenne d’une ville antique, c’est 100 personnes : donc 50 justes sur 100, est-ce que la moitié suffit pour sauver le tout ? ensuite, il baisse encore de 5 (45) puis il baisse de dizaine en dizaine.

Tout au long de la conversation, il y a ce suspense : à quel nombre Dieu va-t-il mettre la limite ? jusqu’où est-il prêt à descendre ? la négociation se termine à 10% de justes, mais Dieu n’a pas l’air de s’impatienter, peut-être aurait-il pu descendre un peu plus ?

Zoom sur Sodome & Gomorrhe 

Alors il faut qu’on parle de ces villes, Sodome et Gomorrhe. Elles sont mentionnées au chapitre 13, l’équivalent de quelques années avant notre passage :

Genèse 13. 12 Abram resta dans le pays de Canaan. Loth [son neveu] campa près des villes de la région du Jourdain et alla planter ses tentes jusqu’à Sodome. 13 Les habitants de cette ville étaient méchants et offensaient gravement le Seigneur.

Gomorrhe est une ville voisine, qui a manifestement le même fonctionnement.

Très souvent, on a associé ces villes à l’homosexualité, alors que le texte est beaucoup plus large : il parle de péché, d’injustice, et, au début de la conversation entre Dieu et Abraham, de cris de souffrances, ce qui suggère des abus nombreux.

La suite nous éclaire aussi (Genèse 19). Après la séparation d’Abraham et Dieu, Dieu et ses compagnons vont effectivement visiter Sodome, en logeant chez Loth, le neveu d’Abraham. Pendant qu’ils logent chez eux, les habitants de la ville viennent exiger que Loth leur livre ses invités pour une orgie. Loth décide de protéger ses invités (devoir d’hospitalité sacro-saint au Moyen-Orient) et il leur livre ses propres filles.

Ce qui ressort de cet épisode, c’est la sexualité débridée des habitants de Sodome et Gomorrhe qui consomment les hommes comme les femmes, leur violence, leur manque total de respect pour l’hospitalité, etc. Même quand vous êtes sous un toit, vous êtes à la merci de ces prédateurs. Donc une ville marquée par l’insécurité, la violence, la débauche, où personne n’est à l’abri.

Une ville tellement injuste que Dieu n’y trouvera pas même 10% de gens bien, et qu’il prendra la décision de détruire la ville. Comparons avec une voiture accidentée : si les dommages ne sont pas trop importants, vous pouvez la faire réparer, ou remplacer quelques pièces. Mais si les dommages sont trop étendus, le garagiste vous conseillera d’arrêter les frais, éventuellement il récupèrera quelques pièces saines.

Pour Sodome, c’est un peu pareil : la ville est tellement gangrénée, tellement déformée et dysfonctionnelle que Dieu prend la décision d’arrêter les frais, et d’extraire les quelques parties saines.

Quand Abraham s’approprie la justice de Dieu

Revenons en arrière, à l’étape de la négociation en amont. L’argument de base sur lequel Abraham s’appuie pour négocier, c’est la justice de Dieu. Au nom de sa justice, comment pourrait-il détruire une ville entière avec des personnes qui ne le méritent pas ? Au passage, on voit ici qu’Abraham sait très bien à qui il a affaire…

La souffrance et la mort des innocents, c’est un des plus grands scandales pour l’être humain, et c’est souvent la base d’une révolte contre Dieu : comment a-t-il pu permettre que ?… On accepte assez bien que le coupable soit stoppé, puni, mais que l’innocent se retrouve pris dans ce jugement ?! c’est trop injuste !

Sans entrer en profondeur dans cette question il faut noter la différence entre la situation de Sodome, où Dieu exerce explicitement un jugement, et les catastrophes qui ont lieu régulièrement et qui ne sont pas toujours des jugements de la part de Dieu : les guerres, les famines, et même les catastrophes écologiques, sont souvent les conséquences de la folie humaine et de ses abus, dont les conséquences retombent sur les innocents.

          Abraham renvoie Dieu à son identité : tu ne peux pas faire ça, ce n’est pas toi d’être injuste ! Abraham invite Dieu à la cohérence !

C’est sûrement le point clef du passage.

J’ai du mal à croire que Dieu avait oublié ses propres notions de justice et qu’il avait besoin qu’Abraham le secoue pour se ressaisir, et revenir à la justice, en considérant la place des innocents. Je crois plutôt que ce dialogue est un petit test : Dieu pose l’intitulé du problème devant Abraham, sans lui dire ce qu’il va faire, comme pour voir comment Abraham va réagir, lui qui sera mandaté pour vivre en justice et en vérité. Un peu comme un prof qui dirait à ses élèves : « et si on a tel facteur qui s’invite dans l’équation, qu’est-ce que vous faites ?… »

Abraham aurait pu dire : « Sodome et Gomorrhe, ce sont tous des pourris. Sauve ma famille, s’il te plaît, mais les autres, bon débarras ! » Est-ce qu’on n’est pas un peu comme ça, parfois, par rapport à notre société ? « Tous pourris ! (sauf nous) »

Mais Abraham cherche les étincelles de droiture, de pureté, dans ces villes gangrénées, et il se bat pour elles. Il se bat, dans la prière, pour les innocents, au nom de la justice de Dieu ! Abraham s’est tellement approprié la mentalité de Dieu, sa justice et sa compassion, qu’il est prêt à se battre, dans la prière, pour que cette justice se réalise.

Par six fois, six fois, Abraham prend la parole – et à chaque fois Dieu valide, pas parce qu’Abraham a été plus convaincant, mais comme pour approuver Abraham: il a développé un sens de la justice satisfaisant aux yeux de Dieu.

Lorsque nous sommes choqués par ce qui nous environne, quelle est notre prière ? 

Cette négociation autour du nombre de justes à Sodome et Gomorrhe annonce discrètement l’Evangile : notre monde est gangréné par le mal, et l’apôtre Paul reprend cette phrase du psaume 14 : il n’y a pas de juste, pas même un seul (Romains 3.21). Même nous, nous sommes rongés par cette gangrène. Il y a d’ailleurs certains mouvements écologistes, sensibles aux nombreux abus commis par l’humanité, qui se disent qu’il vaudrait mieux que l’humanité disparaisse.

Et pourtant, face à un monde gangréné, Dieu n’a pas fait ce choix. Puisqu’il n’y avait pas de juste, pas même un seul, qui puisse justifier de garder ce monde, Dieu est venu lui-même habiter notre monde, en humain : Jésus-Christ, pour devenir le juste qui justifierait notre salut. Il va bien au-delà : dans sa mort, Jésus paye pour l’injustice de l’humanité, et comme il lui restait encore des réserves infinies de justice et de pureté, il revêt ceux qui lui font confiance de sa sainteté.

Par la foi, nous entrons au bénéfice de la grâce du Christ, injustes revêtus de sa sainteté, bénéficiaires de sa bénédiction et appelés à être partenaires là où nous sommes de ses projets de paix.




Venir à Jésus tel qu’on est

Le texte qu’Annick a choisi (Esaïe 55.6-13) pour nous aider à nous centrer sur Dieu nous rappelle combien Dieu veut agir dans notre vie, la transformer pour qu’elle soit féconde, fructueuse, joyeuse, vivante ! Là où poussent les broussailles, les ronces, les épines, des choses stériles et douloureuses, là où nous rencontrons des blocages, Dieu veut mettre de beaux arbres verdoyants, forts, solides. Mais parfois, quand on a besoin de Dieu, quand on est pris dans les ronces, on n’ose pas aller vers Dieu, parce que lui est tellement supérieur à nous. C’est justement quand on a besoin d’un peu de grâce, de pardon, d’amour, qu’on hésite à s’approcher de Dieu. On est pris par l’ampleur de nos problèmes, par la honte, comme si on attendait d’aller mieux pour lui demander son aide.

          Je vous propose ce matin de suivre la rencontre entre Jésus et une femme dont la vie était remplie de ronces et d’épines, et qui a su surmonter sa honte. Je commenterai le texte au fur et à mesure.



Lecture biblique : Marc 5.21-34

21 Quand Jésus eut regagné en barque l’autre rive, une grande foule s’assembla près de lui. Il était au bord de l’eau. 

22 Arrive l’un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus : voyant Jésus, il tombe à ses pieds 23 et le supplie avec insistance en disant : « Ma petite fille est près de mourir ; viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » 

24 Jésus s’en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et le pressait de toutes parts. 

J’ai lu ces versets pour que vous ayez le contexte de la rencontre qui suit.

Jésus commence à être bien connu, il a fait beaucoup de miracles (délivrances, guérisons…) qui montrent qu’il vient d’ailleurs : c’est une sorte de sceau qui authentifie son origine. Mais du début à la fin des Evangiles, les miracles ne sont jamais une fin en soi : toujours, ils soutiennent le message de Jésus, l’invitation à regarder au-delà de l’horizon terrestre pour recevoir l’amour et la paix de Dieu, pas seulement aujourd’hui mais pour toujours.

25 Une femme, qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans 26 – elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu’elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré –, 27 cette femme, donc, avait appris ce qu’on disait de Jésus. Venant par-derrière dans la foule, elle toucha son vêtement. 28 Elle se disait : « Si j’arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée. » 

          Cette femme, bien qu’anonyme, Marc prend le temps de la décrire, de décrire une situation qu’on peut qualifier de désespérée. Elle souffre d‘une longue maladie qui l’affaiblit (elle est sûrement anémiée), et qui la handicape (comment vivre normalement avec des pertes de sang continues ?). Elle a tout essayé, pendant douze ans (douze ans ! Où étiez-vous, il y a douze ans ?). Pendant douze ans, elle a accumulé rendez-vous sur rendez-vous, elle a tout testé, et rien n’a marché : à chaque fois, l’espoir suivi d’une déception.

Sa maladie est particulière dans la mesure où elle perd du sang – et les pertes de sang, régulières comme irrégulières, sont dans le judaïsme antique un gros tabou, quelque chose de perturbant qu’on regarde comme impur (comme tout état physiologique exceptionnel /même si c’est un exceptionnel régulier). Du coup, si on touche une femme comme elle, on ne peut plus participer au rituel religieux : alors cette femme finit au bord de la société, aussi évitée qu’un lépreux.

Donc souffrance, désespoir, isolement social et spirituel. Dans sa vie, il n’y a plus rien d’autre que la maladie, et en même temps la maladie est omniprésente. Aux côtés de cette femme, on peut retrouver tous ceux qu’affectent des maladies longue durée, visibles ou pas, et aussi ceux qui se retrouvent à la fois en souffrance et dans l’isolement : un parent d’enfant handicapé que les gens évitent car ils ne savent pas quoi lui dire ou une personne au chômage depuis longtemps…

Pourtant, cette femme tente le tout pour le tout : Jésus a bonne réputation, peut-être que… Dans le texte original, le verbe toucher est le premier verbe conjugué après la longue description de la situation (c’est pour ça que je l’ai souligné). Son geste est mis au premier plan. C’est un geste plein d’espoir mais qui pose quelques difficultés.

D’abord, en touchant Jésus, elle transgresse les règles, car elle risque de le rendre impur.

Ensuite, elle a une approche un peu magique du miracle : le pouvoir de Jésus se transmettrait à ses objets (ce que beaucoup croyaient dans l’Antiquité), en décalage avec les écrits juifs, où Dieu a tout fait pour qu’on arrête de donner du pouvoir aux choses et qu’on se tourne vers le Créateur. Mais elle, elle est dans cette croyance populaire, superstitieuse.

Et puis elle ne demande rien à Jésus, c’est une démarche qu’elle fait littéralement dans son dos, sans son consentement : un geste qui en dit long sur sa honte, sa timidité, sa peur d’interrompre (Jésus part en consultation, il est pressé), comme si elle n’avait pas vraiment le droit de demander.

Dans cette main qui touche Jésus, il y a un mélange d’espoir et d’hérésie, d’élan et de honte.

Que se passe-t-il alors ?

29 Aussitôt, sa perte de sang s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal. 

30 Aussitôt Jésus ressentit en lui-même qu’une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il dit : « Qui a touché mes vêtements ? » 

Immédiatement, la femme est guérie, et elle le sent. Comment ?… je ne sais pas. Mais ce qui est frappant, dans le texte, c’est que Marc fait le parallèle entre le ressenti de la femme et celui de Jésus : au milieu de cette foule bruissante et pressante, il y a quelque chose qui se joue pour eux deux, seulement, quelque chose de très profond et d’intime.

Jésus, en posant sa question, donne l’impression d’avoir subi le miracle, d’être à la traîne. Soit Jésus sait très bien ce qui s’est passé, et pose la question dans un but pédagogique, pour forcer la rencontre avec la femme ; soit Jésus pose vraiment la question, et dans ce cas, il a été moyen d’un miracle un peu malgré lui, mais pas malgré Dieu. Parce que dans cette foule, plein de gens devaient avoir des problèmes, et leur proximité avec Jésus n’a rien changé. Donc forcément quelqu’un a déclenché le miracle pour cette femme : Jésus, ou Dieu, ou les deux… c’est un peu mystérieux. 

31 Ses disciples lui dirent : « Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : “Qui m’a touché ?” » 

32 Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. 

Vu le texte, Jésus sait que c’est une femme qui l’a touché, donc peut-être était-il conscient du miracle en amont.

La réaction des disciples souligne qu’il y a deux touchers : la foule, qui touche Jésus sans y penser, et la femme, dont le geste était lourd de sens. Et Jésus fait très bien la différence. Ça nous renvoie à nos façons d’approcher Dieu, d’approcher Jésus aujourd’hui, dans la prière, la louange, la méditation : la forme est assez anecdotique finalement. Il y a ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Et Dieu voit au-delà des apparences, ce qui l’intéresse, c’est notre cœur, notre intention, même si c’est mal exprimé, maladroit, à moitié faux… pas grave. Ça ne l’empêche pas de répondre ! Comme une maman qui reçoit une boîte fabriquée par ses enfants pour la fête des mères: même si la peinture a débordé et que la boîte ne ferme pas bien, c’est l’affection de ses enfants qu’elle voit d’abord. Pour Dieu c’est pareil : il fait le tri entre nos façons de faire, et ce qu’il y a dans notre cœur (notre espoir, notre affection, notre demande, notre peur, notre révolte, nos besoins, notre confiance…).

33 Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 

34 Mais il lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal. »

La femme est en panique, déjà à cause de ce qu’elle a fait (est-ce que Jésus va la gronder d’avoir « volé » un miracle ?), et aussi parce qu’elle vient d’expérimenter quelque chose d’inimaginable : elle a été guérie sur-le-champ.

Pourtant, elle surmonte sa peur et elle avoue ce qui s’est passé (c’est sûrement là d’ailleurs que les détails de sa situation sont révélés).

Or Jésus lui offre un accueil profond, plein d’amour (« ma fille ») et lui montre qu’elle a toute sa place dans le peuple de Dieu. En même temps, il apporte une petite correction : « ta foi t’a sauvée » (sous-entendu, pas mon vêtement). C’est bien la graine de foi qui était dans le cœur de cette femme qui a touché Dieu.

Jésus l’invite à vivre désormais en paix – plus qu’en paix, « shalom » en hébreu c’est  la plénitude – et il prononce sa guérison. C’est étrange, vu qu’elle a déjà ressenti l’arrêt des saignements. On pourrait dire qu’il confirme la guérison complète et définitive. Peut-être aussi qu’on peut voir dans ce « mal » dont elle est guérie la maladie et tout ce qui va avec :  douleurs, peurs, solitude, désespoir, honte. D’ailleurs, Jésus répond à tout ça en prenant le temps de la rencontre avec elle, alors qu’il y a urgence pour la fille de Jaïrus (qu’il sauvera aussi !), comme pour signifier que ce miracle n’est pas un miracle de seconde zone, une guérison à la sauvette : Jésus s’arrête et offre à cette femme toute son attention. Parce qu’au-delà du miracle, et de la guérison, ce que Jésus apporte c’est le message que Dieu la connaît et qu’il l’aime. Qu’elle a autant de valeur à ses yeux que l’enfant d’un grand chef religieux.

Je suis fan de romans policiers, et en ce moment je lis les romans de Michael Connelly, notamment une série autour de l’inspecteur Harry Bosch. Et le slogan de cet homme, c’est : « tout le monde compte, ou personne ne compte ». Peu importe le passé de la victime, c’est son devoir de mener l’enquête. Je retrouve un peu de ça chez Jésus : tout le monde compte à ses yeux. Le notable respecté comme la femme que tout le monde fuit, riche ou pauvre, celui qui suit le bon protocole comme celle qui fait ce qu’elle peut et c’est limite : tout le monde compte à ses yeux. Peu importe notre situation, notre honte, le regard que les gens portent sur nous : pour Jésus, chacun mérite qu’on s’arrête.

Jésus, tout-puissant et accessible

Dans ce passage, Jésus montre sa force, sa puissance, son autorité sur toute sorte de mal. Pourtant, bien que tout-puissant, Jésus reste accessible. Et c’est sur ça que je veux insister ce matin : Jésus est accessible, il rend Dieu accessible.

C’est un encouragement pour nous à aller vers lui malgré nos situations difficiles ou même déshonorantes. Ce n’est pas parce qu’on est maladroit, pécheur (on l’est tous !), ou même hérétique (on l’est tous aussi) que Jésus nous rejette. Il n’attend pas que nous utilisions la bonne formule ou le bon protocole pour nous accueillir : même une once d’espoir, même une graine de foi, même une aiguille dans une botte de maladresse – il la voit, et il répond. L’histoire de cette femme nous invite à oser, nous-mêmes, nous approcher de Dieu, de Jésus, même quand nous nous sentons indignes : c’est la définition de la grâce ! Dieu en Jésus rejoint des hommes et des femmes nuls, abîmés, cabossés, indignes, victimes et même coupables, pour les remettre debout et les intégrer à sa famille.

L’accueil de Jésus inspire aussi notre façon d’entourer ceux qui s’approchent de la foi. Chez les protestants évangéliques surtout, on a très peur de l’hérésie, du compromis, de l’erreur et de la faute (parce qu’on veut honorer Dieu !), mais du coup le risque c’est de mettre des barrières que Dieu ne met pas. La personne qui s’approche de Dieu avec maladresse, avec des idées mélangées, une situation de vie douteuse : Dieu regarde son cœur d’abord, et je crois que nous devons apprendre à faire de même. Surtout dans une société qui n’a plus trop de repères religieux chrétiens : même si le vocabulaire n’est pas très adapté, ce qui est premier, essentiel, et ce que Dieu regarde, je pense, c’est la soif de la personne : soif d’un amour fondamental, soif de grâce, soif de liberté, de sens, d’espoir… En tant que témoins, notre première mission c’est de pointer vers Jésus, pas d’apporter des corrections ou de mettre une note. Après, sur le chemin, dans la relation, les choses se clarifient et se précisent, mais ça vient après : Jésus nous accueille, nous et les autres, tels que nous sommes.




Calme comme un nourrisson

Dans le monde frénétique, agité, qui est le nôtre, dans un quotidien trop souvent surchargé (pour les actifs multi-actifs, les étudiants, mais aussi les enfants, les ados, les retraités…), le calme et la tranquillité nous semblent être un trésor tellement précieux et si peu accessible. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ceux qui s’ennuient ou qui se sentent désœuvrés ne sont pas forcément dans le calme et la tranquillité : il peut y avoir l’inquiétude, la tristesse, le manque… Ainsi, pour ceux qui sont dans le trop-plein comme pour ceux qui sont dans le vide, le vrai repos paisible est une denrée rare, l’ombre d’un rêve qu’on poursuit sans le saisir vraiment.



Alors je vous invite à entrer dans un deuxième psaume, une deuxième prière juive du recueil du roi David, à partir de son expérience du repos – et de ses conséquences. Ce psaume est tiré d’un sous-recueil dans les psaumes, un ensemble de prières chantées lorsque les Israélites allaient en pèlerinage jusqu’à Jérusalem – essentiellement des chants qui invitent à faire confiance à Dieu. Représentez-vous la foule de pèlerins, qui monte vers Jérusalem, vers le Temple, quelques siècles avant Jésus-Christ :

Lecture biblique Psaume 131

1 Cantique des montées. De David.

O Eternel, mon cœur ne s’enfle pas d’orgueil, mes yeux n’ont pas visé trop haut,

je ne me suis pas engagé dans des projets trop grands, trop élevés pour moi

 2 Bien au contraire : j’ai conduit mon âme au silence et au calme.

Comme un nourrisson rassasié dans les bras de sa mère,

comme un nourrisson rassasié, mon âme en moi.

 3 Israël, mets ton espérance en l’Eternel, dès maintenant et pour toujours !

          Cette prière est un peu étrange.

Déjà, David, puis ceux qui reprennent sa prière année après année, affirme son humilité. Ca paraît paradoxal, de se poser devant Dieu comme quelqu’un de humble : est-ce que ce n’est pas un peu orgueilleux ? 

Ensuite, celui qui dit cette prière prend Dieu à témoin mais ne lui demande rien, ne lui dit rien, ne le remercie pas – on a l’impression que cette prière, même elle si s’adresse officiellement à Dieu, reste centrée sur « je, je, je ». Sauf à la fin où le priant se tourne vers ceux qui l’entourent en les encourageant à faire confiance à Dieu – du coup c’est plus une exhortation qu’une prière, non ?

Et puis, il y a cette image, surprenante, du nourrisson dans les bras de sa mère. Je ne sais pas comment vous vous représentez David ou les chantres qui avancent devant la foule en récitant les psaumes… Si on prend juste David, guerrier, roi, poète, un homme d’envergure qui en impose : on ne s’attend pas à ce qu’il compare son intériorité, son âme, à ce nourrisson vulnérable dans les bras de sa mère – ça fait un peu barre chocolatée au cœur fondant, au cœur tendre, incongru dans un monde où il faut être résistant, fort, sur ses gardes. David assume son côté sensible !

L’image du nourrisson

          Que nous dit cette image, essentiellement ? C’est l’image-même du contentement : l’enfant vient d’être nourri, il est repu, détendu, rien ne lui manque. Et ce n’est pas seulement parce qu’il a mangé : il est dans les bras de sa mère (bonne fête aux mamans), ce qui évoque la sécurité, la proximité, l’intimité. Il est repu et entouré, accompagné, soutenu. Je tiens quand même à éviter les stéréotypes : il n’y a pas que les mamans qui soutiennent leur enfant, et qui savent se rendre proches des petits. En fait, il y a des mamans très dures, sèches et distantes, et des papas très tendres : mais l’image est parlante.

Pour David, cette image du contentement exprime le calme, la sécurité intérieure, la satisfaction qu’il a recherchés (et trouvés) pour son âme.

Alors il ne dit pas d’où vient ce calme, quelle est la source de son assurance, de son repos intérieur, il se compare uniquement au nourrisson, laissant notre imagination faire le dernier lien : celui qui nous nourrit, qui nous tient tout proche de lui, celui qui nous protège et nous soutient – c’est Dieu ! Dieu en qui tous sont appelés à placer leur espérance (v.3).

On est habitués à voir Dieu comme un Père, parce que c’est l’image parentale la plus courante dans la Bible, mais Dieu n’est pas sexué ! Et la Bible, pourtant écrite dans un monde d’hommes, donne quelques traces d’un côté maternel de Dieu, doux, nourricier, accueillant et réconfortant. Dieu est à la fois le Dieu tout-puissant, souverain, plein d’autorité, impressionnant, à la voix grave comme un grondement d’orage, et le Dieu tendre, proche, consolateur, qui tient dans ses bras ses enfants. Dieu a toutes les caractéristiques de parents équilibrés.

Avec ce Dieu-là David se sait en sécurité, à sa place, rassasié – cette image du nourrisson s’appuie pour l’instant sur l’expérience de la fidélité de Dieu, mais elle annonce la mission de Jésus : tout faire pour nous ramener dans les bras du Père maternel, pour que nous retrouvions notre identité d’enfants de Dieu. L’apôtre Jean présente ainsi Jésus : (Jean 1.10) La Parole [créatrice, divine] était dans le monde et le monde est venu à l’existence par elle, et pourtant le monde ne l’a pas reconnue. 

11 Elle est venue dans son propre pays, mais les siens ne l’ont pas accueillie. 

12 Cependant, à tous ceux qui l’ont reçue et qui croient en elle, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. 13 Ils ne sont pas devenus enfants de Dieu par une naissance naturelle, par une volonté humaine ; c’est Dieu qui leur a donné une nouvelle vie.

Par la foi en Christ, Dieu le Fils devenu homme pour nous réconcilier avec Dieu, nous devenons pleinement fils et filles de Dieu, nous entrons dans le cercle des intimes, pour toujours.

          Calme et simplicité

C’est à partir de cette expérience intérieure avec Dieu que David peut rester humble, modeste, ajusté, à la bonne place – et il le dit avec satisfaction, et reconnaissance. Ce n’est pas par ses propres moyens mais c’est parce qu’il connaît sa place auprès de Dieu, qu’il peut rester à la bonne place dans le monde.

David cite un comportement en particulier : le fait de ne pas se lancer dans des projets hors de portée, faramineux, vous savez, ce genre de projet grandiose qui peut précipiter dans la faillite parce que c’est démesuré.

Dans le regard qui peut se porter trop haut, dans l’orgueil qui peut enfler le cœur, il me semble qu’il n’y a pas seulement l’ambition excessive, mais que ça peut conduire (et c’est souvent le cas) à des regards hautains portés sur les autres. Parce que derrière cette ambition effrénée, il y a le besoin de se prouver, et souvent on se prouve soit par ce qu’on accomplit, soit par comparaison avec les autres. Trente siècles plus tard, on en est toujours là : beaucoup se prouvent par ce qu’ils font (pas forcément le faire comme production/par le travail, mais les activités, les voyages, les projets, les passions), ou par ce qu’ils ont (avec toute l’influence de la société de consommation), ou par ce qu’ils montrent.

S’il y en a un qui pouvait se laisser tenter par des projets ambitieux, c’était bien David, roi d’Israël ! S’il y en a qui pouvait regarder les autres de haut, c’était bien lui ! La posture de David est d’autant plus remarquable qu’il a des occasions d’être orgueilleux, imprudent, excessif, mais il ne fonde pas son identité sur ce qu’il fait, ou sur son statut, ou sur ce qu’il a : non, c’est sa proximité avec Dieu qui lui donne son assise, sa sécurité intérieure.

Et à plusieurs niveaux. D’abord parce que Dieu est fidèle et qu’il prend soin de lui : pas besoin de paniquer devant des défis, devant les pressions pour entreprendre tel projet ou face à quelqu’un de déstabilisant. David peut rester à sa place parce qu’il sait qu’il y a quelqu’un de bien plus grand qui agit, et qui maîtrise !

David est assuré, aussi, en profondeur, parce qu’il se sait précieux aux yeux de Dieu : il ne fonde pas son estime de lui sur le regard des autres, mais sur le regard de Dieu. Il peut accepter ainsi ses limites, ce qu’il est, les difficultés.

Et puis je crois que cette notion d’être rassasié auprès de Dieu en dit long : il n’y a pas besoin de toujours plus, contrairement à ce qu’on nous fait croire. La tranquillité du nourrisson rassasié s’oppose à la frénésie d’un monde qui nous propose toujours plus d’expériences, de nouveautés.

Alors je ne pense pas que David (et la Bible, et Dieu) condamne les curieux et les entreprenants – loin de là ! – mais plutôt nos motivations pour avancer sur ces chemins-là : est-ce qu’on y joue notre identité ? si oui, on risque de faire de ce qu’on trouve sur ces chemins une idole, alors que Dieu nous invite à fonder notre identité et notre vie sur lui, sur son amour pour nous, et sur ses projets avec nous.

          Une attitude à cultiver

Je conclus avec cette étrange formulation de David au début du verset 2 : j’ai conduit mon âme au silence et au calme. Même si le repos se trouve auprès de Dieu, David a sa responsabilité – d’y aller, au moins, auprès de Dieu ! On s’imagine souvent que la paix de Dieu nous vient comme ça, qu’elle doit couler comme une évidence, sans qu’on fasse d’effort. Derrière ce verset 2, on sent pourtant une intentionnalité, une discipline même, pour chercher (et trouver) le repos auprès de Dieu. Le quotidien d’un roi, même dans l’Antiquité, ne devait pas être si éloigné du nôtre en termes de tentations, sollicitations, pressions, agressions, charge mentale… Au milieu de ce quotidien frénétique et stressant, David conduit son âme au calme que Dieu donne. Il réajuste son orientation pour se réaligner sur Dieu, sa fidélité, sa grâce…

Comment ? vu le psaume, et les autres que David a écrits, par la prière et le chant qui recentrent sur Dieu, ce qu’il fait, ce qu’il est, ce qu’il fait de nous. La louange et la prière doivent d’abord nous tourner vers Dieu, c’est parce qu’il le mérite que nous lui disons notre admiration, notre confiance, notre désir de lui laisser la première place… Nous le louons pour Lui, pas pour en retirer des bienfaits ! Mais… lorsque nous donnons à Dieu cette première place, bénéfice secondaire, nous trouvons nous aussi notre place, nous nous recentrons, et cela nous permet de voir les choses autrement.

La prière peut passer par des images, par la visualisation : où suis-je devant Dieu là maintenant ? dans quelle position ? et lui ? comment est-il envers moi ? Ca peut être une habitude régulière, mais je trouve que dans les moments les plus stressants (avant une réunion compliquée, quand on doit parler avec quelqu’un qui nous déstabilise, devant un choix difficile), ce temps de recentrage par la parole ou par l’image peuvent nous conduire vers le calme et la paix que Dieu nous donnent.

Je parlais en introduction de frénésie ou de vide : nous recentrer sur Dieu nous rassasie et remet le reste à sa place – ça ne veut pas dire que plus rien d’autre ne compte, mais que nous avons trouvé notre ancrage, notre repos, notre force en Dieu – et qui pourra nous l’enlever ? En Christ, Dieu est pour nous, proche de nous – qui pourra nous ébranler ?




Vivre selon l’Esprit

Si nous croyons en Jésus, nous avons reçu son Esprit, même s’il n’y avait pas de flammes de feu virevoltant sous le plafond. L’événement de la Pentecôte est spectaculaire, pour montrer la nouveauté, car cette connexion spirituelle avec Dieu, une connexion permanente, vivifiante, transformatrice – c’est inédit !

A quoi peut ressembler l’action de l’Esprit dans notre vie ? L’apôtre Paul y répond dans sa lettre aux chrétiens de Galatie, ch.5. Avec les Galates, Paul remet les pendules à l’heure et leur rappelle que le chrétien vit par la grâce du Christ, couvert par son pardon, libre des culpabilités, des règles, des pressions que certains voulaient exercer sur les nouveaux convertis.



Lecture biblique : Galates 5.13-26

13 Mais vous, frères et sœurs, vous avez été appelés à la liberté.

Seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon les désirs de votre propre nature.

Autrement dit, être libre, ce n’est pas être libertin !

Au contraire, laissez-vous guider par l’amour pour vous mettre au service les uns des autres. 14 Car toute la loi se résume dans ce seul commandement : « Tu dois aimer ton prochain comme toi-même. » 15 Mais si vous agissez comme des bêtes sauvages, en vous mordant et vous dévorant les uns les autres, alors prenez garde : vous finirez par vous détruire les uns les autres.

Paul s’appuie ici sur l’éthique de Jésus, pour qui l’amour envers Dieu et envers l’autre est le seul vrai principe qui a du sens.

16 Voici donc ce que j’ai à vous dire : laissez le Saint-Esprit diriger votre vie et vous n’obéirez plus aux désirs de votre chair. 17 Car notre chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit a des désirs contraires à ceux de notre chair : ils sont complètement opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne pouvez pas faire ce que vous voudriez. 18 Mais si l’Esprit vous conduit, alors vous n’êtes plus soumis à la loi.

Paul oppose deux moteurs, qui nous motivent et nous conduisent dans des directions opposées. La chair, opposée à l’Esprit de Dieu, ce n’est pas spécialement le corps : c’est plutôt ce qui en nous a perdu sa connexion avec l’Esprit, ce qui n’est plus spirituel, ce qui n’est plus animé par Dieu. Soit on va vers Dieu, soit on s’éloigne de lui.

Exemples :

19 On sait bien comment se manifestent les œuvres de notre chair : dans l’immoralité, l’impureté et le vice, 20 le culte des idoles et la magie. Les gens se haïssent les uns les autres, se querellent et sont jaloux, ils sont dominés par la colère et les rivalités. Ils se divisent en partis et en groupes opposés ; 21 ils sont envieux, ils se livrent à l’ivrognerie et à des orgies, et bien d’autres actions semblables.

Je vous avertis maintenant comme je l’ai déjà fait : ceux qui agissent ainsi n’auront pas de place dans le Royaume de Dieu.

22 Mais le fruit de l’Esprit Saint, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, 23 la douceur et la maîtrise de soi.

La loi n’est certes pas contre de telles choses ! 

24 Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs. 

25 L’Esprit nous a donné la vie ; laissons-le donc aussi diriger notre conduite. 

26 Ne soyons pas vaniteux, renonçons à nous défier ou à nous envier les uns les autres.

Paul oppose le fruit de l’Esprit et les œuvres de la chair. Je me concentrerai d’abord sur la chair, et ensuite sur le fruit de l’Esprit.

Un choix à faire : deux modes de vie incompatibles

Pour les œuvres de la chair, la liste est longue ! Et Paul dit même qu’il aurait beaucoup à rajouter… nombreux sont les chemins sans Dieu, comme dans un labyrinthe que nous avons créé nous-mêmes – des chemins sans issue, tortueux, destructeurs.

Il est question de sexualité (les problèmes de débauche sont courants à l’époque de Paul au point de choquer même les philosophes païens – comme quoi, rien de nouveau sous le soleil), de pratiques occultes, d’addictions (ivrognerie, orgies, etc.) et, pour moitié, de problèmes relationnels. Je vous disais bien que la « chair », ce n’est pas seulement les désordres corporels : c’est vivre déconnecté de Dieu. Et Paul dénonce particulièrement ici les divisions dans l’église, les conflits larvés ou violents. Ainsi, même une personne qui paraît bien sous tous rapports mais qui critique constamment ou qui regarde les autres de haut, cette personne-là tombe dans la catégorie : œuvres de la chair. C’est tout aussi sale que d’être addict à la pornographie ou de boire jusqu’à vomir.

          Il y a une incompatibilité profonde entre la vie dans l’Esprit et la vie marquée par la chair, conduite par nos instincts, nos pulsions, notre orgueil… Paul la souligne en rappelant que ceux qui se laissent conduire par la chair n’hériteront pas du Royaume de Dieu. C’est-à-dire que si l’on ne prend pas l’Esprit comme moteur de notre vie, on vit sans Dieu – aujourd’hui, et pour toujours.

On aurait envie de répondre à Paul : « t’es sûr de ce que tu dis ? Ne sommes-nous pas tous pécheurs, esclaves de notre chair d’une façon ou d’une autre ? Certes, nous ne pratiquons pas tous l’occultisme ou les orgies, mais la jalousie ? la colère ? la rivalité ? le vice (même caché) ? d’après toi, il faudrait être parfait pour entrer dans le royaume de Dieu ? Et la grâce, alors, celle que tu as tant prêchée, celle qui accorde au pécheur le pardon de Dieu ? »

Oui, nous sommes tous pécheurs ! Et pourtant, il y a une différence. Une différence entre pécher malgré soi, et s’adonner sans réserve au péché, à la chair. Prenons l’exemple d’un petit garçon, qui est entré en courant dans la cuisine, a percuté un pied de la table, et a envoyé valser un verre, qui s’est cassé. Il fond en larmes, vous demande pardon etc. Affaire réglée. Trois semaines plus tard, rebelote, accident – il faut parfois du temps pour gérer ses mouvements. Vous ne lui en voudrez pas ! Mais ce comportement n’a rien à voir avec celui qui, chaque fois que vous avez le dos tourné, sort un verre pour le jeter par terre ! c’est autre chose !

 Au v.24, Paul prend l’image de la crucifixion : ceux qui suivent le Christ ont crucifié leur chair, ce moteur intérieur qui pousse à pécher. Evidemment, c’est une référence au fait de marcher dans les pas du Christ, mort à cause de nos péchés : si je l’aime, si je veux vivre avec lui, comment encore choisir ce qui a causé sa mort ? Mais l’image de la crucifixion est aussi pertinente, parce que la crucifixion ce n’est pas la guillotine ! c’est une mort lente. Un théologien écossais (John Brown) commente ainsi : « la crucifixion produisait la mort graduellement, pas d’un coup. Les chrétiens authentiques ne réussissent pas à complètement détruire la chair ici-bas, mais ils l’ont clouée à la croix et ils sont déterminés à la laisser là jusqu’à ce qu’elle expire. »

          En tant que chrétiens, nous sommes appelés à faire un choix, et à nous y tenir : qu’est-ce qui nous dirige ? qu’est-ce qui nous anime ? qu’est-ce qui nous motive ? sans illusion (nous sommes pécheurs) mais sans complaisance (nous rejetons ce qui peut nous éloigner de Dieu). L’avertissement est essentiel : au pécheur repentant, il est fait grâce. Mais le pécheur qui se prélasse dans son péché sans se remettre en question, ne se moque-t-il pas de Dieu et de son pardon ?

Le fruit de l’Esprit

Aux œuvres de la chair s’oppose le fruit de l’Esprit dans notre vie.

          Première remarque sur le fruit. A la différence des œuvres, le fruit ce n’est pas quelque chose que l’on maîtrise ! Si vous aimez jardiner, vous savez que la récolte ne dépend pas que de vous, mais aussi de l’écosystème : eau, soleil, terrain… et surtout, de l’état de l’arbre : vous ne pouvez pas produire à sa place, malgré toute votre bonne volonté ! Et ça, c’est une bonne nouvelle ! parce que le fruit de l’Esprit ne dépend pas de nos efforts maladroits, mais de la vitalité de la présence du Christ en nous.

Il n’empêche que nous pouvons cultiver le fruit : guetter les mauvaises herbes pour les enlever, vérifier la bonne exposition au soleil, arroser quand c’est nécessaire… Sans prétendre agir à la place du Christ, nous pouvons favoriser la croissance de son œuvre en nous : en arrosant par la prière, en nous exposant à la lumière de sa parole, en nous appuyant peut-être sur des tuteurs, des soutiens, pour ne pas nous écrouler.

          Ce fruit est au singulier : il n’y a qu’un type de fruit qui pousse dans la vie chrétienne, à la différence des œuvres désordonnées de la chair. C’est le fruit de l’Esprit : tout doit grandir ensemble ! Ce n’est pas une liste dans laquelle on choisit notre partie, en laissant le reste aux autres (moi je prends la joie, et je vous laisse la patience et la maîtrise de soi !) : tout pousse ensemble !

Ce fruit touche essentiellement notre caractère, notre posture, vis-à-vis de Dieu et des autres, avec un accent particulier sur l’amour. C’est l’amour qui permet de rester fidèle, de persévérer, de se maîtriser, de mettre les formes dans ce que nous avons à dire… l’amour puisé en Dieu qui nous permet de faire face aux difficultés dans la joie et la paix…

Ainsi, étrangement, le fruit de l’Esprit ne répond pas systématiquement à la liste des œuvres de la chair : il prend surtout le contrepied des relations abîmées, qui naissent de l’impatience, de la frustration, des malentendus, de l’égoïsme, de l’orgueil, de l’indélicatesse… Paul est très préoccupé par l’unité dans l’église, peut-être à cause de la situation chez les Galates ? mais en fait, dans toutes ses lettres, il insiste sur l’amour fraternel, fruit de l’amour reçu du Christ : comme l’amour de Dieu pourrait-il produire autre chose dans notre vie que de l’amour ? C’est le langage de Dieu, et comme une langue étrangère, céleste, nous devons en apprendre le vocabulaire, la grammaire, la conjugaison au singulier et au pluriel… une langue que nous devons réviser sans cesse, et pratiquer sans relâche, ensemble, pour pouvoir la parler couramment où que nous allions.




Pardonner pour être pardonnés ?

Un des sujets qui revient régulièrement dans les groupes où l’on discute de foi et de Bible, dans les visites, dans la famille ou avec les amis, les collègues… c’est la question du pardon. Pas le pardon reçu en Christ, non, le pardon que Jésus nous invite à offrir à notre tour, comme une des actions bonnes que Dieu a préparées d’avance pour ceux qui rejoignent sa famille.

J’ai l’impression que pardonner à l’autre est toujours un défi, tout simplement parce que derrière l’offense, il y a une blessure, une trahison, une déception, une perte… et à chaque fois ! A chaque fois c’est nouveau ! Pardonner à votre collègue qui vous a humilié en réunion, ce n’est pas plus facile sous prétexte que vous avez pardonné à votre neveu d’avoir piqué dans votre porte-monnaie ! J’imagine (j’espère !) qu’avec la maturité spirituelle, on trouve le chemin du pardon plus facilement, mais d’après ce que j’entends, le pardon reste un défi quasi universel jusqu’à la fin.



Malheureusement, on ne peut pas éviter ce défi parce qu’il est au cœur du message de Jésus : le pardon de Dieu, d’abord, et cette invitation à aimer notre prochain, aimer malgré l’offense, donc pardonner.

Je vous invite à creuser cette question du pardon avec un passage de la prière du Notre Père, prière que Jésus enseigne à ses disciples, non pas pour qu’ils la répètent à la lettre, mais pour donner un exemple, une direction, un modèle. Ce modèle nous invite à nous centrer dans la prière d’abord sur Dieu et ses projets, et ensuite sur nos besoins. Dans ces besoins, le pain/les besoins matériels, le pardon, la protection face au mal extérieur et intérieur. Je ne sais pas pour vous, mais la partie sur le pardon m’a toujours un peu mise mal à l’aise :

Matthieu 6.12 Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.

(littéralement : 12 remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous l’avons fait pour nos débiteurs – pour ceux qui ont suivi le cycle de prédications sur les sens de la mort de Jésus sur la croix, où j’ai parlé notamment du pardon de Dieu comme rachat de nos dettes pour nous conduire vers la liberté)

Le « comme » est terrible ! Jésus a l’air de dire qu’il y a une espèce de correspondance entre le pardon que nous donnons et le pardon que nous recevrons de Dieu. On aurait envie de remplacer par « pardonne-nous pour que nous pardonnions, ainsi nous pardonnerons… » pendant un temps, je remplaçais même par « et aide-nous à » ! Tout, mais pas « comme » !

En plus, Jésus en rajoute une couche :

14 Si vous pardonnez aux gens leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera, à vous aussi, 15 mais si vous ne pardonnez pas aux gens, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes.

Au moins c’est clair ! Notez que c’est le seul point de la prière sur lequel Jésus fait un commentaire… Et là, c’est dans l’Evangile de Matthieu, mais dans l’Evangile de Luc qui propose une variante de ce modèle de prière, on retrouve aussi le « comme » et le petit commentaire.

C’est problématique, au moins pour deux raisons :

  • Notre pardon étant lent, très très progressif et partiel, j’espère bien que le pardon de Dieu est de meilleure qualité !
  • Et théologiquement, comment Jésus peut-il dire ça, alors même que tout son message met l’accent sur l’initiative de Dieu dans le pardon ? Sur l’amour que lui-même montre, de la part de Dieu, à tous ceux qui l’approchent ? Comment peut-il dire d’un côté : « venez à Dieu comme vous êtes, en toute simplicité ; même si vous perdus, errants, archi-nuls, même si vous avez tout raté, même si vous vous sentez indigents, revenez vers Dieu et il vous accueillera les bras ouverts parce qu’il vous aime » et d’un autre côté « Dieu vous pardonne comme vous pardonnez à votre prochain » donnant l’impression qu’il faut mériter le pardon que Dieu nous offre, qu’il faut montrer patte blanche ?

Si on regarde le contexte de cette prière, on peut trouver un élément de réponse : Jésus ne fait pas ici un discours sur le salut, sur le regard que Dieu porte sur le pécheur et sur l’invitation à nous tourner vers lui pour vivre une vie transformée. Il donne simplement à ses disciples un modèle de prière quotidienne (donne-nous notre pain de ce jour), une prière adaptée aux défis de la vie ordinaire : faire confiance à Dieu pour nos besoins matériels, vivre de son pardon face à nos échecs récurrents, et être protégé du mal sur le chemin qui nous attend. Ce n’est pas parce qu’un jour, on a compris que Dieu nous offrait son pardon et qu’il nous aimait qu’on n’a plus besoin de son pardon ! Dans le cadre de cette relation avec Dieu renouée grâce au Christ, il y a un pardon quotidien à recevoir pour nos défaillances quotidiennes.

Et c’est de ce pardon-là, pas du salut, mais de la grâce au quotidien, que Jésus parle, en le rendant inséparable du pardon que nous sommes prêts à accorder à ceux qui nous entourent. En insistant sur cette correspondance, Jésus nous montre que pardonner aux autres est incontournable si l’on veut vivre avec Dieu. Incontournable.

Pardonner aux autres, un incontournable de la vie chrétienne

Pourquoi le pardon que nous donnons est-il si important pour Dieu que notre relation privée avec lui en dépende ?

D’abord, comme nous, Dieu ne supporte pas l’hypocrisie. Compter sur la générosité de Dieu alors qu’on garde notre cœur fermé et amer, ce n’est pas cohérent. Demander à Dieu un bouquet alors que soi-même on n’est pas prêt à faire une fleur à l’autre, c’est un peu se moquer du monde, et de Dieu.

Il y a un autre passage où Jésus évoque le pardon, sous la forme de l’histoire du serviteur d’un roi (parabole du serviteur impitoyable, Matthieu 18). Le serviteur a une dette de plusieurs milliards, impossible à rembourser – il implore le roi, et le roi, ému de compassion (il représente Dieu dans l’histoire), efface la dette. Le serviteur repart libre, et il croise en chemin un de ses collègues qui lui doit l’équivalent de 3-4000 euros : il le saisit à la gorge, le menace… l’autre l’implore mais rien n’y fait. Le roi l’apprend, et s’emporte face au premier serviteur, dont l’incohérence montre qu’il n’a rien compris.

Parce que, être cohérent devant Dieu, ce n’est pas pour faire joli ou pour avoir bonne réputation ou pour prouver à Dieu qu’il a bien parié sur le bon cheval – ce n’est pas une question de performance, c’est une question de compréhension. Lorsque je reçois le pardon de Dieu, est-ce que j’en mesure le coût ?

Si je refuse à mon tour de pardonner, quel message j’envoie ? que l’offense de mon prochain envers moi est plus grave, plus injuste, plus impardonnable que la mienne envers Dieu ?

Certes, Dieu est parfait, mais le pardon qu’il nous offre n’est pas une évidence, je dirais même qu’il n’est pas facile – Dieu est scandalisé devant le mal, le mal décuplé et le mal en germe, il connaît nos mesquineries nauséabondes, et pourtant, et pourtant son amour surmonte la montagne de déchets que nous nous trimballons. Le pardon de Dieu n’est tellement pas facile qu’il a envoyé son Fils, qui est mort pour nous. Mort. Oui, pardonner à l’autre c’est faire un sacrifice, mais on ne meurt pas, nous ! Jésus, lui, est mort pour garantir notre salut.

Alors on comprend mieux pourquoi pardonner aux autres est si incontournable aux yeux de Dieu : c’est le signe qu’on a perçu un peu de l’immensité de sa démarche, et qu’on est prêt à l’imiter à notre petit niveau.

Le contour du pardon

Or, qu’est-ce que pardonner signifie, concrètement ? Parce que nos difficultés à pardonner viennent en partie de nos préjugés sur le pardon.

Jésus utilise régulièrement l’image de la dette qu’on remet, de l’ardoise qu’on efface. Remettre une dette, c’est renoncer à exiger le paiement, renoncer à exiger la réparation, renoncer à la vengeance. C’est renoncer au ressentiment qui ressasse la dette encore et encore comme un point de blocage dans la relation. Pardonner, c’est lâcher, en fait.

Cela étant, pardonner, ce n’est pas : autoriser ce qui s’est passé, comme si on le validait ou qu’on le cautionnait (à aucun moment, Dieu qui nous pardonne ne cautionne nos horreurs) ; ce n’est pas minimiser, relativiser (oh ce n’est pas si grave… si Dieu pardonne au meurtrier, vous croyez qu’il considère que la mort de la victime n’a pas de poids ?) ; ce n’est pas non plus se plonger dans un déni naïf et imprudent pour repartir tête baissée dans la gueule du loup ! (Dieu qui nous pardonne nous invite à changer de vie, pas à répéter sans cesse le même schéma destructeur !)

Ainsi, le pardon a pour objectif la réconciliation. On efface l’obstacle de la relation pour faire la paix et se retrouver dans une relation à nouveau fluide. Dieu nous invite à des relations avec autrui riches et paisibles, saines et constructives.

Ca c’est l’objectif du pardon, mais ce n’est pas toujours possible, et il est essentiel d’être réaliste quand on parle de pardon. Jésus nous commande de pardonner, il ne nous commande pas de nous réconcilier là où ce n’est pas possible. La réconciliation, c’est un but, mais ce n’est pas automatique. Parfois il faut du temps pour redonner sa confiance. Parfois la relation a définitivement changé et on continue mais autrement, sans revenir « comme avant ». Et parfois, pour se protéger et pour protéger l’autre de lui-même, il vaut mieux rester à distance. Exemple : vous avez un collègue qui vous a piqué des sous dans votre portefeuille, peut-être que vous évitez de laisser votre sac sans surveillance devant lui… Vous êtes en couple avec quelqu’un de violent qui vous met en danger, vous et vos enfants (homme ou femme, les deux situations existent) : même si vous pardonnez, il faut vous protéger ! tant que l’autre n’est pas capable de se maîtriser, il faut prendre de la distance ! Ca peut être un supérieur qui vous harcèle, ou un voisin qui prend toujours mal ce que vous dites : même si vous choisissez de pardonner, vous pouvez prendre de la distance tant qu’une relation saine et paisible n’est pas possible.

En chemin vers le pardon

Quelques remarques avant de conclure.

Le pardon, c’est à la fois une décision à prendre, un choix à faire, et en même temps c’est un processus qui prend du temps pour s’accomplir pleinement. Ce n’est pas parce qu’on a décidé de pardonner que d’un coup, on ne ressent plus rien de négatif quand on voit l’offenseur ou quand on repense à l’offense. Le pardon c’est un cap qu’on se donne et auquel on choisit de se tenir. C’est là que Jésus nous met la pression : quel cap on veut donner à notre vie ? Le cap de la grâce ou le cap du ressentiment ?

Et puis, Jésus n’empêche pas de demander de l’aide à Dieu ! Son modèle de prière est court, il ne couvre pas tout : bien sûr que Dieu est prêt à nous donner les ressources pour vivre comme lui ! il faut lui demander… mais lui demander, c’est déjà avoir fait le choix d’aller vers le pardon.

Cette vie marquée par le pardon nous conduit vers la grâce et la liberté. Oui, la liberté. Recevoir régulièrement le pardon de Dieu ôte de nos épaules le poids de la culpabilité, de la honte, de toutes nos valises… pardonner à l’autre nous conduit aussi vers la liberté : la liberté de ne plus nous définir d’abord comme victime, de ne plus voir en nous seulement la blessure qu’on porte, qu’on gratte et qu’on infecte parfois à force de rancœur et de revendication. C’est important de reconnaître l’ampleur des blessures… mais le but c’est d’en guérir, pas de s’y emprisonner !

 Dieu nous appelle à la liberté, la liberté dans la vérité et l’amour. C’est un chemin, un processus, l’apprentissage de toute une vie, et pour avancer sur ce chemin jour après jour, nous avons tellement besoin de Dieu, expert en pardon, expert en grâce, pour nous apprendre à aimer comme lui, jour après jour.